Ce bon vieux Fitz. Au réveil, Eoghan s'était surpris à sourire en le voyant et il s'installa naturellement à la table à ses côtés, répondant à sa joute. C'était un sourire espiègle et malicieux comme il en avait l'habitude. Il ne l'avait juste pas encore montré aux autres depuis leur départ de Haven.
_ Je les préfère avec moins de poils aux pattes ! Et sans cheveux au menton !
Il sourit un peu plus à Fitz, se sentant toujours faible mais mieux, un vrai soulagement. Il se sentait étrange d'une certaine manière. Si Loelia s'était pensée inutile durant presque toute la mission, il songeait à la même chose. Quand on y regardait, il se sentait lourd, comme un poids, un fardeau pour ses compagnons. D'abord à cause de son humeur morose et grotesque, ensuite par ses migraines et enfin par cette blessure. Eoghan aimait attirer l'attention, mais pas en passant pour un geignard. Quoiqu'il en soi, il espérait que ces derniers jours sombres étaient derrière lui à présent et que rentrer à Haven rendrait tout l'ordre normal des choses. Il enverrait un message à ses parents et peut-être aurait-il l'autorisation d'aller passer quelques jours chez eux ? Ou eux l'autorisation de venir passer quelques jours chez lui. Il avait tant de choses à leur raconter. Un coude en appui, il écouta attentivement le plan de Rohan et Fitz, baissant les yeux au fait que le mercenaire avait besoin de lui frais et dispo. Il pouvait blaguer, rire mais il se sentait encore tellement fatigué… Pourtant, il ne dit rien. Par fierté peut-être ? Orgueil ? Par imprudence ? Il se sentait capable de le faire, il ne savait juste pas encore vraiment comment. De plus, se retrouver avec Ashun l'enchantait, il avait tant de questions à lui poser. Aussi, Eoghan acquiesça simplement, sa mine reprenant sa morosité habituelle et il porta sa chopine encore fumante à ses lèvres.
_ Je peux supporter le voyage !
Il releva le nez et observa tout le monde alentour. Hey, ce n'était pas comme s'il était encore allongé dans sa couche, inerte. Et il se montra ! En protestant ! Comme d'habitude. Tout allait sûrement mieux, alors. Puis quand Loelia parla, il haussa les sourcils et la désigna d'un geste de la main.
_ Vous avez entendu la dame ? Personne part sans rien n'avoir mangé. Et on est pas affamé… Nous sommes des estomacs vaillants et… Nous requerrons énormément de ressources pour entretenir nos forces. Sinon, comment pourrions-nous combattre les maux qui nous rongent.
Il montra son bras.
_ Tout ça, c'est parce que je mange à ma faim, ma jeune amie ! Bien manger, c'est la clé de la guérison. Et de plus, je ne connais rien de plus satisfaisant à l'estomac, n'est-ce pas Fitz ?
Il haussa les sourcils en regardant son ami puis Rohan, assurément que ces deux-là avaient de quoi acquiescer ! L'arrivée de Nyaeve lui fit bizarre, il ne l'avait pas beaucoup vue ces dernières heures. Il lui offrit un léger sourire, content de la voir en forme avant de lui passer une bonne assiette de bacon grillé. Très certainement aurait-elle besoin de reprendre des forces, tout comme lui.
***
Rendus dans les chariots, Eoghan était pressé. De retrouver Haven, sa chambre, de rentrer, de revoir Elbereth. Il espérait qu'elle allait bien et en même temps, il en était persuadé. Ne pouvait-elle aller autrement, après tout ? Il aurait aimé s'occuper du traitre avec Fitz et Rohan, il aurait aimé lui poser ses questions et l'assommer des fois qu'il résiste. Tout comme Fitz, Eoghan était un peu frustré de n'avoir pas pu faire plus qu'il n'avait fait à part être ce poids pour les autres. Et il l'était toujours, par ailleurs. Il détestait ça, d'ailleurs. Malgré sa fatigue, Eoghan s'affaira autour des chariots, entreposant leurs affaires et tout ce petit monde. Il aida Enju à s'installer et Nyaeve à monter ainsi que Maya pour qui il ressentait une affection particulière, chose qu'il n'avait pas ressentie du tout lors de leur départ. Mais les choses avaient changé. Il avait changé. Une fois le chariot plein et prêt à partir, Eoghan se laissa tomber sur son siège dans un profond soupir et sa tête roula contre la paroi, se laissant battre par les mouvements des chevaux. Sa jument, par ailleurs, elle au moins allait bien.
Une fois le départ bien annoncé, Eoghan ressentit alors toute la fatigue et la flemme de supporter un tel voyage de retour. Aussi redevint-il grognon, la hâte de rentrer ne le rendait pas bien aimable. Il observa Enju et Ashun parler entre eux, captivé autant par leurs voix que par leurs dires. Il laissa même Maya dormir contre lui si elle le voulait et il vérifiait fréquemment que le reste du chariot se portait bien. "Ils sont sous ta responsabilité" avait dit Fitz. Et pour lui, ces mots signifiaient beaucoup. Mais quand personne ne faisait attention à lui, c'était Nyaeve qu'il observait attentivement. Il arrivait à la jeune mage de lui envoyer quelques sourires, timides jugea-t-il (et si c'est pas le cas, corrige moi Nyaeve
) ce qui lui fit froncer les sourcils de curiosité. De tous les mages de Haven, elle était sûrement celle dont il était le moins proche. Mais aujourd'hui, c'était comme si… Ils se voyaient l'un l'autre, aveugles jusqu'ici. Cette pensée lui fit quelque peu bizarre et finalement, il lui rendit ses sourires bien que sa migraine et sa fatigue l'accablaient. Nyaeve ne se sentait pas responsable de ce qui lui était arrivé, tout de même... Il tentait de dormir le plus possible sans y parvenir, le chariot le brinquebalant bien trop. Il aurait mieux dormi sur sa jument mais avec ce temps… Par maintes fois avait-il fixé Ashun, forgeant ses questions dans sa tête sans réussir à les formuler, néanmoins. Il avait parfois ouvert la bouche pour parler mais s'était résigné. Il y avait trop de monde et Eoghan préférait attendre encore un peu, se contentant de caresser, d'une main légère, les cheveux de Maya contre lui.
***
La nuit tombant, Eoghan se laissa tomber du chariot avec un soulagement notable ! Aidant à nouveau Nyaeve d'une poignée de main à descendre puis Maya, il remonta dans le chariot pour porter Enju jusqu'à la grange. (si elle m'y autorise, bien sûr !) C'était bien là, la seule chose qu'Eoghan était capable de faire. Et une fois tout le monde installé, il fallait qu'il s'occupe de sa jument. Il mangea quelque chose de consistant et quand tout le monde jugea bon de dormir, il n'était plus fatigué même si Fitz tentait de lui dire de dormir. Il s'était alors replié sur un muret, contre sa monture, et s'était mis à écrire, ce qu'il n'avait pas fait depuis plusieurs jours.
Mais quand Ashun se détacha du groupe, il le remarqua et après un temps d'hésitation, il referma son carnet avant de sauter du muret. Il tapota les flancs de sa jument en lui passant à côté et rejoignit l'homme en se raclant la gorge.
_ Ashun… Pardonnez-moi… de vous déranger mais…
Il regarda alentour, vérifiant que pour une fois, ils étaient à peu près seuls. Il soupira alors et acquiesça avant de reprendre.
_ J'ai besoin que vous me parliez de ce qui m'est arrivé. J'ai ressenti des choses et je ne sais pas ce que c'est, ni comment les interpréter. Je me sens… Proche de ce temps misérable, des tempêtes, de l'orage. Comme si quelque part, cela faisait partie de moi. J'ai besoin de savoir avant d'arriver à Haven. Je promets de me concentrer sur mes leçons de magie sans plus faire l'idiot si vous me dites ce qui m'arrive. Je devrais me concentrer bien plus sur mes cours quoi qu'il arrive… N'est-ce pas ?
Son front soucieux argumentait sur l'inquiétude qu'il ressentait face à ces nouveaux éléments dont il ne savait rien, finalement.
_ Qu'est-ce que c'est, c'est… Une sorte de tempestaire ? C'est dangereux ? Comment je peux contrôler mon Don avec tout ça ? Je n'ai eu de cesse que de gémir à cause de ces migraines violentes et l'orage nous aura suivi durant tout notre périple. Ce n'est qu'en nous éloignant de lui que j'ai l'impression de retrouver mes forces et le contrôle de ma tête. Vous m'avez aidé à ériger mes barrières, n'est-ce pas ? Pendant tous ces derniers jours, vous ne m'avez pas quitté, pas vrai ? Parce que vous savez que je ne suis pas comme Nyaeve, je ne contrôle presque rien, je subis tout ce qui vient. Et l'autre soir, sans vous, vous saviez que je n'aurais pu y arriver si vous ne m'aviez pas aidé. Je l'ai senti. Alors dites-moi… Dites-moi ce que je suis, ce que j'ai, ce que je dois faire parce que tel que vous me voyez ? Je n'en ai aucune idée...