"Ce sera super marrant pour les autres, ça je n'en doute pas!"
Elle sorti sa paire de gant d'hiver pour achever sa tenue.
"Ah, oui, si tu savais, la danse, Beltran et moi... Toute une histoire! Enfin, de toute façon c'est toi qui prend des risques, je vais avoir des lames... aux pieds! Tu n'as rien prévu de plus solide pour te protéger que ta cape? Un casque? Une armure?"
Irmingarde avait eu l'occasion d'utiliser des crampons pour tenir sur un sol gelé, au front, et si ça avait été périlleux, ça n'avait rien à voir avec l'idée de faire des pirouettes sur de la glace!
Dans les couloirs vides du Collegium, le froid était déjà mordant. Elle déplia sa cape sur ses épaules pendant que Mera lui donnait son avis sur Beltran. Si les deux Hérauts avaient eu de nombreuses occasions de discuter lors de la probation de Mina, de débattre, de se découvrir, rire, s'encourager, la jeune femme avait fait finalement peu de révélation sur sa vie privée, plus qu'elle n'aurait voulu, certainement, mais pas énormément. Elle savait combien sa relation avec le Général des Armées Valdemaranes était un mystère aux yeux de Mera.
"L'âge du Capitaine, bon sang, quand on t'écoute, on dirait qu'il a soixante ans et marche avec une canne! Je n'ai pas de point de comparaison, mais je suis certaine qu'il est aussi... vigoureux qu'un homme de mon âge. Moi je ne vois pas le problème, d'ailleurs, je ne l'ai jamais vu."
Avant Beltran, elle n'avait même jamais envisagé une relation avec un homme, alors son âge, ça n'avait fait aucune différence, ce n'était pas un critère à ses yeux.
"Beltran m'a dit que sa famille s'était faite à l'idée qu'il refusait un mariage de convenance, et qu'elle se consolait avec les nombreux autres héritiers Greenhaven putatifs. Et ça me convient très bien de n'avoir aucun rôle familial à jouer. Ca a déjà été un gros travail sur moi d'assumer tout ça publiquement, c'est déjà beaucoup non? J'aimerai bien que le mariage arrête d'être une fin en soi pour les Nobles..."
En réalité, elle avait sciemment évité d'évoquer ce sujet avec Beltran depuis. Elle ne voulait pas que ça lui fasse naître d'idée saugrenues.
Au front, ils avaient savouré les moments d'intimité qu'ils avaient réussi à s'accorder avec la faim d'un condamné à mort à son dernier repas. Depuis, le retour au calme, à la paix, était tout aussi appréciable et ne menait, pour le moment, à aucun projet. Mais si Wylan avait prévu le voyage, il y avait fort à parier que Beltran suive et lui propose à nouveau de l'accompagner. En toute franchise, sur quelle base pouvait-elle dire non?
"Tu me fais penser à Wylan qui m'avait fait tout un laius sur mon rôle de, je cite, Compagne d'une personnalité importante..."
Elle secoua la tête, troublée. Elle pensait avoir largement fait sa part. Au bout de toutes ces années, était-ce fini, la possibilité de profiter de son couple le plus discrètement possible? Est-ce que le poids du patronyme Greenhaven revenait peser sur les épaules du Capitaine? Est-ce qu'elle se berçait d'illusion?
"Ah..." soupira-t-elle. "Tout aurait été plus simple si les Sadare ne m'avaient pas envoyé à l'autre bout du pays. J'aurai été une fille légitime et que Beltran soit amoureux de moi aurait été alors une manne pour eux, et moi, si ça se trouve, élevée autrement, j'aurai trouvé ça normal de le pousser à m'épouser."
Même si elle en doutait. C'était parce qu'elle n'était pas comme ça qu'elle avait en partie séduit Beltran, elle le savait.
Mais les amours contrarié de Mera était tout aussi intéressant à ses yeux que les siens. Et voir sa mentor rongée par le doute éveillait grandement sa curiosité, et son empathie. Mera parlait volontiers de ses histoires de fesses, mais celles de cœur étaient plus délicates.
"Tu sais, tous les Rethwellans ne sont pas à l'image de l'Attitré sur cette question, encore que dans son cas, c'est plus du désintérêt que de la pudibonderie. Je pense que les femmes de son pays sont pas moins... prédatrice que tu peux l'être, c'est Rethwellan, pas Karse! Oh, tu sais, tu peux toujours demander à ton Compagnon de questionner celui d'Alem, je suis sûr qu'il sait pas mal de chose via son lié, il accepterai peut-être de partager quelques informations, va savoir?"
Elle laissa Mera lui expliquer son organisation - bien huilée il fallait l'avouer, et s'installa face à elle, bien éveillée face à cette nourriture de premier choix. Elle saisi la tranche de pain, se coupa une épaisse tranche de fromage et trancha un oeuf sur le tout, avant de l'enfourner sans sa bouche en gémissant.
Mina s'était découvert gourmande, il y a quelques années, quand Beltran l'avait initié à la gastronomie. S'astreindre au régime militaire ne l'avait pas trop fait souffrir, mais revenir aux cuisines de Haven avait été un vrai plaisir. Elle avait même pris quelques kilos superflu depuis la fin de la guerre.
Elle mâcha goulûment sa tartine en mettant des miettes partout, et une fois la première bouchée avalée, elle plaisanta:
"Non mais tu as vu ma distinction à table? Tu images ça, en face de belle-maman Greenhaven, au petit-déjeuner?"
Une deuxième bouchée moins volumineuse et elle questionna Mera:
"Et sinon, le problème ne vient peut-être pas de toi. Si ma mémoire est bonne, tu as parlé de... Mark la dernière fois? Comme d'un connard de premier plan. Tu m'en dirais plus?"
Elle se versa une tasse de thé qu'elle touilla furieusement pour le faire refroidir. Elle le buvait presque glacé habituellement.