«Uniquement si je peux te voir avec la robe. La perruque, par contre, je n'aime pas. Ça ne supporte pas le premier assaut.»
En fait, il n'avait pas spécialement envie de voir Jehanne dans une robe vulgaire. Il préférait largement la voir sans robe. Ou même dans sa tenue de garde. Habituellement, Wylan savait apprécier les femmes qui mettaient leurs charmes en avant, mais sur Jehanne, ce serait au mieux ridicule au pire affreux. Jehanne était une femme belle et pure. Elle n'avait pas besoin de tels artifices pour le charmer.
Elle réagit étonnamment quand elle apprit qu'il était en fait noble. Il avait vraiment craint qu'elle s'enfuie. Autant les femmes appréciaient parfois l'idée de coucher avec un noble, une fois, autant la plupart craignaient de franchir la barrière des classes pour quelque chose de plus sérieux.
«Alors je ne serai pour toi qu'un homme venant d'une famille travailleuse. D'ailleurs, tu vois bien, je ne suis pas un Héraut, je ne porte ni l'uniforme ni le canasson.»
Et contrairement à la plupart de ses collègues, tout en lui ne criait pas à l'homme honorable. Il pouvait se montrer particulièrement caustique parfois, quand il en avait besoin. Et il était heureux de pouvoir passer, parfois, pour un homme normal.
Jehanne sembla prendre un peu trop à cœur sa pique sur leur relation prétendument platonique. Même pour lui, au deuxième rendez-vous, c'était encore bien tôt pour la qualifier ainsi.
«À l'amour sans doute, à faire l'amour par contre...» Il lui fit un clin d'œil. «Ne t'inquiète pas. Je commencerai à râler vraiment à partir du dixième rendez-vous, pas avant.»
Il sentit Jehanne complètement abandonnée à son bras, comme si elle se laissait guider. Ce qui était probablement le cas. Leur conversation dériva ensuite sur son uniforme et ses désavantages. La réplique de Jehanne le fit rire.
«Mon beau potentiel? À mon âge, il me semble que le potentiel est déjà largement atteint. Je suis même plutôt sur la pente descendante.»
Habituellement, Wylan était toujours très attentif. Déformation professionnelle. Il regardait autour de lui à la recherche d'un potentiel assassin ou traître. Aujourd'hui, pourtant, il fut suffisamment distrait pour percuter la pire personne possible, Fleur de Trevale, la reine des chipies. Celle-ci était enceinte - toute la cour ne parlait que de cela - et en effet, ce n'était pas difficile de s'en rendre compte.
Elle rayonnait d'ailleurs, et le Héraut se doutait bien que sa grossesse n'y était pas pour grand-chose. Il était plus probable que ce soit la promesse d'un bon potin qui éclaire ainsi son teint.
«Le Héraut Noam n'a pas l'exclusivité des rendez-vous en galante compagnie.» Il serra plus étroitement Jehanne contre lui. «Vous m'avez bien attrapé, dame de Trevale. Jehanne est l'épouse que je cache à tous... enfin, à toute la cour. Je vous prierai de rester discrète. Je ne voudrais pas que ma fille le découvre ainsi...» Wylan avisa le ventre de Fleur. « Le père est-il content? Je suis certain que cette nouvelle a été fêtée dignement par votre époux.»
Wylan frappait au hasard, mais même si l'enfant était du mari de la jeune femme, celle-ci devait se sentir coupable. Il savait qu'elle s'était éclipsée pour pouvoir passer quelques jours en amoureux avec le Héraut Noam. Il ne connaissait pas l'avancement de la grossesse de la jeune femme, mais elle doutait sans doute de l'identité du père.
Il espérait son sous-entendu suffisamment fin pour que seule Fleur le comprenne. Il voulait signifier à la jeune femme de se méfier de lui, pas étaler sa vie privée au su de tous. Même de Jehanne.
«Fleur de Trevale est une grande admiratrice de notre cercle. Et son mari est un fin politicien. L'élite du pays.» Son ton signifiait clairement qu'il n'en pensait pas un mot.
«Que faites-vous ici, dame de Trevale?»