Le héraut insistait, et Fitz sentait bien qu'il était sûrement sa seule chance d'apprendre à maîtriser son nouveau don. Il s'était promis de revoir Ludmilla et Maya, depuis qu'il était revenu de campagne, mais le lieutenant n'avait jamais trouvé le temps. Non en faite pour être exact il était effrayé par ce qu'il pourrait apprendre, et ne voulais pas qu'une déesse décide à sa place de son destin. C'était puérile, idiot, mais l'homme pouvait parfois se montrer borné. Et sur le sujet il l'était.
Pourtant la curiosité l'emportait ce soir sur tout autre sentiment. Il regretterait peut être demain d’accepter la proposition, mais pour l'instant... Il voulait savoir.
« Va pour, faisons donc de vous mon cobaye. Mais peut être devriez-vous avant tout en savoir plus sur ce que ce pouvoir implique.»
Sa main gantée posée sur le comptoir, le lieutenant la fixait comme si le diable pouvait en sortir pour faire une mauvaise farce. Il poussa un profond soupir avant d'enlever le gant qui recouvrait sa marque. Sa paume était maintenant bien visible, et avec elle la drôle de spirale dans un cercle qu'Aanor avait trouvé amusant de lui graver sur la peau. Je t'en foutrai moi de l'humour des dieux.
«Nous parlions de femmes tout à l'heure, savez-vous que j'évite de les toucher ? Un contact me procure souvent des maux de têtes absolument atroces. Sans parler des visions que je pourrai avoir. La douleur lorsqu'un ennemi est proche est presque aussi intense que la chaleur qui m'envahit lorsque le danger disparaît, à tel point que je suis parfois incapable de porter mon arme, ce qui est handicapant dans ma profession. La dernière fois que j'ai tenté d'utiliser mon don pour soutirer des informations, l'homme s'est mis à sentir le poulet rôti, autant vous dire que pour obtenir des aveux un homme cramé n'est vraiment pas utile. Bref comme je vous disais, je n'ai aucune idée de ce que je peux faire concrètement de tout cela, et en quoi cela pourrait bien m'aider. »
Sur le coup le lieutenant ne se rendait pas vraiment compte qu'il venait juste de tout balancer à un homme dont il ne savait finalement pas grand chose. Mais il avait besoin de le dire, ne serait-ce que pour organiser les pensées qui se bousculaient dans son esprit à chaque fois qu'il pensait à ce qu'Aanor lui avait « offert ». Il remit son gant en place, protégeant de nouveau l'intimité de son infirmité, comme il aimait tant à le dire.
« Mais vous êtes sûrement la personne la plus apte à comprendre ce genre de choses, c'est pour ça que votre aide est la bienvenue. Je n'ai pas eu de formation de Héraut, ou de mage, ou de guérisseur. Ce que j'ai appris je l'ai appris sur les routes, je n'ai qu'une connaissance partielle de ce qu'un don peut ou ne peut pas impliquer, je n'étais pas préparé à ce genre de choses. »
Peut être que l'aide du Héraut lui permettrait d'accepter (si ce n'est de comprendre) ce qu'il était devenu. Sa vision des pouvoirs jusqu'à présent n'était qu'une vision partielle, faites de racontars, et de superstitions, et comme tout quidam il les évitait. Tout comme il évitait son propre pouvoir depuis bien trop longtemps maintenant. Il but d'une traite son second verre, réprimant un frisson. Il avait oublié la force de cet alcool le temps de son discours, et avait été surpris de nouveau.
Le lieutenant fut épaté par l'imitation de Beltran, se retournant même un instant, avant d'éclater de rire.
« J'avoue que c'est particulièrement bluffant ! Par contre vous ne m'étonnez pas vraiment en me disant que Beltran reste... Beltran même après avoir bu. Pourtant... »
Fite avait une idée en tête depuis son retour de campagne, depuis qu'il avait proposé au capitaine de se retrouver autour d'un verre. Une idée simple.
« Pourtant je ne peux m'empêcher de me dire que c'est ce dont il a réellement besoin. Etre enfermé en permanence dans son sens du devoir, avec ses hommes et ses supérieurs.... Ce n'est pas bon pour lui, ce n'est bon pour personne de toute façon. Il faut absolument trouver un moyen de le sortir un peu, qu'il comprenne qu'au-delà du capitaine il y a aussi des gens qui tiennent à lui en tant qu'homme. Je ne suis pas sur qu'il s'en rende compte, parfois. J'aimerai tant réussir à le traîner dans un bar comme cela, oublier un instant qu'il est capitaine, que je suis lieutenant, entraîner Kalaïd avec nous, et pourquoi pas vous si vous le désirez. Et pendant un instant simplement être des humains buvant un verre entre humains. Oublier les déesse et les dieux, les guerres, et les morts. Qui sait cela pourrait être la dernière chance que l'on a pour ce genre de choses. »
Il admirait les hommes capable de placer leurs devoirs avant tout, mais il connaissait aussi les difficultés et la solitude inhérents à une telle tâche. Ne pas s'attacher, ou du moins faire comme si on ne l'était pas. Ce n'est pas une vie, tout le monde a besoin d'ami, de personnes de confiance, de personne qui pensent à vous pour autre chose que vos capacités et vos forces. Qu'on soit capitaine, héraut, ou vendeur de pomme.
Le lieutenant adressa un sourire au Héraut.
« Je plains votre mère ! Avec la vie que vous avez, il est compliqué de penser à fonder une famille. Mais vous pourriez la rassurer en parlant de votre retraite hypothétique ! Avec un pommier au pied de votre demeure, ou vous pourriez dormir tout votre saoul en humant l'odeur du délicieux dîner que votre compagne vous prépare amoureusement ! »
Il adressa un clin d'oeil à Wylan. Il avait bien compris que ce n'était pas vraiment les projets de l'homme, et ils savaient tout les deux que dans leurs branches la retraite était... Un doux rêve, ou une vaste blague, selon le caractère de chacun.