Valdemar RPG
Haven => Haven => Discussion démarrée par: Beltran le 30 mai 2014, 13:29:54
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Dernier jour de la 7e décade de printemps 1481
"Voyons Herrold, ralentis, tu vois bien que je peine à rester à tes côtés.
- Mais Thalyana doit déjà être là.
- Elle peut bien attendre une minute de plus, nous sommes en avance.
- Un soldat est toujours à l'heure. Et il ne faut pas la faire attendre au soleil, c'est mauvais pour elle."
Marijia savait bien que tenter de raisonner son lourdaud de mari était comme tenter d'apprendre à coudre à une chèvre, mais les années de mariage ne l'avaient jamais dissuadée d'essayer. C'était même plutôt un jeu entre eux. Le grand mercenaire à la retraite ralentit tout de même le pas pour que sa petite et douce femme puisse rester à ses côtés.
Ils avaient rendez-vous avec leur fille, Thalyana la guérisseuse, qui devait les attendre à la fontaine en forme de ronde de poissons après le carrefour des fileuses. Marijia ne venait que rarement en ville mais c'était un quartier qu'elle connaissait car une de ses amies la fournissait là-bas en laine lorsqu'elle se décidait à coudre ou tisser ou tricoter pour ... plus ou moins tout le monde. Du genre tout le monde qui n'était même pas encore venu au monde. Herrold accéléra de nouveau le pas - Marijia râla de nouveau, et bientôt le père impatient et la mère trépidante atteignirent la place dite.
L'ancien mercenaire observa la place avec l'oeil aiguisé du soldat qui vérifie les environs. Marijia resta, par habitude, un pas derrière lui, mais elle s'éclaira et s'écria avec enthousiasme "Ma Thalyana!" quand elle apperçut sa fille au loin. Herrold blanchit brusquement. La lettre les avait prevenus. Mais le voir... Sa petite Thalyana, sa toute petite fille, partie loin à la ville, était enceinte. Son enfant avait tellement grandi. Le soldat se reprit: ce n'était pas un comportement digne d'un homme.
"Allons y, ma chérie." décida-t-il pour une Marijia qui était déjà en train de se précipiter pour embrasser sa fille.
" Tu es toute belle!" l'accueillit la maman, rayonnante de fierté et d'amour.
Herrold arriva d'un air plus posé, les sourcils froncés d'un air plus sévère.
"Bonjour ma fille."
Le ton était tendre tout de même.
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Thalyana était stressée. Très stressée. Quand elle avait décidé de mettre ses parents au courant par lettre (qu'un brave Héraut avait été d'accord d'apporter), elle n'avais pas imaginé qu'ils se sentiraient obligés de faire le chemin jusqu'à Haven. Certes, leur village n'était tellement éloigné de la ville, mais une telle visite leur demanderait de passer la nuit sur place.
Si Thalyana était angoissée, ce n'était pas tellement de la réaction de ses parents vis-à-vis de sa grossesse. Elle avait l'âge à partir duquel tout parent s'attendait à l'heureuse nouvelle. De plus, étant leur unique fille, elle était certaine qu'ils lui pardonneraient sans peine d'être tombée enceinte en dehors d'un quelconque mariage. Ce que craignait la Guérisseuse, c'était la réaction de son père vis-à-vis de Kalaïd. Elle craignait qu'il le provoque en duel au milieu de la place.
Arrivée au point de rendez-vous, Thalyana était presque heureuse que Kalaïd ne l'ait pas encore rejointe. Peut-être aurait-elle le temps de préparer le terrain et d'éviter un drame. Soudain, sa mère fut là et la complimenta, visiblement ravie de trouver sa fille enceinte. Puis son père, étonnamment posé, la salua.
« Bonjour maman, bonjour papa. Vous avez fait bon voyage? Je vous ai pris une chambre dans une auberge proche de là où je vis. C’est ce qui m’a semblé le plus simple.»
Elle les serra dans ses bras, heureuse malgré tout de les revoir. Elle n’était pas retournée chez elle au Solstice d’Hiver, ayant préféré Kalaïd à ses parents. Elle se sentait donc un peu coupable.
«Je euh... si nous allions nous assoir? Il y a une petite échoppe avec quelques tables au coin là-bas...»
C’était l’endroit qu’elle avait indiqué à Kalaïd s’il ne pouvait être à l’heure au premier rendez-vous.
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Herrold perdit un peu de son impassibilité en rendant son étreinte à Thalyana. C'était sa petite fille à lui et il ne l'avait pas vu depuis longtemps. Son tendre coeur de père se réjouissait à l'idée de passer un peu de temps avec son enfant même si l'image de sa grossesse avait un petit peu de mal à passer le noeud dans sa gorge. Marijia, elle, oublieuse de la situation (pas de mariage, pas de fiancé, un travail épuisant, et tout ce que le père pouvait trouver à reprocher à la situation de la jeune femme), ne voyait que sa grande fille rayonnante avec son ventre et elle n'avait qu'une envie: la dorloter.
"Ca nous ira très bien, merci ma fille. Nous ne resterons pas longtemps à Haven mais si tu as besoin de nous, bien sûr que nous rallongerons notre séjour." s'écria la petite maman avec un sourire jusqu'aux oreilles. "Bien sûr, tu nous montreras ton logement. Je veux être sûre que tout est parfait pour toi et le petit, d'accord? D'ailleurs je t'ai amené deux ou trois choses qui devraient t'aider. Ton père a également préparé un cadeau mais tu ne le recevras pas avant au moins une décade.
- Voyons Marijia, n'assommes pas Thalyana de tout ça maintenant. Allons nous asseoir quelque part et... parler sérieusement."
Quand Herrold voulait parler sérieusement, cela n'augurait pas forcément quelque chose de bon. Cependant, le père vint prendre Thalyana par les épaules pour l'accompagner jusqu'aux tables qu'elle avait désignées.
"Dis moi alors? Tu manges bien? Les nausées sont finies? Tu prends un peu d'exercices n'est-ce pas...?
- Mais pas trop quand même tu dois te ménager. Est-ce que le Collegium t'aide malgré ta ... situation personnelle?"
Père et mère inquiets, voilà exactement ce qu'il fallait pour améliorer l'état de stress de Thalyana...
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«Euh... bien sûr Maman...»
Thalyana n’avait pas du tout besoin que ses parents rallongent leur séjour. Et elle n’était pas certaine de vouloir que sa mère vienne vérifier que ‘‘tout était parfait.’’
Elle se laissa guider par son père, un peu inquiète. Quand son père voulait parler sérieusement, ce n’était jamais bon signe. Elle s’assit à l’ombre et commanda à boire pour elle et ses parents. Puis elle répondit aux questions angoissées de ses parents.
« Oui, je mange bien. Et je n’ai plus de nausée depuis deux ou trois dizaines en tout cas. Et ne t’inquiète pas, j’ai réussi à m’arranger, et j’arrive à faire de l’exercice au moins tous les cinq jours.» Elle se tourna vers son père. «Ma situation personnelle?» Elle fronça les sourcils. « Et oui, on a adapté mes horaires et j’ai une collègue qui m’a prêté des robes de grossesse du vert Guérisseur pour quand je travaille. Et puis à la maison Kalaïd m’aide beaucoup quand il peut. D’ailleurs il ne devrait pas tarder...»
Thalyana estimait en fait que si Kalaïd avait un minimum de bon sens, il s’arrangerait pour se voir confier une tâche qui l’occuperait jusqu’à la nuit. Mais elle savait qu’il avait trop d’honneur pour cela, et qu’il arriverait aussi tôt que possible. Et malgré tout, elle se réjouissait de l’avoir à ses côtés. Comme ça ses parents verraient qu’elle était bien entourée et qu’elle avait un compagnon fiable.
Elle réalisa soudainement qu’elle n’avait pas parlé de Kalaïd dans sa lettre, ni même de leur Lien. Elle n’avait tellement pas l’habitude de parler de sa vie qu’elle n’avait su comment présenter les choses. Elle comprenait un peu mieux l’inquiétude de ses parents.
«Euh... Kalaïd, c’est mon compagnon. Nous sommes ... euh nous vivons ensemble. Nous sommes Liés...» Elle avait un chat dans la gorge.
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Totalement inconsciente que ses propositions, venant pourtant du coeur, pouvaient ne pas réjouir sa fille autant qu'elle, Marijia trotinnait de contentement à quelques pas de sa fille pendant qu'Herrold guidait d'une ferme et paternelle Thalyana vers les tables sus-désignées. Lui savait bien que sa phrase fétiche avait fait mouche et que la pauvre Guérisseuse s'attendait sans doute déjà à un interrogatoire en règle. Il fallait avouer que ce n'était pas sa lettre qui avait pu rassurer les parents (au contraire!) et que son coeur de père frémissait d'angoisse depuis qu'il l'avait reçue. Thalyana n'avait pas mentionné ce qu'il aurait bien voulu savoir. Vite. Maintenant. Il s'arma pourtant de patience et agit avec la ruse du renard et la prudence du lapin en participant à l'interrogatoire "léger" que sa propre femme commença à faire subir à leur enfant. Les réponses de Thalyana eurent le don de les satisfaire au début avant qu'elle ne mette subitement les pieds dans le plat.
Tout se figea autour de la table. Marijia regarda Herrold. Herrold regarda Marijia. Herrold regarda Thalyana. Marijia regarda Herrold qui regardait Thalyana. Puis Marijia regarda Thalyana. Et le monde reprit son cours normal.
"Kalaïd... Qui t'aide? Tu as donc...// - Ben oui ta situation personnelle, pas mariée... Kalaïd?" commencèrent les deux parents d'une même voix, l'un et l'autre la gorge serrée par différents sentiments mitigés.
Thalyana avait déjà pris sur elle d'expliquer qu'elle avait un compagnon, un vrai. Lié. Herrold ne savait pas lié comment, mais la veine de son front apparut, signalant la colère qui montait en lui. Elle fréquentait encore celui qui l'avait déshonorée! Il ne la demandait même pas en mariage et s'affirmait lié à elle! Il lui faisait un bébé, à sa (précieuse petite) fille et il n'était même pas là! Il prit une grande inspiration pendant que Marijia, voyant la crise arriver, lui posait une main apaisante sur le bras. Prenant l'initiative pour empêcher Herrold d'ameuter la garde par ses cris de lion enragé, la maman se pencha vers sa fille:
"Tu veux dire que votre situation est... officielle...? Enfin, pour la ville? Il va ...
- Il va bien sûr arranger ça, n'est-ce pas? Qui est-il? Où est-il? J'ai deux mots à lui dire." grinça Herrold entre ses dents serrées.
Marijia était désolée de gâcher ainsi ses retrouvailles avec sa fille mais la situation était assez extrême pour les faire venir en urgence à Haven, alors elle ne prit pas le risque de s'opposer au caractère emporté de son mari bien qu'elle eût un regard attendri et conciliateur vers Thalyana.
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- Bon sang...
« La place avec la fontaine en forme de ronde de poissons ».
La voix de Thalyana résonnait encore dans sa tête alors qu'il se déplaçait à travers la ville.
Mais pourquoi faire ça maintenant ? Quelle idée, pardon... Il aurait fallu faire ça bien avant la guerre, dès le début de leur histoire, ou bien après la guerre, quand ils auraient tous le temps de penser à ça. Mais là il y avait vraisemblablement comme un léger loupé dans le timing.
Et en parlant de souci d'horlogerie, Kalaïd était à la bourre.
Le royaume avait un pied dans la tombe et l'autre qui glissait vers le champ de bataille, mais lui devait aller rencontrer ses beaux parents. Aranel venait de disparaître, remplacée dans la minute par un inconnu de ce qu'on en disait, les troupes n'étaient pas au mieux de leur moral de ce fait et les hommes avaient encore beaucoup à voir et bien des entraînements à vivre avant les vrais combats. Ceux-ci avaient déjà plus ou moins commencé d'ailleurs, les rapports faisaient état d'escarmouches plus ou moins dures au niveau des frontières.
Et qui était en charge de préparer les hommes et de mettre au point les stratégies d'aguerrissement qui permettraient de rendre valables l'une ou l'autre stratégie qu'il plairait au Roi de mettre en œuvre sur le terrain ? Bin celui qui marchait dans la ville en direction d'un rendez-vous de famille bien sur ! Il n'avait même plus le temps de toucher à une lame ces derniers temps. Il avait fière allure le soldat de métier qui allait bientôt oublier le poids même de son épée...
- Inspire, compte quatre, expire, compte quatre...marmonna-t-il entre ses dents avant d'arriver sur une énième petite place.
Il savait que cela faisait plaisir à Thalyana, il ne devait pas gâcher ses retrouvailles avec ses parents. Malgré le fait qu'ils n'en aient jamais vraiment parlé ensemble, Kalaïd se doutait que cela faisait des lustres qu'ils ne s'étaient pas vus. D'un coup il réalisa la situation. Des parents n'avaient pas vu leur fille unique depuis des décades, ils apprenaient par une lettre qu'elle était enceinte, d'un type dont ils n'ont jamais entendu parler, qu'elle a rencontré il y a bien peu de temps finalement, et qu'ils ne se sont même pas fiancés. Ça faisait beaucoup là quand même...
*Tiens c'est vrai ça... Pourquoi on ne s'est pas fiancés en fait ?*
D'un coup le jeune Lieutenant réalisait tout un tas de choses sur sa vie privée, dont il n'avait guère eu le loisir de s'inquiéter ces derniers temps.
Au fond de lui, de multiples émotions se croisaient. Et il n'aimait pas ça. Il aimait quand c'était plus simple. Aussi simple que l'amour profond qu'il éprouvait pour Thalyana. Et là ça ne l'était pas. Il voyait déjà l'état psychologique des parents de son aimée. Pourvu seulement qu'ils soient moins bourrins que la moyenne sinon les relations allaient partir sur de bien mauvaises bases !
Il était tellement paumé dans ses pensées qu'il ne remarqua pas la troupe qui s'arrêta juste devant lui, en plein milieu du passage. Donc sur sa route. Alors qu'il était déjà en retard. Il ne manquait plus que ça...
- Mais qu'est-ce que vous foutez en plein milieu les gars là, vous voyez pas qu'on peut plus passer ? Leur demanda-t-il d'un ton où l'agacement montait rapidement.
- Notre ronde est terminée mon Lieutenant, qu'est-ce qu'on...
- Hop là ! De quoi ? J'ai sans doute mal entendu là... Votre ronde est quoi ?! Parce que vous vous imaginez qu'elle peut s'arrêter là votre ronde peut-être ? En plein milieu d'une place ? Et vous faites quoi après du coup, vous rompez les rangs et chacun rentre chez soi ou il y a un début de plan quand même ? Votre ronde va se terminer comme toutes les autres bande d'ahuris, à votre point de départ, c'est pour ça qu'on appelle ça une ronde bon sang ! Allez barrez-vous !! Déblayez de là avant de prendre mon pieds où vous savez bande de bleus ! Allez !!
… En fait c'était peut-être du stress tout simplement. Après tout c'était la première fois qu'il allait rencontrer les parents d'une jeune femme. Une jeune femme... Non, Thalyana n'était pas « une jeune femme ». C'était « La » jeune femme, « Sa » jeune femme... Sa femme en fait... Kalaïd eut un léger sourire à cette pensée. Sa femme... Oui c'était définitivement ce que Thaly...
- … Mais vous êtes encore là les comiques ?! Réalisa-t-il alors que la troupe était toujours pétrifiée au garde à vous face à lui. Barrez-vous où je vous fais faire des tours de place en rond devant tout le monde et au pas de gymnastique !
Se retournant vers la place alors que la troupe quittait les lieux bien conscient de l'état d'agacement du Lieutenant, celui-ci constata que tout le monde s'était figé en le regardant. Il faut dire qu'il avait un tout petit peu hurlé.
- Quoi ?! Oui bin ça va c'est rien, allez continuez de machiner ! J'ai pas des ailes de dragons non ?! Alors arrêtez de me fixer comme si j'étais un cyclope aux yeux vairons et recommencez à faire vos trucs là !
Il repartit à grands pas. Ce n'était pas la bonne place, maintenant il était vraiment à la bourre. Et passablement agacé.
*Inspire, compte quatre, expire, compte quatre...*
- Ah bah les voilà les poissons..., constata-t-il enfin après plusieurs minutes de marche forcée avec un certain soulagement.
Les cheveux dorés qui malgré le coin ombragé où ils étaient illuminaient ce coin là bas étaient ceux de sa dulcinée. Même les yeux fermés il savait que c'était elle de toute façon. Immédiatement il se sentit apaisé, toute animosité retomba instantanément. Qu'importe ce qui pouvait arriver de toute façon, seule Thalyana et leur enfant à venir comptaient. La force de leur Lien était plus puissante que tout ce que Kalaïd avait pu connaître jusqu'alors. Pour lui c'était la raison unique de toutes les batailles qu'il avait pu mener depuis que cette particularité de leur destin commun leur avait été révélée.
Il s'approcha du trio. Il ne fallait pas être bien malin pour comprendre que les deux personnes qui faisaient face à son aimée étaient ses parents. Visiblement son père n'avait pas l'air très heureux de leur situation, Kalaïd ayant entendu sa dernière phrase juste avant d'arriver. Il posa doucement sa main dans le haut du dos de Thalyana afin d'établir un contact physique avec elle. C'était presque vital pour lui lorsqu'il était près d'elle. Il ne savait pas comment il avait bien pu se passer de cette chaleur sous sa paume pendant ces mois à préparer la guerre...
- Bonjour, bienvenue à Haven, je suis le Lieutenant Kalaïd, grade qui malheureusement peut en partie expliquer mon retard mais ne saurait l'excuser bien sûr...
Ce disant il adressa un courtois signe de tête ainsi qu'un discret sourire à la mère de Thalyana tandis qu'il tendait franchement sa main dégantée à son père.
- ...Deux mots donc ?
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Ses parents comprenaient tout de travers. Elle aurait mieux fait de ne rien leur dire et d’attendre la naissance de la petite pour leur rendre visite. D’être muette comme une carpe. Cela aurait été tellement plus simple. Mais avec la guerre à venir, l’insécurité croissante, elle avait cru bon de les informer. Elle pensait ainsi leur donner un peu de joie. Mais visiblement, son père avait plus d’intérêt pour sa vertu ‘‘bafouée’’ que pour sa grossesse, il semblait prêt à se comporter comme l’ours mal léché qu’il était. Et sa mère, bien que plus conciliante, tenait pour une fois la rôle de maman ours, féroce quand il s’agissait de défendre sa petite.
La gêne lui coupait la voix et malgré plusieurs raclements, elle ne parvenait pas à se débarrasser du chat qui avait élu domicile dans sa gorge avec toute sa portée.
« Non... je voulais dire... pas liés dans ce sens là. Je voulais dire Liés, avec une majuscule. Vous savez, comme dans les contes. Le truc magique, les Dieux...» tenta-t-elle d’expliquer, sa voix à peine plus forte que le pépiement d’un petit passereau.
Elle rougissait et bafouillait quand elle sentit la main apaisante de Kalaïd sur son épaule. Elle leva la tête pour capter son regard et l’accueillir d’un sourire rassuré. Elle posa sa main sur la sienne pendant qu’il se présentait.
« Bonjour...»
Elle était contente qu’il soit enfin arrivé. Kalaïd, son fier soldat, féroce comme un loup, doux comme un vison, fort comme un cerf. Elle aurait aimé pouvoir être une petite souris en cette instant, pour pouvoir se glisser dans sa poche et disparaître, pour pouvoir lui expliquer discrètement qu'elle n'avait pas voulu la présente situation, qu'elle ne pensait pas que ses parents réagiraient ainsi. Mais elle était là, bien humaine, et fortifiée par la présence de son Lié, elle parvint enfin à faire entendre clairement sa voix.
« Euh... voici Kalaïd.» Elle était plus rouge que la gorge d’un rouge-gorge. « J’ai oublié d’en parler dans ma lettre. Je comprends mieux pourquoi... enfin... pourquoi vous vous êtes senti obligés de venir. »
Elle avait chaud. Trop chaud. La situation menaçait de dégénérer. Elle ne voulait pas que son père fasse une scène ici, devant Kalaïd, au beau milieu d'une place plus peuplée qu'un banc de sardines. Puis soudain, la diversion idéale se présenta d’elle-même.
«Oh... maman, papa, elle bouge! La petite bouge!» lança-t-elle d’un ton plus qu’enthousiaste.
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A force de vivre dans la grande ville au point de s'y fondre comme un poisson dans un banc, Thalyana avait oublié que ses parents venaient de la campagne profonde où les unions étaient prises au sérieux, jusqu'au niveau de la vache qu'on faisait vêler ou des lapins qu'on appariait. A leurs yeux, Thalyana avait transgressé la règle. Cependant, c'était leur enfant donc forcément innocente et abusée alors que le fameux Kalaïd était forcément coupable et plein de péchés. Ainsi voyaient ils donc les choses, prêts à en découdre pour recouvrer la vertu de leur précieuse fille... mais tout de même le coeur grand ouvert pour leur futur (bâtard de) petit-enfant.
Marijia haussa un sourcil à l'explication difficile que tenta de leur donner Thalyana, soudain timide comme une musareigne prise au piège. Elle avait entendu parlé (et rêvé sur) des Liens pour la Vie dont les Bardes leur rebattaient les oreilles. Elle n'en avait pas avec Herrold - qu'elle aimait tout de même très tendrement - et, jeune, elle avait espéré que les Dieux la choisissent. En vieillissant, elle s'était faite à l'idée qu'elle était épargnée comme l'agneau du sacrifice et qu'à la place elle avait un amour stable et chaud et une situation parfaite d'épouse et de mère. Mais cette expérience de jeunesse lui remonta subitement à la tête quand elle finit par comprendre où Thalyana voulait en venir. D'un coup, son angoisse concernant la situation compromise de Thalyana s'évanouit. Liée pour la Vie, cela voulait dire que le compagnon ne pourrait jamais abandonner la jeune femme à son sort. Elle était aussi bien mariée que par un prêtre, appariée à vie, comme les loups. Marijia sentit un poids quitter brusquement sa poitrine et elle fut envahie par une douce chaleur tranquille: sa fille allait bien et elle allait être grand-mère. Tout était bien dans le meilleur des mondes.
Sauf que - car oui, il y a toujours des sauf que dans les histoires d'amour... Sauf que, donc, Herrold n'avait pas compris ça, lui. Plus terre à terre, pas du tout convaincu que les Liens pour la Vie existaient, et pas du tout convaincu qu'on n'aie pas ébloui sa fille en lui faisant croire des sornettes, il avait du mal à se calmer. La veine sur son front palpitait et il n'avait pas renoncé à dire "deux mots" à son rival masculin du moment. C'était lui l'homme de la vie de Thalyana jusque là, et la jalousie parentale pouvait parfois être pire que la jalousie amoureuse.
Alors que Marijia battait des mains de ravissement avant de caresser l'avant-bras de son mari pour le calmer, un homme apparut. Un soldat, nul doute n'était possible. Plutôt bel homme, plus âgé que Thalyana, il en imposait et on sentait qu'on ne le menait pas en bateau facilement. Pas l'idée de quelqu'un de manipulateur pourtant sur son visage franc. Il mit la main sur Thalyana (Herrold fronça les sourcils) et se présenta. Alors que le père de la jeune femme serrait les dents, Marijia accueillit l'inconnu avec un grand sourire:
"Enchantée, Kalaïd. Thalyana avait oublié ce petit point de détail en nous écrivant. Nous l'imaginions déjà seule et abandonnée, enceinte et seule et nous avons quelque peu paniqué..." Elle eut un gloussement, soulagée. "Votre retard est pardonné, je suis contente de vous voir ici, vous le Lié de Thalyana. Vous l'épouserez bientôt je suppose?"
Mettre les pieds dans le plat était bien dans le tempérament de la maman qui surveillait son mari d'un oeil perçant comme celui d'un vautour devant une proie presque morte. Ce dernier s'était levé et toisait Kalaïd de toute sa hauteur d'ancien mercenaire, prêt à en découdre comme un chat rencontrant un chien pour la première fois.
Puis soudain le monde s'écroula. Thalyana leur annonça que le bébé bougeait. Marijia n'y tint plus et se leva pour s'accroupir devant sa fille et tendre une main hésitante vers son ventre:
"Je peux ? S'il te plait?"
Herrold, lui, regarda sa descendante avec un regard perdu puis un sourire béat:
"C'est une petite fille?"
Il se rendit compte que Kalaïd était toujours devant lui et se rembrunit d'un coup avant de demander d'un ton sec:
" Vous faites du mal à ma fille ou ma petite-fille et je vous découpe moi-même en morceaux, est-ce compris, Kalaïd?"
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Kalaïd posa la main sur l'épaule de Thalyana pour établir un contact avec elle et tenter de ressentir au travers de leur Lien ce qu'elle vivait. Il mourrait d'envie de se rapprocher de sa propre fille qui se manifestait, mais d'abord il devait régler un point de détail...
Il regarda Herrold droit dans les yeux et s'approcha de lui. Outre ce qu'il avait vécu en tant que mercenaire pendant de nombreuses années, il avait combattu des démons et les sbires des mages noirs, cet homme n'avait pas l'ombre d'une chance de l'impressionner.
- On ne se connaît pas encore bien sûr, mais je n'ai pas l'habitude de me défiler ou d'éviter de dire ce que je pense donc je vais me permettre un brin de franchise avec vous... Thalyana et moi sommes marqués de ce que les Dieux ont désigné comme étant un Lien pour la vie, c'est à dire qu'elle est l'autre partie de moi. C'est simple, c'est comme ça, c'est quelque chose qu'on ne peut expliquer et que je ne vais d'ailleurs jamais chercher à expliquer. J'ai toujours détesté la magie pour des raisons parfaitement personnelles, mais ce Lien qui nous uni est plus fort que tout ce qu'il m'a été donné de connaître au cour de mon existence. Si quelqu'un devait tenter de nous séparer par quelque moyen que ce soit nous dépéririons probablement tous les deux. Du coup les choses sont claires pour moi : je tuerai de mes propres mains quiconque tenterai de briser notre lien ou de porter atteinte à cette jeune femme et cela vaut aussi pour vous, que vous soyez de sa famille ou non m'importe peu, si cela permet d'éviter qu'il ne lui arrive quoi que ce soit. Thalyana est la meilleur chose qui me soit arrivée, sans l'ombre d'un doute, et notre enfant, le fruit de notre amour, pas d'une simple aventure, ne pourra que renforcer ce Lien qui nous unit. Il est exclu que quiconque puisse leur porter atteinte à l'une comme à l'autre tant que je respirerai encore...
Il avait expliqué les choses avec calme mais d'une voix sans appel et la plus basse possible pour éviter que Thalyana ne s'inquiète du ton particulier de la conversation qui se jouait entre son père et son Lié.
Avec tout ça il n'avait pas pu répondre à Marijia.
Sans attendre de réponse de la part de Herrold, il se tourna directement vers les deux femmes et demi qui se tenaient à leurs côtés.
Il se pencha près de son aimée et posant sa main sur le ventre rebondit de Thalyana, il adressa un sourire à sa mère.
- Je comprend qu'elle ait pu omettre de vous préciser que j'étais le père de cette enfant à venir et qu'il était simplement hors de question que j'abandonne l'une ou l'autre. Notre Lien est si... Présent, que notre existence est logique d'une certaine manière. Nous n'avons pas besoin de nous poser la question de savoir si oui ou non nous nous aimons, ou si nous sommes ensemble. C'est le cas et nous le savons simplement. C'est aussi pour cette raison que nous n'avons même jamais parlé de mariage jusqu'à présent. Je réalisais cela alors que je venais ici tout à l'heure. La force de notre Lien est tellement naturelle que l'idée même du mariage ne nous est simplement pas venue, puisque nous sommes déjà liés par les Dieux jusqu'à ce que la mort nous sépare...
Kalaïd fut particulièrement surpris de sa propre éloquence. Il n'avait pas l'habitude de parler aussi ouvertement de choses aussi personnelles avec des personnes qu'il ne connaissait pas. Bon admettons que les parents de Thalyana avaient un genre de dérogation à ce niveau là. Et puis le sujet était inspirant. Mais quand même... De mémoire il n'avait jamais parlé aussi ouvertement de leur Lien à personne...
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Les joues et la gorge de Thalyana prenaient rapidement la couleur délicate de l’écrevisse, et elle avait une folle envie d’aller se cacher quelque part. Elle était responsable de la situation présente, par son étourderie et son manque de clairvoyance. Certes, elle avait écrit la lettre entre deux patients, un jour où il faisait un temps de chien et qu’elle se sentait mal. Mais sa missive, brève et couverte d’une écriture de chat, n’avait pu bénéficier d’une seconde relecture. Interrompue par une urgence alors qu’elle y mettait un point final, elle n’avait pu la corriger avant de la confier au Héraut qui servirait de messager. Et comme on trouvait rarement des gens disponibles sous les sabots d’un cheval, elle avait sauté sur l’occasion sans même se s’inquiéter plus avant du contenu de sa lettre.
Son intervention opportune, ou plutôt celle de sa fille qui avait manifestement réagi à la panique de sa mère, sembla détendre un instant la situation. Déjà, agitée comme une puce, sa mère s’approchait et demandait à toucher le ventre de sa fille. Son père lui, sous ses allures d’ours se révéla un vrai pot de miel à la mention de sa petite-fille. Malheureusement, cet instant de grâce ne dura pas, car il se souvint alors de la présence de Kalaïd et il l’apostropha violemment.
Kalaïd ne se contenta pas de le regarder en chien de faïence. Il lui répondit avec une franchise qui la fit se retourner pour le dévisager avec surprise. Sans pour autant monter sur ses grands chevaux, il déballa leur histoire d’amour sans fard, appelant un chat un chat. Thalyana n’en revenait pas. Lui qui était habituellement si réservé en public, se fermant comme une huître dès qu’il s’agissait de sa vie privée. Elle lui serra doucement la main avec un petit sourire timide.
Croyant le moment des explications terminées, elle tenta reprendre contrôle de la situation en parlant à sa mère, mais alors Kalaïd se pencha sur elle, posant une main plus légère qu’une plume sur son ventre, et prit le temps de répondre aux questions impertinentes de sa future belle-mère. Si Thalyana avait été impressionnée par ses déclarations précédentes, les paroles qui vinrent la laissèrent plus muette qu’une carpe. Il parvenait à mettre des mots sur des sentiments qui jusqu’à alors s’étaient épanouis en secret, car trop intenses pour être expliqués.
Profitant du bref instant de répit avant que sa mère ne se remette à bavarder comme une pie, Thalyana reprit la parole.
«Bien sûr que tu peux toucher.» Elle sourit. «De toute façon, le ventre d’une femme enceinte est plus ou moins public, d’après ce que j’ai pu constater. Et oui, Papa, j'ai ‘‘vu’’ que c'est une petite fille.»
Alors que Marija se penchait sur elle, elle l’interpella à voix basse.
«Laisse-les s’expliquer. Papa ne se calmera pas tant qu’il n’aura pas pu le menacer des morts les plus atroces, et Kalaïd ne manquera pas de le remettre à sa place. De toute manière il va bien falloir qu’ils trouvent un terrain d’entente. Même s’il est buté comme un âne, Papa réalisera bien qu’il n’a pas de raison de s’inquiéter. Tu pourras harceler Kal après...»
Elle chercha le regard de Kalaïd pour lui faire un clin d’œil complice.
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Marijia avait la quasi-totalité de son attention sur le ventre de sa fille mais elle tendait tout de même l'oreille - et glissait parfois un oeil - en direction de son ours mal léché de mari. Il n'avait pu s'empêcher de menacer ouvertement le compagnon de sa fille alors que Kalaïd n'avait pas l'air si mal que ça. Elle aurait bien trouvé un moyen de ménager la chèvre et le chou mais la situation pouvait empirer à n'importe quelle seconde et elle connaissait assez son mari pour savoir que son intervention risquait de ne guère faire l'effet d'un seau d'eau sur un chat échaudé, bien au contraire. Alors que Marijia, pleine de ses illusions romantiques sur l'Amour avec un grand A, regardait avec un sourire béat le futur géniteur avouer son Lien profond avec sa fille et sa future enfant, Herrold continuait à fulminer tel un taureau sous le nez duquel on agitait un chiffon rouge. Un chiffon avec un nom: Kalaïd. Qui parlait, le chiffon. Pour dire des choses très belles au demeurant, mais qu'Herrold n'interprêta qu'au travers du prisme de sa colère. Kalaïd le défiait.
Mais au même moment, Thalyana annonçait qu'elle allait être maman d'une petite fille et c'était un des plus beaux jours de la vie d'Herrold. Il en voulut encore plus à ce Kalaïd de le lui gâcher. Il lâcha, dents serrées comme un loup prêt à gronder:
"Une petite fille? Merveilleux ma Thalyana."
Marijia porta les mains sur le ventre rond de la Guérisseuse avec un petit soupir de joie et attendit que sa future petite-fille daigne bouger à nouveau pour elle. Elle acquiesça doucement à ce que lui disait sa fille mais précisa:
"J'ai juste peur qu'il tire l'épée et se retrouve au poste pour avoir attaqué un lieutenant. Même si je doute qu'il aille plus loin que le menacer. Il est dans tous ses états depuis ta lettre, ma chérie, j'ai eu du mal à le calmer et le convaincre de venir sans tout son attirail de guerrier..."
L'ancien mercenaire (le vieux) regarda l'ancien mercenaire (le jeune) d'un regard de faucon en chasse, fronçant les sourcils à cause d'une vue désormais plus digne d'une taupe que d'un rapace. Puis il glapit plus qu'il ne cria:
"Et vous croyez vraiment que vous méritez ma fille?" Le ton monta: "Lien ou pas Lien, vous l'avez déshonorée et elle se retrouve à la rue, loin du Collegium et de son confort avec un bébé à élever pendant que vous irez fricoter avec l'ennemi, ou pire... avec les femmes de l'ennemi. Vous êtes un soldat, n'avez vous pas d'honneur? Le mariage est obligatoire dans ce genre de cas, lâche!" Herrold tentait de ne pas postillonner mais il crachait comme un chat en colère: "Et comment pensez-vous élever une famille avec votre salaire et tout le temps en vadrouille? Vous allez la faire souffrir et ça je ne peux le permettre! Vous allez ici et maintenant lui faire vos excuses en public et vous engager à réparer. Et vous ne la déshonorerez plus jamais, compris? Sinon..."
Oui, oui, vous aviez bien entendu: Herrold était totalement illogique, gonflé comme un crapaud devant un boeuf, rouge tomate d'énervement, criaillant comme un corbeau en colère. Il menaçait Kalaïd directement avec le doigt sous le nez... et une main sur l'épée qu'il portait au côté. Il avait zappé le "je l'aime et ne lui ferai jamais de mal" et l'avait remplacé par "gnagnagna aventure gnagna lieutenant gnagnagna se battre", ce qui n'amènerait guère à le calmer. Papa faisait un peu la sourde oreille quand il s'agissait d'avoir tort. Il ne calculait pas qu'il allait peut-être devoir faire face à un soldat en exercice et que l'âge et un peu d'embonpoint ne l'avantageaient pas tellement. Mais sa précieuse fille était en jeu. Que ce jeune lion prouve qu'il avait gagné la gazelle!
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- Sinon ? reprit Kalaïd en se redressant. Sinon quoi exactement ? rétorqua-t-il d'un ton sec.
Il regarda brièvement l'homme qui lui faisait face.
Visiblement il était vieux et avait oublié bon nombre de règles de base en matière de combat. Par exemple, on ne pointe jamais son doigt sous le nez de son adversaire. Déjà parce que c'est mal poli ! Et un petit peu quand même parce qu'on n'éloigne jamais ses segments de son centre de gravité, c'est le meilleur moyen de se faire péter un bras. Et justement, ça commençait à démanger Kalaïd. Beaucoup.
*Inspire, compte quatre, expire, compte quatre...*
Sauf que cette technique avait ses limites...
- Vous ne manquez pas de courage monsieur, mais si vous n'enlevez pas votre main de votre arme, vous allez finir dans un cachot. Remarquez que cela vous donnerait l'occasion de réfléchir sur le sens de vos propos, étant donné la façon dont vous vous permettez de parler à un Officier et les jugements de valeur que vous vous autorisez sur une situation dont vous ignorez tout. Votre compréhension de la situation étant erronée, laissez moi vous éclairer. Pour information je vous apprend que votre fille n'est pas à la rue, elle est installée pas loin du Collégium dans un appartement qu'elle s'est choisie elle-même et que me semble-t-il elle apprécie, et au pire même si ça lui posait problème nous pourrions si elle le souhaitait nous installer dans mes appartements d'officier, à proximité direct du palais et du Collégium. Question salaire ça devrait bien se passer, Thalyana n'est pas au chômage je vous le rappelle, et pour ma part je ne suis rien de plus qu'un des seconds du commandant de la Garde de Haven. Je ne suis pas encore obligé de mendier le soir dans la rue pour pouvoir espérer nourrir mon cheval...
Après le second degré il n'était pas sûr que ce soit à la portée du vieux mercenaire mais bon, parti sur la lancée...
Alertés par le ton plus fort du Lieutenant, une patrouille de garde s'approcha. Sur les ordres de Beltran, la présence des forces de l'ordre avait été renforcée après les évènements du Champ des Compagnons.
Kalaïd tendit le bras dans leur direction, leur intimant l'ordre de rester en dehors de tout ça. Puis il se recentra sur Herrold.
-...Quant à vos considérations sur le mariage, même s'il est absolument évident que nous nous marierons dans un avenir très proche, merci mais je reste particulièrement dubitatif sur le fait que vous soyez au fait de ce qui est obligatoire ou non lorsqu'un couple a été initié par les Dieux. Je ne me fais malheureusement aucune illusion sur le fait que vous n'ayez aucunement la volonté d'accepter cette réalité, mais sachez bien que cela ne changera pas les faits. Que vous soyez d'accord avec ça ou non, Thalyana et moi sommes Liés à vie par un pouvoir au-delà de nos propres compréhensions.
Même si son ton était monté haut au cours de ces explications, Kalaïd finit très calmement. Curieusement, il se sentait plutôt bien, serein à dire vrai. Il ne pensait pas que parler avec autant de franchise (et autant d'un seul coup) serait aussi libérateur.
Il recula légèrement et écarta les bras.
-... Maintenant si l'envie de tirer votre épée est plus forte que votre raison, je ne vous empêche pas de tenter votre chance... Sachez seulement qu'en dehors des entrainements d'arme que j'ai donné à votre fille, je ne retiens jamais mes coups.
*Ne commettez pas cette ultime erreur monsieur...*
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Thalyana continua le petit conciliabule avec sa mère.
«J’interviendrai avant, Maman. Et puis Kalaïd sait faire preuve d’autorité. Contrairement à Papa, il est gradé, et continuera de grader.»
La petite bougea de nouveau, avec plus de force que plus tôt. Une vrai petite puce!
«Tu sens? Elle tient pas en place. Surtout quand c’est animé autour d’elle. Personne n’a pu me le confirmer - je pense qu’ils sont réticents à l’idée de se prononcer sur quelque chose du genre - mais je suis certaine qu’elle est déjà Empathe, comme moi. J’ai choisi un prénom déjà. Je sais que ça porte malheur par chez nous, mais elle est en très bonne santé et moi aussi, donc... J’ai décidé de l’appeler Amalia. C’est le deuxième prénom de sa marraine...» Soudain, un pli soucieux barra le front de la jeune femme. « Dis-moi, Maman... tu n’as eu qu’un seul enfant parce que... enfin... Tu as eu des soucis à ma naissance? Tu n’as jamais réussi à en avoir un deuxième? Ou tu t’es arrangée pour ne pas en avoir d’autre? Parce que j’aimerais savoir si je dois m’attendre peut-être à des complications ultérieures...»
Elle s’était souvent posé la question depuis quelques dizaines. Elle avait grandi entourée de fratries aussi nombreuses que des portées de souris alors qu’elle était fille unique. A l’époque, elle ne s’était jamais vraiment interrogée sur le sujet. C’était les aléas de la vie. Mais maintenant qu’elle était confronté à sa propre grossesse, et la perspective de fonder sa propre famille, elle voulait savoir.
Écoutant d’une oreille la dispute entre Kalaïd et son père, elle s’offusqua d’abord du portrait que dressait son père. A l’entendre, elle était comme un chat errant, condamnée à mendier en faisant des yeux de merlan frit aux passants. Quant à cette histoire de ne plus la déshonorer... elle faillit lui rétorquer qu’au contraire, elle comptait bien qu’il recommence ce soir, et demain, et encore, bref, qu’ils copulent comme des lapins. Mais elle s’abstint, car elle savait qu’elle ne ferait que de titiller le dragon en agissant ainsi. Heureusement, Kalaïd la défendit avec brio.
Thalyana savait que pour son père, le Lien pour la Vie, c’était comme le dahut. Une histoire que l’on racontait aux gens naïfs pour ensuite pouvoir se moquer d’eux. Ou à la rigueur une fable que l’on répétait aux jeunes filles pour les faire accepter le mariage. Elle doutait donc qu’il accepte vraiment la réalité de ce Lien.
Soudain, il lui sembla que le moment était venu d’intervenir: son père était tout à fait capable de sortir son arme juste pour montrer qu’il ne se laissait pas intimider. Il était plutôt têtu comme une mule et fier comme un pou. Il n’accepterait pas facilement de s’être fait remettre à sa place par un jeunot. Elle ferma brièvement les yeux. Calme. Soulagement. Elle voulait qu’il se sente soulagé d’avoir crié et apaisé. Joie. Calme.
Elle rouvrit les yeux, et tourna légèrement la tête pour accrocher le regard de son père. Elle lui fit un grand sourire.
«Papa, tu es sûr de pas vouloir venir toucher? On dirait un petit cabri tant elle est agité!» *Ce qui n’est guère étonnant vu les mauvaises ondes que tu dégages.*
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Marijia fronça du nez d'un air désolée mais hocha la tête sans répondre. Kalaïd se débrouillerait seul. Il n'avait pas besoin de l'intervention d'une femme. Non, il ne devait pas subir l'intervention d'une femme. Cela devait se régler entre les deux hommes et l'épouse soumise qu'elle était le voyait bien.
Le bébé bougea dans le ventre de Thalyana et Marijia eut autre chose à penser que la bataille qui flottait dans l'air. D'un air ravi, la future grand-mère laissa ses mains sentir la peau qui se déformait joyeusement et elle sourit largement.
" Ne provoque pas les Dieux... Mais je te comprends, j'ai eu du mal à m'empêcher de te trouver un nom dès que j'ai su que tu étais bien accrochée. Thalyana est un nom que ton père et moi avions déjà aimé bien avant que tu nous arrives, cela n'a guère été difficile de nous décider... " fit-elle doucement. "Amalia est un nom de femme forte. C'est de bon augure. Qui sera donc la marraine?"
La main de Marijia quitta le ventre de sa fille pour lui prendre la main.
"J'ai eu... quelques petits soucis à tomber enceinte. Des fausses couches dans les premiers mois de grossesse. A répétition. Quand tu es enfin arrivée, nous avons craint jusqu'au dernier moment que les Dieux nous volent notre dernier espoir mais un jour tu étais là, en parfaite santé, et nous étions heureux. La naissance s'est bien passée même si elle a été très longue. Tu te faisais attendre crois-moi. Après... J'ai encore fait deux fausses-couches et nous avons décidé de ne pas tenter encore une fois. Nous t'avions, ça nous suffisait. Mais tu vois, tu es la prunelle des yeux de ton père. Il n'a que toi. Ne lui en veux pas de réagir comme un rustre mercenaire..."
Ledit mercenaire s'opposait toujours au gendre qu'on lui imposait.
"Sinon..." Trouver quelque chose d'intelligent et menaçant, maintenant... "Vous le regretterez sincèrement et ça très vite."conclut Herrold d'un air menaçant.
Il était comme le vieux chien qui aboie et ne mord pas - et le savait pertinemment mais c'était plus fort que lui et il n'aurait pas su comment s'arrêter. Il était bien conscient qu'il était idiot de menacer un gradé qui vivait encore l'arme constamment au côté mais il le devait. Sa petite fille et son bonheur étaient en jeu! Il grinça des dents quand Kalaïd lui dit (plutôt calmement vu la situation) que Thalyana vivait (seule) volontairement hors du Collegium et qu'elle avait un travail rémunéré. Herrold ne se ferait jamais à l'indépendance des femmes. Il avait oublié ce petit point de détail.
Au même moment, il se rendit compte que son esclandre avait attiré la Garde. Il l'avait oubliée celle-là! Un gradé, menacé par un ancien mercenaire... Cela ne sentait pas bon pour lui mais Herrold avait un (autre) gros défaut: il était orgueilleux. Ayant provoqué la situation, il ne pouvait tout simplement ranger ses menaces et son arme sans perdre la face. Kalaïd pourtant ne profita pas de la situation pour l'enfermer (pour soulager Thalyana sans doute) et tint ses hommes à distance pour continuer son petit discours.
"Vous vous marierez en vrai? Religieusement et tout donc?" demanda Herrold, soudain frappé par une vague de soulagement maintenant qu'il avait crié ses quatre vérités. "Si vous clamez que les Dieux vous ont choisi, il faudra le faire devant Eux."
La main toujours posée sur son arme, Herrold hésita une seconde puis, plus calme, regarda Kalaïd:
"Vous vous engagez à épouser Thalyana, reconnaître son enfant et l'aimer même lorsque le mariage vous semblera une institution aux chaînes très lourdes? Vous êtes jeune encore, vos Dieux peuvent se moquer de vous."
La voix était beaucoup plus calme, moins menaçante, mais il ne cédait pas de terrain. Il fallut l'intervention de Thalyana pour désamorcer finalement la situation. Herrold la regarda:
"Si, ma chérie, j'arrive. Je règle juste un dernier point avec ce monsieur." fit-il avec douceur. Se tournant vers Kalaïd: "Ma fille est Empathe et elle saura toujours ce que vous faites si c'est contre elle. Et si cela arrive, gradé ou pas gradé, vous aurez affaire à moi. C'est bien compris?"
Herrold retira sa main de l'arme, et posa l'autre main sur sa hanche avant de regarder Kalaïd sous le nez et de lui signaler avec un sérieux mortel:
"Pour le mariage, faudra me raser cette barbe correctement quand même. On vous apprend quoi dans l'armée de nos jours?"
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Kalaïd choisi de passer outre la relance de menace que lui adressait de nouveau Herrold. Il avait eu largement le temps de comprendre que l'homme n'irait pas plus loin que l'agressivité de ses propos.
- Si toutefois les Dieux s'étaient moqués de nous ce que je me refuse à croire, je ne vois pas tellement ce que nous pourrions faire contre ça. Je n'ai pas assez de pouvoir pour contrecarrer les volonté divines, sans quoi je n'aurai eu qu'à claquer des doigts pour empêcher cette guerre. Mais puisque je n'ai pas ce pouvoir, et puisque je n'ai pas l'intention ni de renier l'amour que j'ai pour Thalyana ni celui que j'éprouve déjà pour notre fille, il est bien évident que nous allons nous marier. Et ce tout ce qu'il y a de plus officiel.
Kalaïd ne pouvait en fait pas comprendre d'où pouvait bien provenir l'inquiétude du père de son aimée, qu'y avait-il eu dans le passé de cet homme ou dans sa famille pour qu'il s'inquiète autant de cette question d'honneur et de mariage ? Peu lui importait de toute façon, un père borné ne changerait en rien l'amour qu'il éprouvait pour cette petite blonde et celle qui grandissait dans son corps...
- Je sais quels sont les dons de Thalyana, c'est principalement un combat contre un démon et son invocateur qui nous a révélé notre Lien, je connais sa force, ainsi que sa détermination. Nul doute que c'est de vous qu'elle les a hérité...
Il se tourna alors légèrement vers Marijia pour ajouter :
-...Et elle a très certainement hérité de madame son calme, son tact et son sens aiguë de l'altruisme.
Kalaïd se rapprocha de nouveau de Thalyana et passa derrière elle en lui prenant doucement la main. Il invitait ainsi Herrold à venir partager avec sa femme et sa fille l'émotion d'une première rencontre avec sa petite fille.
En s'abaissant au niveau de Thalyana il répondit à la dernière remarque de l'ancien mercenaire.
- Je ne voulais pas venir particulièrement bien rasé aujourd'hui, cela aurait pu paraître trop guindé et donc suspect, comme si j'avais voulu maquiller mon apparence pour dissimuler ce que je suis. Personnellement je ne pense pas que le Commandant Beltran m'ait recruté en fonction de ma capacité à manier un rasoir. Maintenant si le jour de notre mariage, cela peut vous rassurer de me savoir glabre, je pourrai faire cet effort, sauf bien sûr si cela déplaisait à votre fille.
Bien sûr en tant que gradé et pouvant s'asseoir sur une certaine expérience du métier des armes, Kalaïd était parfaitement libre de se raser ou non. Il trouvait particulièrement déplacée cette remarque de la part d'une personne qui n'appartenait pas à son arme, et qui n'avait de fait aucune légitimité pour faire ce type de commentaire. Déjà qu'il ne l'aurait pas accepté de la part de quelqu'un de la garde. Mais là encore il choisit de n'en rien dire, préférant laisser parler le vieil homme. Il pensait que celui-ci avait déjà bien compris quelle était le caractère du jeune Lieutenant sans qu'il soit besoin d'en remettre une couche.
- Il va donc falloir qu'on parle de manière plus précise du mariage mon amour... murmura Kalaïd en se penchant dans le cou de Thalyana.
-
« Eh bien... C’est une future Héraut. A la base elle était venue me voir pour une clavicule cassée, et finalement je me suis retrouvée à pleurer comme un veau sur son épaule. Cela faisait quelques jours déjà que je savais être enceinte, je ne n’arrivais pas à savoir que faire. Tu sais, j’aurais pu... m’en débarrasser, du bébé. Pour les Guérisseurs, c’est très facile. Parfois nous devons le faire. Quand une grossesse présente trop de risques, quand l’enfant est mal formé... Et puis, Isabeau semblait tellement convaincue que je devais avoir cette enfant. Au fond de moi, je pense que j’avais juste besoin d’en parler pour l’accepter. Bref... Du coup, j’ai décrété qu’elle serait marraine, vu qu’elle s’était déjà tant soucié de mon bébé alors qu’il faisait la taille d’un têtard.»
Thalyana écouta attentivement les explications de sa mère. C’était ce qu’elle avait imaginé. Heureusement, elle ne semblait pas souffrir des mêmes soucis, vu qu’elle était tombée facilement enceinte, et que le bébé était bien accroché. Elle espérait que l’accouchement se passerait sans trop de peine, mais avec une horde de Guérisseurs à portée de main, il y avait une chance infime que cela se passe mal.
«Je sais bien, maman. Mais ce n’est pas une excuse pour se ridiculiser en public...»
Thalyana était légèrement vexée qu’on parle de mariage sans même la consulter, comme une pouliche qu’on vendait sur le marché. Elle eut envie d’intervenir pour les envoyer paître, père comme amant, mais s’abstint. Elle eut le plaisir de constater que sa petite intervention avait porté ses fruits. Son père se radoucissait un peu. Il semblait enfin prêt à ranger ses griffes et à se comporter en ours civilisé.
Elle rosit à la description flatteuse que Kalaïd fit d’elle. Détermination? On l’avait souvent qualifiée de bornée, de têtue comme une mule, mais de déterminée plus rarement. Et à défaut de plaire au père, il avait très certainement charmé sa mère. La complimenter ainsi ne pourrait que la ravir.
« Allez Papa, viens ici.» Elle tendit la main pour le tirer à elle. « Viens dire bonjour...» Elle lui posa d’autorité la main sur son ventre. Le bébé semblait se calmer un peu maintenant, mais continuait de gigoter.
Elle sourit à Kalaïd et à sa mère, profitant de ce petit instant de grâce.
« De toute façon, qu’importe la manière et le prétendant, il aurait râlé. Et moi, je t’aime bien mal rasé, Kal. Ça donne l’impression que tu reviens encore et encore d’une longue campagne. Ça me rappelle quand on s’est connu.»
L’orage semblait passé, loup et chien avaient cessé de se dévisager. Thalyana poussa un petit soupir de soulagement. Quelle histoire. Elle aurait pensé que son père apprécierait qu’elle ait ‘‘choisi’’ un soldat pour compagnon. Il ne jurait que par les armes, les batailles, les compagnons d’armes. Choses qu’il avait en commun avec Kalaïd. Elle supposait que son père finirait par l’accepter, même par l’apprécier, quand il aurait enfin digérer qu’on lui ait ‘‘volé’’ sa fille.
Kalaïd se pencha sur elle pour lui glisser des mots à l’oreille.
« Tu me consultes quand même? Ça me rassure. A vous entendre, je n’avais pas mon mot à dire...» Elle sourit et continua à vois basse. « Je suis désolée pour tout ça... j’avais oublié à quel point mon père peut se comporter comme un ours mal léché parfois. Et j’avais oublié comme la capitale est en avance sur la campagne, concernant l’évolution des moeurs. Mais ne t’inquiète pas. Ma mère se chargera de l’adoucir. On dirait pas comme ça, mais elle est sacrément douée pour manoeuvrer mon père...» Elle lui déposa un baiser sur la joue. «Merci de ne pas l’avoir envoyé au trou, même s’il l’a bien cherché.»
Dans son ventre, la petite semblait enfin calme. Elle s’était probablement rendormie, maintenant que l’ambiance s’était radoucie. Thalyana prit la main de son père dans la sienne, sa grosse patte dans la sienne, si petite en comparaison. De l’autre, elle prit celle de Kalaïd. Elle avait besoin de ce contact, encore et encore. Comme les cygnes, ils dépérissaient loin de l’autre.
« Tu sais qu’il m’a appris à me battre? Ce que tu avais commencé à m’apprendre, il l’a terminé? Maintenant je manie bien le couteau et la dague, même si je doute d’être capable de m’en servir le moment venu. Tu sais qu’il m’a sauvé, une fois, alors que je soignais quelqu’un? Un Guérisseur, dans certains cas, se met en danger quand il guérit. Et lui a senti venir le danger et m’a protégée. Mon mentor m’a dit que j’aurais pu mourir, ce jour-là. Je n’étais pas formée à faire ce que j’ai tenté. Mais la situation ne m’a pas permis d’attendre que quelqu’un de plus qualifié arrive. Dis, papa, pour moi, tu crois que tu pourrais tolérer Kalaïd, à défaut de l’aimer?»
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Le petit problème qu'Herrold rencontrait c'était qu'il ne basait ses récriminations que sur des émotions pures et aucune rationnalité. Ce qui voulait dire que le pauvre ancien mercenaire était un peu à court d'arguments, devant l'implacable Kalaïd qui lui détruisait allègrement chacun de ceux qu'il lui opposait avec fureur. Le cerveau du papa commençait un peu à tourner à vide, ressassant les mêmes fausses excuses alors qu'il refusait d'admettre qu'il ne supportait juste pas que sa fille ait grandi. Et puis, Herrold était croyant. Pas terriblement pratiquant, mais assez pour avoir peur de mettre les Dieux en colère s'il les méprisait trop. Or, si le jeune couple ne mentait pas, ils s'étaient retrouvés avec une bénédiction divine sur les bras (et dans le ventre, pour ceux que ça intéresse). Alors s'opposer à ce qui n'était pas opposable... Et puis, mine de rien, Kalaïd avait des arguments pour lui. Militaire, gradé, visiblement honorable, voulant prendre en compte sa fille, aimant Thalyana, bien de sa personne... quelqu'un qu'Herrold aurait choisi pour Thalyana si on lui avait laissé son mot à dire. Et c'était peut-être ça qui le mettait en rage: Thalyana n'avait pas eu besoin de son père pour trouver l'idéal, même aux yeux de son géniteur. Il ne servait à rien. Thalyana avait un autre homme dans sa vie. Oui, Herrold était jaloux mais il commençait à peine à comprendre qu'il n'était pas rationel, et avouer sa faute était une chose qu'il aurait bien du mal à faire.
"Officiel et religieux." précisa-t-il plus pour avoir quelque chose à dire en dernier que par réelle inquiétude qu'on ne l'ait pas bien compris.
Puis Herrold leva un sourcil surpris. Voilà que Kalaïd le prenait dans le sens du poil. "Détermination", lui? Il était assez honnête pour concevoir que "borné" lui allait mieux. A lui et à sa fille d'ailleurs. Aussi têtus l'un que l'autre... et pourtant, avec Marijia et le bébé de leur côté, le combat était perdu d'avance pour le futur grand-père.
"Hmpf." fut donc la seule réponse d'Herrold alors que Kalaïd se tournait vers sa femme pour un numéro de charme qui fonctionna parfaitement.
"Il est vraiment adorable" minauda Marijia en s'adressant à sa fille d'un air ravi, grand sourire à destination du soldat.
La mère n'avait plus rien contre son futur gendre. Elle était prête à l'adopter dans la famille sans attendre. Le comportement de son mari la gênait, par contre, et elle était bien décidée à faire cesser le scandale sans attendre. Thalyana s'en était certainement mêlée avec son don, comme elle l'avait fait comprendre, mais Marijia savait que son avis à elle compterait aussi.
"J'aime bien votre aspect d'aujourd'hui, Kalaïd... si vous me permettez de vous appeler par votre prénom. Mais pour un mariage, cela ne fera pas suspect. N'est-ce pas Thalyana..."
Il ne fallait pas pousser mémé dans les orties: Marijia souhaitait un mariage parfait pour sa fille. Donc un mariage avec un marié rasé de près. Elle entendit le commentaire de Kalaïd sur le mariage et en profita pour faire les gros yeux à Herrold qui l'ignora volontairement, campé sur ses positions.
Tant que Kalaïd et Herrold s'affrontaient, Marijia avait eu le droit au détail de la Héraut qui avait fait garder son bébé à Thalyana. Une jeune fille à remercier, décida la future grand-mère. Elle méritait bien d'être marraine, décida-t-elle en son fort intérieur.
"Je suis contente que tu te sois décidée pour la garder... Mais Thalyana... si jamais tu devais un jour... faire en sorte qu'un bébé ne naisse pas... prends garde que ce soit bien la volonté des Dieux et non un caprice d'humain." la prévint-elle avec douceur.
Elle savait que sa fille était raisonnable et ne prendrait aucune vie sans nécessité. Elle-même s'épancha un peu sur ses grossesses et fausses-couches et sur sa décision de ne pas avoir d'autres enfants. Savoir sembla satisfaire la Guérisseuse.
Puis les choses s'enchaînèrent jusqu'à ce que Marijia se retrouve donc à faire les gros yeux à son mari pendant que le jeune couple s'étreignait. Puis Thalyana fit le premier pas. Elle appela son père et le força à rencontrer pour la première fois le bébé. Tout radouci, le futur grand-père posa religieusement la main sur le ventre gonflé et soupira de bonheur en sentant le bébé bouger. Thalyana continuait d'assurer qu'Herrold râlait pour le principe et que Kalaïd lui plaisait ainsi. Elle discuta un moment avec son amant, à voix basse, et Herrold fit semblant de ne pas entendre. Surtout le dernier commentaire. Pour le reste... et bien Thalyana avait raison, il devait se l'avouer.
Le futur papi se redressa, indécis sur la stature à adopter. Thalyana enchaîna alors sur l'entraînement que Kalaïd avait complété avec elle. Et elle avança le dernier argument qui acheva de convaincre son père: Kalaïd avait déjà sauvé sa vie. La dernière question le prit de court. Il fronça la moustache puis soupira en secouant la tête:
"Pas trop le choix. S'il t'aime et que tu l'aimes. Du moment qu'il t'épouse comme il se doit... Je ne peux pas détester un homme qui a sauvé ma fille."
Herrold venait de rendre les armes. Tapant maladroitement l'épaule du soldat, il proposa d'un ton bourru:
"On mérite bien une bière avec toutes ces parlottes non?"
Il proposait donc d'enterrer la hache de guerre.
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« Merci de ne pas l'avoir envoyé au trou. »
Kalaïd sourit doucement à Thalyana. Elle ne pensait quand même pas qu'il allait envoyer son père au cachot... Même si l'idée avait pu paraître séduisante l'espace d'un instant, il n'était vraiment pas certain que cela aurait permis de jeter les bases d'une entente cordiale entre les deux hommes. Pas certain non plus que cela eut pu plaire à la mère ni à la future mère d'ailleurs.
« Officiel et Religieux »
Il adressa un signe de tête entendu à... Ah bah oui tiens, son beau-père dis donc ! Il avait un beau-père bien tangible maintenant, vu qu'il n'y avait jamais vraiment réfléchi, c'était presque aussi inattendu que la naissance d'un enfant.
Bref, il se recentra sur le commentaire de Marijia, pour constater avec stupeur que les parents de Thalyana avaient vraisemblablement un problème avec la pilosité faciale. Surement une coutume de leur contrée que de haïr le poil...
- Ne vous inquiétez pas, je porterai également une tenue plus seyante, dit-il d'un ton rassurant.
Il n'avait pas d'élément de comparaison puisqu'il n'avait jamais vraiment assisté à un mariage, mais il imaginait que c'était une chose assez solennelle quand même, à laquelle on ne se présentait pas comme au saut du lit.
A l'argument de Thalyana sur le fait qu'il lui avait sauvée la vie, Kalaïd devint plus sombre un très court instant. Il n'avait jamais vraiment encaissé ce qui s'était passé ce jour là, il ne l'avait pas compris. Il savait juste qu'il avait agit par instinct, et que cela leur avait permis de vivre. Cependant il s'était parfois demandé « et si je m'étais trompé ce jour là ? Et si je n'avais pas su faire le bon choix... ». Il avait pris une petite tape de rappel sur le bout des doigts. Tout pouvait s'arrêter très vite, et quelque soit leur poste ils devaient tous être particulièrement prudents en ces heures sombres...
Thalyana connaissait son père. Visiblement elle avait su avancer les arguments qui frapperaient le plus durement ses défenses. Et elle finirent par céder.
Kalaïd adressa un léger sourire à Herrold avant de lever rapidement la main en direction du tavernier. L'homme qui était prévoyant avait déjà préparé deux pintes, ce genre de situation ne pouvait de toute façon finir que dans un cachot ou à son comptoir. Et comme le Lieutenant avait déjà renvoyé la garde... Il s'enquit également de ce que voulaient boire les deux femmes avant de les servir rapidement. Une fois tout le monde servit, Kalaïd leva son verre.
- Aux Dieux et à leurs volontés insondables. Puissent-ils nous laisser encore un peu de temps avant de nous rappeler près d'eux...
Vu les événements à venir, un peu d'espoir ne paraissait pas superflu...
-
Kalaïd avait su trouver les mots pour charmer sa mère. Elle était même prête à lui pardonner de ne pas s’être fait beau pour ce rendez-vous. Thalyana ne voyait aucun problème à la mise de son compagnon, mais elle-même n’était pas très portée sur l’apparence, et elle s’en souciait encore moins depuis qu’elle était enceinte. Elle portait ce qu’elle pouvait enfiler. Quant à la barbe de Kalaïd, elle ne comprenait pas en quoi elle dérangerait.
« Suspect? Je sais pas. Je n’ai assisté à aucun mariage ici. J’ai bien assisté à la proclamation officielle du mariage du Roi, mais ce n’est pas tout à fait pareil.» Elle haussa les épaules. « De toute façon, il fera comme il veut.»
Marija, comme la plupart des gens, semblait mal à l’aise avec l’idée qu’une grossesse pouvait être interrompue à la demande de la mère. Thalyana comprenait les tabous religieux, mais elle avait été instruite et débarrassée de la plupart de ces craintes infondées. Elle avait d’abord trouvé choquant qu’il soit si facile de tuer un embryon. Puis elle avait admis qu’une grossesse non-désirée ou dangereuse pour la mère n’apporterait aucun bien. Et que si les Dieux existaient, c’étaient eux qui avaient permis que l’on découvrît des techniques pour contrôler les naissances. Mais ces techniques étaient gardées secrètes, et quand on faisait avorter une femme, on lui intimait de garder le silence. Les Guérisseurs ne souhaitaient pas bouleverser l’ordre du monde.
« Souvent, quand on doit interrompre une grossesse, c’est pour des raisons de santé. Celle de la mère ou du bébé... Parfois, une femme pauvre vient nous voir car elle a déjà trop d’enfants à nourrir et ne se sent pas la force de vivre une nouvelle grossesse. Dans ces cas-là, il n’est pas toujours facile de décider. Mais nous faisons selon notre conscience.»
Elle écouta d’une oreille la fin de la conversation des deux hommes. Elle était heureuse que Kalaïd ait su garder son calme. Mais son père ne semblait pas vouloir lâcher prise, et réclamait cette fois un mariage civil et religieux. Perplexe, elle fronça les sourcils. Elle chuchota à Kalaïd.
« C’est quoi la différence? De toute manière tout mariage religieux est rapporté au Prévôt, qui l’inscrit alors dans les registres... Mais c’est vrai qu’à la campagne, c’est une démarche que tu dois faire toi-même, aller voir le Prévôt. J’imagine que comme moi, tu vois les Dieux comme quelque chose de très abstrait. Mais il faudra quand même qu’on choisisse un culte. Je pense que le Grand Prêtre du Palais serait d’accord. Et ça simplifierait les choses...»
Après sa longue tirade, elle sentit son père s’adoucir. Elle avait soigneusement choisi les mots. Elle avait fait jouer l’affection de son père pour elle, pour qu’enfin il accepte Kalaïd. Elle fit un clin d’œil à son père.
« Tu pourrais justement le détester pour cela. »
Puis enfin, ils purent faire ce qui avait été convenu, c’est-à-dire boire un verre tous ensemble. Thalyana ne pouvait pas boire de bière, bien que cela soit recommandé parfois pour les femmes enceintes, et surtout allaitantes. Elle ne tenait absolument plus l’alcool, et elle sentait que le bébé n’aimait pas ça. Elle opta donc pour le jus de pomme de l’automne passé et porta un toast avec son père et son compagnon.
Le reste de l’entrevue se déroula dans le calme. Son père parla de la guerre avec Kalaïd, et sa mère l’assomma de considération ménagère pour la venue du futur enfant.
[RP CLOS]