[Isibeal/Wylan] Rencontre improbable

[Héraut Wylan]

Dernier jour de la 3e décade d'automne 1481 - devant la Maison de Guérison

Wylan venait passer trois décades à cheval. Il était heureux d'arriver enfin à Haven. Son compagnon de route pourrait ainsi enfin bénéficier de soins appropriés et lui-même pourrait repartir retrouver Shandara, restée à Rethwellan pour poursuivre la mission. Celle-ci se débrouillait d'ailleurs très bien, et elle avait réussi à intégrer une petite troupe d'acrobates locaux, avec laquelle elle sillonnait les territoires au sud du Peigne. Il n'avait donc pas hésité à la laisser seule quand les événements l'avaient forcé à revenir à Haven.

En effet, un informateur et ami, Krys, avait visiblement été la victime d'une attaque magique. Ou simplement avait-il été le témoin de choses si horribles qu'elles lui avaient dérangé l'esprit? Quand Wylan et Shandara l'avaient rencontré, l'homme était à peine reconnaissable. Il déambulait pieds nus, vêtu de hardes et semblait en proie à des délires et à des terreurs incontrôlables. Les deux Hérauts l'avaient recueilli et très vite, ils durent prendre une décision. Finalement, l'intégration de Shandara à une petite troupe simplifia le choix. Elle resterait pour poursuivre la mission, tandis que lui rentrerait à Haven pour tenter de faire soigner le malheureux, ou au moins de lui offrir une meilleure vie, dans son propre pays. Krys était valdemaran, et c'était pour remplir une mission confiée par Wylan qu'il se trouvait à Rethwellan. Celui-ci se sentait donc particulièrement responsable.

C'est un Wylan inquiet et particulièrement crotté qui se présenta à la Maison de Guérison. Il expliqua la raison de sa venue, confia Krys aux bons soins de Charwin et s'écroula, épuisé, sur un des bancs disposés devant le bâtiment. Un doux soleil d'automne réchauffait l'air et Wylan s'autorisa un instant de répit pour en profiter. Instant qui se transforma bien vite en marque alors qu'il s'assoupissait. Il ne dormait que d'une oreille, mais personne ne l'approcha ni ne vint le déranger pendant cette première marque.

Au fond de lui, Wylan gardait une infime conscience de son environnement, du temps qui passait, des gens alentour. Ce qui le réveilla n'était ni un bruit, ni même la nécessité. C'était la présence d'un esprit non loin de lui. Un esprit inconnu, mais familier, comme s'il appartenait à un membre de sa famille. Il ouvrit les yeux, à la fois curieux et inquiet. Il s'attendait presque à voir un de ses neveux approcher. Mais non. Il ne reconnaissait personne. Il ne voyait qu'une étudiante Guérisseuse qui s'approchait de la Maison de Guérison.

Perplexe, il fronça les sourcils. Il tenta de retrouver la sensation qui l'avait envahie dans son sommeil, celle qui l'avait forcé à se réveiller. Mais l'impression de familiarité ne revint pas. La fille qui s'approchait maintenant était une parfaite inconnue... à ses yeux en tout cas. Wylan se convainquit qu'il s'agissait d'un rêve, et non de la réalité. C'est donc avec distraction qu'il salua la jeune fille qui arrivait maintenant à sa hauteur. Mais il nota quand même sa démarche, qui lui rappelait quelqu'un. Et la forme de son visage, qui lui sembla familière.

«Bonjour...»

Il bâilla. Il était temps qu'il aille se doucher, dormir, puis qu'il reparte retrouver son élève.

[Isibeal Greenfield]

La décade qui venait de s'écouler s'était révélée particulièrement éreintante pour la jeune Isibeal. La surcharge de travail associé au manque de sommeil devenu récurent à présent, engendrait une impression étrange d'avoir abusé plus que de raison de son don de guérison. Son corps épuisé réclamait un repos bien mérité, son esprit tourmenté quant à lui, ne lui en accordait guère.  La douce jeune fille ruminait constamment les révélations de sa mère, tournant et retournant une bonne trentaine de fois dans son esprit se problème de filiation improbable.

Ce père dont elle ne connaissait que le nom. Cela plus une vague description physique !  Cet homme ne devait pas marquer les souvenirs à en croire les informations glanées à son sujet. Car tous s’obstinaient à le comparer à l'une ou l'autre de leur connaissance. De nombreux hommes à travers le royaume tout entier possédant les mêmes particularités physiques, cela était vraisemblablement inimaginable et improbable. Elle avait eu le droit à l'oncle disparut depuis des années, le prêtre du village voisin, le camarade d'enfance, etc, etc .... le plus cocasse de tous revenait à celui qui le comparait à son propre père !  Comment diable celui qui n'avait jamais joué ce rôle précis pouvait-il être assimiler à un géniteur !

L'engourdissement de son corps eu bientôt raison de ses problèmes personnels, le doux soleil d'automne lui accorda enfin une relative quiétude au pied d'un arbre. Isibeal s'endormit à même l'herbe, respirant le parfum des dernières fleurs de l'été. Pour la première fois depuis une décade, le sommeil que lui offrit Morphée était réparateur et profond. bénéfique ...

.... Un étrange sentiment la tira du pays des songes. Un besoin impérieux de faire quelques pas en direction de la maison de guérison. Ce n'était pas la première fois qu'elle ressentait ce genre de désirs qui la poussait à se rendre au chevet d'un patient et aujourd'hui encore, elle pensait que son empathie lui dictait de venir en aide à une personne blessée. Elle prit les différents ouvrages sur les plantes médicinales qu'elle étudiait entre ses bras avant de se hâter en direction de son lieu de travail quotidien.

Isibeal aperçu de loin un homme assis sur l'un des banc en pierre qui entourait la maison de guérison et se rendit compte au fut et à mesure de sa progression qu'il ne manquait pas de la suivre du regard. Jusqu'à finir par la saluer distraitement lorsqu'elle parvient à son niveau. L'apprentie fit de même ; puisqu'il ne lui avait pas sembler le connaitre  en cheminent jusqu'ici, ni même lui trouver un vague air familier et de près encore moins ; lâchant un :

- Bonjour !

Neutre de politesse et s’apprêtait à passer son chemin pour pénétré dans le bâtiment lorsqu'elle trébucha sur quelque chose et chuta durement sur le sol.

[Héraut Wylan]

À la grande surprise de Wylan, la jeune fille ne sembla pas vaguement le reconnaître quand elle leva ses yeux sur lui, alors qu'habituellement tous semblaient voir quelqu'un d'autre en lui. Sans doute était-il mal réveillé. Et après tout, la petite était visiblement apprentie Guérisseuse. Elle était sans doute très bien barricadée. Ça, plus le fait que Wylan n'avait pas de raison particulière de renforcer son Don semblait constituer une explication suffisante à l'absence de réaction de la jeune fille.
 
Alors qu'elle passait devant lui, la jeune fille trébucha lourdement. Wylan ne put pas voir ce qui avait causé sa chute, il fut donc surpris de la voir s'étaler de son long devant elle. Il se releva soudainement et alla aider la jeune fille.

«Ça va, petite? Tu as confondu ton pied droit avec ton pied gauche?»

Il la prit par le coude et la mit assisse. Il espérait qu'elle ne s'était rien fait de trop grave, mais elle avait probablement quelques écorchures et d'ici quelques jours, ses genoux et ses coudes seraient multicolores. Tant qu'elle ne s'était rien foulé, tout était pour le mieux.

«Pas trop amochée? Heureusement, tu n'es pas trop loin d'un Guérisseur si nécessaire.»

: C'est censé être de l'humour? : demanda Kyra d'une voix ensommeillée.
: Mais non, une constatation.:

Il profita pour observer un peu la jeune fille. Décidément, la forme de son visage lui rappelait fortement quelqu'un. Mais il était trop fatigué pour se souvenir qui. Peut-être l'avait-il déjà croisée quelque part. Même s'il était incapable de dire où. En même temps, il n'aurait pas reconnu Kyle en lui rentrant dedans au détour d'un couloir, alors une gamine qu'il avait probablement croisé une fois quelque part...

«C'est ma journée "éclopés" aujourd'hui. J'en ai déjà confié un à la Maison pas plus tard que tout à l'heure. J'espère que je n'aurais pas besoin de t'y porter, petite.»

: Tu aimerais bien, hein? :
: Elle est un peu jeune, tu ne crois pas? Elle pourrait être ma fille! :
: C'est vrai... tu préfères ne pas prendre de risques et ne coucher qu'avec celles qui sont trop âgées pour ça.:

«Na na na...» Il s'arrêta, un peu gêné. «Désolé, petite. Je suis tellement fatigué que je dis à vois haute ce que je destinais à mon Compagnon. Faut vraiment que j'aille me pieuter moi.» Comme pour prouver la véracité de ses dires, un long bâillement vint l'interrompre. «Kyra dort déjà à moitié... ce qui ne l'empêche pas de se moquer de moi d'ailleurs. Un conseil: évite les Compagnons, ils ne sont vraiment pas fréquentables.»

[Isibeal Greenfield]

Un petit crie s’échappa d'entre les lèvres de la jeune apprentie avant que sa mâchoire rencontre la dalle servant de sol. Outre la magnifique ecchymose qui ornerait son visage dans quelques heures, le sang commençait à emplir sa bouche à l'endroit où ses dents avaient entaillé la peau tendre de sa lèvre inférieure. Isibeal cracha le liquide rougeâtre au moment précis où le Héraut se saisi de son coude pour la forcer à s’asseoir. Regardant avec un effarement non dissimulé la tenue grise tachée par son sang, elle sentit celui-ci quitter son visage de honte.

- Par la Déesse...... je suis désolé, je suis désolé, je suis désolé ..... !

Déclara-t-elle d'une petite voix en ne parvenant pas à contrôler le débit de ses paroles. La douleur de sa mâchoire, les écorchures sur ses genoux et ses coudes ne l'aident guère non plus à calmer son esprit déjà si troublé. Malgré la douleur lancinante qui irradiait à travers son corps, Isibeal se surprit à rire à la plaisanterie pourtant médiocre du Héraut. Un jolie rire cristallin !

-  Une faveur de la Déesse pour compenser ma maladresse.

L'apprentie détourna la regard lorsque celui de l'homme se déposa sur son visage, ne sachant pas pourquoi cette sensation de malaise persistait. Peut-être était-ce dût aux absences qui semblait le prendre entre ses paroles...Elle força ses mains à rassembler les ouvrages qu'elle consultait durant ses heures de repos pour focaliser ses pensées sur autre chose que l'étrange homme. Elle ne consentie à reporter son attention sur lui que lorsque fut mentionné un homme éclopé. Les mots s'échappèrent  d'eux même de sa bouche :

-  Alors voici donc la raison qui m'a conduit à la maison de guérison durant ma journée de repos.  Est-ce grave ?

Elle cru un instant que la réponse s'adressait à sa question avant qu'il ne confesse de lui même avoir une conversation en parallèle ; ceci expliquait donc ses fameuses absences; avec son Compagnon.  L'un de ses sourcils se haussa au moment où il prononça le nom de ce dernier.... Elle avait mal entendu certainement ou alors se pouvait-il  parfois que plusieurs Compagnons portent le même nom ?!

*Ce ne peux être lui*

Non, cela ne se pouvait. Elle était certaine que lorsqu'elle rencontrerait son géniteur, il lui semblerait reconnaître en lui une personne de son entourage. Comme tout ceux qui lui avait offerte une description de son père. L'homme qui se tenait en face d'elle semblait si ... Commun !

* Il ne peut être lui !*

Isibeal secoua la tête plusieurs fois pourtant le doute persistait. Il lui semblait voir dans certains traits de son visage quelques similitudes avec le sien. Na na na. Impossible.

*Père ..... *

Sur cette dernière pensée personnelle, elle se força à parler pour ne pas paraître impolie.

-  Vous revenez des zones de combats Héraut ? Est-ce si violent que le conte les rumeurs qui parviennent jusqu'à nous ?

L'interrogation à la fin de sa première phare était parfaitement perceptible et n'offrait aucun doute quant à sa nature. Elle voulait une confirmation de son identité pour pouvoir passer son chemin en paix. Elle tendit d'ailleurs justement sa main vers lui pour qu'il l'aide à se relever.

[Héraut Wylan]

La petite Guérisseuse devait s'être mordu la lèvre, car elle cracha un peu de sang sur la chemise de Wylan. Elle en fut d'ailleurs mortifiée, au grand amusement du Héraut que rien ne perturbait.

«Détends-toi. Vu la tête de ma chemise, je doute de la revoir un jour en l'envoyant à la buanderie. Un peu de sang en plus ne changera plus grand-chose. Et la Déesse non plus d'ailleurs.»

On pouvait en appeler à la Déesse pour quelque chose d'aussi mineur? Décidément, être dieu ne devait pas être de tout repos si on pouvait les déranger pour des broutilles pareilles.

La petite était tellement gênée de s'être étalée devant lui qu'elle évitait maintenant son regard et ressemblait les livres qu'elle avait fait tomber. Elle ne réagit que lorsqu'il fit mention du patient qu'il avait amené. Sa réponse lui fit hausser un sourcil.

«Je ne crois pas que ce soit pour mon éclopé que tu es là. Ou peut-être indirectement. Ce n'est pas le genre de cas qu'on confie à une étudiante.»

Surtout, il doutait que la petite soit une Guérisseuse mentale. Ils étaient très rares, et Wylan était certain de tous les connaître, étudiants compris. Après tout, il avait passé pas mal de temps dans leur service, pour voir Alem et Riannon.

Épuisé comme il l'était, Wylan ne faisait pas l'effort de s'isoler du reste du monde. Il entendait un léger brouhaha continu qui provenait sans doute de la Maison de Guérison. Mais il percevait surtout des pensées confuses provenant de la jeune fille. Elle semblait avoir vu en lui son père. Pauvre petite... à cause de son Don, il lui avait rappelé malencontreusement un père visiblement absent ou disparu.

: Je déteste quand ça fait ça. Quand je me mets à ressembler à un mort ou un disparu. C'est toujours si... triste.:
: Je suis pas certaine que... laisse tomber en fait.:
: Quoi? :

Mais Kyra resta muette. Wylan se demandait ce qu'elle avait voulu lui dire avant de changer d'avis. Il ne pouvait pas réellement ressembler à son père. Il avait une tête tellement banale. Il ne ressemblait vraiment qu'à une seule personne, son frère aîné. Il en était en fait la version floue. Cheveux moins clairs, yeux plus gris, constitution plus moyenne. Tous les traits caractéristiques de Kyle avaient été comme polis chez Wylan.

C'est sans doute pour chasser ses pensées sur son père que la petite lui demanda des nouvelles du front. Avec tous les Hérauts qui faisaient la navette, ce n'était d'ailleurs pas surprenant qu'on estime que lui aussi revenait de là-bas.

«C'est moins violent maintenant. On se contente de défendre nos positions et en face ils ont perdu pas mal d'ardeur depuis qu'on leur a botté les fesses.»

Il ne répondait certes pas vraiment à la question, se contentant d'infirmer les rumeurs. Après tout, sa vie ne regardait absolument pas la jeune fille, et sa mission était secrète. De même que le lieu dont il revenait.

Avec un sourire, il prit la main de la jeune fille et la remit debout.

«Ça va aller petite, ou tu préfères t'asseoir un moment?»

[Isibeal Greenfield]

Tous le monde ne possédait pas la même maîtrise de soi ! Tous le monde non plus ne faisait fi des convenances. Cracher du sang sur quelqu'un était loin d'être une attitude normale pour une jeune femme surtout s'y elle n'arpentait pas les champs de batailles. D'ailleurs, elle n'aimait pas non plus être le sujet d'amusement d'une personne surtout d'un homme !! Isibeal se força à se détendre pour répondre :

- Je doute même que quiconque puisse l'utilisé comme chiffons pour faire le ménage. La brûler serait préférable.

Ce détendre, une chose plus facile à dire qu'à faire surtout lorsqu'on pensait être en présence de son géniteur. Des frissons ne cessaient de parcourir l'entier de son corps. Ses doigts s'agitèrent sur les livres qu'elle tenait, ne cessant de tapoter le cuir de la couverture du premier des ouvrages. Si l'homme haussa un sourcil, Isibeal souleva les deux. Elle tiqua sur l'article possessif concernant l'éclopé... Il n'y avait pas d'esclavage à Haven ni dans tout le royaume de Valdemar....

- Puis-je savoir ce qui lui arrive dans ce cas ?

Le besoin de soulager les douleurs d'un patient n'apparaissait pas uniquement si la guérisseuse était la plus apte à le prendre en charge. Peut-être que cela différait chez les Hérauts ?! Elle n'en savait rien ! Après tout, c'était un monde qui lui était étranger et Isibeal qui n'avait déjà que peu d'amis n'en avait absolument pas dans les rangs des Hérauts. Par manque de chance, il évitait de révéler son identité en mentionnant le front ce qui n'aidait en rien ses affaires. Des rapports de la guerre la rendait indifférente sur le coup car, son attention se trouvait figé sur celui qu'elle pensait être son père.

- J'espère qu'ils perdront l'envie de poursuivre cette maudite guerre rapidement dans ce cas Héraut Wylan !

Oui, elle avait oser prononcer ce nom ! Quitte à passer pour une idiote, autant l'être en étant certaine de se tromper plutôt que rester dans l'ignorance. Et l'espoir ! Il lui prit la main d'une manière qui ne lui laissait guère le choix de refuser, la relevant du sol sur lequel la jeune fille reposait toujours. Attardant plus que nécessaire le contacte de sa main contre le sienne, elle rompit le lien en reculant de quelques pas puis chancela !

- Je crois que j'ai besoin de m'asseoir un petit moment !

[Héraut Wylan]

Tant d'histoire pour un peu de sang! Sa chemise avait déjà très mauvaise mine avant même cet incident. Il ne servait à rien de se lamenter encore et encore. Visiblement, la jeune fille était du genre à aimer s'accuser de tous les maux de la terre, une tare courante chez les adolescents.

«Mais non. Tu serais étonnée comme on peut facilement récupérer un bon tissu en le coupant correctement.»

Au grand désespoir de Wylan, la jeune fille semblait du genre trop sérieuse, du genre à prendre au pied de la lettre le moindre de ses mots. Ça risquait de vite devenir compliqué si elle tiquait à chacun de ses mots. Et face à tant de curiosité qu'il jugeait mal placée, Wylan ne pouvait que se montrer plus ironique encore.

«Tu peux demander.» Il esquissa un demi-sourire. «Quant à savoir, je suis désolé, mais non, tu ne peux pas.»

La petite semblait vraiment très nerveuse, et n'écouta pas vraiment la réponse de Wylan. Mais que voulait-elle, à la fin? Elle lui fit cependant une réponse pleine de hargne, l'appelant au passage par son nom. Il commençait à trouver cette rencontre très étrange. Il haussa un sourcil.
 
«On se connaît, petite? Tu m'as soigné une fois?»

: Kyra, je ne me souviens absolument pas d'elle... c'est bizarre vu que j'ai une très bonne mémoire. Enfin, son visage me dit quelque chose, mais il me rappelle plutôt quelqu'un. Tu crois que c'est la fille d'un noble quelconque? Que je l'ai rencontrée gamine? :
: Peut-être...: Kyra sembla à la fois exaspérée et amusée. Sa voix était plus proche que la dernière fois.
: Tu es plus à l'écurie toi? :
: Non, je viens regarder.:
: Regarder quoi? :

Mais avant qu'elle ait pu répondre, le Héraut dut rattraper la jeune fille qui menaçait de tomber à nouveau. Il l'installa sur le banc. Puis il se mit en face d'elle accroupi. Il ne voulait pas risquer qu'elle se blesse à nouveau si elle tombait dans les pommes.

«Je vois ça oui. Quelle idée, aussi, de marcher sans regarder devant soi.» Il soupira. «Tu veux que j'aille demander à un de tes collègues de venir? Tu t'es méchamment cogné la tête.»

Un bruit de sabots se fit entendre derrière eux et Kyra arriva d'un pas traînant. Elle était encore épuisée par sa folle cavalcade, mais elle n'avait pu refréner sa curiosité. Elle s'installa dans l'herbe à proximité.

: Kyra... explique-moi, tu veux? :
: Expliquer quoi? :
: Ça ne m'amuse pas.:
: Moi si.:

[Isibeal Greenfield]

Étonnée ?! Pour être sincère ce n'était guère le cas. Que croyait-il donc ? Qu'il n'y avait eu aucunes leçons de couture dans son enfance ?! Une aiguille entre ses mains plus souvent qu'elle ne le désirait, le travail ne manquait pas dans une ferme, pauvre de surcrois …. Elle qui voulait simplement détendre l’atmosphère en plaisantant , voilà qu'elle recevait une leçon dont elle se passerait bien. Ainsi préféra-t-elle ne pas rebondir là dessus, hochant simplement la tête. Quant à la suite, elle haussa les épaules avec l'autre partie du sourire de Wylan sur les lèvres. Ensemble, ils en obtiendraient peut-être un complet !

- Savez-vous que les guérisseurs se parlent être eux ? Il me suffit de pénétrer dans le bâtiment pour en apprendre plus !

Il y avait bien des façons de se renseigner. Auprès d'un de ses professeurs, en laissant traîner ses oreilles ou même en allant voir par elle-même ! Elle gagnerait simplement du temps s'il la renseignait. Et puis, elle ne comprenait pas se besoin malsain de dissimuler cette information. Encore une fois, ils eurent une réaction similaire car en levant un sourcil, elle fit de même. A jouer à quitte ou double, Isibeal venait de toucher le gros lot … en voulait-elle réellement désormais qu'elle avait sous les yeux cet étrange personnage. Un rire nerveux la prit soudainement.

- Non Pè… non ! C'est la première fois que je pose mes yeux sur vous Héraut Wylan !

Alors qu'il l'installait de force sur le banc qu'il occupait auparavant, en pliant les genoux pour se mettre à sa hauteur, elle ne put s’empêcher de plonger ses yeux dans les siens. Une myriade d'émotions contradictoire défilaient dans son regard alors qu'elle déposait ; en tremblant ; une main fine sur la joue de son géniteur en une tendre caresse.

- Père !

Et de le gifler fortement d'une colère qui venait de naître soudainement en son sein. Comment osait-il se soucier d'elle de cette façon ! Lui qui avait été absent durant les seize années de sa vie.... Après l'enfer qu'elle avait vécue par sa faute !

[Héraut Wylan]

Cette petite ne réalisait-elle pas que parfois, certaines choses lui étaient cachées? Que de nombreux patients étaient gardés à l'écart, car ils étaient liés à des missions secrètes, comme l'homme que Wylan avait ramené? Aucun Guérisseur responsable d'un tel patient n'irait en discuter avec ses collègues sans avoir d'abord avisé le Héraut responsable, dans le cas présent, Wylan ou Alemdar.

«Si tu le dis, petite...»

Il se contenta de cette réponse ponctuée d'un sourire cynique. Il n'allait quand même pas se justifier auprès d'une gamine!

Si elle ne le connaissait pas, comment connaissait-elle son nom? Sur quelle folle était-il tombé? Depuis quand les gamines épiaient-elles les braves Hérauts? Surtout qu'épier Wylan n'était pas simple. Il était rarement à Haven, encore plus rarement ostensiblement. Quand par hasard il était officiellement là, il était tellement occupé qu'on le voyait presque aussi peu que lorsqu'il était en mission.

«Alors comment connais-tu mon nom?»

Maintenant que la petite était installée sur le banc, elle semblait reprendre des couleurs, et même du poil de la bête. Voilà maintenant qu'elle caressait la joue d'un Wylan plus que perplexe. Puis vint le cri du cœur, le regard ahuri de Wylan, et la gifle.

«Hiiiiiiiiihiiiiiiiiiihiiiiiiihaannnn»

Kyra venait d'éclater de rire derrière eux, et d'après ce que Wylan entendait, elle avait transmis son rire à tous ses petits camarades délavés.

«Mais?!?!?!»

Le Héraut était trop choqué pour se soucier d'avoir été giflé. Depuis quand se faisait-on agresser dans les jardins par des jeunes filles persuadées d'être nos filles? C'était quoi cette folle qui prenait le premier venu pour son père?

: Bordel Kyra! Tu aurais pu me prévenir qu'elle était tarée, cette petite! :
: Arrête ton char! Je savais juste qu'une Guérisseuse s'était renseignée à ton propos. Tu sais comme les Compagnons sont de vraies commères. Après je l'ai vue à travers tes yeux et j'ai compris. Wylan, réveille-toi, elle ressemble à Lyana!!! :
: À Lyana...:

Wylan dévisagea un instant la jeune fille. Il ne put qu'être d'accord avec Kyra. Elle avait en effet la même ligne de mâchoire que sa petite sœur.

: Ça peut être un hasard...:
: T'as pas remarqué qu'elle ne t'a pas "reconnu"? :
: Mais si elle m'a reconnu.:
: Après coup. Quand elle t'a croisé, elle a pas eu l'air de te reconnaître. Tu t'es même fait la réflexion! :
: Mais tu m'espionnes en permanence? :
: Je me faisais du souci pour Krys.:
: Abruti de canasson. Ça t'amuse de me faire subir ça? :
: Attends de rencontrer Alemdar... Taver a trouvé l'histoire très amusante! :

Wylan avait l'air perdu et malheureux. Lui qui avait espéré profiter de sa journée pour voir le gamin et ensuite dormir. Il avait visiblement un drame familial à gérer avant cela. Mais malgré les évidences, Wylan restait dubitatif. Il réalisait bien qu'il devait avoir un ou deux bâtards quelque part. Après tout, il ne s'était jamais tellement préoccupé de savoir si ses compagnes prenaient les herbes. Mais il avait estimé que si l'une d'elles tombait enceinte, elle s'arrangerait pour le lui faire savoir. Il n'était pas riche, mais il était un Héraut, et on attendait de lui qu'il prenne soin de ses enfants et de leurs mères. Dans le cas contraire, c'était que la femme avait trouvé un père de substitution, et que l'enfant ignorait la vérité. Il ne s'attendait pas à tomber sur un de ses enfants à Haven, encore moins un enfant qui visiblement l'avait cherché. Et Wylan s'était toujours dit que ses enfants, s'il en avait, seraient Hérauts, pas Guérisseur. C'était de la fierté mal placée, et il en avait conscience, mais il ne pouvait s'empêcher d'être déçu.

«La gifle n'était pas nécessaire, hein. Une lettre, ça aurait aussi été très bien.»

[Isibeal Greenfield]

Sa main eu juste le temps de giflée son géniteur que le hennissement d'un équidé retentit à travers l'espace. Le canasson riait de la déconfiture de son héraut, de cela la demoiselle en était certaine. Bien qu'elle fut surprise de sa présence car, il n'était point là au début de la rencontre, Isibeal ne quitta pas un seul instant son père du regard.

- Une lettre !!!! Elle aurait prit la poussière dans un coin avant d'y être oubliée tant votre présence dans la capitale est très rare ses derniers temps. Pour y écrire quoi d'ailleurs ... Bonjours, je suis votre fille. Je n'ai que la parole de ma défunte mère pour confirmer cette affirmation. Pourrions-nous nous rencontrer un jour prochain si votre emploi du temps vous le permet.  Affectueusement !

Cette simple idée ridicule ne fit qu’amplifier sa rage, son regard devient plus noir alors qu'elle se levait d'un pas rageur. Il fallait qu'elle s'éloigne de lui pour ne pas craquer sinon, elle risquait de laisser échapper les larmes menaçant de couler si elle perdait le contrôle. Ses pas la menèrent au compagnon de son père. A sa compagne découvrit-elle avec plus de plaisir que celle de son géniteur.

Isibeal tendit la main, présentant la paume de cette dernière aux naseaux du compagnon en douceur pour la laisser sentir son odeur. Puis, elle déposa délicatement l'autre main pour flatter l'encolure de l'animal en murmurant ses mots.

- Si tu l'as choisi ma belle, cela veux dire qu'il doit posséder quelques qualités que je ne perçois pas au premier abord.  J"espère seulement qu'il voudra bien de moi dans sa vie car je n'ai plus que lui.

La jeune fille enfuit son visage dans la robe immaculée du compagnon, pleurant en silence du vide que provoquait la mort de sa mère dans son existence.

hj : Vraiment désolé du temps de réponse !

[Héraut Wylan]

«Simplement pour me demander une entrevue? On dirait pas comme ça, mais je suis un homme civilisé. J'ai même reçu une vague éducation courtoise. Une lettre déposée dans ma chambre t'aurait assuré une réponse à mon prochain séjour à Haven...»

: Ça m'aurait en tout cas semblé plus malin que de me sauter dessus comme ça.:
: Elle ne t'a pas sauté dessus. Elle ne savait même pas qui tu étais il y a une marque.:
: Oui, bon... mais sérieusement, une lettre, ça aurait été tellement plus simple.:
: Mais tellement moins drôle! :

La petite s'était éloignée de lui sur un regard particulièrement menaçant et elle tendait maintenant sa main à Kyra. Wylan faillit lui faire la réflexion que son Compagnon n'était pas un cheval et qu'il n'était pas nécessaire de la mettre en confiance, mais il se retint. Ce qui était exceptionnel chez lui, lui qui ne manquait d'habitude jamais l'occasion de se moquer des gens.

Kyra, de son côté, joua au brave petit cheval blanc (dans le mauvais temps) et se laissa caresser par la jeune fille qui s'épanchait à son oreille. Le Compagnon n'était pas très porté sur les larmes et les grands drames, aussi les paroles de la jeune Guérisseuse n'éveillèrent qu'une compassion de circonstance, sans réellement l'émouvoir. Mais elle la laissa pleurer contre elle, soulagée de ne pas avoir à supporter ce genre de comportement de la part de Wylan.

Wylan oscillait entre perplexité et envie de fuir. Malheureusement, la gamine avait sa Kyra chérie en otage, et un Héraut ne pouvait décemment pas laisser son Compagnon derrière lui. Il dut se résoudre à affronter la situation comme il le pouvait. Il fouilla dans ses poches à la recherche de l'arme la plus appropriée à la situation. Puis il s'approcha de la jeune fille et lui tendit le mouchoir propre qu'il avait fini par trouver.

«Tiens gamine.»

:... plutôt que de te moucher dans mon Compagnon.:
: Quel tact! Je ne pensais pas que tu te retiendrais.:

Il ne répondit pas au sarcasme, trop occupé à déterminer si poser sa main sur l'épaule de la gamine était approprié ou pas. La dernière fois qu'il avait consolé un enfant, c'était un de ses neveux, et celui-ci s'était simplement fait mal en tombant. Sa situation actuelle était nettement plus compliquée.

Finalement, il posa doucement sa main sur la tête de la jeune fille.

«Allez, viens plutôt t'asseoir. Kyra n'aime pas trop qu'on pleure sur elle. Le sel lui ternit le poil.»

[Isibeal Greenfield]

- Merci !

Dit-elle en prenant le mouchoir que son géniteur lui tendit et essuya ses larmes d'un geste gracieux. Isibeal ne savait que dire d'autre. Bien sûr, son esprit avait imaginé des tonnes de scénarios possibles et inimaginables pour la rencontre avec son père et étrangement, elle ne parvenait à en appliquer aucun.  Il fallait aussi reconnaître que pas un seul ne comportait la partie ''gifle à popa" ! Elle comprendrait qu'il lui en veuille légèrement pour ce regrettable accident.  

Lorsqu'il déposa une main sur sa chevelure, Isibeal ressentit comme un besoin de "s'échapper" de ce geste d'affection. Lorsqu'il lui demanda de s’asseoir, elle en profita pour s'éloigner de lui et de regagner le banc qu'ils venaient de quitter juste avant.

- Je suis désolé pour ...   Déclara-t-elle en désignant sa joue à l'aide de sa main. Je n'ai pas vraiment réfléchie à ce moment là. D'ordinaire je suis plutôt assez douce ...  

[Héraut Wylan]

Visiblement, le geste d'affection gêna la jeune fille. Wylan s'était pourtant imaginé qu'un tel geste lui signifierait une certaine acceptation de sa part. Mais, père ou pas, il restait un parfait inconnu pour cette petite, et il comprenait son mal-être, même s'il en était un peu vexé. Il faisait des efforts presque inhumains (et totalement inwylaniens) pour ne pas se montrer sarcastique et moqueur, voire carrément méchant. Il luttait aussi contre son envie de planter là la jeune Guérisseuse pour aller s'enterrer dans sa chambre avec une bouteille d'alcool maternel.

Les bouteilles planquées sous son lit lui firent immanquablement penser à sa mère. Elle allait être ravie. Elle allait accueillir cette petite à bras ouverts tout en faisant vivre à Wylan l'engueulade sa vie. Il l'entendait déjà le traiter de fils ingrat, de père indigne, de Héraut défroqué et probablement aussi de femmelette incapable de faire face à ses responsabilités.

Il ne put retenir un soupir las.

: Tu sais, je préférerais devoir m'infiltrer dans les lignes ennemies dans mon uniforme blanc que d'être ici...:

: Je compatis mon vieux. C'est quand même notre avantage, à nous les femmes. On peut difficilement être mère à notre insu. :

: Moque-toi! :

: Si peu...:

Wylan jeta un regard noir à son Compagnon avant de se tourner vers la jeune fille maintenant assise sur le banc.

«Hum... Je ne connais toujours pas ton nom, petite. D'accord, je ne suis pas réputé pour ma capacité à utiliser les prénoms des gens, mais c'est quand même plus pratique de les connaître.»

Il était presque désolé qu'elle soit déjà étudiante et donc formée à protéger son esprit. Il aurait aimé pouvoir son Don pour le guider et dire ce qu'il fallait. Après tout, même s'il avait la ferme intention d'avoir le moins de rapports possible avec cette demoiselle, il ne voulait pas se montrer blessant.

: C'est ce que tu penses maintenant. Mais tu verras, tu ne pourras t'empêcher de te faire du souci pour elle.:

: On est condamné à devenir débile quand on a des enfants? :

: J'imagine... demande à Beltran.:

: Oh merde, Beltran.:

Il s'était imaginé la réaction d'Alemdar, qui trouvait sans doute toute cette histoire hilarante. Mais il n'avait pas encore pensé à Beltran.

: Non seulement il ne va pas se foutre moi, mais en plus, il va se montrer inquiet et jouer les grands frères pour m'apprendre à être un bon père.:

Wylan se massa le front, l'air désespéré. Il trouvait la sollicitude pire que les moqueries. On pouvait envoyer promener un emmerdeur. On ne pouvait décemment pas envoyer sur les roses un cousin attentionné et par ailleurs chef des armées.

«Bon, je crois qu'on a les deux besoin d'un remontant. Je reviens, petite, un instant.»

Il se dirigea vers la Maison de Guérison et pénétra dans le bâtiment. Quelques instants plus tard, il revenait à grands pas vers sa fille (: Ce mot même m'arrache la bouche, enfin, l'esprit.:).

«Voilà, petite. Tu es indisposée jusqu'à demain matin. Allez, debout, tu vas t'enrhumer si tu restes là. Il n'y a rien de plus ridicule qu'un Guérisseur malade. Comment voulez-vous être pris au sérieux avec le nez qui coule?»

Renonçant pour le moment à tout contact physique, il se contenta de l'encourager en plaquant sur son visage l'air de plus avenant et paternel qu'il connaissait. En son for intérieur, il s'imaginait maintenant avoir la tête de Beltran jouant avec Liane, ou de son frère en pleine partie de cache-cache avec ses enfants.

«Allez, je vais t'offrir un remontant, un thé ou quelque chose de plus fort si tu préfères. À ton âge, dans ma famille, on est normalement capable de reconnaître une bonne vingtaine d'alcools différents.»

Il l'entraîna à sa suite, sans la brusquer, jusqu'à sa petite chambre dans l'aile des Hérauts.

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