Dès qu'elle l'y invita, Allister prit place rapidement et tenta alors, une fois le stress initial dépassé, de modeler subtilement ses comportements pour être de meilleure compagnie... ou en tout cas de paraître plus digne que quelques instants auparavant ! Il composa rapidement une posture relativement détendue et sympathique et affichait un sourire qui invitait au dialogue... et il fut déçu, Éloïse lui fit amener un verre de vin trop tôt pour qu'il ait le temps de respirer et de comprendre pourquoi il était là. Puis, à peine avait-il trempé ses lèvres dans son verre de vin (sans aucun doute le meilleur qu'il ait jamais goûté), qu'elle se plongeait dans le menu retardant ainsi la conversation. Allister était impatient de savoir la raison de son invitation !
L'invitation à commander ce qu'il voulait au frais de la princesse (littéralement!) était une étape logique du jeu d'Éloïse, mais ça n'en restait pas moins agréable. Elle cherchait à le noyer sous les présents avec une largesse telle qu'il finirait presque par la croire désintéressée. Allister lut rapidement le menu, pressé de se débarrasser de ces tâches triviales... Il se rendit compte qu'il ne maîtrisait pas le langage dans lequel les plats étaient présentés, aussi choisit-il un plat au hasard parmi la liste. Il prit évidemment l'air parfait du noble (du moins comment il se l'imaginait) : un air de connaisseur qui se réjouit du festin à venir sans pour autant être impatient vu que la fréquence à laquelle il côtoie l'excellence culinaire l'a rendue presque banale à ses yeux.
Il vit une faille à exploiter dans le jeu d'Éloïse lorsqu'elle fit mine d'être confuse. Il décida de la saisir car il se demandait quel piège inventif attendait de se refermer sur lui :
"Je te remercie pour tes félicitations sincères." Il appuya très légèrement ce dernier mot, une petite touche d'ironie ne faisait pas de mal. Éloise n'était jamais pleinement sincère...
"Mais ne t'inquiète pas, la fierté dans les yeux de mon père me suffit et me comble. La famille est ce qu'on a de plus cher..." Il laissa planer une demi-seconde de silence pour appuyer ses mots (et éventuellement retourner un petit couteau dans les vieilles plaies de l'orpheline qu'était Éloïse)
"Non, ne t'inquiète pas, tu as été parfaite, tu as bien fait de ne pas l'inviter, il n'aurait pas su où se mettre dans tant de luxe. Après tout, nous sommes des gens simples et même si nous avons tout deux appris à évoluer, nous restons des enfants d'Hardorn, élevés à la dure, n'est-ce pas ? "
Il rit intérieurement, c'était trop grossier pour que ça ait beaucoup d'effet sur quelqu'un d'aussi alerte qu'Éloïse, mais il la regarda droit dans les yeux avec un petit regard de défi. Il pensait alors :
"J'ai enchaîné une petite attaque, un petit rabaissement pour finir sur l'illusion d'une cause commune. La main est à toi, très chère, qu'as-tu préparé ?"
La question d'après le pris au dépourvu. Il s'attendait à une réponse qui le remette à sa place ou qu'en sais-je, mais ça... elle semblait ne pas être d'humeur joueuse, ça devait être sérieux. Allister laissa quelques secondes sa surprise transparaître sur son visage avant de répondre, très vite et avec un enthousiasme plein de sincérité, ou du moins ce qu'il connaissait de plus proche!
" J'ai une ambition, je ne suis pas venu au Collegium pour rien et maintenant, il va falloir passer aux choses sérieuses. Je compte faire avancer ce monde vers son futur et le futur, c'est la vapeur. Imagine, un monde rempli de machines à vapeurs qui aident les gens et où la vie est douce et ce monde est à ma portée, j'en suis sûr. Tout est à créer, tout est à découvrir et ça c'est tellement excitant..."
Sa voix retomba vers des tons plus graves et il reprit le contrôle de son débit. Il enchaîna d'un ton légèrement plus grave et calcula, en une fraction de seconde, la manière optimale d'utiliser son élan d'enthousiasme impromptu à bon escient
"...Mais les gens sont tellement frileux et apeurés. Je leur parle du futur, ils me répondent au présent en se satisfaisant des solutions du passé, c'est affligeant. On m'a proposé des boulots en ville, mais rien de vraiment satisfaisant. Je retournerai peut-être travailler le cuir avec mon père dans les bas quartiers..."