« Toc, toc ? »
« Moui ? » répondit mentalement Mina à l’appel de son Compagnon.
Une conversation avec Ezarell serait la bienvenue pour tuer son ennui, alors qu’elle était de corvée de couture. Elle ne s’en sortait pas trop mal, du moins mieux que les grises de haute extraction, mais cette activité était d’un ennui...
« J’ai appris quelque chose aujourd’hui... » commenca Ezarell.
« Tu as encore fait la commère avec les autres Compagnons hein. Tu ne peux pas t’en empêcher, c’est terrible ! » répondit Mina.
« Ho, et tu ne veux pas savoir ce que j’ai appris ? »
« Ca dépend... » réagit la grise.
« De quoi donc? »
« De si cela est de l’ordre du privée, auquel cas je ne veux rien savoir, tu sais que je fais peu de cas des racontars. »
« M’accuserais-tu d’être friande de potins mon élue ? » s’exclama le Compagnon.
« Allons, il n’y a guère que Fleur Arkadia qui aime autant les petits secrets que les Compagnons. Cela dit, contrairement à cette demoiselle, tu as une éthique, je pense donc que ce que tu veux me dire me concerne. »
« Ais-je donc ton attention pleine et entière ? » demanda Ezarell.
« Parfaitement. » rétorqua Irmingarde.
« Bien. Il y a une rumeur qui agite les hautes sphères du royaume. Ce n’est même pas une rumeur en fait, c’est une certitude... »
Une dizaine de seconde passèrent.
« Tu prends en plus un malin plaisir à me faire lanterner ! » ronchonna Mina.
« Oui... »
« Ezarell... » menaça la jeune femme.
« Une partie de l’armée revient à Haven, certains pour quelques jours, d’autres plus longtemps... » révéla Ezarell.
« C’est normal, il vaut bien faire tourner les troupes à un moment ou un autre. »répondit Mina.
« Certes. Cela dit, l’armée est menée... par Beltran en personne, qui sera donc à Haven pour quelques jours. »
« ... »
« Mon élue ? »
« ... »
« Toc toc ? »
***
Il ne l’avait pas prévenue. Il ne l’avait pas prévenue de son retour à Haven. Bon, en même temps, vu la constance avec laquelle elle répondait à ses lettre, on ne pouvait pas dire qu’elle pouvait jouer la fine bouche. Mais quand même !
Elle s’était sérieusement demandé si sa place était parmi le comité d’accueil. Au nom de quoi serait-elle là ? Quelle était sa raison, son excuse pour se déplacer jusqu’à la porte de Haven – alors qu’elle sortait peu de l’enceinte du Collegium, pour ainsi dire jamais ? Mais elle avait sacrément envie d’y être aussi, c’était bien le problème. Finalement, elle s’était convaincu qu’elle y allait en sa qualité d’apprenti Héraut. L’excuse en carton... Mais on ne lui avait pas posé de question. L’avantage de ne pas avoir beaucoup d’amis.
Elle ne faisait pas partie du gros du comité, s’étant excentrée un peu derrière. Il y avait là un muret à priori inutile – datant sûrement de l’époque d’Elspeth la Pacifique, quand les riches marchands construisaient tout et n’importe quoi – mais qui pour aujourd’hui avait trouvé une mission parfaite, servir de tabouret à Irmingarde.
Celle-ci s’était juchée dessus, assise, les jambes collées contre la pierre, légèrement au-dessus du sol. A sa taille, dans son étui, pendait l’épée que Beltran lui avait offerte. Ca aussi c’était ridicule. Quel besoin avait-elle de se pavaner avec une arme dont elle ne savait pas bien se servir ? Mais si on devait faire le compte des choses ridicules qui l’avaient troublé ces dernières heures...
Elle s’était, l’espace d’une seconde, demandée si elle devait fait un effort vestimentaire. Elle avait chassé cette idée en enfilant son uniforme gris, mais l’uniforme en meilleur état qu’elle possédait. Elle n’avait pas non plus travaillé sa coiffure, ses cheveux – qui avaient repoussés depuis la mission, et avaient leur longueur habituelle, c’est à dire jusqu’à ses fesses - étaient lâchés, tout bêtement.
Elle eut un doute, à un moment. Beltran lui avait promis d’essayer de nouveau de la séduire pour peu qu’elle y mette de la bonne volonté, en gros. Mais c’était juste avant de partir à la guerre. Ils n’avaient pas vraiment eu le temps de mettre ces bonnes résolutions à l’épreuve, et elle ne savait pas vraiment ce qu’elle devait faire. S’habiller mieux qu’elle ne l’était aurait-il était une chose qu’il aurait voulu, qu’il aurait décrypté comme un... signe ? Ah bon sang, mais pourquoi s’était-elle engagé dans cette galère ?!
La réponse lui vint quand elle l’aperçut enfin. Elle était venue, elle était là, parce que c’était Beltran, tout simplement.
Pour l’instant, il ne la voyait pas, et elle put l’observer en cachette tout à loisir. Il avait l’air harassé de fatigue, mais c’était bien lui, et il souriait, heureux d’être enfin rentré, même pour quelques jours. Il était là, et surtout, il était vivant.
Mina prit soudain conscience qu’il n’y avait pas eu que sa pudeur naturelle ou son orthographe déplorable qui l’avaient freiné à lui écrire plus souvent. Elle avait eu peur. Peur de s’attacher plus, et qu’il meurt. Qu’il revienne à Haven oui, mais entre quatre planches. Parce que c’était leur destin à tous les deux. Mourir, dans l’exercice de leurs fonctions.
Leurs fonctions... C’était en partie pour ça qu’elle ne se mettait pas en avant, outre sa discrétion. Il lui avait dit lui-même. C’était dangereux pour lui d’aimer. Ses ennemis deviendraient automatiquement les siens, elle serait une cible de choix. Ils ne devaient pas montrer aux autres qu’ils se tournaient autour, pour leurs propres sécurités. Puis elle observa la guérisseuse Thalyana sauter dans les bras d'un des lieutenant de Beltran, Kalaïd si sa mémoire était bonne, et elle se dit que finalement, c'était aussi bien qu'elle ne s'affiche pas ainsi. Pas qu'elle trouve ça ridicule, mais un peu trop mièvre pour elle. Les effusions, c'était pas son truc.
Elle se doutait aussi que Beltran n’aurait pas tellement de temps à lui consacrer. Elle essayait de se convaincre que ce n’était pas grave. Et ça ne l’était pas, quand on y pensait. Il était le Capitaine de la Garde, il avait un rapport à faire, des consignes à donner, la défense d’un pays à organiser, avec le Roi, les conseillers... La petite apprentie Irmingarde, elle, elle ne pesait rien face à ça, ne faisait pas le poids ! Le Héraut qu’elle était comprenait, approuvait même. La femme, c’était autre chose...
Enfin, elle était là, assise sur son muret, et elle attendait qu’il la voit. Le reste, elle aviserait. L’avenir était bien assez sombre pour y rajouter d’autres soucis !