Elliania.
Et dire ce nom lui brûlait la gorge. Il ne le prononçait jamais. Il l’écrivait parfois, souvent même, mais jamais au grand jamais il ne le prononçait. Il ne s’en sentait pas le droit.
La main de Feuille se serrait autour de ses doigts et il pouvait sentir le battement de son cœur qui s’accélérait. Lorsqu’elle posa l’autre main sur son torse il s’était rendu compte qu’il avait arrêté de respirer un instant. Il relâcha son souffle, pris une profonde inspiration, et fixa les draps comme un enfant pris en faute.
- J’étais jeune. Jeune mercenaire, persuadé que le monde était simple, que rien n’avait de conséquence. Mais tout en as n’est-ce-pas ? Tout est affaire à de conséquence ?
Ses yeux se détachèrent enfin de ses draps. Pour se perdre par la fenêtre.
- Je n’ai pas eu de contact avec elle. Enfin si, j’ai envoyé des lettres mais je n’ai jamais eu de réponse. Sa famille ne veut pas me voir, ils ne veulent pas de ma présence. il déglutit alors je l’ai tu tout cette année, je ne me sentais pas le droit de me revendiquer père mais…. il plongea son regard suppliant dans celui de sa femme … Mais j’ai failli mourir, et autant me mentir je peux le faire, autant te mentir je ne peux plus. Sa mère est décédée il y a peu, je suis le seul parent qui lui reste, et j’ai failli mourir en ayant caché son existence à celle que j’aime ! Je ne mérite pas le titre de père, je ne mérite même pas le titre de mari. Je ne suis qu’une fraude.
Sa voix s’était faite plus rapide, son calme disparaissait, ses yeux même s’affolaient comme s’il triait toute ses pensées en même temps.
- J’étais jeune. 18 ans à peine, j’étais en mission sur un domaine, mission simple. La fille du domaine était belle comme les près, et j’étais dans la fleur de l’âge, je me suis rapproché d’elle, on a flirté. Et ce qui devait arriver arriva, on ne pensait pas aux conséquences. Son père et ses oncles l’ont appris, ils m’ont interdit de remettre les pieds dans le domaine, je ne devais plus jamais revenir. Ca me dérangeait pas, j’avais pas l’intension de rester dans ce coin… Et puis j’ai appris plus tard qu’elle a eu un enfant. Je suis un homme de parole, j’avais promis de ne jamais revenir. Je ne l’ai jamais revu. Et je m’en veux.
Se rappeler de l’entrainement, respirer, se concentrer, un problème à la fois, trier les pensées comme un combat contre plusieurs adversaires, un ennemi après l’autre, un mouvement après l’autre.
- Je t’aime Feuille tu le sais. Mais je t’ai menti. Tu peux m’en vouloir, tu en as le droit, je t’ai trompé. Je ne t’ai pas tout dit. Je ne suis pas un bon père, je ne suis pas un bon mari, je ne suis pas un homme bon non plus d’ailleurs. J’aurai dû me battre pour elle, et te le dire tout de suite. Tout ces jouets en bois que je taille… Ils sont pour elle. Uniquement pour elle. Et je les planque dans un placard tout comme je l’ai planqué elle.
Sa voix s’était cassée au fil de son récit, et ses épaules affaissées. Il se libérait d’un poids, et avait l’impression d’en gagner un nouveau, celui de lui faire mal, de leur faire mal.