Mina écouta avec intérêt ce que dit le Guerrisseur et faillit s’étouffer de surprise à ses mots:
"Ce n'est pas normal qu'il aille si bien?!"
Elle haussa un sourcil interrogateur et éluda sa dernière question.
"Je vous raconterai, mais plus tard..."
La jeune femme eut beaucoup de mal à voir la gentillesse et la prévenance avec laquelle l’accueillait Saskia. Elle ne méritait pas tant d'amitié, et le dit, peut-être trop brutalement pour les nerfs d'une femme enceinte, en se dégageant de son étreinte.
"Je vais bien, mais ne reste pas trop près de moi. Tu es trop précieuse, l'Héritier Arthon ne me pardonnerai pas de t'avoir mis en danger, et je suis un danger..."
C'est seule que Mina alla se caler dans un coin sur une couche prévue à cet effet, mais elle ne trouva pas le sommeil ni l’apaisement. Et le court voyage avait perdu sa magie de l'aller, elle le supporta même relativement mal.
Elle fut satisfaite de se retrouver de nouveau sur le continent et se laissa traîner pour se faire examiner sans trop broncher, puisque Ludmilla semblait vouloir le faire en personne. Elle ne comprenait pas l'espèce de révérence qu'elle lisait dans les yeux de l'étrangère et ne poussa pas l'examen plus loin. Elle ne voulait pas répondre à ça.
Son état physique l'importait peu, même si ses brûlures étaient loin d'être agréables, et la seule chose à laquelle la Grise faisait attention, c'était son Compagnon, qu'elle souhaitait voir rétablie.
Ne souhaitant pas être malpolie, et donner une mauvaise image de son royaume qu'elle représentait de part sa qualité de Héraut apprentie, elle accepta les soins qu'on lui prodigua, mais n'y pris aucun plaisir, restant silencieuse, et quand Ludmilla lui prêta une tenue locale, au demeurant très jolie et exotique, cela ne lui arracha même pas un sourire, juste un merci.
Elle ne comprenait pas qu'on semble lui accorder tant d'importance, elle qui avait faillit tuer le Capitaine et avait fait rentrer, par sa naïveté, un traître dans leur rang qui avait tué des habitants de cette ville sans aucun état d'âme!
En revanche, elle trouvait ça on ne peut plus normal qu'on vénère Ezarell qui, elle, s'était comportée en héroïne.
Son Compagnon essayait de lui changer les idées et la consoler, mais en vain, et cela la rendait malade pour sa liée, qui en contrepartie s'inquiétait pour elle, bref, un cercle vicieux.
Lors de la cérémonie, Irmingarde ne resta que le temps de faire bonne mesure, quand des fleurs furent jetées au feu, elle pleura en silence puis refusa la nourriture qu'on lui tendit, fuit tout contact, même avec ses amies, et se rendit auprès de Beltran, qui décidément, n'ouvrait pas les yeux. Elle ne dit rien, restant côté de lui à regarder sa poitrine se soulever au rythme de ses respirations régulières. Finalement, elle rejoignit Ezarell pour prendre soin d'elle personnellement, fut muette à ses suggestions d'aller s'amuser près du feu pour se changer les idées et alla se coucher. Elle ne trouva pas plus le repos que sur le navire, et tourna en rond, les rares minutes de sommeil vite oubliées par des angoisses nocturnes qui firent leur apparition.
***
Irmingarde n'était vraiment pas belle à voir le lendemain matin. Lui avait-on vraiment fait des soins, des massages? Ca ne se voyait pas.
Ses cheveux longs étaient emmêlées, secs et hirsutes, attachés à la va-vite, de profondes cernes creusaient son visage amaigri par le manque de sommeil et les soucis, et elle se tenait encore plus droite que d'habitude.
Mais quand on vint la chercher pour lui annoncer que Beltran s'était enfin réveillé, elle se sentit plus légère et courut presque vers là où était logé le Capitaine.
Il n'était pas plus beau qu'elle, et semblait exténué au delà du possible. Elle se força à ne pas pleurer, ne le toucha pas bien qu'elle eut envie de lui prendre la main et s'excusa longtemps, ne se rendant peut-être pas compte que son babillage était fatiguant pour lui.
"Je suis désolé Beltran, tellement, tellement désolé. J'ai voulu... te sauver, et puis, je n'ai pas contrôlé mon don, et... par le Dieu et sa Déesse, tu ne te réveillais pas, et tout ça à cause de moi, parce que c'est ma faute si Elryk est rentré au Collegium et... Je vais te laisser, parce que je ne mérite même pas que tu m'accordes de ton temps..."
Il lui avait assuré qu'il ne lui en voulait pas, qu'il allait bien, qu'il irait mieux, mais ses paroles ne lui firent aucun bien, au contraire.
"Tu es malade, tu ne te rends pas compte, ce n'est pas grave. Quand tu auras repris tes esprits, tu comprendras que j'ai failli te tuer, et que tout ça est de ma faute..."
Mina était sortit de la pièce, et avait enfin put donner libre court à ses larmes.
Comment pourrait-elle le regarder de nouveau dans les yeux après tout ça?
Elle transmit mentalement à Ezarell:
"En rentrant à Haven, j'irai trouver quelqu'un, un mage peut-être, qui annihilera mon don, et je ne blesserai plus personne..."
Un soupir fut la seule répondre que consentit à lui donner son Compagnon.
Mina ne savait pas comment elle aurait fait face à tout ça sans la présence constante de l'amour inconditionnel d'Ezarell.
***
La semaine fut éprouvante. Parce que les étrangers semblaient vouloir les inclure dans toutes leurs activités et se montrèrent d'une telle civilité que Mina ne savait pas comment leur échapper. Il lui était dur d'être seule. Et tout ce qu'elle désirait, c'était être seule avec son Compagnon.
Elle ne put refuser à Ludmilla une très jolie tenue dont elle lui fit cadeau, ainsi qu'une espèce de foulard que la femme noua autour du cou d'Ezarell, aussi, en échange, Irmingarde lui donna une cloche qui ornait la tenue d’apparat de son Compagnon, ce qui sembla combler d'honneur l'étrangère.
Le Guérisseur était revenu à la charge afin de savoir ce qu'il s'était passé. Avec le moins de mots possible, la jeune femme lui expliqua qu'elle avait utilisé son don, n'avait pas su le maitriser, qu'elle ne savait pas pourquoi Beltran n'avait pas brûlé, et lui parla de la dague de Aanor. Elle était tout de suite partie, pour ne pas à avoir à répondre à d'autres questions. Même si elle savait qu'il essayerait encore d'en savoir plus.
Ce fut les seuls échanges qu'elle accepta, fuyant encore et toujours la compagnie des autres.
La seule personne qu'elle allait voir, c'était Beltran, et uniquement quand celui-ci dormait, ce qu'il faisait beaucoup.
Elle y alla de moins en moins, parce que ses périodes de réveils étaient de plus en plus longues et que d'après ce qu'elle entendait, il râlait beaucoup, énervé de devoir rester au repos, alors qu'il voulait repartir et reprendre le contrôle des opérations.
Elle ne sut pas si le Capitaine apprit qu'elle était souvent là. Elle s'en fichait. Elle ne dormait toujours presque pas.
Tout simplement parce que quand elle fermait les yeux, elle voyait deux choses.
Beltran coincé dans les flammes, ses vêtements calcinés, et Elryk, son ancien ami, le traître, dévoiler son vrai visage. C'était sans fin et cela la réveillait en sursaut dès qu'elle sombrait dans l'inconscience. Elle ne mangeait presque pas, malgré les harangues de son Compagnon qui finit par menacer d'aller trouver Beltran. Dans ces cas là, la jeune femme avalait quelques bouchées, juste assez pour avoir la force de rester debout.
***
"Tu sais 'Za, je crois que je n'ai aucun discernement. Ce n'est pas une qualité présente chez moi..."
"Que veux-tu dire par là?"
"Il suffit de regarder comment j'ai accueilli Elryk a bras ouvert quand j'ai fait sa connaissance! Je suis de nature méfiante, surtout avec les hommes, tu le sais, mais là où la méfiance permet de faire les bons choix, moi je fais les mauvais. Et toi, tu as tout de suite compris qu'il n'était pas ce qu'il disait, tu savais qu'il avait des secrets, tu ne l'a jamais totalement aimé, tu ne lui as jamais fait totalement confiance, et tu avais raison, toi tu sais faire les bons choix! Sauf un..."
"Plait-il?"
"Moi. Tu m'as choisis, et regarde, je met les gens en danger, je fais confiance aux traîtres, tu parles d'un Héraut..."
"Sur le coup ma Liée, je vais faire valoir ma plus grande expérience de la vie que toi. J'ai trouvé en toi les qualités que j'attendais de mon Héraut, et je ne reviendrai pas dessus. Tu as un don dangereux, tu le sais, il faut du temps pour le maîtriser. Sur le coup de l'émotion, tu y est allée un peu fort."
"Un peu fort, c'est un euphémisme?!"
"Chaque Héraut, et je dis bien chaque, a fait des erreurs à ses débuts, plus ou moins grave, et ils en font encore, parce qu'être un Héraut ma Liée, ce ne veut pas dire être infaillible."
"Grmph..."
"En parlant d'émotion... Pourquoi prend tu tant à cœur le rétablissement du Capitaine? Tu sembles vraiment très touchée. Je sais que tu es sensible mais..."
"Mais rien du tout, qu'est-ce que tu vas chercher!"
"Bien, bien, je ne m'en mêle plus... Tu vas mieux?"
"Non"
"Ca a le mérite d'être clair."
"Mais je suis heureuse de t'avoir, tu mérites une médaille 'Za, tu uses de trésors de patience pour moi, et je suis incapable d'en profiter..."
"Je fais de mon mieux."
"Et je le sais. Mais je n'arrive pas à aller mieux. Ca me poursuit 'Za, ça me hante!"
***
Le matin du départ, les maigres bagages d'Irmingarde étaient prêts depuis longtemps. La Capitaine aussi, et elle s'était donnée beaucoup de mal pour ne pas croiser son chemin. Elle était presque ravie de repartir vers Haven et à la fois terrorisée. On lui demanderai des comptes là-bas. Tendue, montée sur son Compagnon, elle essaya de se fondre dans la masse, attendant le signal du départ.
Irmingarde était exténuée, encore plus abattue qu'au retour de la scène dans la forêt, et les personnes averties n'eurent pas de mal à reconnaître les signes d'une dépression.