Irmigarde avait pendant plus d'une heure parcouru de long en large le champs des Compagnons sur le dos d'Ezarell. A pleine vitesse. Ce qui était extrêmement rapide pour le commun des habitants de Haven.
Finalement, elles étaient revenues dans la stalle du Compagnon où la jeune femme s'était laissé glisser lamentablement du dos de la créature, grimaçant en sentant les courbatures poindre le bout de leur nez. Mais c'était un mal pour un bien, car elle n'avait pensé à rien, enfin, juste au plaisir de la course, où elle avait déchargé sa colère et sa rage, et surtout pas à ce qu'il s'était passé avec Beltran.
Pour continuer à se vider sainement la tête, elle entreprit d'étriller et bouchonner son Compagnon avec ardeur, mais douceur, pendant une bonne heure encore. En sortant de cette séance, Ezarell avait rarement était aussi propre. Immaculée, la crinière et la queue peignées avec soin, "l'animal" avait pris grand plaisir sous les caresses et les soins.
Mina, en plus d'avoir les cheveux emmêlés et les mains sales, était maintenant couverte d'une fine pellicule de sueur due à l'effort et commença à chercher autre chose à faire pour s'occuper, n'importe quoi. N'y avait-il pas un poulinnage à surveiller? Une corvée quelconque à faire?
Ezarell ne lui laissa pas le choix d'y songer plus et frotta ses naseaux contre sa joue, en un geste de réconfort qui fit craquer les fragiles barrières de sa liée. La jeune femme se laissa tomber dans la paille, les brins jaunes se collant à sa peau luisante et dans sa chevelure, et éclata en sanglot.
Elle découvrait le pouvoir des images subliminales. Sur le moment, tout à son étonnement, sa colère, elle n'avait pas fait attention à certaines choses, maintenant, le visage du Capitaine lui revint en mémoire, quand il sortait de la pièce, un visage blessé alors qu'il lui avait dit qu'il l'aimait.
Ses mots là aussi revenaient sans cesse résonner dans son crâne. Sa voix brisé. Son "moi je t'aime" prononcé avec tant de violence et d'ardeur, criant de vérité. Et elle se souvenait avec une étonnante clarté de la suite de son discours, de l'éloge qu'il avait fait d'elle, et se dit que ça avait du être terriblement difficile pour lui d'admettre ça, qu'il devait se sentir acculé pour ne pas avoir d'autres échappatoire.
Il avait du croire qu'elle le dédaignait en se taisant, pire, qu'elle méprisait ses sentiments!
Mina enfoui son visage entre ses genoux qu'elle avait ramené vers elle et grogna à l'adresse d'Ezarell à voix haute - qui aurait pu l'entendre de toute façon?
"Je suis abominable..."
Elle se sentait misérable d'avoir fait souffrir un tel homme. Oh, elle était toujours en colère de ce qu'il avait osé lui dire, osé insinuer sur sa personne, sur ses manières, mais elle n'était pas cruelle au point de penser que c'était une juste punition. Dans les Holds, c'était extrêmement rare, mais il arrivait que deux personnes tombent amoureuses, des adolescents en général. Et à tous les coups, on les mariait à d'autres personne, parce que l'amour ne rentrait pas en compte dans ce genre de négociations, et une fois, Mina avait du consoler le chagrin d'amour d'une de ses demi-soeurs qui n'avait trouvé qu'elle pour épancher son cœur blessé - preuve de sa douleur au point d'aller la trouver elle - et elle en avait mesuré la puissance.
Son Compagnon, qui était resté silencieuse, se permit d'avancer:
"N'est-ce pas ce que tu vis en ce moment? Un chagrin d'amour?"
Mina releva brusquement la tête, incrédule.
"Ca voudrait dire que je l'aime. Et je ne suis pas amoureuse de Beltran! Je l'aime... bien..."
"Qu'est-ce que tu en sais? Tu ne connais pas l'amour, tu viens à peine de le découvrir dans les yeux d'un homme!"
"Toi je t'aime! D'ailleurs, tu me suffis amplement. Juste toi dans ma vie, ça me convient!"
"Pfft, je ne suis pas égoïste et exclusive au point de te refuser d'être amoureuse. Je laisse peu de place, par ma nature, ma présence, à ce genre de chose, mais c'est tellement important, la tendresse, l'amour dans une vie! Je ne peut pas te donner ça moi, notre relation est totalement différente que peut l'être une histoire de cœur! Allons, tu te mens à toi-même! Je ne te suffit plus sur tous les plans maintenant que tu as saisis toutes les possibilités d'une vie de femme!"
La jeune femme réfléchit à ses paroles. Ezarell voulait vraiment lui faire comprendre à quel point elle voulait que son élue s’épanouisse de toutes les façons possible. Elle n'avait pas tort. Le peu qu'avait goûté Mina du sentiment amoureux, et pas le sien, lui laissait un souvenir marquant. Se sentir si importante et si belle dans les yeux d'un autre... Aussi vitale et prenante soit sa relation avec son Compagnon, saurait-elle à présent se passer de cette admiration qu'elle avait toujours fuit?
"Mais pourquoi je ne me renferme pas dans ma peur, comme avant?"
C'est vrai, c'était bien la peur après tout. Elle connaissait, y retrouvait ses marques!
"Parce que tu t'es imaginé toi même en couple avec Beltran, si peu de temps que ce fut, tu a accepté la possibilité de partager ton intimité avec un autre."
"Intimité? Comme tu y vas!"
"A ton âge ma liée, ce serait difficile de circoncire une relation à la seule tendresse. Quelque soient les épreuves que tu as traversé, c'est loin, à présent."
Irmingarde rougit quand des images se formèrent dans son esprit, pas explicite, à cause de son ignorance, mais avec plus de netteté sensitive, parce que cela aurait pu être possible, parce que Beltran l'avait surement désiré en la regardant. Cette idée la fit se trémousser et lui noua le bas ventre.
Mais cela ne dura pas longtemps. La colère refit surface.
"Tu te rends compte de ce qu'il m'a dit?!"
"Et toi, te rends-tu comptes de ce que tu lui a dit?"
"Tu prends sa défense?!"
"Je te force à réfléchir."
Mina bouda quelques secondes puis:
"Il n'avait pas à dire ça!"
"En effet, et toi non plus. Un peu de diplomatie ne fait pas de mal!"
"Mais..."
"Il y a beaucoup de violence en toi mon élue. Ca fait partie de toi, et surtout de ton don explosif. Je le savais en faisant de toi mon élue, je t'ai choisi en partie pour ça. Et il y en a beaucoup en lui, même s'il le cache. Vous vous ressemblez sur ce point, c'est pour ça que c'est si... ardent entre vous."
"Tu as d'autres leçons comme ça à me donner?"
"Es-tu prête à les entendre?"
"Entendre quoi? Tout ce que tu m'a caché avec plaisir alors que je te demandais pourquoi?"
"Parfaitement."
Irmingarde était vexée. Mais elle avait en même temps très envie de connaître le point de vue de son Compagnon, la signification de tous ses rires moqueurs lors de ses rencontres avec Beltran.
Son silence faisant office d'acceptation, Ezarell commença:
"Je sais depuis longtemps, que tu plais au Capitaine. J''ai vu très vite que le regard qu'il posait sur toi avait changé. Toi tu n'as rien vu, mais c'est normal, comme tu lui a dit, tu n'y connais rien, tu ne te rends pas compte du pouvoir que tu peux avoir sur les hommes, en particulier sur Beltran."
"Ais-je vraiment été..." elle cracha le mot avec dégoût "aguichante avec lui? Sans m'en rendre compte?"
Rien que l'idée l'ennuyait au plus haut point. Être vulgaire sans le savoir, un supplice!
"Aguichante, certes pas mon élue. Enfin, ton esprit non, mais ton innocence oui, et ton corps aussi."
"Je ne te suis pas..."
"C'est pourtant simple. Dans ta tête, tu ne le provoquais pas, pas plus que tu n'essayais de le séduire. Mais ta timidité, ta gêne avec tout ce qui touche... et bien à l'amour et au sexe, c'est, enfin je crois, une belle couverture mutine que se donne certaines femmes qui cherchent à plaire aux hommes, et Beltran a du en connaître des comme ça!"
"Mais il me connait moi! Il aurait du savoir que ce n'était pas mon genre!"
"Oh, je crois qu'il le sait! Mais d'abord, ses mots ont dépassé sa pensée, et puis finalement, je pense qu'il a voulu y croire parce qu'il en mourrait d'envie!"
"Bien, alors c'est un idiot. Mais je ne vois pas ce que mon corps peut avoir à faire dans cette histoire."
"Ce que je veux dire, c'est que psychologiquement, tu n'étais pas encore prête à envisage une relation avec un homme, et avec Beltran. Mais tu as un corps de femme. Tu ne le connais pas, tu ne sais pas interpréter les signes, mais il parle à ta place parfois, et le Capitaine sait parfaitement comprendre ce genre de message!"
Mina était mortifiée! Son propre corps la trahissant. Improbable!
"Comment tu sais tout ça toi?"
"J'observe les humains depuis longtemps. J'ai compris certains mécanismes, crois-moi!'
"..."
"Tu es encore fâché contre lui?"
"OUI!"
Le Compagnon eut un soupir mental éloquent.
"Qu'est-ce que je dois faire 'Za? Je ne sais pas quoi faire. Je lui en veux, et il ne veut plus me voir, mais ça ne je veux pas!"
"Pour ça, réfléchit seule et tire tes propres conclusions!"
"Tu recommences tes cachoteries!"
"Je ne te cache rien mon élue. Je n'ai pas à influencer tes choix, c'est à toi de le faire, et si je suis fine psychologue sur les évènement passés et l'interprétation, pour le reste, je ne veux pas faire des suppositions hasardeuses, je crois qu'il vaudrait mieux que tu demandes conseil à une femme, une amie, si tu ne sais pas..."
Réfléchir seule hein?
Mina enfouit son visage jusqu'en dessous des yeux dans ses bras croisés sur ses jambes et se remit à sangloter bruyamment, et en reniflant. Très distingué!
Elle ne savait même pas avec certitude pourquoi elle pleurait!
[Isa, si tu veux bien te donner la peine!]