— Fleur —
Pluiechantante avait totalement oublié qu’en complimentant la jeune femme sur sa coiffure, elle s’adressait à la mauvaise personne. Elle était tellement peu habituée au fait que les nobles employaient des domestiques qu’elle l’oubliait constamment. Elle-même n’aurait pas apprécié de vivre sous le regard inquiet de gens dévoués à son bien-être. Elle supportait déjà très mal l’attention constante dont Solys entourait sa maîtresse, alors en être elle-même l’objet... brrr, elle en frissonnait rien que d’y penser.
Heureusement, Fleur de Trevale sembla estimer que d’avoir une femme de chambre compétente justifiait qu’elle s’approprie les compliments qui aurait dû être destiné à la brave femme. Elle semblait ravie d’avoir été complimentée.
Le sujet de Liane semblait l’intéresser particulièrement ; la petite était devenue “célèbre” depuis qu’elle avait été l’objet d’un “combat à mort” entre deux femmes. Ce n’était donc pas très étonnant.
« Très curieuse, et pas très obéissante... »Pluiechantante était presque rassurée d’apprendre que la noble ne cherchait pas de nourrice. Elle semblait quand même jeune pour avoir un enfant. Non que le corps ne soit pas prêt, mais c’était dommage de faire des enfants si jeunes quand on pouvait avoir le choix.
« Je comprends. Après les enfants, les jolies robes, c’est plus difficile à porter. Et on peut moins s’amuser, n’est-ce pas ? » commenta-t-elle sur ton très doux.
Même si la jeune femme était sans doute une incorrigible curieuse, Pluiechantante ne pouvait s’empêcher d’être gentille. Après tout, Fleur avait répondu très honnêtement à une question qu’elle aurait pu se contenter d’éluder. Cela la rendait plus sympathique.
Quant à sa manière d’éduquer, elle était, en effet, très différente de celle des nourrices ordinaires. Mais Liane n’était pas ordinaire non plus.
« Le souhait des parents ? Oh, je sais pas. C’est Liane qui a choisi, oui. C’était surtout que ça devait être fait. Liane a une nourrice, une nourrice d’ici. Moi, je m’occupe pas des bonnes manières, des leçons él... élémentaires. Je m’occupe de l’éthique. Je lui ouvre l’esprit aussi. Je... » Elle ne pouvait pas parler de l’entier de ses attributions.
« Je suis plus une grande sœur, une gentille tante. Celle à qui on dit ce qu’on dit pas à sa maman. »Elle sourit à son tour à la jeune femme.
« Pas d’enfant, mais très intéressée par les enfants ? »⁂
— Owen de Trevale —
Kyle était rassuré d’apprendre que ce serait l’épouse de sieur de Trevale, et non pas lui-même qui dirigerait la négociation. Certes, il ne ressentait aucune honte à l’idée d’escroquer un peu un abruti comme Owen de Trevale. Il en avait les moyens après tout. Mais n’avoir aucun répondant gâchait quand même un peu le plaisir de la négociation. Et malgré tout, Kyle Greenfield avait un certain sens de l’honneur. Très biaisé et arrangeant, mais suffisamment présent pour se sentir un peu coupable de voler un imbécile.
« Je comprends. Son charme et sa beauté doivent déstabiliser bien des négociateurs. »Et sans doute décevoir bien des marchands qui avaient espéré traiter avec Owen.
L’arrivée de sieur Ashkevron fit totalement perdre pied au jeune noble. Pourtant celui-ci se montra extrêmement poli et s’intéressa à la jeune épouse de Owen. La phobie de noble était-elle si grande que de converser avec un éleveur lui était impossible ? Mais... il faudrait le soigner, le pauvre homme. Sans doute un guérisseur de l’esprit pourrait-il quelque chose pour lui.
Kyle, partagé entre amusement et pitié, hésitait entre venir en aide au jeune noble ou le laisser s’enfoncer. Finalement, il avisa dame de Vilier, une veuve imposante qui se dirigeait vers eux. La sachant en froid avec sieur Ashkevron, il accrocha son regard et lui fit un beau sourire. Celle-ci s’approcha alors.
« Sieur Greenfield, sieur Ashkevron... » une légère grimace de dégoût retroussa ses lèvres.
« Et... »« Sieur de Trevale, l’héritier du domaine. »« Sieur de Trevale... » Elle lui tendit sa main.
Le sieur Ashkevron s’inclina à peine avant de prendre congé.
« Kyle, je passerai rendre visite à votre père comme convenu. Je vous souhaite une bonne soirée. »Ravie du départ de son vieil opposant, dame de Vilier afficha un large sourire avant de s’adresser à Owen, sur un ton de confidence.
« Enfin, il est parti ! Il est aussi amoureux de ses chevaux que les Hérauts des leurs. C’est un ridicule ! »⁂
— Joshua —
Pierrelune trouvait ce bal tout à fait exotique. Certes, les atours des convives n’étaient peut-être pas aussi flamboyants qu’ils auraient pu l’être, mais certaines robes étaient positivement fantasques, avec leur énorme jupon bouffant, qui autorisait à peine leur propriétaire à passer les portes. Elle-même portait une robe aérienne faite d’un tissu irisé blanc argenté aux reflets bleu clair. Des plumes blanches et des petits cabochons de pierre de lune étaient cousus autour du décolleté. Elle portait aux oreilles deux belles pierres de lune taillées en goutte et ses cheveux étaient parés de fil irisé bleu clair. Elle était, en clair, la parfaite incarnation de son nom.
Une fois passé le moment d’émerveillement, elle avait cherché des visages connus dans la foule. Elle avait fini par repérer l’amie de son élève dans un coin, puis Arbretempête un peu plus loin. Elle s’engagea dans leur direction, prenant garde à ne pas s’accrocher aux multiples boutons et ornements des convives qu’elle dépassait.
Soudain, ce fut la collision. Elle avait été percutée sur sa gauche par un homme très élégant qui tenait plusieurs verres. Leur contenu s’étalait maintenant sur les vêtements de Pierrelune. L’homme s’excusa et lui tendit son mouchoir. Pierrelune sourit et refusa.
« Ça devrait aller sans, merci. »Heureusement pour elle, le tissu dont son vêtement était fait, une soie sauvage très fine, était tissé si serré qu’il n’absorbait pas facilement l’eau. La majeure partie du liquide s’écoulait le long des plis et la mage n’eut qu’à secouer son vêtement pour qu’il ne reste presque aucune trace de l’accident.
Les vêtements du noble, en revanche, n’avaient pas bénéficié du savoir-faire hertasi et étaient totalement imbibés.
« Je suis désolée aussi. J’étais pressée de rejoindre Arbretempête et je ne vous ai pas vu. Je n’ai pas l’habitude de ces fêtes dans des espaces clos. Cela rend les déplacements bien plus complexes. » Son ton sévère était à peine démenti par le demi-sourire qui retroussait ses lèvres.
« Je suis Pierrelune K’Sheya. Et vous ? » Elle tendit la main.
⁂
— Lucinda —
Keldran était le sujet de plainte préféré de Lynn. Et probablement aussi de la majeure partie des pères de la ville. Mais malgré tout, elle l’aimait bien. Il était compétent, et même son caractère difficile ne suffisait pas à le rendre antipathique.
« Oui... en même temps, il reste rarement longtemps à Haven. Il est insupportable quand il n’est pas occupé. »Ce qui était l’exacte vérité.
Lucinda s’expliqua plutôt longuement sur son futur mariage et sur son fiancé. Sans doute avait-elle besoin de parler. En l’écoutant, Lynn réalisa la chance qu’elle avait d’être une roturière. Elle pouvait s’envoyer en l’air avec qui elle voulait, se marier ou non, et porter des enfants ou non.
« Oh, le problème n’est pas tant le mariage par convenance, ma chérie. Mais le fait que tu aies décidé, malgré les herbes et ce qu’on vous a appris, de garder ta virginité comme si elle avait quelque chose de précieux. Que tu décides de te marier selon ton rang, tu ne seras pas la première à le faire. » Elle sourit.
« Mais je suis contente de voir qu’il semble te convenir. Personnellement, je le trouve très beau, mais... » Elle eut un sourire un peu carnassier.
« Je pense qu’il n’est pas assez ardent pour moi. Après, tu me détromperas peut-être. » Elle lui fit un clin d’œil.
En bonne barde, Lynn observait toujours d’un œil la salle. Elle repérait les groupes qui se formaient, et notait dans un coin de sa tête qui avait parlé avec qui. Elle avisa dame de Vilier, qui avait chassé sieur Ashkevron et qui s’attachait maintenant à séduire le jeune de Trevale. Elle repéra aussi dans un coin le couple de Charrière en grande conversation avec sieur de Westmark. Ce rassemblement-là l’inquiétait particulièrement. Elle avisa les parents de Lucinda à quelques pas à peine derrière le couple de Charrière.
« Dis-moi, si par hasard tu vas discuter avec tes parents, pourrais-tu s’il te plaît en profiter pour glisser une oreille vers le trio qui discute non loin d’eux ? Je ne sais pas ce qu’ils manigancent, ceux-là, mais je n’aime pas leur air. »