Voir les contributions

Cette section vous permet de consulter les contributions (messages, sujets et fichiers joints) d'un utilisateur. Vous ne pourrez voir que les contributions des zones auxquelles vous avez accès.


Sujets - Yvelin

Pages: [1] 2
1
Haven / [Fête de la victoire] Rondes et gavottes
« le: 15 septembre 2020, 09:28:22 »
1er jour de la 6e décade d'Automne 1485 - Placette des Œillets, à l'est de la Grande Place - Autres lieux de la Fête: la Grande Place - la Tente

Directement à la suite de la Grande Place se trouvait la placette des Œillets. Celle-ci était utilisée depuis toujours pour des bals populaires, car elle bénéficiait d'une acoustique particulièrement favorable. De plus, la musique qu'on y jouait s'entendait facilement de la Grande Place, sans se faire envahissante. Ainsi, toute la fête pouvait profiter des mélodies que Bardes et Ménestrels jouaient, mais ceux qui voulaient danser avaient un espace qui leur était propre.

Yvelin avait mal au dos. Il était debout depuis l'aube pour aider à l'installation de l'estrade et de l'orchestre. Il avait porté tant de caisses et fait tant d'aller-retour qu'il en avait perdu le compte. Mais c'était avec plaisir qu'il offrait son énergie et ses longs bras à la fête. Il n'avait pu participer à la défense de la ville, ayant été évacué comme tous les non-combattants. C'était donc sa façon à lui de remercier ceux qui s'étaient battus pour sa ville. Et plus tard, il prendrait son tour parmi les musiciens, simple théorbiste anonyme au milieu de ses pairs.

Pour le moment, les lieux étaient silencieux, car tous tentaient d'écouter le discours du Héraut du Roi. Yvelin lui prêtait un oreille peu attentive. Il préférait observer les gens autour de lui. Tous ces visages concentrés, soulagés, émus, exaltés, tout cela l'inspirait. Il aurait aimé s'emparer de chacune de ces émotions et les coucher sur la portée. En faire une musique digne de ce moment...

Enfin, le discours prit fin. Quelqu'un fit un signe aux musiciens et les premières notes se firent entendre. Une main anonyme se tendit vers lui dans la foule. Il la saisit sans réfléchir et commença à danser.

[Vous pouvez poster ici sans réel tour de jeu. Attention, votre personnage ne peut être que sur un lieu à la fois. Si vous postez ici, puis ailleurs, on considérera que votre perso s'est déplacé d'un endroit à l'autre.]

[Si quelqu'un veut être la "main anonyme", qu'il poste sans autre!]

2
Haven / Comédie urbaine
« le: 10 septembre 2020, 10:23:48 »
1er jour de la 9e décade d'Été

Yvelin s'était fait beau. Autant que ses moyens limités le lui permettaient. Il avait enfilé sa tunique rouge la plus seyante, ciré ses bottes et tenté de coiffer sa tignasse - en vain, malheureusement. Il avait aussi remis une boucle à son oreille, un petit anneau d'or tout simple. Il ne voulait pas que le trou se referme. Il voulait se laisser une chance de pouvoir y accrocher un jour à nouveau un bijou d'importance. C'était sentimental et idiot, il le savait. Mais aurait-il été un vrai Barde s'il avait agi différemment?

Devant l'immense porte de la demeure Trevale, il se sentit intimidé. Ce n'était que la deuxième fois qu'il entrait dans une demeure noble. Il avait chanté chez des bourgeoises fortunées, souvent, mais malgré leurs tentatives, la splendeur de leur logement ne pouvait égaler celle de cette maison. Un instant, il se demanda s'il était censé passer par l'entrée des domestiques. Puis il se souvint que son statut était équivalent à celui de n'importe quel héritier d'une grande famille. On lui devait le respect. Il l'oubliait trop facilement.

Il se força à respirer lentement, pour dissiper l'angoisse. Il était le Barde engagé par dame de Trevale. Il était à sa place et personne ne pouvait contester sa légitimité. Après tout, elle l'avait préféré à Firen.

Yvelin actionna le heurtoir et attendit. Bien vite, un domestique vint ouvrir. La vue de l'écarlate lui suffit à inviter le Barde à entrer.

«Bienvenue à vous, Barde Yvelin. Puis-je prendre vos affaires?»

Instinctivement, Yvelin resserra la main sur l'étui de son luth.

«Je ne laisse personne s'occuper de mes instruments.»

«Très bien. Par ici, je vous prie.»

On le guida vers un petit salon meublé à ce qui devait être la dernière mode en matière de décoration d'intérieur et le serviteur s'éclipsa. Yvelin se retrouva seul à attendre.

3
Collegium des Bardes / Le Cycle de l'Or
« le: 24 août 2020, 09:33:08 »
Milieu de la 8e décade d'hiver 1486 - Grande Salle du Collegium des Bardes

Yvelin avait le trac comme jamais auparavant. Ce soir, il allait faire jouer l'œuvre qu'il avait composée pour atteindre le rang de Maître Barde Confirmé. Cela faisait des décades qu'il ne vivait plus que pour cet instant. Il ne sortait plus, il mangeait à peine, il ne voyait plus personne, hormis Liselle qui parfois venait le nourrir de force. Il avait concentré toute son énergie sur cette œuvre, comme si sa vie en dépendait. Ce qui était quasiment le cas. Et celle-ci avait bien failli ne jamais voir le jour.

Il avait failli perdre l'entier de sa composition un soir où il s'était endormi sur sa table, laissant une chandelle brûler non loin des précieux feuillets. Une autre fois, il avait dû courir après la bonne pour l'empêcher de brûler sa composition. En effet, on lui avait désigné la pile de parchemins comme étant des rebuts à utiliser comme allume-feu. Yvelin n'avait pas besoin de demander qui lui avait donné cet ordre. Il l'avait su dès qu'il avait croisé son regard. Firen.

Terminer son œuvre était devenu son unique but. Il ne lui restait plus que cela. Et Liselle. Il n'avait plus de famille, plus d'amant. Il avait besoin de réussir ça pour reprendre le contrôle de sa vie. Travailler jour et nuit avait tenu ses démons éloignés. Depuis ce fameux jour à la Rose des Vents, il n'avait plus repensé ni à Micha, ni à son père. De fait, il n'avait plus pensé à quoi que ce soit d'autre que la musique.

Son cœur s'était apaisé. Quand enfin il avait posé la dernière note, complété la dernière mesure, il s'était senti serein. Il était loin d'être heureux, mais au moins acceptait-il ce qui lui était arrivé. Et il était prêt à revoir Micha, si celui-ci l'acceptait. C'était d'ailleurs d'une main tremblante qu'il avait rédigé une invitation* à son attention pour le concert de ce soir. L'orfèvre ne viendrait probablement pas. Mais Yvelin avait enfin agit comme l'adulte qu'il aspirait à être.

Dans la salle, le public affluait doucement. Pour l'occasion, il avait cassé sa tirelire et acheté - de deuxième main, cependant - une magnifique tenue d'apparat écarlate. Et après plusieurs minutes d'hésitation devant son miroir, il avait remis le grenat à son oreille. Celui-ci s'accordait magnifiquement avec sa tunique, il aurait été dommage de s'en priver. À défaut de se sentir beau, il se savait élégant et raffiné.

Le conseil des Maîtres avait déjà entendu son œuvre et décidé de lui accorder son nouveau titre. Mais la vrai consécration viendrait ce soir. Pour une nuit, il serait la coqueluche de la cour. Une simple nuit. Une éternité à ses yeux.

Bientôt, la salle fut comble. Il se força à regarder droit devant lui. Liselle se tenait au fond de la pièce et lui adressait des signes de main encourageants. Il demanda le silence, tendu à l'extrême.

«Bonsoir à tous. Je suis Yvelin, et ce soir je vais diriger - et jouer - l'œuvre que j'ai composée pour obtenir le rang de Maître Barde Confirmé. La composition de cette œuvre a été semée d'embûches.» Il s'interrompit un bref instant. «J'ai perdu mon foyer une première fois. J'ai failli le perdre une deuxième fois, quand des mages noirs ont pensé qu'il était bien de faire sauter le Palais. J'ai fait des rencontres, j'ai perdu des amis. Et puis...» Sa voix commença à trembler malgré ses efforts. «Et puis j'ai aimé. Passionnément, évidemment. Je suis Barde, on ne se refait pas.» Il laissa les rires mourir dans la salle. «Je crois que j'ai été aimé aussi. Et tout ça a contribué à l'œuvre que vous allez entendre. Je vous présente donc "le cycle de l'Or", une pièce avec instruments et chant, en quatre mouvements. J'espère que vous apprécierez.»

Il alla prendre place au milieu des autres musiciens, tous Bardes confirmés au moins et donna le signe de départ.


De fait, seul la conclusion de chaque mouvement était chantée. Le reste était entièrement instrumental, ce qui était à l'opposé des habitudes de composition d'Yvelin. Il avait voulu se prouver qu'il était capable d'écrire autre chose que de la chansonnette idiote et il pensait y être parvenu.

Quand vint le moment pour lui de chanter, il reposa son luth et se leva pour se mettre face au public. Il n'avait plus le trac, à présent. Il vivait uniquement pour et par la musique en cet instant. Elle seule comptait.

Le second luth l'accompagnait ainsi qu'un théorbe en basse continue. Mais tout reposait sur sa voix. Il prit une longue inspiration.

Je suis né au commencement du monde,
Étoiles et lune dansaient la ronde
et je somnolais en rêvant aux cieux.




Arraché du plus profond de la terre
et malmené par leurs outils de fer,
je n'étais guère qu'un éclat perdu.



Ainsi conclut-il le deuxième mouvement.



Leurs dents cruelles ont broyés mon être.
Elles n'ont eu de cesse de se repaître
de mon armure de roc et de pierre.

Leurs mains m'ont jeté au milieu des flammes
Leur four, leurs creusets ont brisé mon âme
Vaincu, je me suis plié à leur loi.



Dans ces derniers mots, Yvelin injecta son vécu, sa rancœur, sa colère. Rares étaient les moments où un Barde pouvait faire usage librement de son Don. Autant en profiter. Que tous ressentent son œuvre comme lui l'avait composée.


Ils avaient presque achevé le dernier mouvement. Si le troisième avait été dissonant aux oreilles de la plupart, le quatrième n'avait été qu'accords parfaits et continuité harmonique. Yvelin avait énormément peiné à écrire cette dernière partie, parce que ce qu'elle narrait était à l'opposé de ce qu'il ressentait. Mais, étrangement, quand enfin il l'avait achevée, il s'était senti pleinement en accord avec la musique. Comme si cette dernière, pour le récompenser, l'avait guéri.

Tes mains m'ont trouvé, ton âme a parlé
à mon cœur si tendre et effarouché.
Entre tes doigts je suis devenu or.

Tu m'as modelé, tu m'as sculpté
et ma vraie forme, tu l'as retrouvée
Entre tes doigts, je suis devenu or.

Qu'importe où le destin m’emmènera
car je porterai à jamais en moi
la trace brûlante de tes doigts d'or.



Sa voix seule termina l'œuvre, sur une longue note tenue piano. Sa voix mourut doucement et il se rassit. La salle, d'abord parfaitement silencieuse, explosa en un vacarme d'applaudissements. C'était fini, il avait réussi.

Et il se sentait parfaitement comblé, heureux, fier. Seule présence de Micha pourrait rendre son bonheur plus complet. Mais, craignant de tout gâcher, il renonça à le chercher dans la foule. Qu'il profite de cette soirée en pensant qu'il avait été entendu et peut-être compris.

Spoiler: montrer
*

Citer
Cher Micha,

J'espère que tu te portes bien et que tout se passe bien dans ta famille, malgré les ingérences de Firen.

Tu dois sans doute te demander la raison pour laquelle je t'écris. Tu m'as quitté, et j'ai accepté ta décision. Je l'ai comprise aussi. Mais, même si cela doit te sembler un peu présomptueux, cela compterait beaucoup pour moi que tu sois là pour écouter l'œuvre que j'ai composée pour obtenir mon nouveau rang. Le concert aura lieu le 5e jour de la 8e décade. Je ne demande rien d'autre que ta présence. Si tu ne désires pas me parler, il te suffira de quitter la salle à la fin. Évidemment, si ma vue t'est trop insupportable, je comprendrais que tu préfères ne pas venir.

Kate est la bienvenue aussi, évidemment.

Affectueusement,

Yvelin

4
Haven / Un placard pour deux
« le: 08 mai 2020, 19:06:34 »
2e jour de la 5e décade d'Été 1485 - Auberge de la Rose des Vents

Sortir du Palais procura une sensation inhabieuelle à Yvelin. Il se sentait étrangement coupable, mal à l'aise, comme s'il outrepassait une quelconque règle tacite. Il n'avait pas quitté l'enceinte royale depuis qu'il avait été chassé de chez lui, de peur de croiser son père en ville. Il ne saurait comment réagir. Ni comment son père se comporterait avec lui. Il n'avait pas envie de le découvrir.

Micha lui avait donné rendez-vous à la Rose des Vents plutôt qu'à l'Arpenteur. Cela signifiait donc qu'ils ne feraient que discuter. Et si l'orfèvre n'avait rien dit, Yvelin avait déduit de son dernier message que lui aussi avait fait les frais de Firen. Or, la dernière chose qu'il souhaitait était de lui attirer des ennuis.

Pour Yvelin, la Rose des Vents était un lieu empli de souvenirs. Il y était venu, en tant qu'apprenti, pour participer à des soirées musicales ou discuter théorie avec des amis. Ce n'était le repaire habituel des Bardes - ceux-ci se retrouvaient plutôt au Rossignol - mais l'endroit était toujours bondé d'étudiants des Collegia.

Ce qui ce soir lui posait un énorme problème. Mais il ne pouvait pas revenir en arrière. Et il avait besoin de voir Micha.

Quand il passa la porte, il avait l'impression de se rendre à un examen. Il se sentait extrêmement nerveux, le regard des autres lui pesait énormément. Il se dirigea vers une table plutôt à l'écart de l'animation, dans un coin. Peut-être pourrait-il ainsi éviter qu'on vienne lui parler.

Malheureusement, à peine s'était-il installé qu'une jeune fille l'approcha. Elle avait l'air gênée et curieuse. Il l'avait déjà croisée dans les couloirs du Collegium des Bardes et à des soirées musicales. Elle devait approcher de la fin de sa formation.

«Je... je voulais juste te dire que... enfin... je comprends et si jamais tu veux parler...» Elle regardait ses pieds en rougissant. Yvelin, d'abord sur la défensive, se mit à se demander si elle n'allait pas lui demander de sortir avec elle. «Moi aussi, quand mes parents ont réalisé que j'étais shaych, ils m'ont dit de ne jamais revenir...Je... je sais combien c'est dur.»

«Je...» Il s'arrêta net. Micha se tenait derrière la jeune fille.

5
Champs des Compagnons / Jouer avec le feu
« le: 27 avril 2020, 15:27:05 »
8e jour de la 4e décade d'Été 1485

Depuis que son père l'avait chassé de sa vie, Yvelin n'avait plus le cœur à rien. Il s'était forcé à travailler à son œuvre de compagnonnage, mais sinon, il errait comme une âme en peine. Liselle avait bien tenté de le consoler, mais elle savait que seul le temps pourrait vraiment guérir cette blessure. Elle s'assurait juste qu'il se nourrisse correctement.

Il n'avait pas osé mettre Micha au courant de ce que Firen avait fait. Il l'avait bien cherché, après tout et il ne voulait pas que celui-ci s'inquiète. Même si, à bien y réfléchir, Micha risquait de s'en faire davantage pour son propre secret que pour les souffrances d'Yvelin. Ce qui était parfaitement normal. À bien y réfléchir, peut-être était-il un peu injuste avec Micha. Il n'en savait rien au fond et n'avait pas l'énergie d'y réfléchir.

Il devait déjà composer avec les questions incessantes de ses collègues Bardes. Car Firen ne s'était pas contenté de le dénoncer à son père. Il avait largement répandu la nouvelle de son homosexualité, comme Yvelin l'avait découvert dès le lendemain de son entrevue avec ses parents. Il savait bien que les autres Bardes ne pensaient pas à mal en venant le questionner. Mais pour le jeune homme, qui avait toujours su tenir les autres à l'écart de sa vie privé, s'en était trop. À force de répondre toujours aux mêmes remarques, il en devenait méchant. Et il détestait ça. Il détestait ce que la situation faisait de lui.

Il s'enfermait dans sa petite chambre au Collegium dès que possible. C'était maintenant son unique chez lui, le seul endroit qu'il avait le droit d'appeler son foyer. Il ne sortait que pour rejoindre, discrètement de préférence, une des nombreuses salles d'études mises à la disposition des étudiants. Et quand il ne supportait plus de voir les autres, il s'enfuyait et se réfugiait dans le Champ des Compagnons, tout au fond, non loin de la petite forêt où vivaient quelques dyhélis. Il n'allait pas leur parler cependant. Il restait simplement seul, couché dans l'herbe, à fixer le ciel pendant des heures.

Cet après-midi-là, quand il entendit des pas s'approcher de lui, il eut envie de s'enfuir. Mais où aller si on le retrouvait même ici? Peut-être aurait-il dû céder à son impulsion première, et quitter Haven. Le temps d'accepter sa nouvelle situation, au moins...

Les pas s'approchaient toujours plus. Il se redressa et lança un regard las à la jeune Héraut qui se dirigeait vers lui.

«J'imagine que tu viens me rendre la monnaie de ma pièce pour avoir écrit cette chanson? Vas-y, je t'en prie, sens-toi libre, moque-toi... Sans doute que je l'ai bien mérité.»

Sa voix dénuée d'émotion et il baissa les yeux, prêt à encaisser les coups.

6
Haven / Chassé du placard
« le: 26 avril 2020, 16:08:34 »
4e jour de la 4e décade d'Été 1485

Un messager était venu chercher Yvelin au Collegium, qui évidemment ne s'y trouvait pas. Il avait emprunté le logement d'un ami Barde parti chez un grand seigneur, loin de la ville. Il s'agissait en fait d'une simple chambre de bonne, mais le dépouillement faisait merveille sur son inspiration. Liselle avait redirigé le messager qui s'était hâté de transmettre son message à Yvelin.
Son père réclamait de le voir en tout urgence. Inquiet, Yvelin avait à peine pris le temps de ranger ses instruments avant de se précipiter au moulin familial. La nuit tombait, et il avait dû prendre garde à ne pas se tordre une cheville sur les pavés. Pendant le trajet, il avait imaginé le pire. Sa mère blessée, mourante peut-être... sa sœur gravement malade...
Là-bas, il trouva son père qui l'attendait, visiblement furieux, une lettre à la main. Sa mère se tenait un peu en retrait, le visage rendu pâle par l'inquiétude.

«Je voudrais que tu m'expliques ceci, Yvelin!»

Il lui tendit la missive d'une main rageuse. Yvelin la saisit d'une main tremblante et la lut.

Citer
Monsieur,
il m'a semblé être de mon devoir de vous avertir des fréquentations peu convenables de votre fils. En effet, on l'a souvent vu à l'Arpenteur en compagnie d'hommes plus âgés. Afin de ne pas vous heurter plus que de nécessaire, je passerai sous silence le détail de son comportement, mais sachez qu'il ne laissait aucun doute quant à la nature des relations que votre fils entretient avec ces hommes.

Que la bénédiction de Scriptor soit sur vous. 

La missive n'était pas signée, mais malgré l'application qu'il avait mis à déguiser son écriture, Yvelin reconut la plume de Firen. Voilà donc sa vengeance. Il savait qu'il n'y échapperait pas, il ne pensait simplement pas qu'elle prendrait cette forme.

Paniqué, il leva sur son père un regard qui valait mille mots. Il avait les genoux tremblant et la gorge sèche. Tout, tout mais pas ça... Son pire cauchemar...

«Tu ne nies même pas!»

«Papa... je...»

«Mon propre fils! Un détraqué!»

«Maric... tu ne le laisses même pas répondre... calme-toi...»

«Me calmer? Mais regarde-le! On lit la vérité sur son visage!»

Yvelin déglutit, sentant les larmes monter. Il baissa la tête, penaud. Que dire? Que faire? Rien... absolument rien.

«Oui... c'est vrai. Même s'il n'y a eu qu'un seul homme, malgré ce que prétend cette lettre.»

«Et cet homme, t'a-t-il... forcé d'une quelconque manière? A-t-il utilisé son influence pour t'obliger à... te plier à ... ça?»

Maric était prêt à pardonner à son fils, on l'entendait à sa voix. Mais si seulement celui-ci lui donnait les réponses qu'il attendait, qu'il désirait.

«Non, papa. Il ne m'a pas forcé. Je...» De grosses larmes roulèrent sur ses joues. Yvelin leva la tête et affronta le regard de son père. Il devait bien ça à Micha, à l'amour qu'il lui portait. «Je l'aime.»

D'un geste rageur, Maric gifla son fils.

«Maric!»

Liliane se précipita sur son époux pour tenter de le calmer.

«Laisse-moi, Lili! Et toi...» Il pointa un doigt rageur sur Yvelin. «Récupère ce qui te reste d'affaires ici et déguerpis. Je ne veux plus te voir. À partir de cet instant je n'ai plus de fils.»

Yvelin lança à sa mère un regard où on pouvait lire toute l'étendue de sa souffrance. Elle qui avait protégé son secret était impuissante maintenant à empêcher le pire cauchemar d'Yvelin de se produire.

«Très bien.»

Sa voix était vide, sans vie. On n'y entendait plus les harmoniques chaleureuses qui en faisaient la beauté.

En silence, il rejoignit son ancienne chambre. Les larmes continuaient de rouler sur ses joues, mais il n'avait pas la force de pleurer plus fort. Il se sentait éteint, comme si quelque mage lui avait volé sa force vitale. Il entassa dans une corbeille tout ce qu'il désirait vraiment garder. Bien peu de choses, en définitive. Quelques livres, deux-trois bibelots, sa première flûte. Il récupéra aussi son set d'outils pour coudre le cuir, une ancienne plume, une cape d'hiver qu'il utilisa pour protéger le reste.

Il hissa le panier sur son dos grâce aux deux lanières dont il était pourvu et revint dans la pièce principale.

«Père, mère, je vous remercie de l'amour et de l'éducation que vous m'avez donnés. Que Scriptor vous garde.»

Il inclina brièvement la tête et sortit.

Sa mère le rattrapa dehors, à quelques mètres de la porte.

«Yvelin! Mon chéri... il ne pensait pas...»

«Si... et tu le sais bien.» Il la contempla. Sa natte était à moitié défaite et ses grands yeux bleus trahissaient son inquiétude. Ému, Yvelin la prit dans ses bras.«Ne t'inquiète pas, maman. Tout ira bien pour moi.»

«Oui... et tu as toujours ton amoureux, non?»

À ces mots, Yvelin éclata en sanglots. Surprise, sa mère le serra étroitement contre lui. Quel spectacle comique formaient-ils! Il faisait une tête au moins de plus qu'elle, et pourtant, il cherchait à plonger son visage dans les cheveux de sa mère, comme un petit enfant.

«Je ne sais même plus... peut-être... sans doute que non. J'ai été maladroit et idiot.» Un gros sanglot l'empêcha de continuer pendant un temps. «J'ai tout perdu...»

«Je suis désolée, mon grand.» Elle lui caressa les cheveux. «Mais, beau comme tu es, je suis certaine que tu trouveras quelqu'un pour réchauffer ton cœur...»

«Mais c'est Micha que je veux!» Il réalisa soudain qu'il se comportait comme un enfant. «Pardonne-moi.» Il renifla et se redressa. «Ne t'inquiète pas, maman. Je... ça va aller. Va plutôt prendre soin de papa... je sais qu'au fond, il souffre, lui aussi.»

Il la lâcha et s'écarta, un peu gêné de s'être tant laissé aller. Liliane le regarda d'un air inquiet, puis acquiesça. Elle lui caressa une dernière fois la joue avant de rentrer.

Yvelin se mit en route.

La route jusqu'au Collegium lui semblait interminable. Ses jambes étaient lourdes et il ne parvenait pas à s'arrêter de pleurer. Il n'arrivait plus à réfléchir. À quoi bon, de toute manière, rentrer au Collegium? Il n'était pas plus chez lui là-bas qu'ailleurs. Et qui, finalement, se soucierait de son absence? Liselle, peut-être. Mais elle était très occupée à enseigner les rudiments de la musique à quelques jeunes nobles bien choisies dont les familles préféraient une modeste ménestrelle à un Barde renommé, de peur de brader la précieuse réputation de leurs filles. Et même elle... elle avait sa vie, ses amoureux, ses rêves. Yvelin, finalement, ne ferait que la retenir, la brider.

Sans qu'il ne comprenne comment, ses pas l'amenèrent sur le Champ de Foire. Il ne restait plus trace du mariage, évidemment. Tout avait été démonté et le Champ était retourné à son état habituel. Yvelin regarda autour de lui. Quelques badauds se promenaient, mais dans l'ensemble, l'endroit était très calme. Il aperçut un kiosque vide et décida d'y faire une pause. Il laissa tomber son panier et s'assit à même le sol.

L'angoisse et la tristesse le submergèrent. Il pleura longuement, convulsivement d'abord, puis plus calmement, jusqu'à ce que le flot se tarisse et que ne subsiste que la douleur.

Il avait joué contre Firen, et il avait perdu. Sur toute la ligne.

Il rentrerait au Collegium. Là, il rassemblerait ses affaires et s'en irait de Haven. Il finirait d'écrire son œuvre ailleurs, loin de la douleur. Et s'il pouvait lui arriver quelque chose en route, s'il pouvait... oui... c'était l'unique solution.

Sur cette dernière pensée douloureuse, il s'endormit, la tête appuyée contre son panier.



Liselle, ménestrelle

Liselle, au Collegium, était morte d'inquiétude. Elle n'avait eu aucune nouvelle d'Yvelin, ce qui était inhabituel. Et suite à ce qui c'était passé au mariage, elle craignait plus que tout que Firen se venge.

Au milieu de la nuit, Yvelin n'était toujours pas reparu. Peut-être était-il directement retourné à sa planque, oubliant de l'avertir. Elle décida de s'y rendre pour avoir le cœur net. Elle trouva la porte fermée, mais non verrouillée. Elle pénétra à pas de loup, persuadée de trouver Yvelin endormi dans son lit. Mais la pièce était vide. Seule restait le message porté par le page. Elle le lut. Un problème familial, peut-être?

Son mauvais pressentiment ne la lâchait pas. Elle était persuadée que Firen avait fait quelque chose à son ami. L'air ravi qu'il avait arboré, ce matin-là, en la croisant, ne lui disait rien qui vaille. Elle décida de descendre jusque chez les parents d'Yvelin. Elle lancerait des cailloux à la fenêtre du Barde jusqu'à ce qu'il lui réponde ou qu'elle ait la certitude qu'il n'était pas là.

Au troisième caillou, la fenêtre s'ouvrit, mais ce fut Liliane qui parut. Apercevant Liselle, elle lui fit signe d'attendre et descendit la rejoindre dans la cour du moulin. Là, elle lui expliqua tout. Yvelin avait quitté le moulin des marques plus tôt. Il aurait dû être rentré. Peut-être lui était-il arrivé quelque chose? Liselle tenta de rassurer la relieuse. Elle le trouverait.

Puis elle repartit. Mais où diable pouvait-il être? Jamais il ne serait parti sans ses instruments. C'était donc qu'il était encore quelque part en ville. Inconscient ou mort, peut-être. Mais que pouvait-elle faire, seule?

Elle décida de rentrer à la chambre de bonne. Jamais elle ne trouverait Yvelin en pleine nuit, et peut-être paraîtrait-il au petit matin, après avoir noyé son chagrin.

Au matin, Yvelin n'était pas revenu et Liselle était désespérée. S'était-il... avait-il...?

Liselle se mit en quête d'Yvelin dans la cité. Elle commença par les endroits où il avait ses habitudes, puis elle  finit par errer au hasard. Que faire... elle avait tellement peur qu'il fasse une bêtise. Après avoir cherché plusieurs marques en vain, elle revint à la chambre du Barde sous les toits. Épuisée, elle s'effondra sur le lit...

«Liselle? Que...fais-tu là?»

«Hein?» Elle se frotta les yeux. Elle devait s'être endormie. «Yvelin! Tu... tu es enfin rentré!» Elle se leva et lui sauta au cou. «Oh, Yvelin, j'ai eu si peur... Ton père... je suis tellement désolée.»

Yvelin éclata en sanglot. Il pensait avoir épuisé ses larmes, mais non, la peine était encore trop vive. Liselle le conduisit sur le lit et le coucha sur ses genoux, comme un petit enfant. Ils restèrent ainsi plusieurs marques, jusqu'à ce que Yvelin n'ait plus la force de pleurer.

[RP CLOS]

7
RPs épistolaires / Puissent ces mots sur le papier...
« le: 25 avril 2020, 21:57:36 »
5e jour de la 2e décade d'Été 1485

Cher Micha,
je suis vraiment désolé.
Je pourrais tenter de me justifier en prétendant que j'ai agi de la sorte pour venir à ton secours. Mais ce serait mentir. Quand cet imbécile de Firen s'est octroyé le droit d'être ton Barde, j'ai vu rouge, et c'est mon propre orgueil de Barde qui a été piqué au vif. Mon orgueil professionnel. Sans même parler des sentiments que j'éprouve envers toi, j'ai eu l'impression qu'il tentait de... je ne sais pas... de s'octroyer sans effort quelque chose pour lequel j'étais prêt à suer sang et eau.
C'est ridicule, j'en conviens. Et je réalise maintenant à quel point je suis un jeune homme immature. Sans doute trop pour prétendre à une relation saine avec toi. Tu es un homme sûr de toi, installé dans la vie, prêt à te lancer dans de nouvelles aventures avec ta meilleure amie. Et moi... moi je ne suis finalement qu'un enfant. Jaloux, capricieux, égoïste... pas si différent de Firen, je crois.
Quoi qu'il en soit, cette lettre, quand j'ai résolu de l'écrire, n'avait pas pour but de me lamenter sur mes échecs en tant qu'amant... d'autant que je crains de ne plus avoir l'occasion de jouer ce rôle...
Tu trouveras joint à la lettre le cadeau d'anniversaire que je t'ai confectionné t'ai fait confectionner. Je n'ose te le donner en main propre mais je refuse qu'un objet sur lequel un artisan a passé tant de temps soit perdu. Alors je passerai le déposer à ta porte tôt ce matin avant de me retirer pour quelques temps afin de finir l'œuvre que je dois rendre prochainement.
Je ne sais si nous nous reverrons, bel artisan, mais sache que mes sentiments envers toi ont toujours été des plus sincères et que je regrette d'avoir échoué à te les faire parvenir.

Avec amour,


Yvelin

P.S.: Si tu tiens à me répondre, sache que Liselle sait où me trouver et qu'elle transmettra tout courrier que tu feras parvenir pour moi au Collegium

8
Haven / Gravé dans le cuir
« le: 09 avril 2020, 13:38:57 »
Dernière décade de printemps 1485 - quartier des artisans

Yvelin avait très envie d'offrir un cadeau à Micha pour son jour de naissance. Quelque chose de beau. Quelque chose que personne ne lui aurait déjà offert pour son mariage. Quelque chose à la hauteur de son admiration pour lui. Il avait donc décidé de lui faire un carnet de croquis.
Décidé, il était allé voir ses parents et avait expliqué son projet. Ils avaient longuement débattu les trois sur l'épaisseur du papier, la taille des feuilles, la reliure, la couverture. Et ils s'étaient mis au travail.
Yvelin avait aidé sa mère à déchirer les chiffons puis on les avait mis à tremper. Il faudrait maintenant attendre la durée du pourrissage et les deux passèrent dans l'atelier maternel pour choisir le cuir pour la couverture. Yvelin voulait un cuir épais, qu'on pouvait inciser pour faire des décors en relief. Ils finirent par trouver une peau de l'épaisseur et de la grandeur adéquate. Ensuite il fallut choisir les pigments. Yvelin aurait voulu teindre le cuir le bleu, comme les yeux de Micha. Mais cela coûtait extrêmement cher. Il décida de teindre le fond en noir ferreux qui virerait au sépia en vieillissant et le décor en ocre. Il montra l'esquisse du décor à sa mère, qui entreprit de le redessiner, avec bien plus de talent.

«Pourquoi un ours?»
«La signification de son prénom.»

Yvelin avait fait de son mieux pour dire cela de manière dépassionnée.

«Aha. Et cet ami, d'où le connais-tu?»
«C'est un client en fait.»

Sa mère avait toujours aimé discuté en travaillant, et elle profitait de ce rare moment d'intimité pour passer son fils à la question.

«Tu offres un cadeau à un client?»
«Enfin, à la base c'était un client. C'est devenu un ami.»
«Un ami?» Le ton était interrogateur. «Moi qui avais espéré que c'était un présent pour une demoiselle...»
«Désolé de te décevoir maman.»*Vraiment désolé.*
«Déçue est bien grand mot. Je suis juste inquiète de te savoir seul. Même si tu es jeune et que tu as le temps. Quand tu as rejoins les Bardes, je m'attendais à ce que tu me présentes une fiancée par saison. Tu es si beau, tu parles si bien!»
«J'ai été très occupé.»
«Les autres Bardes aussi, et eux ont des amies.»
Yvelin pinça les lèvres. Il ne voulait pas avoir cette conversation.
«Je sais que ton père veut te voir marié pour léguer le moulin à tes enfants... mais tu sais, tu as une sœur, qui a déjà trois enfants... je crois qu'un quatrième est en route.»
«Oui, mais Tim sera Barde... il ne pourra pas non plus reprendre l'affaire.»
«Ce qui nous laisse deux autres successeurs potentiels, si on compte le futur époux de ta nièce.»
«Maman... pourquoi me dis-tu tout ça?»
«He bien... tu viens nous voir pour faire un cadeau à un ami, et visiblement cela te tient vraiment à cœur. Yvelin, je te connais. Tu n'es pas cadeau. Ou plutôt, tu offres normalement aux autres des présents à ta portée: une chanson, un pliage, un poème. Je me dis que si tu désires lui offrir quelque chose d'exceptionnel, c'est sans doute qu'il est exceptionnel... pour toi.»
Yvelin ne dit rien, sentant les larmes lui monter aux yeux. Il regrettait d'être venu ici. Si cela retombait sur Micha, jamais il ne se le pardonnerait jamais. Il regarda sa mère, une larme roulant sur sa joue.
«Papa...»
«N'a pas à le savoir.»
«Merci.»

Liliane prit son fils dans ses bras. Celui-ci, submergé par l'émotion, se mit à pleurer convulsivement. Il ne savait pas pourquoi il pleurait. Était-ce la peur? Le soulagement? Le trop plein d'émotion? Ou simplement le bonheur de pouvoir pleurer une dernière fois comme un enfant dans les bras de sa mère? Petit à petit, les larmes se tarirent et Yvelin, le nez rouge et les yeux gonflés, libéra sa mère. Celle-ci lui tendit son mouchoir avec un sourire.

«Alors, il est beau comment?»
«Le plus bel homme du monde! Il est grand - enfin, moins que moi - très baraqué, avec des yeux rieurs, un cou large, des mains...»

La mère écouta le fils dresser le portrait de l'homme qu'il fréquentait avec un sourire attendri. Elle se remit au travail, traçant le motif voulu par Yvelin de manière à l'adapter au format final du carnet . Elle lui montra enfin l'esquisse finale de la couverture, que Yvelin approuva sans réserve. Yvelin alla ensuite chercher les gabarits, les outils, les encres et Liliane put se mettre au travail sous sa supervision, lui demandant de lui parler encore de ce bel homme à qui il avait donné son cœur. Pleine de tact, elle ne demanda jamais son nom.

Yvelin n'en revenait pas. Sa mère avait accepté la chose sans problème. Mais il était clair pour les deux que ce ne serait jamais le cas de son père, qui venait d'une famille à l'esprit bien moins ouvert que sa mère. Pour autant, le Barde était déjà content d'avoir pu en parler à quelqu'un. Il avait toujours tenu cet aspect là de sa vie parfaitement secret, et il se sentait presque léger d'en avoir parlé. Il espérait n'avoir jamais à le regretter.

«Tu... tu ne penses pas que je suis un déséquilibré? Que c'est répugnant?»
«Sincèrement? Je pense que si tu es heureux alors ça ne peut pas être mauvais. Je regrette juste le fait que tu ne feras jamais une grand-mère de moi.»
«Merci, maman.»

Ils se turent, travaillant en silence pendant une demi-marque.

«Un jour... tu me le montreras? De loin, pas besoin de me le présenter, je ne veux même pas savoir son nom. J'aimerais juste savoir s'il est aussi beau que tu le dis.»
«Je vais essayer, maman. Mais ça ne sera pas simple. Enfin, ce sera difficile de le faire de manière à ce que tu ne découvres pas son identité.»
«D'accord, je comprends.»

Nouveau silence.

«Depuis combien de temps?»
«Cet hiver.»
«Et avant lui?»
«Personne... personne de régulier.»

On n'entendit plus que le raclement de l'outil sur le cuir.

«La boucle d'oreille, c'est lui?»
Yvelin se toucha nerveusement l'oreille, vierge de tout bijou.
«Mais comment?»
«Je t'ai vu l'autre jour. Tu avais un magnifique bijou à l'oreille, en or et grenat.»
«Oui.»

Liliane commençait à se faire une idée plus précise de l'identité de l'amoureux de son fils. Mais elle ne lui demanderait pas la lui révéler. C'était plus amusant de deviner. Et elle se doutait que la situation ne permettait pas à Yvelin de parler librement.

«Tu l'aimes?»
«Je... je crois.»
«Tu n'es pas sûr?»
«Si.»

Yvelin dosait maintenant les pigments pour préparer la teinture.

«J'espère qu'un jour, nous pourrons nous rencontrer. Pas officiellement, évidemment, pas comme belle-mère et gendre. Simplement autour d'une tasse de thé.»
«J'en doute. Il est prudent. Moi aussi.» Il soupira. «Mais je lui demanderai, si tu veux.»

Yvelin vint se placer à côté de sa mère, pour la regarder teindre le cuir. Il avait toujours adoré la regarder travailler.

«Et c'est bien avec lui?»
«Maman!» Yvelin était choqué. C'était quoi cette question?
Liliane rit.
«Je me renseigne, c'est tout.»
«Voyeuse!» Il était maintenant écarlate.«Oui... c'est bien» marmonna-t-il, gêné.

Elle devait maintenant se concentrer pour peindre, et silence se fit. Yvelin le regarda, toujours fasciné par sa dextérité, donner vie aux motifs sur le cuir. Enfin, elle appliqua une dernière touche de couleur.

«Fini. Il faut attendre pour pouvoir appliquer le verni.»

Yvelin prit le matériel de peinture pour le laver à l'eau claire.

«Comment vous êtes-vous rencontré?»
«Je te l'ai dit, c'est un client.»
«Donc il t'a engagé pour... une fête, une chanson?»
«Une chanson. Et puis... il était charmant, charmeur. Je me suis dit qu'il était comme moi. J'ai fait une allusion, il l'a saisie au vol. Et ensuite, nous avons été prendre le petit-déjeuner, pour établir les détails de mon engagement. Et finalement...» Yvelin était écarlate. «Je crois pouvoir dire que nous étions tous deux assez... affamés.»
Liliane éclata d'un rire à la fois gêné et joyeux.
«Attends... vous vous connaissiez avant, rassure-moi!»
«Hum... pas vraiment non.» Il regarda ses pieds, un peu gêné. «Tu sais, on est pas si nombreux... et puis, pourquoi perdre du temps, quand on savait que ça allait forcément se finir comme ça?»
«C'est scandaleux, mais ça se tient.»

On entendit plus que le bruit de l'eau.

«Tu ne diras rien à Papa, promis? Jamais?»
«Yvelin... pourquoi voudrais-je lui dire quelque chose que ne pourra que le blesser terriblement?»
«Je ne sais pas... Mais il ne doit pas savoir. Personne ne doit savoir. Personne. Même ta meilleure amie, même ma sœur. Personne. Promets-le moi.»
«Mon fils, je te jure devant Scribor que ton secret est sauf avec moi.»
«Merci, maman.»

Finalement, après six jours, Yvelin put aider sa mère à mettre la dernière main, ou plutôt le dernier fil, au carnet qu'ils avaient fabriqués tous ensemble.

Faisant une paume de large et une main de haut (celle d'Yvelin), le carnet était d'un noir tirant sur le rouge, décoré d'un ours stylisé qui se dressait le long d'un arbre qui était centré sur la reliure. De jolis motifs abstraits ornaient les bords. Pour l'intérieur, Yvelin avait choisi un épais papier couleur crème qui supporterait l'aquarelle. De fait, la couverture de cuir était amovible, elle venait recouvrir la simple couverture de toile renforcée du carnet. Ainsi, s'il en avait envie, le propriétaire pourrait commander un nouveau carnet pour remplacer le sien.

«C'est superbe. Merci, Papa, Maman. Et comme promis, je viendrai travailler deux décades gratuitement en échange.»

Le carnet valait beaucoup plus que cela, mais c'était le prix qu'ils avaient convenu ensemble, tous les trois.

Ravi, Yvelin rentra dans sa petite chambre, son présent sous le bras. Il se réjouissant de l'offrir à Micha.

9
Ailes des Hérauts / Téléphone karsite
« le: 02 août 2017, 16:47:40 »
7e décade de printemps 1485

Suite à sa rencontre avec Kateerid, Yvelin avait réalisé que lui aussi pouvait aider Micha, concernant son problème avec Firen. Mais celui lui demanderait beaucoup de courage. Car si l’artisan découvrait qu’il avait parlé, il le quitterait sur l’instant.
Ce fut donc un Yvelin très stressé qui se présenta au bureau de Raimon d’Armentière. C’était le Héraut qu’il connaissait le mieux, car ils s’étaient souvent vus à des soirées musicales. Et surtout, c’est le mari d’Isabeau.

Il frappa à la porte et entra dès qu’on l’y invita. Il s’installa en face de Raimon et commença à se tordre les mains.

Raimon d’Armentières : Que puis-je faire pour toi, Yvelin ?
Yvelin : J’ai un problème à t’exposer. Imagine que j'ai connaissance d'un Barde qui ferait chanter le frère d'une Héraut. Tu crois que ce serait moral que ladite Héraut agisse contre le Barde?
Raimon d'Armentières : Faut voir sur quoi le barde fait chanter le type, je suppose et de la personnalité de ladite Héraut. Âpres, si tu parles de ma chère épouse et que quelqu’un menace son frère, y a de grandes chances qu'elle fonce et qu'elle gère les remords après coup.
Yvelin:  C’est bien Isabeau….
Raimon d'Armentières : ah je me disais. Je soupçonne mon Isabeau d'être bien capable de mettre sa famille avant son devoir. Faut voir si Betha la retiendrait ou pas. Et si moi je la retiendrais, bien sûr. C'est quoi la menace?
Yvelin : Mmmh... mettre à mal la réputation de son frère et probablement mettre en danger son mariage? Ne me demande pas comment je suis au courant par contre.

Raimon haussa un sourcil.

Raimon d'Armentières : encore?
Yvelin : encore quoi?
Raimon d'Armentières : C'est pas déjà arrivé y a 3 ans?
Yvelin : Oui... même responsable.
Raimon d'Armentières : Grand Dieu. Ce grand con s'est mis un barde à dos?
Yvelin : oui
Raimon d'Armentières : il a couché avec une de tes compagnes de cercle?

Yvelin rougit bêtement, sans parvenir à se contrôler.

Yvelin : Moui. Bref...  Mais disons que celui qui le menace est un homme.

Raimon dévisagea le Barde d’un air perplexe. Celui-ci se trémoussa sur sa chaise, mal à l’aise.

Yvelin : Micha s'est mis un Barde à dos, Barde qui est bien décidé à nuire à sa réputation. C'est pas suffisant ça? Par contre, je te prierai de ne dire à personne que je t'ai parlé. Je tiens à ma relation avec... mes frères de cercles.

Yvelin craignait bien plus la réaction de Micha que celles des Bardes.

Raimon d'Armentières : Si si. Mais à moins qu'on parle de mésusage de dons, je préférerais éviter de lâcher Isabeau sur lui sans précaution. Et si y avait mésusage, tu parlerais a tes chefs, pas à moi.
Yvelin : Y a pas mésusage... c'est juste un type qui veut traîner la réputation de Micha dans la boue... pour une désaccord.

Quel euphémisme !

Raimon d'Armentières : dis-moi carrément qui c'est et on travaillera à l'éloigner.
Yvelin : Firen...  Votre Barde attitré

Yvelin pria pour que Raimon ne fasse pas le rapprochement.

Raimon d'Armentières : ... Tu te fous de moi?

Yvelin rougit.

Yvelin : non
Raimon d'Armentières : Ok...

Yvelin soupira de soulagement.

Raimon d'Armentières : Écoute, je vais travailler sur la question
Yvelin : Merci. Euh... tu ne diras pas d'où tu le sais n'est-ce pas?
Raimon d'Armentières : T'en fais pas. Même si je trouve hautement louche que tu saches des choses sur mon beau-frère que ma femme ne sait pas.
Yvelin : Louche? Euh... je suis Barde... c'est mon job, de savoir, tu sais, les rumeurs

Raimon n’avait pas l’air convaincu par cette explication.

Raimon d'Armentières : Mais pas de te faire du souci pour les cibles desdites rumeurs.
Yvelin : Bah ça dépend... Micha m'a engagé. Je me sens une obligation... morale on dira. Et puis, ta femme me terrifie assez. Je ne voudrais pas qu'elle découvre que je savais et que je n'ai rien fait.

Raimon ricana et fit mine de se replonger dans ses dossiers.

Yvelin : Tu es un troll, Raimon. 

Yvelin tira la langue. Puis il se leva et sortit. Ce ne fut que lorsqu’il se retrouva dans le couloir qu’il réalisa qu’il aurait pu envoyer Liselle à sa place. Car il s’était grillé, c’était certain. Il ne pouvait que prier pour que Raimon garde l’information pour lui.

10
Haven / Quand l'amant rencontre la fiancée
« le: 31 juillet 2017, 20:15:55 »
3e jour de la 6e décade de printemps 1485 - Luth d'Argent, auberge

Citation de: Yvelin
Chère Mademoiselle Venelgueste,

Je prends l'initiative hardie de vous écrire. J'espère ne pas avoir franchi les limites de la décence par cet acte.
Je désire vous rencontrer afin que nous ayons l'occasion de nous entretenir de notre connaissance commune et de l'avenir de nos relations. Je sollicite donc par la présente une entrevue avec vous. En effet, il me semble important que nous puissions nous rencontrer et discuter dans des circonstances permettant une certaine franchise, loin des conventions et du décorum attendus dans des occasions plus publiques.
Je vous convie donc à me retrouver le 3e jour de la 6e décade de printemps au Luth d'Argent, à la 4e marque de bougie graduée après midi. Merci de me confirmer votre venue par retour de courrier.

Je vous prie d'agréer, Mademoiselle, mes salutations distinguées.


Barde Yvelin
Yvelin avait envoyé cette lettre la peur au ventre et avait été surpris de recevoir une réponse en retour. Il s'était attendu à être ignoré ou repoussé. Mais Kateerid avait accepté son invitation et il se retrouvait maintenant à l'attendre au Luth d'Argent.

Il jouait avec sa nouvelle boucle d'oreille — un magnifique grenat avec une monture d'or ouvragée offert par Micha pour son anniversaire — et lançait des coups d'œil nerveux à la porte. Il n'était pas certain de vouloir réellement rencontrer la demoiselle en tête à tête. Il avait même le trac. Mais il en avait besoin.

Depuis que Micha lui avait parlé de ce mariage arrangé — et arrangeant — Yvelin avait senti grandir en lui un sentiment qu'il aurait préféré ne jamais éprouver : la peur. Il savait que c'était parfaitement ridicule et irrationnel. Mais il ne pouvait s'en empêcher. Et si Micha découvrait la joie d'être convens avec Kate? Si Kate le détestait et refusait qu'il continue à fréquenter Micha?

Certes, leur relation était encore jeune, et nul ne pouvait prédire si elle durerait. Kate ou pas, ils pouvaient rompre dans les décades à venir. Mais Yvelin était amoureux. Pas d'un amour passionné et déchirant, évidemment. Mais l'attirance purement physique avait été remplacée par autre chose, et il avait fini par réaliser qu'il aimait, un peu au moins, l'artisan. Il ne voulait pas que leur relation s'arrête. Il voulait la voir grandir et s'épanouir. Mais pour cela, il faudrait que Kate l'accepte. Et donc qu'elle l'accepte lui. D'où l'importance de cette rencontre.

La porte s'ouvrit et une fois encore Yvelin regarda le nouvel arrivant. Ou plutôt, la nouvelle arrivante. Gêné, il se leva et attendit que la demoiselle arrive à sa hauteur pour la saluer. La panique prenant le contrôle, il lui fit la révérence typique des Bardes, beaucoup trop formelle pour un tel lieu. Ses lunettes, oubliées dans sa tignasse, tombèrent quand il baissa la tête. Il parvint à les rattraper de justesse, juste avant qu'elles ne se fracassent par terre. Mal à l'aise, il les posa sur la table.

« Mademoiselle Venelgueste, je suis ravi que vous soyez venue. Euh... » Il baissa le regard. « Je suis le Barde Yvelin. Enfin... vous saviez ça.... euh... Je voulais vous rencontrer. Pour vous plaire. Non, pardon. Pour vous parler. Pour pouvoir parler avec vous. Rhaaaaa. » Il pesta contre lui-même. « C'est ridicule un Barde qui ne trouve plus ces mots, ne trouvez-vous pas? »

Il fit le tour de la table pour tirer la chaise afin que Kateerid puisse s'asseoir puis retourna à sa place. Nerveux, il tripotait encore le grenat à son oreille.

« Je... Comment allez-vous? Et votre atelier? »

C'était toujours bien de parler boutique avec un artisan.

11
Campagne / Dompter les ours
« le: 21 février 2017, 07:51:42 »
Fin de la 5e décade d'hiver 1485 - Auberge de la Licorne

Depuis la fête donnée dans la famille de Micha, Yvelin avait été sollicité de toutes parts pour jouer et animer des soirées. Sans qu'il s'en aperçoive, sa bourse s'était lentement remplie, au point qu'il pouvait maintenant envisager de se racheter un nouveau théorbe. Mais avant ça, il avait un autre projet, qui lui tenait autant à cœur. Il voulait inviter Micha quelque part. En effet, bien conscient de leur différence de moyens, l'orfèvre avait financé toutes leurs entrevues. Cela donnait l'impression à Yvelin d'être un mignon entretenu par un grand seigneur... non que la situation de mignon de Micha soit réellement désagréable par ailleurs, mais il avait sa fierté.

Il s'était creusé la tête pour trouver un moyen d'inviter son amant quelque part. Il n'avait pas envie d'un énième rendez-vous dans une auberge suivi d'une brève étreinte à la sauvette dans une chambre de passe. Il avait envie... eh bien, de prendre le temps de parler, de le connaître, de passer un moment ensemble dans un endroit où ils pourraient avoir un geste de tendresse l'un envers l'autre sans que personne n'y trouve rien à redire.

Finalement, il avait demandé conseil au patron de l'Arpenteur. Si quelqu'un pouvait le conseiller, c'était bien lui. Celui-ci lui avait recommandé un établissement en dehors de Haven. Il s'agissait d'un genre d'auberge, situé aux abords d'un petit village à quelques kilomètres des limites de la cité. L'endroit était situé à l'écart des routes, et il était possible de se promener aux alentours sans craindre de croiser âme qui vive. Les nobles de Haven utilisaient l'endroit pour y mener leurs affaires amoureuses à l'abri des regards. On accédait à chaque chambre par un escalier extérieur, rendant l'endroit encore plus anonyme qu'une maison de passe. De plus, outre la salle commune, l'auberge disposait de petites alcôves isolées par des rideaux, permettant à chacun de manger dans l'intimité. Cela coûtait évidemment plus cher, mais le patron de l'Arpenteur avait promis de lui obtenir un prix intéressant s'il animait une soirée. Sans hésitation, Yvelin avait accepté.

Le prix qu'on lui fixa pour un petit séjour romantique d'une journée et une nuit était élevé. Pas exorbitant, mais à la limite de ses moyens. Heureusement, il devait encore toucher une grosse somme d'argent pour la composition d'une pièce musicale, ce qui lui éviterait d'être totalement sur la paille après son escale amoureuse.

Il avait ensuite fallu s'arranger avec Micha, trouver une date sans rien lui dévoiler de la surprise. Cela avait été la partie la plus difficile, Yvelin n'étant pas très bon pour garder des secrets quand le bel orfèvre insistait. Mais ils avaient finalement réussi à se mettre d'accord et la veille du jour J, Yvelin avait fait porter une note avec l'adresse de leur rendez-vous, à savoir l'auberge en question.

Le grand jour, Yvelin emprunta un cheval à un collègue pour s'y rendre. Il montait mal, mais suffisamment bien pour un trajet aussi court. Celui-ci supposa que c'était pour rendre visite à sa noble veuve entichée... celle qu'Yvelin fréquentait, d'après les rumeurs qu'il avait lui-même lancées, avec l'aide de Liselle. Cela avait le mérite d'expliquer ses soirées en ville et les rares marques qui pouvaient lui rester de ses ébats.

Arrivé à l'auberge avec une marque d'avance, Yvelin dut se résoudre à attendre. Mais il se réjouissait de passer une après-midi, une soirée et une nuit entière avec son amant. Il avait peur aussi. Sauraient-ils quoi se dire? C'était facile d'être drôle et spirituel pendant une marque... mais là...

Assis sur le grand lit, les jambes croisées, Yvelin grattait d'un air absent les cordes de son vieux théorbe, dans une vaine tentative pour calmer ses nerfs. Il chantonnait en même temps une chanson d'amour stupide, le genre de pièce de réclamait les vieilles dames, où un amant passionnément épris vantait les qualités de sa belle, particulièrement...

♪... sa magnifique chevelure, couleur de miel.
Ses yeux lumineux, couleur du ciel...
et son sourire, qui illumine le monde.♪



Alors qu'il chantait ces derniers vers avec conviction, Yvelin sentit un regard peser sur lui. Il leva la tête, rougit de confusion, rit nerveusement et se leva souplement pour accueillir Micha.

«Bienvenue à toi, bel orfèvre!»

Il esquissa une petite révérence avant d'embrasser son magnifique amant.

«J'espère que... que l'endroit te plaît. Enfin, j'imagine que tu connais? Il paraît que toutes les dames débauchées utilisent ce lieu pour rencontrer leur amant.» Il rit. «D'ailleurs, tous mes collègues sont persuadés que tu es une veuve entichée de ma beauté et de mon talent. Enfin... de mon talent, car pour la beauté...»

Il était stressé, s'il éprouvait le besoin de parler pour ne rien dire. Certes, il le faisait avec l'élégance attendue d'un Barde, mais il se sentait un peu ridicule tout de même.

«Je... j'hésitais à t'attendre vêtu en tout et pour tout d'un ruban, alangui sur le lit... mais je me suis dit que c'était sans doute d'assez mauvais goût. Et puis... si je voulais venir ici, c'était pour pouvoir... euh...» Il se sentait rougir. «Pour pouvoir me promener main dans la main avec toi... Et discuter. Et avoir le temps. Hum... bref.»

12
Haven / La mélodie de la vie
« le: 22 janvier 2017, 19:47:38 »
8e jour de la 5e décade d'hiver 1485 - Maison d'Armentières

Le silence se fit dans la pièce et tous les regards se fixèrent sur Yvelin et sa camarade d'études, la ménestrelle Liselle. Les deux musiciens se regardèrent et commencèrent à jouer. Selon les vœux de Micha, la mélodie était légère et entraînante, mais l'accompagnement se révélait subtilement complexe. Yvelin jouait du théorbe et s'occupait de la basse continue tandis que Liselle jouait la mélodie sur son luth.

Après une courte introduction musicale, Yvelin se mit à chanter, de sa chaude voix de baryton.

Saluons bien Montaro d'Armentière,
À peine né il nous rends déjà fiers!
Parlons ensemble de son avenir,
il y a vraiment de quoi se réjouir.


Les paroles détaillaient ensuite sur deux quatrains les nombreux vœux d'usage: bonne santé, richesse, beauté, mariage, etc. Yvelin avait utilisé les formules habituelles.

Jamais Montaro ne s'endormira
s'il se trouve un livre à portée de bras
Car sa mère lui aura bien inculqué
le respect dû à l'encre et au papier.


Montaro deviendra grâce à son père
un dessinateur extraordinaire.
Il tracera la meilleure des carte
Pour localiser la réserv' de tartes.


Yvelin avait choisi d'alterner les quatrains parlant d'Isabeau et ceux parlant de Raimon, cela permettait de structurer la chanson de manière agréable. Sur six quatrains, il s'amusait à imgainer les talents dont le petit Montaro aurait hérité par des parents.

Montaro ne sera pas cuisinier
Sa mère, elle n'oserait pas le nier,
a failli empoisonner tout son groupe
alors qu'elle était en charge de la soupe.


Un jour Montaro brisera sa lame
j'espère pour lui, pas contre une dame.
C'est sur Matt que cassa cell' de son père
comme ils s'entraînaient en bon militaires.


Il avait beaucoup ri en mettant en musique les diverses anecdotes honteuses de la vie des deux parents. Évidemment, il n'avait pas utilisé tout ce qu'il avait appris, il s'était contenté d'écrire quatre quatrains à ce sujet.

Montaro sera grand, fort, beau, racé,
Généreux, courageux, brillant, aimé
Il aura toutes les filles à ses pieds.
Il sera Héraut, marchand, bijoutier.


Héraut comme le sont ses deux parents
ou encore comme ses aïeuls marchand
Ou Bijoutier comme son oncle habile,
je lui souhaite en tout cas ses doigts agiles.


À ce moment-là, Yvelin regarda partout, sauf en direction de Micha. Il savait que ce vers n'avait rien de tendancieux... quand on ne connaissait pas la relation que les deux hommes entretenaient. Il ne voulait donc pas se trahir en rougissant bêtement sous le regard du bel orfèvre.

Peut-être sera-t-il aventurier,
peintre, marin, poète, homme à marier,
peut-être rêvera-t-il de palais
Ou alors fera-t-il ce qu'il lui plait.


Il se tut, mais la musique continua encore quelques mesures, pour clore proprement la chanson. Puis les instruments se turent, et le silence se fit... mais pas longtemps, car le public applaudit.

Fier de lui, il chercha le regard de son commanditaire, le trouva, lui fit un sourire ravi avant de se tourner vers Liselle pour décider du morceau suivant. Ils se mirent d'accord sur une pièce musicale, une pavane très connue, qu'il décida de jouer un peu plus vite que la vitesse habituelle.

Belle qui tiens ma vie
Captive dans tes yeux,
Qui m’as l’âme ravie
D’un sourire gracieux,
Viens tôt me secourir
Ou me faudra mourir.


Spoiler: montrer

Pourquoi fuis-tu mignarde
Si je suis près de toi,
Quand tes yeux je regarde
Je me perds dedans moi
Car tes perfections
Changent mes actions.


Tes beautés et ta grâce
Et tes divins propos
Ont échauffé la glace
Qui me gelait les os,
Et ont rempli mon cœur
D’une amoureuse ardeur.


Mon âme voulait être
Libre de passions,
Mais amour s’est fait maître
De mes affections,
Et a mis sous sa loi
Et mon cœur et ma foi.


Approche donc ma belle
Approche-toi mon bien,
Ne me sois plus rebelle
Puisque mon cœur est tien
Pour mon mal apaiser,
Donne-moi un baiser.


Je meurs mon Angelette
Je meurs en te baisant,
Ta bouche tant doucette
Va mon bien ravissant
À ce coup mes esprits
Sont tous d’amour épris.


Plutôt on verra l’onde
Contre mont reculer
Et plutôt l’œil du monde
Cessera de brûler,
Que l’amour qui m’époint
Décroisse d’un seul point.



Yvelin aimait beaucoup cette pièce. Il trouvait les paroles certes convenues, mais très bien écrites. Quant à la mélodie, il la trouvait très expressive et aimait beaucoup la partition du théorbe.

À la fin du morceau, il s'inclina et laissa Liselle jouer quelques pièces. Il viendrait la relayer d'ici un quart de marque. Mais il avait maintenant besoin de boire un peu. Et il voulait savoir ce que Micha avait pensé de sa commande. Il se dirigea alors vers l'orfèvre. Un peu nerveux, il ne pouvait s'empêcher de jouer avec l'anneau d'or qui pendait à son oreille gauche.

«Maître Micha, j'espère que vous êtes satisfait et que le résultat était celui escompté. J'espère aussi que vous referez appel à mes services. Je serai ravi de chanter encore pour vous» déclara-t-il en le fixant droit dans les yeux.

Spoiler: montrer
Sont présents: Isabeau, Raimon (PNJ), Matt (PNJ), Micha (DemiPNJ), Kate (demiPNJ), Thalyana (et Kalaïd sans doute), Barrn, toute la famille de Girier et Armentières, Mina (et Beltran sans doute)

13
Cuisines et réfectoire / Parler du bon vieux temps
« le: 10 janvier 2017, 09:26:10 »
4e jour de la 3e décade d'hiver 1485

Yvelin faisait le pied de grue au réfectoire des Collegia dans l'espoir d'y rencontrer un de ceux qu'il devait interroger pour écrire sa chanson. Or, pour le moment, ni le Héraut Matt, ni le Héraut Irmingarde, ni la Guérisseuse ne semblaient décidés à pointer le bout de leur nez. Il avait fini son repas depuis longtemps et tuait maintenant le temps en mettant par écrit ses idées sur une feuille et en dessinant parfois un cœur dans la marge, qu'il gribouillait aussitôt, pour en refaire un quelques centimètres plus bas dès qu'il n'y pensait plus.

Le Barde ne savait pas s'il était amoureux — comment aurait-il pu reconnaître les symptômes, alors qu'il était si inexpérimenté dans ce domaine? - mais il ne cessait de repenser à Micha depuis la veille. Il se réjouissait de le revoir, mais angoissait à l'idée que l'autre ne souhaite pas qu'ils reconduisent leurs ébats. Rien ne laissait penser cela, heureusement, mais pouvait-on être sûr? Un homme aussi séduisant que Micha avait sans doute des tas de prétendants bien plus attirants et expérimentés que le jeune Barde? Non? Peut-être trouverait-il leur différence d'âge trop grande? Plus il y pensait, plus Yvelin doutait que l'artisan veuille d'un nouveau rendez-vous avec lui.

L'arrivée de Irmingarde le tira de ses pensées angoissées. Il se leva alors, ramassant son papier, et se dirigea vers elle, l'air décidé. Il sentit néanmoins une légère pointe d'angoisse naître dans sa poitrine. Et si celle-ci décidait de l'incinérer sur place à cause de sa chanson?

«Héraut Irmingarde? Puis-je vous parler un instant?»

Sans attendre la réponse, il embraya.

«Je suis le Barde Yvelin, et j'ai été chargé par sieur Micha de Girier de composer une chanson pour fêter la naissance du petit Montaro d'Armentières. Or celui-ci désire que j'émaille ma composition d'anecdotes sur les deux parents. Il m'a dirigé vers vous. Je crois que vous êtes une amie proche d'Isabeau? Auriez-vous le temps de discuter? Pendant ou après votre repas, comme cela vous sied le mieux.»

Dans un coin de sa tête, Yvelin admira l'élégance de ses formulations. Il devenait un vrai Barde, avec une langue fleurie (l'image que suscita cette pensée le fit brièvement rougir) et des manières onctueuses.

14
Haven / Mêler travail et plaisir
« le: 08 janvier 2017, 20:17:11 »
3e jour 3 décade d'hiver 1485 —L'Arpenteur — Suite des évènements racontés ici

Yvelin s'énervait très rarement, mais quand il le faisait, il fallait du temps pour se remettre. Il était arrivé encore fulminant chez le luthier, et ce n'était qu'en faisant sonner les cordes de son théorbe qu'il avait senti le calme revenir.

Il regrettait maintenant de s'être montré aussi grossier avec Firan. Certes, le Barde blond s'était comporté comme un idiot avec cette histoire. Écrire une chanson aussi ordurière n'était pas digne d'un Barde, d'un vrai. Mais le pauvre ne méritait pas qu'Yvelin lui parle aussi sèchement. L'échalas espérait maintenant qu'il ne ferait pas l'objet à son tour d'une horrible chanson. Mais lui, contrairement à Micha, avec les outils pour se défendre. Et il en ferait usage.

Encore cogitant, il arriva à l'Arpenteur. Comme il l'avait avoué à Micha, il n'y était jamais allé. Avant sa période comme Troubadour Itinérant, il n'avait jamais eu aucune histoire avec qui que ce soit et assumait plutôt mal ses penchants. Et depuis son retour, il avait été bien trop occupé pour avoir le temps de s'y rendre.

Gêné, il entra. L'endroit embaumait la cannelle et la pâte chaude. Les rares clients en cette heure très matinale étaient tous des hommes, ce qui, finalement, n'était pas si rare. Il regarda autour de lui et choisit une table dans une alcôve, loin des regards. Puis il commanda un petit-déjeuner pour deux et subit stoïquement les regards intéressés des habitués. Il espérait vraiment que Micha ne lui poserait pas un lapin.

15
Collegium des Mages / Une lettre tant attendue
« le: 24 décembre 2016, 10:19:15 »
1er jour de la 1re décade d'hiver 1485 —  Chambre de Dunwyd

Yvelin courait... enfin, courir était un bien grand mot. Il agitait ses longues jambes à un rythme plus élevé que d'habitude, ce qui lui permettait d'atteindre une vitesse des plus respectables, sans pour autant s'essouffler.

S'il se dépêchait, c'était parce qu'il avait reçu la lettre tant attendue, et qu'en ce premier jour du Festival de l'Hiver, il savait que Dunwyd ne serait pas en cours — tous les élèves avaient congé pour les fêtes, et ce pour trois décades —  et qu'il devait se préparer à rejoindre sa famille en ville. Lui-même ne rejoindrait les siens que pour le Solstice lui-même, préférant passer les fêtes au Collegium avec les autres jeunes Bardes. Ils avaient prévu un concours de chants sur le thème de la neige et de la foire, dont le gagnant aurait l'insigne honneur de chanter sa création lors de la Foire.

Arrivé au Collegium des Mages, il se précipita dans les escaliers qu'il monta quatre à quatre. Puis il slaloma dans les couloirs et arriva enfin devant la chambre de son ami. Il toqua avec enthousiasme et n'attendit pas qu'on lui ouvre pour se précipiter à l'intérieur!

«Je l'ai! Elle est là! Elle te donne rendez-vous le premier jour de la Foire*, à midi, sur la piste de patin à glace!»


Spoiler: montrer
*La Foire de l'Hiver se tient juste à l'extérieur de la ville, non loin des Fermes Familiales, et si le temps le permet, elle s'installe directement sur la rivière Terilee gelée. Le premier jour de la Foire a lieu de lendemain du solstice d'Hiver, qui a lieu lui le 5e jour de la 1re décade d'Hiver selon notre calendrier.

Pages: [1] 2