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Une Liane en liberté

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Liane:
6ème décade d'été 1481
Fin d'après-midi

Beltran était revenu blessé du front et Liane avait repris sa place dans les appartements de sa mère qui, même si elle n'avait pas repris à temps complet, avait retrouvé sa place de Doyenne et un peu d'énergie même si on continuait à l'examiner sous toutes les coutures pour comprendre le pourquoi du comment. Et Liane, les pourquoi du comment, ça n'avait d'intérêt que si c'était elle qui posait les questions. Alors, une énième fois, elle s'était glissée hors de portée de sa nourrice et était partie à l'aventure.
Après avoir trainé du côté des Compagnons, elle se rendit compte que c'était l'endroit où on la chercherait sans doute le premier. Alors elle se glissa vers une ouverture camouflée sous des ronces et, malgré les égratignures, se glissa dans un des nombreux tunnels oubliés qu'elle avait découvert pendant ses escapades. Celui-ci n'était même pas connu de Pluiechantante, qui pourtant avait toute la confiance de la petite De Lonyth.  Le tunnel, petit pour un adulte moyen mais largement praticable malgré les décombres pour un petit bout de quatre ans, menait derrière une casemate de soldat où... il y avait un trou juste assez grand pour une fillette pliée en deux. En moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, Liane était hors du Palais-Collegia. Bien accompagnée de Lila, évidemment. Pour la première fois, elle avait osé franchir les frontières. Il y avait "dedans" et maintenant elle était enfin dans ce curieux "dehors". Alors, innocente et curieuse, elle gambada jusqu'à arriver à des rues plus encombrées. Elle dévora tout des yeux, des échoppes aux fontaines en passant par les gens, regardée de travers de temps quand un chalant s'apercevait qu'elle était seule, avant de subitement se rendre compte que le jour baissait et qu'elle n'avait aucune idée de où elle était. S'asseyant dans un recoin en serrant sa poupée Lila, presque invisible, elle se mit à pleurer silencieusement à l'extérieur, et très bruyamment à l'intérieur pour quiconque doué d'Empathie ou de Parole par l'Esprit.

* Mamaaaaan. Pluiiiiiiie... * gémissait-elle mentalement, enfin consciente qu'elle avait fait une bêtise.

[Thaliana ou Pluie?]

Thalyana:
Thalyana avait mal partout. Vraiment partout. De la racine de ses cheveux fraîchement coupés aux orteils gonflés par la grossesse. Elle commençait à se dire qu’elle devrait peut-être envisager de baisser son temps de travail jusqu’à l’accouchement. Mais comment allait-elle occuper ses journées si elle n’était pas au chevet de ses patients, ou à l’écoute des étudiants ? Elle avait bien quelques traités qu’elle aimerait avoir le temps de lire, mais elle les gardait pour plus tard. Pour les premières décades après la grossesse où elle serait contrainte de rester tranquille. Elle pourrait évidemment en profiter pour simplement ne rien faire. Mais Thalyana était incapable de rester inoccupée longtemps. Elle pouvait bien faire des confitures, des conserves et des biscuits pour leur réserve, mais Kalaïd se plaignait déjà que les placards étaient pleins et qu’il ne savait plus où ranger le pot de graisse pour ses lames.

Alors qu’elle cheminait en ville, toute à ses pensées, il lui sembla percevoir une grande détresse teintée de panique. Elle s’arrêta. La source était toute proche. Elle leva les yeux et parcourut la rue du regard. Elle ne voyait personne d’ostensiblement désespéré, et aucun enfant en pleurs. Elle baissa un peu ses boucliers (aussi fuyant qu’une passoire à cette heure du jour) pour localiser la source de ces émissions émotionnelles. Puis elle se remit en marche, totalement centrée sur ses perceptions. Elle évoluait comme une somnambule au milieu de la foule, évitant au dernier instant les collisions. Elle vira brusquement sur la droite. Là, derrière le porche surélevé. Elle se hâta autant que l’autorisait son gros ventre. Elle contourna la petite structure et...

« Liane ? »

La petite était paniquée.

« Liane ? Que fais-tu ici ? Viens... »

Elle se pencha et voulut prendre la fillette dans ses bras. Mais elle renonça bien vite. Son dos n’avait pas la force de porter un poids supplémentaire. À la place, elle se mit à genou sur le sol sale — tant pis pour la robe, elle la laverait — et serra la petite fille contre son cœur, lui transmettant beaucoup de calme et d’amour.

Liane:
Liane sentit Thalyana avant même que le son de sa voix ne résonne au-dessus d'elle. Elle connaissait et reconnaissait ce qui émanait de la Guérisseuse et de son enfant à naître. Ce n'est pas pour autant qu'elle arrêta de pleurer ou d'appeler à l'aide. Les questions de la jeune femme firent même augmenter la crise de pleurs. Une seconde - une seconde seulement - Liane envoya un signal de peur et de douleur quand Thalyana voulut la prendre dans ses bras. Mais une centième de seconde plus tard, la fillette se laissait aller dans les bras de celle qui lui envoyait des vagues de calme et d'amour.

*Je m'a perdue.* répondit mentalement la gamine avant de se rappeler que Pluiechantante et sa mère voulaient qu'elle parle à voix haute. "Lila elle voulait voir toutes les couleurs ici mais y a trop alors je sais pas où elle est, nourrice et Lila a peur de pas rentrer. Y a trop les gens ici." se plaignit l'enfant sans vergogne, zappant "accidentellement" le fait qu'elle s'était (encore) enfuie sans autorisation.

Liane se serra contre Thalyana, un peu indifférente au sort de la pauvre robe qui fut immédiatement tâchée de larmes et de morve.

"Nourrice, elle va pas être contente. Mais Maman elle dort." expliqua la demoiselle en reniflant bruyamment dans le cou de la Guérisseuse.

Dans ses poches, un objet de larcin venait aussi plaider contre la gamine. Une jolie pâtisserie sucrée "pour Pluie". Liane en avait encore plein les mains. Et quelques traces du jumeau du gâteau sur la bouche.

Thalyana:
Liane eut un mouvement de recul, émotionnel plutôt que physique, mais Thalyana la serra dans ses bras. Elle accepta cependant l’étreinte, mais cela ne mit pas fin à ses larmes. Au contraire, elle semblait maintenant oser les laisser sortir.

Thalyana n’était pas certaine de comprendre tout à fait ce que racontait la fillette. Elle assumait de Lila était la poupée qu’elle serrait dans ses bras. Mais elle ne parvenait pas à déterminer si Liane était venue en ville accompagnée de sa nourrice et qu’elle s’était perdue, ou si elle était arrivée ici toute seule. La réponse n’ayant au fond que très peu d’importance, la Guérisseuse rassura la petite fille.

« Mais si, Lila et toi vous allez rentrer. Je vais vous raccompagner, d’accord ? »

Liane se serra plus étroitement contre la robe de Thalyana et poursuivit ses explications.

« Non, elle ne sera pas contente. Mais c’est parce qu’elle aura eu peur pour toi. Et ta maman dort ? » Elle n’était pas certaine de comprendre le sens de cette phrase. « Tu veux dire qu’elle dormait quand tu es partie ? Maintenant, elle doit être réveillée et très inquiète, je pense. »

Thalyana recula un peu pour jauger la fillette. Elle avait du sucre glace autour de la bouche et sur les mains. Sans doute avait-elle eu un petit creux pendant son escapade hors du Palais et s’était-elle fait offrir une pâtisserie. Ou bien s’était-elle servie toute seule.

Elle sortit un mouchoir de sa manche et le montra à la fillette. Puis elle lui essuya tendrement le visage et les joues.

« Voilà, c’est mieux. » Elle sourit Liane. « Alors, on y va. On ne va pas rester cachée derrière ce porche toute la soirée, non ? »

Liane:
Liane avait l'habitude de devoir tout expliquer à qui n'était pas Pluiechantante. Mais face à Thalyana, Empathe et enceinte, son instinct lui avait soufflé qu'il n'y avait pas autant besoin d'explications que face à un aveugle mental. C'était sans doute pourquoi elle préféra transmettre sa peur et ses angoisses sans un mot et expliqua la situation en très peu de phrases. Serrée contre la jeune Guérisseuse, elle voulait croire que tout allait s'arranger, totalement inconsciente qu'elle s'était mise elle-même dans cette situation.

"Oui." renifla l'enfant après que Thalyana eut promis de les ramener, mais elle préféra prévenir sa sauveuse. "Ma maman elle dort beaucoup depuis que Pluie l'a fait arrêter d'être bizarre. Elle dort beaucoup beaucoup, mais des fois elle dort à la Maison de Guérison, et des fois dans sa chambre."

Serrant Lila contre elle, Liane se laissa examiner. Elle n'était pas blessée, juste effrayée et perdue. Et un peu barbouillée. Elle se laissa débarbouiller sans protester, tendant son petit visage vers le mouchoir, puis elle acquiesça et se leva péniblement en ajoutant, innocemment:

"Y avait un monsieur avant moi, il était caché là, et il était très méchant et très noir. Après il est parti et je m'ai caché ici parce que si les méchants se cachent ici,  les gentils peuvent être bien cachés aussi. Mais le méchant il aime pas les Blancs alors je m'ai caché que quand il était pu là."

Elle secoua doucement Lila:

"Lila elle aime les Blancs, elle, tu sais. Et Adrian et moi on sera des Blancs bientôt. Quand on sera mariés. Ton bébé il vient bientôt avec nous?"

Liane remit une main poisseuse dans sa poche:

"Je voulais ramener ça pour Pluie, mais tu veux, toi?" offrit-elle généreusement à sa sauveuse en sortant le beignet ramolli.

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