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Repas amère

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Conteur:
8e décade de printemps 1485 — Appartements du capitaine Beltran


Janine de Greenhaven, 63 ans
Cela faisant maintenant des décades, voire des saisons que Janine de Greenhaven réclamait que son fils lui présente sa fiancée. Ou sa campagne, comme il préférait l'appeler. Or ses demandes étaient restées sans réponse. Elle avait presque honte, lorsqu'elle rencontrait ses pairs, de ne jamais avoir vu la femme qui partageait la vie de son fils. Ce qu'elle savait d'elle tenait en quelques mots : elle était Héraut, bâtarde et drastiquement plus jeune que son fils. En soit, la différence d'âge n'était pas un problème. Mais on parlait là d'une bâtarde né hors mariage et qui, en outre, avait grandi dans les Holds. Janine avait aussi entendu une chanson stupide sur l'histoire d'amour entre son fils et cette jeune femme. Elle aurait préféré ne pas avoir à subir cela, mais Ansel, son époux, avait insisté pour l'entendre. Il se réjouissait que l'on compose des chansons sur son fils.

Las de ne pas obtenir satisfaction, Janine avait décidé de se rendre à Haven. Cela faisait des années qu'elle n'avait plus vu la capitale. C'était son mari qui s'y était rendu pour le couronnement du Roi Arthon. Cela serait l'occasion. Ansel avait tenté de la dissuader, en vain.

Les Dieux semblaient la soutenir dans ce projet, car ils lui envoyèrent de l'aide en la personne de son neveu, Kyle Greenfield, qui se rendait lui aussi à la capitale et qui avait fait une halte par le domaine Greenhaven pour y déposer quelques bouteilles. Celui-ci avait galamment proposé de l'escorter et avait même suggéré de demander à son frère de les rejoindre à mi-parcours. Janine avait décliné. Elle n'allait pas déranger ce brave Wylan dans son travail pour quelque chose d'aussi trivial (ledit Wylan fut très déçu d'avoir manqué une telle occasion, quand il fut au courant).

Ils s'étaient donc mis paisiblement en route.

Le trajet s'était étonnamment bien passé. Kyle connaissait les meilleures auberges et surtout s'était fait un ami de chaque aubergiste entre Greenfield et Haven. Parfois, elle se demandait pourquoi le choix des Compagnons s'était porté sur le sarcastique Wylan plutôt que sur le chaleureux Kyle. Il avait tellement plus le tempérament d'un Héraut!

Enfin, ils arrivèrent à Haven. Janine et Kyle se dépêchèrent de rallier l'appartement de la famille. Kyle avait été invité à son servir lorsqu'il séjournait en ville, car les Greenhaven eux-mêmes l'utilisaient peu. Puis l'honorable matriarche décida qu'il était plus que temps qu'elle aille rendre visite à son fils. À cette heure, il devait être en train de manger dans ses appartements. Avec sa fiancée, sans doute.

Le planton à l'entrée de la caserne ne put retenir une exclamation de surprise quand il vit arriver une noble dame fort élégamment vêtue, à l'air sévère et qui réclama d'un ton martial à voir le Capitaine. L'attitude elle-même trahit l'identité de la dame. Le soldat s'effaça et guida la noble dame jusqu'aux appartements de son supérieur. Janine le congédia et frappa avant d'entrer.

Comme escompté, Beltran et sa dame semblaient en plein milieu d'un repas.

« Bonsoir, mon fils. » Elle fit un signe de tête à la jeune femme. « Héraut. »

Héraut Irmingarde:
Après avoir passé quelques décades à Haven sans réelle affectation, et face à l'absence de conflit internationaux nécessitant ses talents, Mina s'était vu proposer une mission à Haven, qu'elle avait acceptée, bien sûr. Beltran s'était montré ravi, et la jeune femme avait serré les dents pour supporter son air satisfait. Il avait le droit d'avoir peur pour elle, comme elle avait peur pour lui, mais elle refusait qu'il use de son pouvoir, ou de son statut, pour tenter de la protéger.
Oh, il n'avait rien fait directement dans le cas de cette mission, mais Mina savait que l'idée venait de Wylan. Ors, vu leurs liens familiaux, elle doutait que cette décision fut sans arrière-pensées.
Mais elle s'en contentait. D'abord parce qu'il y avait à Haven assez de gens qu'elle appréciait, pour ne pas dire tous. Mera était assignée à son maître d'armes - et avec joie! - pendant que son Compagnon poulinait, Isa pouponnait, Micha allait se marier, et bien sûr Beltran était là. Et puis sa mission était importante, éprouvante mais passionnante, et l'un dans l'autre, elle n'avait pas vraiment de raison de se plaindre.

En dépit des années, Mina ne s'était jamais à proprement parlé installé chez Beltran. Une façon de revendiquer son indépendance. Cependant, il fallait bien admettre qu'elle passait pas mal de temps dans ses appartement, ne serait-ce que par confort. Ses appartements de Héraut étaient spartiates - elle n'avait aucun goût pour la décoration - quand ceux de Beltran étaient à son image. Et chez lui, elle profitait de la cuisine réservé au Général des Armées, et ça, ce n'était pas rien non plus ! 

Installée face à lui, et en train de faire son sort à une tourte bien trop délicieuse pour qu'on en laisse une miette, elle écoutait distraitement ce que lui racontait son compagnon.
On frappa à la porte, et Mina lança un regard curieux vers l'entrée pour aviser le visiteur tardif. On dérangeait très rarement le Capitaine depuis la malencontreuse scène avec le Maréchal et le pichet d'eau.

C'était une femme, et clairement, une femme Noble. Avant même qu'elle ouvre la bouche, Mina reconnut l'expression familiale sur ce visage. Et quand la Dame de Greenhaven confirma son identité, elle faillit en faire tomber sa fourchette.

:Merde:

Plusieurs fois, Beltran avait évoqué l'idée d'aller rendre visite à sa famille. D'autant plus que celle de Mina ne vivait pas si loin. Mais la boutefeu avait toujours trouvé une excuse. Et face à tant de mauvaise volonté, Beltran n'avait pas insisté.
Elle n'était pas très famille, alors belle-famille !
Elle n'avait aucune légitimité aux yeux des Greenhaven, elle le savait, et n'avait pas envie de le constater d'elle-même. Elle se dévalorisait déjà bien assez elle-même!

Est-ce que Beltran savait que sa mère venait?!
Mina lui lança un rapide coup d'oeil interrogatif, puis se leva et salua:

"Madame."

Est-ce que ça se faisait de s'enfuir par la fenêtre?

Conteur:

Janine de Greenhaven, 63 ans
«M-mère? Que faites-vous ici?»

Beltran se leva précipitamment, manquant de peu d'emporter la nappe. Il jeta un regard un peu paniqué (à son échelle) à Mina et revint sur sa mère.

«Je vous en prie, venez vous asseoir.»

Il se précipita vers l'honorable douairière et la guida élégamment jusqu'à la chaise qu'il tira pour elle.

«Merci, Beltran. Peut-être pourrais-tu faire les présentations, à présent?»

Son ton était glacial et elle n'avait pas l'air ravie du tout.

«B-bien sûr, mère. Voici le Héraut Irmingarde. Mina, voici ma mère, Janine de Greenhaven.»

Dame de Greenhaven jaugea la jeune femme assise en face d'elle. Elle ne devait pas avoir plus de la moitié de l'âge de Beltran. En soi, cela n'avait rien de choquant. Les mariages, chez les nobles, unissaient souvent un vieux barbon et une délicate jeune femme. Mais il n'était pas question ici de mariage, mais d'une relation librement choisie. Que faisait son fils avec une gamine pareille? D'autant qu'elle avait plus l'air de paysanne mal dégrossie que d'une bâtarde bien éduquée. La faute sans doute à son enfance dans les Holds.

«Ravie de vous rencontrer.» Son ton semblait dire le contraire. «Il était plus que temps. Combien de temps, déjà, depuis que vous mobilisez mon fils?»

Héraut Irmingarde:
A bien y réfléchir, Mina avait très, très rarement entendu Beltran balbutier, butter sur ses mots. Il avait l’habitude de dire les choses clairement, presque froidement. Vu sa réaction, il n'était pas au courant de la venue de sa mère, c'était évident. Celle-ci avait du se décider à la dernière minute sans en avertir personne.

Elle n'avait pas l'air de bonne humeur, c'est le moins que l'on puisse dire. On pouvait espérer que son attitude soit due à la fatigue du voyage, mais Irmingarde avait comme un doute.
Quand elle ordonna à son fils de faire les présentations, cela sonnait définitivement comme un reproche, et instinctivement, Mina se braqua. Et les Dieux savaient que ce n'était vraiment pas la meilleure façon d'obtenir satisfaction de sa part. Janine de Greenhaven la jaugea froidement, et implacablement. Ce qu'elle voyait ne semblait pas correspondre à ce qu'elle aurait espérer pour son fils, à ce qu'elle jugeait digne pour l’aînée des Greenhaven. Sur ce point, pourtant, elles auraient pu tomber d'accord.
Mais avec tout le respect qu'elle devait à la mère de Beltran, et d'autant plus une femme de cet âge, impossible pour la Héraut de s'écraser.
C'était son drame, et en partie la raison pour laquelle elle n'avait jamais voulu visiter Greenhaven. Elle était tout bonnement incapable de faire les courbettes nécessaires dans le monde des Noble. Sur le front, on ne s'emmerdait pas avec des révérences, et ça lui convenait à merveille.

Mobiliser... Quelle belle insulte!

Ezarel s'invita silencieusement dans son esprit pour exhorter son élue au calme, et Mina tourna sept fois sa langue dans sa bouche avant de répondre à l'attaque en règle de la Dame de Greenhaven.

"Je suis honorée, Madame. Beltran m'a souvent parlé de vous et ne tarit pas d'éloge. Quant à son... statut..." elle regarda Beltran brièvement "il m'a toujours semblé que c'était son métier qui l'occupait pleinement, tout comme le mien. La guerre mobilise les soldats, et nous avons eu fort à faire. Je n'ai pas la prétention de penser que je retienne votre fils dans mes filets. Il me fait l'honneur de son affection depuis plus de quatre ans."

Malgré elle, Mina avait peur de ce que pouvait répondre la Matriarche. Elle avait une vague idée des arguments que pourrait avancer Janine de Greenhaven. Et elle n'était pas plus prête à les entendre maintenant que toutes les fois où Beltran avait proposé de la présenter à sa famille.
Elle essaya une porte de sortie, tout en sachant que ça ne fonctionnerai pas:

"Beltran, tu veux peut-être être seul pour profiter de la visite de ta mère ? Je suis de trop, je devrais rentrer dans mes appartements?"

Conteur:

Janine de Greenhaven, 63 ans
La tension fut à son comble quand la jeune Héraut répondit sans grand ménagement à l'honorable douairière. Dame de Greenhaven dévisagea sa presque bru, son regard glacial fixant la jeune femme. Puis Irmingarde suggéra qu'il serait peut-être bon qu'elle se retire, ce à quoi Janine de Greenhaven répondit par une moue plus sévère encore.

«Vous tentez de fuir le champ de bataille? J'espérais pourtant en voir davantage, après vos débuts prometteurs.»

L'ombre d'un sourire flotta sur ses lèvres.

On put entendre le long soupir de Beltran, qui avait retenu sa respiration depuis l'attaque brutale de sa mère.

«Reste, Mina. Mère ne faisait que de te tester.»

Enfin, c'était ce qu'il croyait. Et ce qu'il avait redouté. Janine de Greenhaven était une dame, une grande dame même. Mais c'était surtout la matriarche du clan, et jamais elle n'aurait toléré que son fils adoré fréquente une pimbêche arrogante incapable de lui tenir tête. Janine était fermement convaincue que c'était aux femmes de prendre les reines et que les hommes étaient incapables de s'en sortir seuls.

Il savait que Mina ne manquait pas de caractère, au contraire. Il avait craint qu'elle perde ses nerfs et se mette à insulter sa mère. Ou qu'elle parte en claquant la porte. Les deux réactions auraient eu un effet désastreux sur l'opinion de Janine de Greenhaven.

« Beltran, très cher, pourrais-tu me servir de l'excellent alcool de nos cousins, dont je ne doute pas un instant qu'il se trouve en ta possession? La demoiselle apprécierait sans doute elle aussi un petit verre. Elle me semble très pâle. J'imagine que comme mon fils, vous travaillez bien trop pour votre santé? Quelle est votre affectation? J'ai cru comprendre, d'après mes sources, que vous travaillez à Haven.»

Beltran se leva avec raideur, esquissa une vague courbette et se dirigea vers le meuble où il conservait ses alcools. On entendit le tintement du cristal et le capitaine revint avec une bouteille et trois petits verres sur un plateau. Il servit religieusement dame de Greenhaven, puis Mina. Il remplit ensuite généreusement son propre verre et se rassit.

«Avez-vous fait bon voyage, Mère? Vous auriez dû me prévenir de votre arrivée, je serais venu vous chercher.»

«Et rater ton expression abasourdie à mon entrée?» Un léger sourire s'esquissa à nouveau sur ses lèvres. «J'ai voyagé en compagnie de Kyle, qui a eu la gentillesse de me servir de chaperon pendant le trajet.»

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