Cette fois, Rinnerl suivit Kreel, encouragée par Isabeau. Et bien lui en pris puis que Fiersaule lui demanda bientôt d'aborder des sujets qu'elle n'avait pas envie d'évoquer devant sa camarade poilue. Elle replongea mentalement dans les récits des victimes de l'usurpateur et commença à raconter, lentement, oppressée par l'horreur de son récit. Elle ne regarda pas le conseiller dans les yeux, de peur qu'il n'y lise sa rage, émotion bien trop agressive.
"De quoi nous parlons? Nous parlons de ces familles décimées sur simple caprice du monarque. De ces familles passées au fil de l'épée qui sont finalement les plus chanceuses. Parce qu'il y a les autres. Les femmes, les filles, parfois les jeunes garçons violés en réunion sous les yeux de leur famille. Les Peres, les frères, à qui on promet que s'ils observent le supplice de la mère sans bouger la petite sœur sera épargné. Qui ne peuvent retenir leur larmes, condamnant la pauvre enfant à rejoindre sa mère."
L'apprentie héraut ferma les yeux, les points crispés pour s'exhorter au calme. Elle sortit son mouchoir et s'essuya les yeux dont coulaient des larmes de rage, espérant que son geste un peu précieux camoufle la colère qui l'habitait et la travestisse en tristesse. Elle devait jouer l'innocente, pas la harpie. S'étant reprise, elle leva sur le conseiller un regard de tristesse et de fatalisme.
"Et au cas où les survivants n'auraient pas compris, ils volent ou pire, brulent les récoltes en repartant. Parce que la faim, ça éduque, vous voyez. Les puits souillés, ça élève. Et ne parlons même pas des impôts impossibles à payer qui fournissent le prétexte à ces expéditions sanglantes."
Isabeau, très pale, revoyait le quartier des réfugiés, au sud de Haven, ou le héraut du roi lui avait suggéré de se rendre avant de partir en mission, histoire de comprendre vraiment la situation de ces gens et la nécessité de la guerre contre Rethwellan. Elle avait parlé avec une jeune femme, la petite sœur citée plus haut. Elle et son frère avaient survécu au massacre de leur village et avaient fuis coute que coute, malgré les lourdes blessures de la jeune fille, vers le nord et la frontière.
"Je ne suis qu'une jeune secrétaire, messire. Mais je pose la question: un traité ne devrait-il pas moralement lier les peuples plus que les gouvernements? Si Rethwellan martyrise son peuple mais que nous l'accueillons, le soignons et l'aidons, ne devriez-vous pas nous soutenir, quelques soient les questions de légitimité?"