Pour être occupés, ils l'étaient. Les Hérauts de terrain n'avaient souvent pas le temps de trop s'arrêter à Haven. Ils arrivaient, donnaient leurs vêtements à laver, en reprenaient des nouveaux, changeaient le matériel qui devait l'être, faisaient quelques bons repas puis repartaient. Et pour Wylan, c'était encore plus chaotique et rapide. Souvent il n'avait le temps que de prendre une douche et faire son rapport avant de repartir. Aujourd'hui, il se sentait presque en vacances, car il avait la soirée pour lui.
«Normalement je dois repartir demain... je suis actuellement mentor pour une Héraut en formation, et je l'ai laissée seule sur le terrain alors que je ramenais ce pauvre bougre ici. Elle est en sécurité pour le moment, mais je dois y retourner.»
La question suivante d'Isibeal laissa un instant Wylan perplexe. Puis il réalisa que c'était sans doute une interrogation assez normale, même si lui-même ne se l'était jamais posée à l'époque où il avait découvert ses Dons.
«Parmi les vivants, je suis le seul Héraut oui. Mais je ne désespère pas de voir arriver un de ces jours un de mes neveux ou nièces ici. Les enfants de mon frère aîné sont presque trop âgés maintenant, mais j'ai encore des chances avec les autres... tant qu'ils n'héritent pas de mon Don. Et non, nous n'avons pas spécialement de Guérisseurs dans la famille, même si je crois me souvenir que la femme de mon arrière-grand-mère avait une sœur sage-femme. Mais tu sais, beaucoup de gens ont des Dons latents et parfois, chez un enfant, le Don s'active. Par contre quelqu'un de Doué aura souvent des enfants avec des Dons. C'est important de le savoir...»
La mère de Wylan avait eu le nez creux, c'était certain. Quand il était enfant, la famille de Wylan était la branche désargentée et déchue d'une grande et noble famille. Son grand-père avait fait de son mieux pour faire survivre le domaine sans contracter de dettes. Il y était parvenu au prix de sacrifice de son confort. Depuis que Kathy Greenhaven avait mis sur place sa fabrique d'alcool, les caisses de la famille s'étaient progressivement remplies, suffisamment pour réparer la maison d'abord. Puis pour financer la création d'un plus grand atelier de fabrication. Maintenant, la famille vivait sans doute aussi bien que n'importe quel artisan talentueux de Haven.
«Si tu viens, tu vas même probablement être obligée d'apprendre comment on fait. Chez nous l'alcool est une affaire de femme. J'ai jamais eu le droit de connaître les secrets de fabrication de ma mère. Kyle non plus. Ce sont mes sœurs qui ont repris les rênes de la distillerie. Et elles trouveront normal que tu apprennes toi aussi.»
Le solstice n'allait pas être de tout repos pour la jeune femme, c'était certain. Elle allait être constamment sollicitée pour participer aux différentes activités familiales. Et elle n'aurait pas la possibilité de dire non.
Mais elle semblait en tout cas enthousiaste à l'idée de rencontrer ses cousins.
«Josh je crois... Et si tu aimes les enfants, tu es servie. Chacun de mes frère et sœurs a eu au moins deux enfants. Tu as onze cousins germains à Greenhaven. Et ici au moins une cousine éloignée. Mon cousin Beltran, qui est le capitaine des armées de Valdemar, a une fille de quatre ans, Liane. C'est une gamine... assez étonnante. Quant à Beltran, il est plus honorable encore que le plus chevaleresque des Hérauts je pense.»
Cela faisait presque une demi-marque de Kyra s'était endormie. Wylan la sentait lointaine, dans un coin de son esprit. Lui-même commençait à fatiguer, maintenant que la pression et le stress étaient retombés.
Quoi qu'ils fassent, ils ne pourraient rattraper le temps perdu en une après-midi, alors autant ne pas hâter les choses. Et un Wylan fatigué était souvent un Wylan particulièrement acerbe. Ce qui n'était pas bon pour une fragile relation naissante.
Alors qu'il ouvrait la bouche pour parler, un bâillement interminable le saisit.
«Excuse-moi, petite, mais je suis épuisé. J'ai chevauché trois décades sans presque jamais m'arrêter, en tenant devant moi ce pauvre homme. Je ne me vois plus les mains. Je dois dormir maintenant.»