Thalyana haussa les sourcils. Elle était quelque peu surprise par la tournure que prenaient les événements. Elle s'attendait à un sermon, peut-être des remontrances. Le Guérisseur avait l'air tellement sévère!
Et elle ne voyait ce qu'il pouvait y avoir de plus important que de soigner un enfant.
"Je.. je viens d'un petit village, vraiment petit vous voyez? Il se trouve au sud-est de Haven, perdu dans un petit bois. Le genre d'endroit que les Guérisseurs ne visitent que rarement... Ce n'est pas une critique!" se défendit-elle.
"Nous avons un soigneur local, un rebouteux. "
Le dernier mot était dit sur le ton de la question.
"Enfin, bref. Je ne tenais pas en place. J'adorais apprendre à me battre avec mon père, mes cousins et les autres garçons du village, mais... il est rapidement devenu évident que malgré tout ma volonté, je ne pourrais jamais compenser ma plus faible de musculature, et surtout ma carrure. Un poulet de course, comme dirait mon père. "
Elle rit à ce surnom ridicule. Son visage s'illumina et un air serein s'installa sur son visage. Aussi, elle releva la tête, et regarda enfin le Guérisseur droit dans les yeux. Elle s''excusa d'un petit mouvement de tête pour cette digression bien peu intéressante.
" Et ma mère ne me supportait pas, enfermée avec les autres femmes, à coudre, tisser, filer... Je ne tiens pas bien longtemps sans rien faire d' intéressant. " Elle insista sur ce mot.
" Alors l'Ancien m'a pris en pitié, et a sans doute reconnu que je n'étais pas faite pour ce genre de travaux. Il m'a laissé l'aider, le suivre, apprendre par l'observation. Tout ça sans me reconnaître officiellement comme son apprentie..."
Elle remua le bout du nez. Elle était concentrée, plongée dans ses souvenirs.
" Et puis, un des bûcherons du village s'est blessé. Par la faute des deux petits crétins du village. Il s'apprêtait à fendre une belle bûche, et ils l'ont pris par surprise, poussant des hurlements ridicules. Malheureusement, le bûcheron ne les avait pas vu arriver... Il a raté sa bûche, et s'en entaillé la jambe jusqu'à l'os. J'étais là, à quelques mètres de lui, quand c'est arrivé.
Il y avait beaucoup de sang, de cris, et l'Ancien n'arrivait pas. Alors j'ai pris en main les choses. Je n'avais aucune idée de ce que je faisais, en fait. Seulement, tous ces gens paniqués, ça me prenait à la gorge. Je devais agir! Alors, j'ai demandé de l'eau brûlante, j'ai ramassé une bouteille de notre alcool local, et j'ai sorti le matériel de couture que je transportais avec moi. Oui, il m'arrivait souvent d'aider l'Ancien en reprisant ses vêtements.
J'ai lavé la jambe, j'ai versé l'alcool. Heureusement pour lui, la douleur l'a assommé. J'ai pris mon aiguille... et... voilà.
A la fin, j'étais couverte de sang, exténuée, mais le bûcheron, lui, s'en tirerait. Enfin, c'est ce que m'a assuré l'Ancien qui était arrivé alors que je recousais encore la jambe... Et il a eu raison. De tout cet incident, il ne reste plus qu'une belle cicatrice...
Du coup, l'Ancien m'a pris sous son aile, et m'a enseigné ses connaissances. Je connais tous les remèdes possibles contre le gueule de bois, les douleurs "Féminines", les ventres douloureux... Rien de plus, mais lui trouvait ça suffisant. Moi pas.
Mais j'ai utilisé toutes mes connaissances aussi souvent que possible. Je dois avouer que les chèvres et les bœufs sont devenus ma grand spécialité."
Elle fut prise d'un fou rire, et ne se reprit que difficilement.
" bah oui... eux aussi, ils ont mal parfois. Et ils sont moins bruyants que les humains."
Elle accentua le mot "bruyant", comme si ce mot revêtait un sens particulier pour elle.
" J'ai soigné bien d'autres blessures, mais principalement des brûlures, des entailles, quelques fractures simples, et beaucoup de gros rhumes. La plus grave... ça dépend... humaine ou animale?"
Elle n'attendit pas la réponse.
"Humaine, j'imagine... je crois que c'était un accouchement... L'enfant se présentait par le siège. Il a carrément déchiré sa mère... On l'a sauvée, mais elle n'aura plus jamais d'enfant..."
Elle eut l'air désolée.
" Quant à des facilités... je ne crois pas être empathe... ou alors, vraiment faiblement!"
Elle rit joyeusement.
" Par contre, j'ai plutôt une difficulté. Trop de personnes en un lieu, et je deviens folle, ma gorge se serre, et j'ai l'impression d'étouffer... Enfin, c'est surtout quand il se passe quelque chose de spécial, genre un accident, une tempête, une fête particulièrement débridée... Là, je me sens vraiment oppressée, comme si... hum... comme si on tentait de me prendre d'assaut, de me faire disparaître..."
Elle resta silencieuse un moment, puis fronça les sourcils.
" C'est de l'empathie ça? Non... L'empathie, c'est sentir les émotions des gens, non? Moi, on m'a toujours dit que j'étais un peu... hum... comment dit-on? Vous savez, la peur des espaces clos..."
Elle sourit au Guérisseur.
" Ah, oui. Pour finir, quand l'Ancien est mort, j'ai décidé de partir du village, et d'essayer de devenir une vraie Guérisseuse!"