« Me briser les bras? Je leur souhaite bonne chance. Je ne voudrais pas mettre à mal leur confiance en eux. »
Car pour briser les bras de Wylan, il faudrait déjà être en mesure de l'attraper et de l'immobiliser. Or le Héraut était un adepte du combat en traître et des coups bas. Et il était agile, sans doute bien plus qu'une bande de gardes.
Mais cela l'amusa que Jehanne confirme ce qu'il soupçonnait. Tous ses hommes devaient être un peu amoureux d'elle. Et cela se comprenait; une belle jeune fille, seule, compétente, elle avait de quoi devenir une mascotte, ou mieux encore, une égérie pour ses hommes.
Le trajet ne fut pas long, jusqu'à la caserne, et Wylan se montra absolument correct, malgré l'attitude de Jehanne qui semblait prête à le repousser au moindre écart. Profiter d'une situation pour tripoter les femmes n'était pas son genre. Il aimait beaucoup jouer les séducteurs de bas étage. Mais comme nombre de ses attitudes, celle-ci servait à camoufler ses tendances trop chevaleresques. Wylan aurait été incapable de s'imposer à une femme, ne serait-ce que par une main posée sur une épaule. Sa conscience aiguë des pensées d'autrui le rendait incapable d'embrasser une femme qui ne le désirait pas. Un baiser, plus que tout autre contact, était un geste intime, par lequel on s'ouvrait à l'autre. Il était incapable de se couper d'une femme qu'il embrassait. Il "entendait" tout, il voyait même souvent... C'était la raison pour laquelle il n'avait jamais pu coucher avec une prostituée. Ou une femme intéressée par autre chose que son corps ou son sourire.
Quand ils arrivèrent enfin à la caserne, la garde s'excusa auprès de Kyra. Wylan descendit à son tour et flatta le flan de son Compagnon.
« Ne t'inquiète pas. Kyra est un Compagnon qui connaît la vie à la dure. Elle a dormi dans des écuries bien pires. »
Et souvent même en plein air. L'écurie d'un poste de garde, propre, chaude, avec des gens bienveillants, était bien meilleure que la plupart des endroits où elle avait un jour dormi.
Jehanne le guida ensuite dans une salle de repos et un appétissant fumet vint chatouiller ses narines. Il rencontre aussi la mère de Jehanne, qui semblait jouer ce rôle pour l'ensemble de la caserne.
: Tu rencontres déjà sa mère? Quelle rapidité. :
Wylan dut se retenir de pouffer au commentaire de Kyra. De fait, il n'avait jamais rencontré la mère d'aucune de ses conquêtes. Sauf si on comptait Alemdar. Qui n'avait rien d'une conquête d'ailleurs, pourquoi pensait-il soudain à lui?
Il accepta avec plaisir un bol de soupe et alla s'asseoir à la table. Les gardes n'hésitèrent pas longtemps avant d'engager la conversation avec lui, alors que Jehanne s'éclipsait hors de la pièce. Il répondit évasivement à la plupart des questions. Mais il leur apprit tout de même qu'il était Héraut, qu'il avait servi sur le front, qu'il avait croisé Jehanne en ville et qu'elle lui avait proposé de manger ici pour qu'ils puissent discuter un peu. La manière dont il avait souligné le mot "discuter" fit tiquer un des soldats, mais Wylan fit mine de ne rien avoir remarqué.
Enfin, Jehanne revint, et à peine avait elle posé ses fesses en face du Héraut que les gardes disparurent, comme par magie. Ou presque.
Elle le regarda un instant dans les yeux avant de lancer une question que Wylan avait attendue depuis que Sean avait mentionné Isibeal.
« J'ai une fille, mais je ne suis pas marié. Elle est Guérisseuse et elle est adulte. Elle a vingt ans. »
Il sourit, amusé.
« Et toi, combien de tes hommes t'ont déjà fait une déclaration enflammée? »
Il n'y avait aucun rapport, mais cela amusait Wylan de poser la question.