Captant le regard de son ami, Elbereth le lui rendit et sourit. Elle non plus n'avait pas tellement envie de rentrer, même si elle commençait à avoir un peu froid dans l'eau. Ce moment de quiétude et de légèreté innocente était tellement agréable, qu'elle ne voulait pas qu'il s'arrête... Tendant l'oreille, elle écouta l'histoire d'Eoghan avec de grands yeux émerveillés, le regard perdu sur le paysage. A la fin elle hocha la tête et réfléchit :
-C'est une belle histoire...
Un sourire étira ses lèvres.
-Mais c'est mon tour. C'est une vieille légende d'un peuple que j'ai rencontré au cours de mes voyages... Autrefois, il n'y avait ni soleil, ni lune. Simplement les étoiles, grandes et lumineuses. Elles éclairaient la terre. Les gens vivaient heureux, dans le partage et l'entraide. Longtemps ce fut ainsi. Cependant, un jour, la cupidité fit son apparition, l'individualisme aussi. Alors, les étoiles, attristées, commencèrent à s'éteindre et la terre plongea peu à peu dans le noir. Les Hommes étaient effrayés... Et bientôt, le chaos et s'installa. La faim et la misère se mirent à régner partout.
Les gens demandèrent alors conseil à une vieille femme pleine de sagesse : « Que pouvons-nous faire pour qu’il fasse de nouveau clair et que nous ayons de quoi manger? » La femme répondit : « Il faut trouver quelqu’un dont le cœur soit tellement rempli d’amour qu’il acceptera de donner sa vie pour les autres. Lorsque vous aurez trouvé cette personne, envoyez-la chez moi.
Au début les gens furent désespérés, car ils ne savaient ce qu'était l'amour. Seulement, dans une cabane isolée près de la mer vivaient un pêcheur et sa femme. Ils s'aimaient d'un amour sans faille. Informé de la grande misère du monde et de la détresse des hommes, le pêcheur dit à sa femme : « Nous devons les aider. Nous sommes peut-être les seuls à pouvoir le faire parce que nous nous aimons ». Il alla donc trouver la vieille femme et lui dit : « Je suis prêt à faire tout ce que tu me diras. » Elle lui tendit un énorme bouclier et lui dit : « Tu dois aller jusqu’au bout du monde et de là, sauter sur l’étoile la plus proche, puis sur la suivante et ainsi de suite jusqu’à la dernière. Sur chaque étoile tu devras ramasser la première pierre que tu verras et la fixer à ton bouclier. Quand celui-ci sera complètement recouvert de pierres, tu devras le lever. Il donnera alors de la lumière aux habitants de cette terre. »
Le pêcheur s’en alla alors jusqu’au bout du monde. Mais arrivé là, il perdit courage car l’étoile la plus proche lui semblait tellement éloignée qu’il lui paraissait impossible de l’atteindre. Il pensa à sa femme qu’il aimait et soudainement il se sentit emporté.Il vola alors d’une étoile à l’autre, fixant à chaque fois une pierre à son bouclier. Lorsque celui-ci fut entièrement recouvert de pierres, il le leva et aussitôt le bouclier se mit à briller. C’est ainsi que le soleil apparut dans le ciel. Il ne se lassait pas d'éclairer à nouveau les hommes, et de faire leur bonheur.
Un jour cependant, alors qu’il se trouvait juste au-dessus de sa maison, il vit que sa femme était triste. Alors il prit son cœur et le lui lança. Celui-ci resta suspendu dans le ciel et se mit aussitôt à briller. Il devint la lune. La femme vit le nouvel astre et comprit le signe. Elle pleura de joie et pleura tant et tant que ses larmes devinrent un fleuve qui se dirigea vers la mer. Alors le pêcheur baissa son bouclier un instant afin que la lune reste seule dans le ciel obscur et puisse se refléter dans l’eau. Là, les deux époux étaient à nouveau réunis.
La jeune femme s'interrompit, et regarda à nouveau Eoghan en souriant :
-C’est depuis ce temps-là que le jour et la nuit existent et chaque fois que la lune se reflète dans la mer et que le fleuve capte ce reflet, le pêcheur et sa femme sont de nouveau réunis pour un court un instant...
Elle laissa planer le silence en regardant le soleil disparaître tout à fait et reprit :
-La lune va bientôt se refléter dans le lac. Nous devrions sortir pour ne pas troubler son onde, tu ne crois pas ?
L'apprentie lui fit un clin d'oeil taquin :
-Et puis j'ai un peu frais à vrai dire !
La biche avait disparu, et les chevaux broutaient paisiblement. Sortant tranquillement de l'eau, elle proposa :
-Je n'ai pas envie de rentrer tout de suite... Que dirais-tu de faire un feu ?