Jamais, au grand jamais Irmingarde n'avait vu un rassemblement pareil!
Dans la région des Holds, c'est tout juste si le marché de la semaine rassemblait plus que dix vendeurs de bestiaux tous plus laids les uns des autres, et quant aux vêtements, toujours la même vielle bourrique d'Isota et ses fripes de mauvaises qualités qu'elle vendait à la criée. Dans ses guenilles, les femmes se ressemblaient toutes, de la toile maronnasse ou beige sale que rien ne pouvait mettre en valeur. Des chaussures inconfortables informes en cuir d'on ne savait quoi, faites pour résister au mode de vie très rural. Jamais de bijoux, ce genre d'achat n'était réservé qu'aux mariages et il fallait venir jusqu'aux villes voisines pour trouver quelque chose susceptible de briller et le moins cher possible.
Et aujourd'hui, Mina n'avait pas assez d'yeux pour remplir sa tête de souvenirs enchantés. Elles avisa des jongleurs et s'étonna de ne pas encore voir Elryk, peut-être viendrai-t-il plus tard? Elle le voyait peu au Collegium, et ça lui allait au fond, après ce qu'elle avait risqué pour le faire rentrer dans Haven!
Kun' était resté au collegium, acceptant de garder un oeil sur les pages, dont elle avait assez planifié le travail pour qu'elle puisse profiter d'une journée de loisir.
Elle s'arrêta, captivée, devant un marchant d'étoffe. Les tissus était magnifiques, des couleurs chatoyantes, des reflets chamarrés, des matières qu'elle avait envie de toucher du bout des doigts.
Le grand psyché placé derrière le vendeur lui renvoya alors son image. Elle portait ce jour-là sa tenue la plus acceptable de sa garde-robe très mince. Une robe en laine brune et foncée avec pour seule fantaisie une décolleté un peu plongeant surpiqué d'une dentelle jaunie et un peu abîmée. Son tablier de domestique du Collegium ceinturait sa taille, et valait surement à lui seul plus que sa tenue entière.
Elle se souvenait comment elle avait obtenu cette robe.
Son père l'avait trainé au marché, mais Isota ce jour là était remplacé par son fils aîné, Roland. Mina avait enfin le droit de remplacer sa robe qui ne lui allait plus depuis longtemps, grande comme elle était. Kouvrat se serait bien contenté de lui acheter la même en plus grand, mais le jeune vendeur avait aperçu l'œil brillant de la jeune femme devant celle-ci. Preuve qu'un rien pouvait faire envie. Séduit par cette jolie jeune femme, il lui avait fait un prix, et Kouvrat avait finit par accepter de mauvaise grâce face à la promesse de sa bâtarde de doubler son temps de tâche ménagère.
Irmingarde plongea sa main dans une poche de son tablier où tintèrent quelques pièces, son salaire. Elle n'aurait jamais les moyens de s'acheter de tels tissus. La confection ne lui couterai rien puisqu'elle était bonne couturière, mais il faudrait acheter un patron de robe en plus du tissus, c'était définitivement impossible. Malgré tout ce qu'elle avait pu dire à Isabeau, la différence principale entre les femmes du peuple et les nobles était celle-ci. L'argent.
Elle baissa la tête, un peu déçue, puis avisa un marchant d'étoffe plus loin, beaucoup moins belle mais visiblement nettement plus abordable pour elle, et elle avait besoin d'une nouvelle robe, comme pour définitivement trancher les liens qui l'attachait encore aux Holds.
Elle espérait d'ailleurs ne pas tomber sur l'un deux,quelque fois, certaines hommes faisait le déplacement jusqu'ici pour gagner un peu plus d'argent. C'est comme ça que son père avait connu sa mère, mais fort heureusement, le vieux Kouvrat avait passé l'âge de faire d'aussi longs voyages...
Puis malgré elle, la jeune femme regardait les nobles. Savait-on jamais... Peut-être reconnaitrai-t-elle un jour un de ses propres traits dans un de ses visages inaccessible?