« Oui, avec des armes. Mais ça commence à devenir difficile. Et je ne suis pas têtue au point de vouloir continuer à tout prix. Mon ventre me gêne maintenant. » Elle haussa les épaules. « Heureusement, je peux au moins me baigner. »
Elle soupira. Elle n’avait pas du tout envie d’avoir une multitude d’oncles et de grands-pères adoptifs pour sa fille. Un seul lui semblait déjà suffisant. Mais elle n’avait pas le choix, et prenait la situation avec amusement.
« Ça, vous pouvez le dire. Et quand elle sera grande, ma fille aura de nombreux chaperons pour veiller à sa vertu. » Elle avait tenu le même discours, presque mot pour mot, à Beltran. Et depuis, tous les soldats s’étaient en tête de confirmer ses dires. Amalia avait au moins une dizaine de parrains autoproclamés, et bien plus de protecteurs. Pourtant, nombre de ces hommes avaient leur propre famille. Mais ils se sentaient tenus, par loyauté pour leur officier, de protéger sa compagne et sa future fille. À leurs yeux, sans doute, elle faisait partie du “Kalaïd”. « Et la petite Liane a déjà décidé qu’elle aimait beaucoup ma fille. Elle vient souvent nous dire bonjour et chanter pour nous. Elle est si mignonne. Et elle aime tellement faire courir son père. »
Elle trouvait amusant l’aveu de Fleur quant à l’éducation des enfants. Elle non plus n’avait aucune idée de comment on s’occupait d’un nouveau-né. Certes, elle en avait mis en monde, elle avait vu des femmes avec leur bébé, mais elle-même ne s’était jamais occupée d’un nourrisson.
« Oui... au moins, nous avons l’avantage d’avoir gardé nos cousins ou surveillé nos neveux. Tandis que parmi la noblesse, un enfant n’est présenté au monde que lorsqu’il est déjà capable de se tenir. »
Le Lien était source de fascination pour de nombreuses personnes. Et surtout source d’envie. Ils ne voyaient que les aspects positifs du Lien, l’amour exclusif et éternel entre deux êtres. Ils ne réalisaient pas les souffrances qu’engendrait cette relation si extrême. Ni qu’un Lié qui meurt emporte l’autre dans la tombe, bien souvent. Mais Thalyana avait trop bon cœur pour détromper ainsi la jeune fille.
« Oui, c’est romantique à imaginer... »
Thalyana avait parlé en toute innocence de la profession de Pluiechantante. Aussi ne comprit-elle pas tout de suite la réaction choquée de Fleur. Puis la compréhension et le rouge aux joues lui vinrent simultanément.
« Oh Dieux... » Elle était maintenant totalement écarlate. « C’est ça que vous imaginez qu’elle fait ? Pas étonnant que vous soyez choquée ! Non... enfin. » Elle se mordit la langue, cherchant comment expliquer. « Un Kestra’chern, c’est... c’est une oreille attentive avant tout et une main consolatrice. C’est le confident à qui l’on raconte ses tourments, ses chagrins, mais aussi, ses colères, ses peurs. C’est quelqu’un qui peut consoler, mais aussi conseiller. S’ils massent, c’est parce que souvent, les gens ont besoin d’attention, et qu’ils se confient mieux une fois détendus. Mais souvent, le massage n’est qu’une toute petite part du travail, et avec les patients réguliers, il n’est plus toujours nécessaire. Ce... ce à quoi vous faites allusion, cela arrive bien sûr. Quand le Kestra’chern estime que... enfin... que c’est ce qui guérira le mieux le patient. Mais comprenez bien que c’est plus rare qu’on le dit. C’est en tout cas ce que Pluiechantante m’a expliqué. Je pensais un peu comme vous, au début, je dois dire. J’étais vexée qu’on fasse appel à elle plutôt qu’à un vrai Guérisseur. Mais... en fait... Comment expliquer ? Le Guérisseur soigne le corps. Le Guérisseur de l’Esprit s’occupe de l’esprit, du psychisme. Le Prêtre soigne l’âme. Le Kestra’chern soigne ce qu’il reste : la fierté, le cœur, l’honneur... Vous comprenez ? Alors oui, parfois, j’aimerais avoir le temps de soigner le cœur de mes patients, plutôt que simplement leur esprit... »
Pluiechantante semblait fasciner Fleur. Cela n’étonna guère Thalyana. Elle aussi, quand elle avait entendu parler de cette profession si étrange, en arrivant à Haven, elle s’était étonnée. Puis, Pluiechantante était arrivée. Contrairement aux autres Kestra’cherns de Haven, elle pratiquait au grand jour, et ne faisait montre d’aucune discrétion quant à son activité. Et Thalyana avait fini par la rencontrer, et discuter. Et elle avait réalisé la véritable nature du travail des Kestra’cherns.
L’aventure avec Riannon avait encore augmenté l’attrait de Pluiechantante. Thalyana connaissait la vérité, et elle écoutait avec consternation les ragots qui circulaient à propos de cette triste affaire. Elle soupira.
« Oui... mais ça je crois que la rumeur le dit, non ? Je ne peux vous en dire davantage, car je suis tenue au secret. Sachez simplement que la vérité est très différente de ce qui se raconte dans les couloirs. Si vraiment elle vous intéresse, je vous recommanderais simplement d’aller lui parler directement. »