Ashun regarda une seconde Enju. Il savait d'avance qu'elle allait les rejoindre, mais il observait autre chose. Le regard de la jeune handicapée avait un éclat étrange, comme si elle était perdue, et qu'elle cherchait désespérément un signe. Le prêtre avait vu cela chez beaucoup de ses acolytes. Quête du Dieu, de soi-même, de ce que les autres étaient... Il reconnaissait la marque de leur religion chez elle. Il y avait autre chose mais …
Il tenta une approche, tout en s'occupant de Eoghan. Enju finit par confirmer son statut. Ashun sourit:
« Vous pouvez nommer le Dieu comme vous en avez l'habitude chez vous, cela ne me dérange pas. Nous savons tous que Son nom n'est pas à portée de simple mortel, et chacun de nous a sa version prononcée comme nous le pouvons. » théologisa-t-il. « Je ne vous connais pas, Dame Enju, mais … Je sais reconnaître quelqu'un que Vkandis accepterait volontiers à son service. Vous en faites partie, je pense. » fit-il doucement.
L'accent était doux, rappelant encore une fois Anshuu. La question qui suivit fit hausser un sourcil à l'ancien Grand Prêtre:
« Il y a plusieurs raisons, mais il me semble savoir aussi pourquoi Messire Eoghan est très touché. Déjà parce que son Don de Magie est très sensible aux perturbations ici, et parce qu'il n'aime pas perdre le contrôle et que ça lui donne encore plus de réception sur les choses autour de nous. N'y voyez pas offense, jeune homme, j'étais tout comme vous auparavant. »
Le prêtre fit semblant d'avoir finalement ignoré le geste d'Enju sur son fauteuil et prêta attention aux explications.
« La barrière d'Iftel, même maintenant qu'elle n'est plus là, fait effet sur certains. Cela peut jouer aussi. »
Puis Enju s'excusa fort à propos de parler du Mage sans le mêler vraiment à la conversation, et Ashun sourit à la réaction un peu exagérée de Eoghan. Il se comportait réellement comme un adolescent, ce que la douleur passée n'expliquait pas totalement. Plus tôt il avait déjà rabroué Nyaeve, et maintenant c'était leur tour.
Le prêtre sourit:
« Si ça va mieux, c'est l'essentiel, mon fils. »
Le vieil homme remarqua le regard qui se détournait, mais il était bien loin de se douter que dans la petite troupe, la petite fille tranquille avec le Héraut du Roi épuisé qui restait à l'écart était la Maya qu'ils cherchaient. En tout cas, la réponse du jeune homme l'étonna et il se renseigna:
« Vous n'êtes pas d'accord avec mon explication? Excusez ma curiosité... » Le ton était un peu dubitatif – très légèrement – mais surtout intéressé. « Je ne suis pas très au fait de la politesse valdemarane, même si je parle votre langue. »
Le prêtre aimait savoir tout sur tout, c'était évident. Peut-être que cela venait de son ancienne charge? En tout cas, il semblait ouvert et voulait visiblement bien répondre lui-même aux questions. Il haussa un sourcil intéressé à l'apostrophe de l'apprenti, se pencha pour écouter la question.
Le Rouge fronça le nez, le front, puis le défroissa et posa les mains sur sa tasse avant de répondre:
« C'est compliqué. La situation est … Compliquée. » Il regarda Enju, puis Eoghan et se décida: « Nos Compagnons adultes sont des représentants à la Cour d'Iftel. Mon ami est grand Duc. J'étais Grand Prêtre. Nous avons tous des rangs influents à la Cour, mais surtout nous sommes des représentants du peuple d'Iftel. Un Chat de Feu est venu nous prévenir de choses horribles, et qu'il fallait agir. Entre les pressions politiques, économiques, sociales, et racistes, nous avons fait une première équipe... Qui n'est jamais arrivée à Valdemar. Nous avons décidé de partir, sauf que les contacts avec la Cour sont désormais impossible, car un traître dirige tout désormais. Nous sommes des représentants d'Iftel sans plus aucun pouvoir désormais... » soupira l'homme.
Puis il fronça les sourcils à la dernière question:
« Maya est... L'équivalent du Fils du Soleil pour cette déesse disparue. Une Elue de la Déesse, ou une sorte de réincarnation. Une amie de Vykaendis en tout cas. » résuma-t-il brièvement, presque trop simplement pour un vieil homme. « L'avez-vous déjà vue? » fit-il, très curieux, reluquant subitement Enju comme s'il se doutait de quelque chose.
– - -
Plus près du feu, Nyaeve faisait connaissance avec les plus jeunes du groupe. C'était assez étrange pour les soldats surtout de voir une jeune fille parler dans le vide avec des créatures comme ça.
Oui je suis Selm. C'est joli Nyaeve. Très femelle. approuva le petit kyree comme si c'était un grand compliment.
Il se raidit légèrement quand la main de la jeune fille approcha près de lui, mais se laissa faire, et finalement décida que le geste lui plaisait et ne bougea plus. Il se renseigna ensuite et l'explication de la Mage sembla lui plaire. Il ajouta cependant:
Mère dit que certains Mages ont des familiers. C'est des créatures magiques comme nous qui viennent avec eux pour les empêcher de faire des bêtises. Tu crois qu'on est des familiers?
Masten les rejoignit et fut content d'être si bien accueilli. Il se laissa observer comme Selm sans protester, content de l'attention en fait. De loin, les parents semblaient toujours absents.
Les deux jeunes ne croyaient pas que Nyaeve était « plus proche de leur âge ». Pour eux, c'était une humaine donc une « vieille », et ils prenaient chaque parole pour argent comptant. Ils étaient très contents de discuter et ce fut le petit griffon qui répondit:
On voyage avec eux, mais au début on devait rester, sauf qu'il y a des méchants qui aiment pas les plumes. Mais c'est fatigant. Mais c'est joli le paysage. Et je vais bientôt voler. Et Selm sait chasser maintenant.
Les deux « gamins » se rengorgèrent. Mais très humainement, Selm hocha la tête négativement pour répondre à la dernière question:
« Nous on marche, on vole, on court, et y a la cariole pour Béli et sa famille mais c'est tout. Pourquoi prendre un portail pour voyager, c'est lourd, ça sert à rien! »
Gaylee, la kirill femelle jusque là à l'écart, s'était approchée sans bruit. La bouche s'ouvrit, elle semblait peu à l'aise avec les mots humains, et surtout valdemarans.
« Portail, méchants. Eux fermer pour pas être pris. Mauvais pour nous. »
Pourquoi elle parle cette langue bizarre? Comme la tienne, sauf que je comprends , toi, quand tu parles, parce que c'est dans ta tête. se renseigna Selm brusquement.
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Tout le monde parlait plus ou moins valdemaran. Si quelques fautes de langues apparaissaient de temps en temps, tout ce qui était prononcé était plus ou moins compréhensible selon la personne.
Fitz pouvait sentir l'approbation quand Oelis lui répondit:
« Vous avez bien raison de jouer ce rôle. La dame en Blanc doit être votre Héraut. Elle a l'air mal en point, je suggère de la laisser dormir. »
Puis il écouta le mercenaire – pouvait-on encore dire mercenaire alors qu'il dirigeait avec Rohan le détachement de Valdemar? - et tiqua à son tour:
« Nous avons eu cet avertissement aussi. Et nous avons trouvé des traitres chez nous, qui ont pris le pouvoir à la Cour... Vous ne rentrerez pas vivant si vous allez à la capitale. Nous soupçonnons le nouveau chancelier d'être un mage de sang. Rien de sûr, mais il nous a écarté très vite, et la première délégation a disparu à l'endroit où le portail a été refermé, il y a quelques mois. Nous sommes des représentants d'Iftel avant la crise... Maintenant... »
Fitz s'interrompit et regarda une gamine blottie dans un coin. Sa fille? Se demanda Oleis. Il acquiesça doucement:
« La sombre magie est à l'oeuvre partout. Comme lors des Tempêtes. » Puis il leva un sourcil: « Vous avez été témoins de ces apparitions? Ashun a vu un Chat de Feu ... »
Soudain il sursauta:
« La marque! »
La main de Fitz laissait clairement apparaître la spirale. Oleis semblait subitement ému, ou soulagé.
« Oui tout se joue. Tout se joue. » Il respirait difficilement, comme si quelque chose l'étouffait – et cela semblait être le soulagement.
Oleis regarda Rohan qui était sur le qui-vive. Il sourit, et les fit s'asseoir rapproché à une table:
« Je suis le chef … enfin disons le porte-parole... Mais celui qui est le plus versé dans les histoires de dieu, c'est Ashun. Pour résumer, notre Dieu, le Dieu Soleil , est apparu, nous a mis en garde à travers le Chat de Feu et sa Voix, d'un grand danger. Tout doit se régler où tout a commencé, ce qui veut dire... On n'en sait absolument rien, mais il paraît que Valdemar est là où les premières tentatives de compréhension ont commencé, donc on nous a envoyé. Et la marque... Oh, Messire Fitz, vous avez été marqué par la Déesse elle-même. Saviez-vous que vous êtes sûrement Son Glaive? Vous en avez entendu sûrement... Nous avons l'espoir maintenant. Tout n'est pas que chimère. »
Un des soldats les observaient de loin, semblant tout écouter.
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Loelia, dans son coin, semblait se faire aussi de nouveaux amis. Moins bavards, il fallait le dire. Ils ne parlaient pas valdemaran, ni aucune autre langue visiblement.
Béli l'avait amenée, et elle sembla soudain avoir une idée. Le kyrill fut pris de court, mais il sembla soudain comprendre quand elle revint avec son instrument. Il s'installa non loin, légèrement à l'écart pour ne pas gêner, et observa la jeune fille.
Les deux dyhélis semblèrent arrêter une seconde de "chanter", pour regarder ce que faisait la jeune fille revenue. Elle changeait les cordes de son instrument, et au bout d'un moment, l'accorda.
Le kyrill répondit:
"Je doute qu'elles aient fait exactement ce bruit. mais je ne doute pas que vous les ayez entendus. Pourriez-vous jouer..."
Loelia avait déjà commencé. Elle tenta de reproduire les sons, et les dyhélis la regardèrent fixement, sans faire de bruit, avant de reprendre leur fredonnement. Il était plus léger, moins triste.
"Ils disent de continuer. De jouer une chose joyeuse, belle, qui fait comme une famille." transmit alors Béli.
[ Pas de trace du Chat de feu qui faisait le voyage avec Maya .
Loelia: tu t'exécutes, et bientôt les dyhélis semblent plongés dans ta musique. Tu joues de toute ton âme, et tu vis (enfin?) la musique. Pas obligée de reprendre les sons qu'ils faisaient, juste joue.
Nyaeve: tes petits compagnons et la femelle soulèvent des interrogations - rien de spécial ressenti à part ça.
Fitz: ta marque semble reluire quand le Glaive est mentionné.
Eoghan: tu sens qu'il y a peut-être autre chose que les explications données pour ta "sensibilité", mais quoi?
Enju: de plus en plus de ressemblances te sautent aux yeux, et quelque chose te dit de faire confiance à Ashun. Tu te sens presque devenir folle, tellement il ressemble à ton Anshuu, au point de presque les confondre, de ne pas savoir qui est qui. ]