[justify:9wjrzkb5]C'était le grand jour. Saskia ignorait si elle devait être soulagée ou terrifiée à l'idée de quitter Haven.
Soulagée... Elle n'aurait plus à subir chaque jour les missives de plus en plus empoisonnées de la part de son Baron de Père. Il ne la reniait pas, mais lui faisait bien comprendre que ce n'était qu'une question de temps. Qu'il allait dans son intérêt d'abandonner ce Compagnon dans son champ et d'aller se marier avec le premier nobliau qui voudrait bien d'elle. L'idée rendait malade la jeune fille, mais elle n'avait rien répondu. Pas encore.
Il n'empêchait qu'elle quittait la ville, l'enceinte même du mur qui entourait les beaux quartiers, pour la première fois. Saskia n'avait même jamais accompagner sa famille sur les terres du sud, qui jouxtaient les terres de Rethwellan - d'ailleurs, Tomaz DeFeriel avait réussi à reprocher à sa fille de ne pas avoir été fichue de se rapprocher correctement de l'ambassadrice et Princesse de Rethwellan... Ni d'avoir été affectée à son équipe ! Oh oui, elle avait hâte de prendre du recul vis à vis de son père...
Le soucis, c'est qu'elle quittait Arthon. Elle le laissait à Haven. Bien entendu, qu'il ne lui serait pas venu à l'esprit de demander au Prince Héritier de partir en mission, même s'il était Héraut. Saskia avait discuté avec Guerren, lui demandant si "étirer" un Lien pour la Vie était douloureux. Le Compagnon aurait haussé les épaules s'il l'avait pu, pour montrer son ignorance sur le sujet. Bref, Saskia s'attendait à être encore plus malade ces prochains jours. Entre la moitié de son âme qui était morte, il fallait maintenant qu'elle laisse derrière elle la moitié de son coeur.
C'était horrible de dire ça comme ça, mais son lot de consolation se traduisait par la présence de trois personnes. Irmingarde, d'abord, qui avait été plus ou moins sa confidente à un moment, et que Saskia voyait comme une sorte de mentor - même si l'intéressée l'ignorait... Isabeau, qui était au courant de son Lien pour la vie avec l'Héritier, et une des rares Bleue à ne pas lui faire de coups vaches à longueur de journée, avait gagné la sympathie réelle de la jeune fille. Et Beltran de Greenhaven, une personne en qui elle avait confiance, même s'il ne le savait pas. Leur première - et unique - rencontre avait été mouvementée. Il avait sans doute été le premier à discerner une personne un peu honnête sous la couverture de la Peste. Les autres...
Et bien, elle devina que le gros chien, c'était le Messire Barrn que Isabeau servait, d'une certaine manière. Elle avait vu l'apprentie mage lors des annonces, mais ne se souvint de son nom que parce qu'on l'avait appelée tout à l'heure.
Chevauchant Guerren, Saskia regardait vers l'estrade, comme si elle écoutait le discours d'Arthon. En fait, elle buvait chacune de ses paroles, mais aurait été bien incapable de répéter le moindre traitre mot. Elle gravait son visage fatigué dans sa mémoire, comme si elle craignait de l'oublier entre temps.
*Cela n'arrivera pas, Saskia.*
*Je sais, Guerren. Mais il me manque déjà tellement.*
*Ah ! Les filles et l'amour. Vous êtes trop romantiques !*
*C'est peut-être vous, les hommes, qui ne l'êtes pas assez !*
Tous les deux sourirent. Les yeux bleus de Saskia plongèrent dans le regard lointain d'Arthon, alors que la colonne commençait à bouger pour partir. La regardait-il ? Elle aurait voulu lui faire un signe, quelque chose. La présence de son père, dans l'assistance, l'en dissuada. Saskia carra les épaules, pour se donner contenance, et malgré la bile qui lui remonta dans la gorge, elle ne montra pas le moindre signe de faiblesse. Elle n'accorda d'ailleurs aux DeFeriel aucune attention. Elle avait la chair de poule, mais ignorait encore si c'était l'excitation de l'aventure à venir, ou bien la peur de l'inconnu.[/justify:9wjrzkb5]