[justify:2g4lgnrj]Les blessures devenaient réciproques, comme son amant n'appréciait pas la requête, ni le Blanc sa réponse. Il ne pensait réellement pas demander un effort si incommensurable, comprenait encore moins la différence que leurs nationalités devaient faire, quant aux droits qu'il avait, il n'avait pas le sentiment de les avoir jamais renié : il ne lui refusait pas celui de s'exprimer, il lui demandait simplement de le faire avec un peu plus de diplomatie, afin d'éviter de fâcheux incidents. Certes, il était lui-même très avare de parole en public, mais il ne lui avait pas semblé lui imposer d'en faire autant ! Juste de faire en sorte qu'une guerre n'éclate pas pour une dispute stérile sur les préférences de chacun quand les deux parties de toutes les manières n'ont aucune intention de céder du terrain. Comme ici, sans doute. Le Héraut s'en voulait déjà d'éclater ainsi, mais c'était souvent le cas de ceux qui ne montrent jamais rien : lorsque la soupape sautait, l'explosion prenait des proportions tout à fait extraordinaires – et aberrantes, car en toute honnêteté, ce sujet-là ne méritait pas un tel éclat. C'était ce qui restait non-dit, sans le moindre doute, qui valait cet emportement dont il n'était pas fier, mais qu'à cet instant, il était bien incapable de réprimer, et ce que son amant soulignait ne risquait pas d'arranger les choses, malheureusement.
Qu'il n'eût pas l'intention de changer pour leur plaire, à ces abrutis comme il disait, il concevait tout à fait, mais dans sa tête, une question tournait en boucle : « et pour moi ? ». Pourtant, à aucun moment, il n'avait souhaité qu'il changeât réellement, simplement qu'il fît un effort de diplomatie envers ceux dont les réactions pourraient mettre en péril la sécurité du Royaume entier. Et la sienne, aussi, par la même occasion. Il avait beau être un Mage puissant, il n'était pas à l'abri d'une attaque personnelle, et quand bien même il ne doutait pas de sa capacité à se défendre, il n'avait aucune envie de le voir blessé, voire pire. Quant à Valdemar... la situation actuelle était bien assez incertaine en soi pour qu'ils n'en rajoutent pas ainsi, au sein même de ce qui pouvait peut-être devenir une alliance...
D'un côté, pourtant, il comprenait que ce qu'il demandait pouvait être désagréable et difficile à concevoir dès lors qu'on n'était pas dans sa position. Et il tentait de se calmer, réellement, bien que ce fut une épreuve assez délicate à cet instant. Mais les derniers propos du Maître des Vents balayèrent ses maigres tentatives pour retrouver son calme. « Peut-être ne mesures-tu pas encore la difficulté que l'on peut éprouver à être shaych, à fortiori depuis toujours. »
« Oh... Parce que je n'aime un homme que depuis récemment, j'ignore forcément ce que peut être le rejet et le mépris des autres envers ce que l'on est ? »
Si le regard de Manuchan se voulait inexpressif, celui d'Aaron démontrait clairement à quel point ses propos le blessaient. Mélange de douleur, de tristesse et de colère qui donnait un éclat sombre à ses prunelles pourtant claires. L'Adepte ne pouvait pas comprendre, évidemment, puisqu'il n'en parlait pas, jamais, mais il n'empêchait qu'autant le sujet de ses préférences sexuelles n'était alors pas d'actualité, autant il savait très bien ce que ça pouvait faire d'être abhorré pour... finalement rien. Pour exister, simplement. Pour représenter un devoir que l'honneur imposait de remplir alors qu'on haïssait purement et simplement l'objet de celui-ci.
En parler, c'était sans doute ce qu'il eût dû faire, à cet instant. Faire comprendre à son amant qu'il connaissait ce sentiment, pour d'autres raisons, certes, mais il n'en restait pas moins qu'il l'avait expérimenté aussi. Il n'y arrivait pourtant pas. La question sur les marques visibles dans son dos était jusque-là toujours restée en suspens. « C'est du passé », c'était à peu près tout ce qu'il en ressortait. Quant à comprendre ce qu'il ressentait par le biais de son Empathie... Le blond détourna le regard, fit volte-face, même pour plaquer ses mains tremblantes sur l'encadrement de la fenêtre et s'y appuyer lourdement, ses phalanges crispées sur le linteau de bois. Ce pays ne passerait pas avant ce qu'il était, fort bien. Et lui-même, dans tout ça ? Où se plaçait-il ? Il représentait Valdemar autant qu'il était une personne à part entière. Alors quoi, tout comme Valdemar, il comptait à peine dans l'histoire ? Et Grands Dieux que ces réflexions lui semblaient égoïstes ! Il ne pouvait pas lui demander de l'aimer lui, le Héraut dont il partageait la vie depuis seulement quelques décades, plus qu'il ne se respectait lui-même, après tout !
« Tu as raison. Personne ne devrait passer avant qui tu es réellement » lâcha-t-il finalement d'une voix blanche.
Pas même lui, donc. Qu'espérait-il après tout ? Qu'il l'aimât assez pour faire passer son bien-être avant le sien propre ?
* Arrête... *
C'était injuste, Raïna le savait tout autant que lui-même, au fond. Mais il ne parvenait pas à se défaire de ce sentiment. Son rôle de Héraut du Sénéchal mis à part, il n'avait finalement jamais été qu'insignifiant, songeait-il. Sa fonction était reconnue, certes, mais celui qu'il était réellement, qui s'en souciait ? Sa moitié, bien sûr, ça aussi, il le savait. Mais il avait espéré davantage, et se fourvoyait manifestement...
* Arrête. *
Il n'y arrivait pas. Une part de lui restait consciente de l'injustice flagrante que ce ressenti comprenait, mais c'était plus fort que lui. Pendant quelques instants, il garda encore le silence, tandis que mentalement, Raïna l'incitait à parler, réellement. Et accessoirement, puisque Manu venait d'en faire la requête, de chercher à ressentir ses émotions. Qu'ils finissent par se comprendre, au moins un peu. Ah ! S'il avait seulement maîtrisé davantage son Don pour être aussi capable de l'inverse ! Ce qu'il captait n'était pourtant pas très difficile à imaginer. La frustration du Mage concernant sa requête et ce qu'elle impliquait était tellement évidente que finalement, même sans son Empathie, il en avait déjà un bon aperçu. L'amour qu'il avait pour lui aussi, cela étant, ce qui rassura quelque peu le Blanc, même si ça ne le rassérénait pas complètement encore. Toujours tourné vers la fenêtre, le regard vers l'extérieur bien qu'il n'en vît réellement rien, perdu ailleurs, il ne parvenait pas à croiser à nouveau le regard de son amant. Pas encore.
« Je te demanderai jamais de changer complètement Manu. Je ne souhaite simplement pas qu'un mot de trop mette en danger la sécurité de tout le Royaume. Ni même juste la tienne. »
Encore moins à vrai dire. Il ne supporterait pas d'avoir la mort de tout un peuple sur la conscience, ça n'entrait clairement pas dans son caractère ni ses valeurs, sa ligne de conduite... mais encore moins de le perdre lui, aussi égoïste, donc, cela pouvait-il être. Et au final, il ne savait plus quoi dire, ni ce qu'il ressentait réellement, perdu entre sa fonction et ce qu'elle demandait, ce pour quoi il avait toujours dédié sa vie, finalement, et ce qu'il ressentait pour l'homme dans son dos, et les espoirs qu'il nourrissait manifestement quant à leur relation. Il était le Héraut du Sénéchal, et son devoir lui tenait particulièrement à coeur, c'était un fait. Mais il était homme aussi, et son coeur battait pour le Mage derrière lui. Et devoir faire un choix entre ces deux aspects de lui-même, puisqu'au fond, il en revenait un peu à ça, le minait profondément.[/justify:2g4lgnrj]