Et la discrétion faisait clairement partie de la nature du Héraut, si bien qu'il fut assez soulagé que sa proposition fût acceptée. Et si sa main dans celle du Mage le rassurait, l'inverse était tout aussi vrai. Il avait besoin de ce contact, histoire de se rassurer, aussi, sur les sentiments de Manuchan à son égard : le fait qu'il resserrât la prise de ses doigts sur les siens restait plutôt engageant, quoi qu'il eût pu ressentir lorsqu'il avait fait face à son ancien amant. Pourtant la question qu'il lui posait n'avait pas vraiment vocation à le prendre en faute, et au fond, il lui semblait qu'il comprenait, au moins en partie, sa position. Aussi quand il vit le malaise de l'Adepte, s'en voulut-il quelque peu d'avoir mis le doigt sur quelque chose d'aussi embarrassant. Il avait besoin de l'entendre, pourtant, de savoir, avec les mots que le Maître des Vents pourrait y mettre, ce qu'il ressentait réellement. Il l'écouta alors presque religieusement évoquer la relation forte qu'ils avaient eue, et ce que les dangers auxquels il avaient pu faire face y avait ajouté d'intensité. Il en avait été témoin, en quelque sorte, plus tard, en Hardorn, et le souvenir des deux Mages ensemble faisait toujours naître une pointe de jalousie dans le cœur du Blanc, pourtant mal placée : qu'il eût une vie avant lui allait de soi, il n'avait rien à y redire... Aussi gardât-il le silence, le laissant poursuivre sur sa lancée. Il lui semblait de toutes les manières, que s'il s'avisait de le couper dans son élan, l'Adepte ne parviendrait pas à aller au bout de sa pensée, et ce n'était pas ce qu'il souhaitait, bien au contraire. D'une certaine manière, il lui semblait qu'ils avaient autant l'un que l'autre besoin de préciser, définir, ce qu'il se passait, ce qu'ils ressentaient, l'un comme l'autre, que c'était la condition sine qua none pour qu'ils pussent continuer à avancer. Main dans la main.
Les deux d'ailleurs, puisque son amant venait de s'emparer de sa main encore libre, se rapprochant encore un peu de lui, les deux lacs glacés qui lui servaient d'yeux plongés dans ses pupilles mordorées. Trop ? Non... Quand il ne fallait pas, peut-être, mais Aaron n'eût jamais affirmé que ces trois petits mots dont il avait si longtemps été privé fussent de trop. Un sourire attendri se dessina sur ses lèvres. Il avait toute confiance en la sincérité de Manuchan à cet instant, et comme il affirmait que l'amour qu'il avait pour lui n'était pas près de s'éteindre, le cœur du Héraut lui sembla manquer un battement. Ce genre de promesses sur le long terme était peut-être un peu prématuré, sa raison le criait quelque part dans un coin de son esprit. Pourtant, il en restait profondément touché. Et à vrai dire, son cœur criait à peu près la même chose, aussi déraisonnable cela fût-il. Oui, il craignait de le perdre au profit de son ancien amant. Il craignait, à vrai dire, de le perdre tout court. Mais sur ce point, il lui semblait bien qu'il n'était pas le seul en ce cas.
Et comme l'Adepte l'invitait à baisser ses barrières, juste avant de venir le prendre dans ses bras et d'enfouir sa tête au creux de son cou, le Héraut s'exécuta sans vraiment se poser de question. Sans doute l'eût-il fait de lui-même, à vrai dire, quand bien même épier les sentiments de l'autre sans sa permission n'était peut-être pas très honorable. Il avait besoin de le savoir, de se rassurer, et les sentiments du Maître des Vents qui l'assaillirent de plein fouet alors firent un tel écho aux siens que lui-même referma ses bras autour de la taille du Mage, le serrant contre lui, avant qu'il ne dépose un baiser au creux de son cou, puis ne cherche ses lèvres. Ce n'était pourtant pas l'endroit, et sa pudeur naturelle reprit finalement le dessus, comme il se détachait légèrement de lui, plongeant ses prunelles olive dans les siennes.
« Ce n'était en aucun cas un reproche, mon coeur... Mais j'avais besoin de te l'entendre dire, je crois. Ce que vous avez traversé tous les deux fait partie de toi, et... aussi jaloux puis-je être de ce que vous avez partagé, je n'ai rien à en dire. Encore moins à t'interdire d'avoir des sentiments pour lui, ça ne s'efface pas comme ça... »
Preuve en était que les siens non plus, ne s'effaçaient pas comme ça. Qu'Enju serait toujours quelqu'un à qui il tiendrait, lui semblait-il, quand bien même elle avait préféré l'abstinence à son amour. Ca ne se commandait pas, après tout. Et aujourd'hui, il n'avait aucune envie de revenir en arrière, de perdre ce qu'il partageait avec l'Adepte au profit d'une hypothétique histoire peut-être légèrement plus conventionnelle aux yeux de certains. Non, il aimait l'homme auprès de lui bien plus qu'il n'avait jamais aimé qui que ce fût, il n'était pas près de faire une croix dessus. Et il était à vrai dire le premier surpris du surnom affectif qui venait de s'ajouter à son discours. Une première, qui était loin de lui déplaire, bien qu'il s'imaginât mal se le permettre en public, une fois de plus.
« Et je ne m'effacerai pas comme ça non plus. »
Il lui semblait au final qu'il avait autant besoin que lui d'être rassuré sur ses sentiments.
« Je sais que je ne suis pas toujours aussi... expansif que tu le souhaiterais, mais ça ne change rien au fait que je t'aime... »
A la limite de son champ de vision, il avisa le retour de l'autre Mage et serra juste un instant la main de son amant dans la sienne avant d'ajouter.
« N'en doute jamais. Quant à lui... Vous avez à l'évidence des choses à vous dire, des points restés trop longtemps en suspens à éclaircir, et même si je ne suis pas sûr d'être le parfait témoin, encore moins un témoin parfaitement neutre, je suis là, quoi qu'il arrive. »
Pas de futur, pas de conditionnel. Il était là, c'était une certitude, il n'y avait rien d'hypothétique là-dedans. Même s'il s'éloignait légèrement, physiquement, dès lors qu'ils étaient en public, ça ne changeait rien à ce qu'il ressentait. Il avait gardé une main de l'Adepte dans la sienne, comme si ça avait pu leur servir d'ancrage... Le retour de Glenn restait annonciateur de tempête, après tout, et il lui semblait bel et bien qu'un minimum de soutien allait être nécessaire... Tout comme il risquait d'avoir besoin de celui de sa moitié, dont la caresse mentale visait clairement à le rassurer, lui aussi, à ce sujet.