Thalyana s’amusa de la réaction sceptique de la petite fille. Elle était la même chez tous les enfants qu’elle avait rencontré. Pour un enfant de cet âge, la notion de temps était très vague et floue, et bien qu’ils grandissent, ils vivaient dans une sorte d’éternité figée, où les adultes avaient toujours été adultes, et où eux-même n’avaient jamais été très différents de ce qu’ils étaient maintenant.
« Mais tu étais alors bien plus petite. Pas beaucoup plus grosse que ça. » Elle écarta les bras pour lui montrer. « Et c’est normal que tu ne te rappelles pas. Quand on est petit comme ça, on est pas encore capable de garder des souvenirs. » Puis vint la question que Thalyana redoutait. « Non, ça ne fait pas mal. Tu sens bien, non, que ça ne fait pas mal. Et tu sais, quand le bébé vient dans le ventre, il est tout petit, comme… une petite lentille. On ne met pas le bébé dans le ventre… » Elle s’interrompit. Elle aurait bien usé de métaphore, mais elle était certaine que la petite fille se ferait des idées encore plus étranges si elle lui parlait de fleurs et d’abeilles. Autant dire les choses comme elles étaient. « Tu vois, les hommes et les femmes sont pas fait pareil. Les hommes, ils ont un zizi. Tu as vu, sur les Compagnons, non? Les femmes, elles ont un petit trou qui mène vers un endroit très chaud et confortable. Alors, parfois, quand on s’aime vraiment beaucoup, on a envie d’être encore plus proche, et serrer l’autre dans ses bras, ce n’est pas assez. Alors là, le zizi de l’homme, il grandit un peu pour pouvoir entrer dans le trou de la femme. C’est très chaud et agréable. Parfois, à ce moment-là, il arrive qu’un bébé soit conçu. Tu vois, les hommes, ils ont dans leur zizi un liquide qui contient la moitié de la recette du bébé. La maman, dans son ventre, elle a l’autre moitié de la recette. Alors, si tout se passe bien, les deux moitiés de recette se rejoignent et un bébé commence à grandir dans le ventre de la maman. Il faut trois saisons au bébé pour naître. »
La petite fille ne semblait toujours pas très à l’aise. Thalyana peinait à comprendre la crainte que la fillette ressentait. Avait-elle vécu des expériences difficiles, avec ou à cause des adultes? Heureusement, cette crainte irraisonnée était muselée par une curiosité plus grande encore. Elle semblait ravie de pouvoir poser toutes les questions qui lui passaient par la tête.
« Non, elle ne me mange pas. » Elle rit. « Je partage ce que je mange avec elle. C’est pour ça que je mange beaucoup ces jours. Et ne t’inquiète pas, elle sortira très bien. Il a un trou, entre tes jambes. Celui dont j’ai parlé avant. Entre tes jambes, tu as deux petits trous. Un qui sert à faire pipi. L’autre, il sert… bah à faire des bébés. »
Pluichantante semblait être, avec sa maman, le sujet de conversation préférée de Liane. Elle admirait la femme, l’adulait presque. Elle semblait la considérer comme une héroïne digne des plus grands Hérauts. Thalyana écouta cependant attentivement le récit de la fillette. Il permettrait peut-être de préciser un peu l’histoire que Pluiechantante avait tant de mal à raconter. Puis la petite fille parla des autres patients qu’elle avait vu, à la fois surprise et inquiète. Thalyana s’interrogea. Pourquoi de la surprise? Elle était dans un endroit où l’on soignait les gens. La tristesse et les larmes étaient donc à leur place en ce lieu.
« Oui, je sais qu’il y a des gens qui pleurent dedans. C’est mon Don tu sais. Moi, je vois et je soigne les blessures du dedans… » Entre autres choses.
Fille de barde jusqu’au bout des ongles, Liane apporta sa solution au problème. Il fallait de la musique. Si seulement les choses avait pu être aussi simple… malheureusement, la musique certains patients, mais d’autres y étaient relativement insensible. Relativement, car un Barde usant de son Don forçait son auditoire à l’écouter.
« Ça te fait du bien quand tu chantes avec Pluiechantante? Ta maman, avant, elle chantait pour les malades, et souvent des bardes viennent jouer pour eux. Mais, tu sais, la musique seule ne suffit pas toujours. Parfois, tu es trop malade pour l’entendre. »