Valdemar RPG
Palais - Collegia => Espaces communs => Jardins => Discussion démarrée par: Thalyana le 16 juillet 2014, 20:42:25
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Milieu de la 3e décade de printemps - jardin des simples
Thalyana avait chaud. Très chaud. Déjà, sans son gros ventre, elle avait toujours peiné à supporter la chaleur. Mais maintenant qu’elle devait porter son poids, celui du bébé et de tout ce qui l’entourait, le moindre rayon de soleil la mettait au suplice. Les températures plus que clémentes des derniers jours l’avaient simplement paralysée. Elle n’avait donc pas participé aux derniers événements. Elle n’avait même pas pu en apprendre plus par Kalaïd, qui était en congé pour s’occuper un peu d’elle.
Au moins, elle avait un vêtement adapté aux températures. Si elle n’avait pas apprécié l’attitude de ses parents à leur arrivée, elle avait rapidement béni sa mère. Celle-ci lui avait cousu deux robes de grossesse sans manche dans un tissu très fin, en plus des nombreux vêtements pour enfant qu’elle avait tricoté. C’était donc vêtue d’une robe neuve gris clair (aucune des deux n’étaient du vert Guérisseur, pour des raisons de bon sens) qu’elle était venue travailler. Elle avait apprécié de ne plus être sollicité au détour de chaque couloir, comme c’était habituellement le cas. Habillée en “civile”, les gens l’ignoraient.
Elle profita donc de cette tranquillité dans le jardin des simples, à l’ombre d’un grand arbre, pour enlever ses sandales et étirer ses jambes endolories par sa matinée chargée. Elle avait amené de quoi prendre une petite collation (Dieux, qu’elle avait faim!) et même un peu de lecture. Elle espérait pouvoir jouir de sa pause en paix. Aussi, quand elle aperçut une jeune femme qui semblait se diriger vers elle, elle sentit l’agacement la gagner. Puis elle se raisonna. Cette jeune noble se promenait sans doute simplement et n’avait aucune attention de la déranger... Étrangement, elle n’y croyait pas trop. Son ventre agissait comme un aimant et elle se trouvait constamment sollicitée par des gens plein de bonnes intentions.
La jeune femme s’approcha encore... et encore. Finalement, Thalyana ne put plus ignorer l'intrue sans se montrer terriblement grossière et la salua, sans pour autant se lever ou manifester une quelconque intention d’engager la conversation.
« Bonjour...»
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En cette journée d'été, alors que la température daignait enfin se faire plus supportable, Fleur avait décidé d'aller flâner dans les jardins du Palais. Elle s'y était rendu pour rencontrer une amie de longue date, mais leur entretien avait été somme toute assez court, et Owen était sorti en ville avec des amis. En attendant qu'il vienne la chercher, ses pas l'avaient naturellement amené ici, un endroit où elle adorait aller du temps où elle était une simple Bleue.
Avec joie, elle constata qu'elle n'était pas la seule à avoir eu l'idée de se rendre ici, et elle s'approcha de la silhouette féminine qu'elle devinait plus loin.
Quand elle fut assez proche, elle se rendit compte en outre que la jeune femme assise au pied de l'arbre était enceinte, et pas qu'un peu. Fabuleux, c'était si beau une femme enceinte!
Elle n'eut même pas à engager la conversation que celle-ci la salua d'elle-même, parfait.
Fleur répondit avec sa bonne humeur coutumière:
"Bonjour! Vous cherchez aussi un peu d'ombre? La chaleur est accablante, et dans votre état cela doit être difficile!"
La jeune femme avait l'air bien élevée, aussi, Fleur se présenta courtoisement, faisant une légère révérence.
"Fleur de Trevale, enchantée!"
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La jeune femme semblait ravie que Thalyana la salue. La Guérisseuse regretta presque d’avoir pris l’initiative. Elle aurait mieux fait de se plonger dans le lecture de son livre. Enfin, il était trop tard.
Elle répondit d’un ton léger au commentaire de la noble.
« Oui, c’est un peu difficile à supporter, surtout quand on travaille.»
Puis la jeune femme se présenta. Fleur de Trevale? Le nom ne lui disait rien, mais elle connaissait très peu les nobles. Cependant, il lui avait semblé qu’Isabeau avait parfois mentionné une amie prénommée Fleur, mais le nom de famille ne correspondait pas à son souvenir. Peut-être le prénom était-il courant parmi les nobles?
« Thalyana. Tout court.»
Elle fit un petit signe de tête. Elle n’avait aucune envie de se lever pour faire une révérence. Cependant, Marija avait très bien élevé sa fille. Elle se décala donc inconsciemment pour libérer un peu de place sur le banc et fit un vague signe pour inviter Fleur à s’assoir. Intérieurement, elle se maudit d’être si polie.
Elle s’entendit engager la conversation, sur le ton avec lequel elle discutait avec ses patients.
« Vous êtes ici en visite? Je ne crois pas vous avoir déjà vue ici. »
En même temps, pendant ses études, elle n’avait eu pour ainsi dire aucune vie sociale, et maintenant elle ne fréquentait plus que ses collègues et ceux de Kalaïd. De plus, les nobles la méprisaient un peu pour son accent campagnard et ses airs de fille simple. Quand elle s’était retrouvée à faire les boutiques avec une apprentie Héraut noble, elle avait réalisé qu’elle vivait dans un monde très très différent de ces gens-là. Depuis, elle les évitait soigneusement dans un contexte autre que la Maison de Guérison.
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Jamais il ne vint à l'esprit que Fleur puisse déranger la jeune femme et l'empêcher de lire le livre qu'elle tenait entre les mains. Fleur n'avait jamais l'impression de s'imposer.
"Vous travaillez? Dans votre état? Mais quel genre de métier faites-vous pour qu'on vous demande de travailler à ce stade si avancée?!"
La suite de leur échange, quand Thalyana lui donna son prénom, sans nom de famille, acheva d'éclairer Fleur.
Si Thalyana travaillait, c'est qu'elle n'était pas Noble, et l'absence de nom le confirmait. Pour autant, ça ne la rendait pas non fréquentable, Fleur était même ravie.
Une connaissance dans les gens du peuple, c'était une bonne chose, car cette jeune personne saurait des choses que Fleur ignorait, forcément. Une source incroyable d'information inédites s'ouvrait à elle!
Comme Thalyana se poussait, Fleur s'assit à côté d'elle, étalant sa robe autour d'elle pour ne pas trop la froisser. Elle reconnu dans sa voix un accent qui n'était pas du tout de Haven, cependant, cela n'empêchait pas la jeune femme d'avoir visiblement de bonne manières.
Toujours ravie de parler d'elle, Fleur répondit à sa question:
"Oh je vis ici, du moins une partie de l'année, et je suis née ici. Mais mon mariage m'a éloigné quelque peu de la Capitale durant ma lune de miel. J'ai été une étudiante non-affiliée avant, je portais le nom de mon père, Arkadia. Je connais bien le Palais, et ces jardins également, j'y ai passé beaucoup de temps."
[spoiler:1j5kzfoa]En relisant le rp "retour en ville", me suis rendue compte que jamais le prénom de Thalyana n'a été prononcé, juste son âge et sa condition. Du coup, Fleur se rendra compte d'à qui elle parle quand Thalyana lui parla de son métier.[/spoiler:1j5kzfoa]
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Thalyana dut retenir un éclat de rire. C’était bien une noble, pour croire qu’une femme enceinte se devait d’être oisive.
« Je suis Guérisseuse... Et ma grossesse n’est pas si avancée. J’en suis à la fin de la 18e décade, donc encore tout à fait apte à travailler. La plupart des femmes que j’ai connue travaillaient jusqu’à la dernière décade. Et je m’ennuierais si je ne venais pas ici.»
Regardant Fleur s’assoir, la Guérisseuse se demanda comment on pouvait porter une telle robe. On devait toujours craindre de la tacher, ou de l’accrocher quelque part et de la ruiner. Elle préférait les tissus simples qui se raccommodaient sans peine et qui se lavaient facilement. Mais elle ne put qu’admirer l’aisance avec laquelle Fleur disposait sa robe autour d’elle.
« Ici au Palais ou à Haven? »Elle se demandait combien de nobles vivaient dans le Palais à l’année. « Moi aussi j’aime ce jardin, même si souvent j’y viens pour y cueillir des plante et que j’ai rarement le temps de m’y arrêter. »
Arkadia, c’était donc bien l’amie d’Isabeau. Elle n’avait pas souvenir qu’il ait été question d’un quelconque mariage, mais il était tout à fait possible qu’Isabeau n’ait simplement jamais eu l’occasion d’en parler. Elle se demanda si elle devait mentionner leur connaissance commune. Elle préféra s'abstenir, elle ne savait pas trop si Isabeau assumerait devant une noble d'avoir pour amie une Guérisseuse campagnarde.
« J’imagine que vous êtes heureuse de revenir ici, si vous y avez grandi. Le reste du pays doit sembler si calme quand on a connu que l’agitation de la ville. Moi-même, je crois que je ne pourrais plus vivre à la campagne.»
Sa manière de vivre aurait été proprement scandaleuse dans son village. Même mariée à Kalaïd, elle était trop indépendante et aimait trop son travail pour envisager de retourner dans l’ombre, là où évoluaient des femmes comme sa mère.
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Non, vraiment, travailler en étant enceinte était un concept totalement original pour Fleur. Il faut dire que dans son milieu, dès qu'une grossesse était visible, les femmes ne sortait plus. Tout simplement.
Quand Thalyana la renseigna sur son métier, le visage de Fleur s'éclaira.
Oooh! Ainsi donc elle avait devant elle la scandaleuse Guérisseuse enceinte dont elle avait tant parlé avec Dame Belinda!
Fan-tas-tique!
Voilà qui transformait sa journée!
Fleur ne se considérait pas comme quelqu'un d'hypocrite. Pourtant, à cet instant, il semblait clair qu'elle souffrait de ce très vilain défaut. Elle avait jugé très sévèrement la jeune femme qui se trouvait en face d'elle, en son absence, sans la connaître, et maintenant, elle lui faisait bonne figure.
Mais elle n'avait pas un fond méchant et souffrait plutôt d'une simple hypocrisie mondaine, presque obligatoire dans le monde où elle évoluait.
C'est donc avec une curiosité redoublée qu'elle s'installa aux côté de la jeune femme en réagissant à ses propos:
"Vous avez probablement raison et en savez plus que moi sur la grossesse n'est-ce pas? L'heureux futur père réside à Haven?"
Effectivement, c'était une question assez déplacée quand on considérait que Fleur ne connaissait pas Thalyana, mais c'était plus fort qu'elle. Elle mourrait d'envie de savoir qui était cette femme pour assumer avec une telle facilité d'être enceinte et non mariée!
En attendant, elle racontait sa courte vie, un sujet inépuisable!
"Au Palais, moi? Grands Dieux non! Mon époux et moi possédons une grande maison de ville, près d'ici."
Vivre au Palais était pratique quand on voulait être près du pouvoir mais signifiait aussi ne pas posséder de pied-à-terre à Haven, ce qui n'était pas le cas des Trevale, bien sûr.
"Malheureusement, mes beaux-parents n'ont pas habité notre maison pendant des années, et le jardin est dans un état déplorable... En attendant que le jardinier en fasse quelque chose de convenable, je profite de ces jardins-ci qui ne sont jamais négligés, un vrai plaisir pour les yeux..."
Les soucis domestiques de Fleur, et surtout le ton dramatique qu'elle leur donnait avaient de quoi faire rire, mais la jeune femme aimait les Fleur, et avait la main verte. Mais pour le moment, sa vie trépidante l'empêchait de se pencher de nouveau sur des plantations.
"Vous vivez donc au Collegium des Guérisseurs?"
C'était une évidence pour Fleur tant elle avait l'habitude de voir les Verts continuellement sur place.
"Je suis ravie d'être de retour. Oh, le domaine familial est une vraie merveille, le château de Trevale est reconnu pour son confort et sa beauté, cela dit, comme vous le dites, c'est la campagne, et je confesse préférer l'agitation d'une ville à la monotonie campagnarde."
Cherchant vainement un courant d'air inexistant, Fleur sortit un éventail et brassa l'air chaud devant son visage.
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« L’heureux futur père? » Thalyana se demanda pourquoi elle lui posait une telle question, et elle ne put s’empêcher de froncer les sourcils. Habituellement, on partait du principe soit que le père était partie prenante de la grossesse, donc présent, soit totalement absent. Or cette question sous-entendait que son interlocutrice savait, ou croyait savoir qui était le père. « Oui... je crois que Ka...» Elle s’interrompit brièvement. «...que mon compagnon restera à Haven jusqu’à la naissance, sauf si sa présence se révèle indispensable ailleurs. » Il serait en tout cas là à la fin de l’été, vu que c’était à cette époque qu’aurait lieu leur mariage.
Thalyana sourit à la dénégation de la noble. Était-ce si inconfortable de vivre au Palais? Une maison de ville... donc elle possédait, ou son mari, une maison ailleurs probablement dans le domaine familiale, à la campagne. Une maison de ville avec un jardin... Elle pensa à son dérisoire “jardin d’intérieur”, quelques pots de simples disposés dans la lumière du soleil, non loin du poêle. Le monde des nobles semblait tellement éloigné du sien. Pourtant, elle avait accouché la reine comme n’importe quelle femme. Mais les quelques similitudes qu’elle trouvait entre le peuple et la noblesse étaient rapidement effacées par les différences.
Thalyana ne se sentait absolument pas capable de parler de maison de ville et autres habitations, par contre, elle se sentait relativement à l’aise en ce qui concernait le jardinage.
« Je vous conseille de planter... non, de faire planter du chèvrefeuille. Ça parfume agréablement l’air et sous une tonnelle, l’effet est proprement enchanteur.»
Dans le petit jardinet de sa mère, plus utilitaire que décoratif, poussait quelques plants de chèvrefeuilles, pour lesquels on avait fabriqué à la hâte un “portique” en bois et osier. Marija utilisait les fleurs pour parfumer la maison et se reposait souvent à l’ombre de sa “tonnelle”.
Dame Fleur semblait estimer que vu qu’elle travaillait ici, elle vivait aussi au Collegium. Finalement, seuls les célibataires et le doyen vivaient vraiment ici. Les autres s’empressaient de trouver à loger ailleurs. Quand on était sur place, on pouvait être appelé en urgence à toute heure de la nuit. En ville, on était dérangé que pour de réelles urgences.
« Oh non, je ne vis plus ici. Les “appartements” des Guérisseurs ne sont pas vraiment conçus pour accueillir une famille, ceux de mon comp...fiancé non plus. Je voulais au moins une cuisine à moi, donc j’ai pris un appartement en ville. Is... une amie m’a aidé à trouver un arrangement avec une famille, et je loge maintenant dans mon propre appartement dans le quartier des artisans. » Elle n’avait toujours pas décidé si elle pouvait parler d’Isabeau ou pas, et s’en voulut de s’être presque trahie.
La dame semblait ravie d’être de retour à Haven, même si elle décrivait avec complaisance la résidence de la famille de son époux.
« J’imagine que pour une jeune fille sophistiquée les bals campagnards ne valent pas les réceptions données ici. Sans parler de l’absence de magasin. »
Coincé dans son village de bûcheron, Thalyana n’avait jamais vu un véritable magasin. A Dixchesnes, le commerce se limitait à un peu de troc. La communauté était trop petite pour avoir besoin d’un magasin, quel qu’il soit. Les femmes filaient et tissaient la plupart du tissus utilisé. Pour les belles robes, on utilisait les coupons ramenés de la ville par ceux qui s’y rendaient parfois. Le village vivait en autarcie presque totale.
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Thalyana avait appelé le père de son enfant à venir son compagnon. Fleur fut alors certaine, bien qu'elle ait peu de doute, qu'elle se trouvait en face de l'amie d'un des officiers de l'armée. Et qui disait officier disait que celui-ci fréquentait la caserne et devait forcément savoir qui était le mystérieux papa de la fille de Riannon.
C'est avec un parfait détachement qu'elle demanda:
"Il est aussi Guérisseur comme vous?"
Elle prêchait le faux pour se faire confirmer le vrai avec une innocence confondante.
Avec attention, elle écouta les conseils de Thalyana pour son jardin et la remercia vivement:
"Quelle bonne idée! Je vais faire passer l'ordre d'en planter un, ce sera délicieux dans quelques années! Et du jasmin aussi, mais plutôt en automne, ce sera la saison. Et des rosiers, des tas de rosiers..."
Fleur apprit alors que non, le Guérisseurs n'étaient pas tous en résidence au Palais. Tout comme elle appris que Thalyana s'était en fait fiancée! Se pourrait-il que la pression de l'opinion générale les ait forcé à se marier? Elle espérait, ainsi, la jeune femme rentrerait dans le droit chemin, ce qu'elle méritait, puisqu'elle avait l'air tout à fait fréquentable.
"Suis-je bête, bien sûr qu'un logement de fonction ne peut accueillir une famille! Il faut au moins une nurserie! Vivre dans le quartier des artisans doit être fascinant, on y trouve de si belles choses..."
Ah, Fleur et ses habitudes nobles. Ce n'est pas qu'elle snobait les gens des classes inférieures, c'est juste qu'elle ignorait totalement comment ils vivaient. Elle était toujours d'humeur égale avec ses domestiques, mais jamais elle n'était allé visiter les communs par exemple. Comme beaucoup d'autres jeunes femme de son rang.
"Les bals campagnards? Les réceptions sont si rares à Trevale... Depuis mon retour, j'ai rarement une minute à moi tant je suis sollicitée. C'est le mariage qui veut ça, et si vous me parlez de fiancé, vous le découvrirez bientôt n'est-ce pas?"
Là, elle ne put empêcher son regard de se poser sur le ventre gravide de la Guérisseuse.
"J'ai été gâté par le destin, mon époux aime tout autant que moi faire les magasins, je suis comblée..." continua-t-elle.
Et dieux qu'ils dépensaient de l'argent, c'était scandaleux...
"Mais vous n'êtes pas d'ici vous, j'entends un accent dans votre voix?" finit par demander Fleur.
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« Oh non... pas du tout. » Elle rit à cette idée. « Il...» Elle hésita. Elle et Kalaïd avait longtemps cultivé un secret certain autour de leur relation. Non pas volontairement, mais plutôt par goût de l’intimité. Et maintenant, alors que leur relation avait été révélée par sa grossesse, et bientôt officialisée par leur mariage, elle hésitait encore à en parler. Elle se raisonna. Quel mal y avait-il à parler de Kalaïd? Aucun. « Il est soldat... enfin, officier. »
La noble accepta son conseil avec joie et Thalyana se sentit rassurée. Elle avait craint de se montrer trop audacieuse avec sa proposition.
Elle ne put par contre s’empêcher de prendre un air effaré à la remarquer de la dame à propos de la nécessité d’avoir une nurserie.
« Une nurserie? » Décidément, elle ne vivait pas dans le même monde que la belle dame assise à côté d’elle. « J’étais déjà contente d’avoir deux pièces différentes. »
Elle rougit. Elle se sentait si... si roturière! Quand elle avait vu l’appartement qu’on lui proposait, elle avait été ravie d’avoir une salle d’eau privée. Les deux pièces de vie lui avaient semblé amplement suffisantes pour ses besoins. Et si elle désirait un jour un plus grand logement, ce serait à Kalaïd de le réclamer à la caserne. Il fallait bien que son rang d’officier leur apporte quelques avantages.
Quant au mariage, Thalyana doutait fortement qu’il change quoi que ce soit à sa vie. Elle se mariait pour faire plaisir à ses parents, car à ses yeux, le Lien valait toutes les bénédictions qu’un prête pourrait lui donner.
« J’imagine que tous sont ravis de votre retour, et qu’ils sont ravis de prendre de vos nouvelles. Quant aux obligations du mariage, je ne pense pas qu’elles soient les mêmes dans mon monde... d’autant que pour nos proches, le Lien a bien plus de valeur qu’une inscription dans les registres de la ville, et qu’ils nous traitent comme si nous étions déjà mariés. Ma grossesse a fini de nous unir aux yeux de tous... » Elle sentit le rouge lui monter aux joues.
Faire les boutiques avec son mari, c’était être gâtée? Elle faillit éclater de rire en s’imaginer traîner Kalaïd dans un quelconque magasin. Elle ne savait pas comment il se fournissait en vêtements, car il en possédait de magnifiques, dont une superbe tunique qu’elle l’avait vu porter une fois. Mais elle ne l’imaginait pas flâner dans la rue et faire du lèche-vitrine.
« Je ne suis pas de Haven, effectivement, mais je ne viens pas de très loin. Simplement, à la campagne, nous avons encore un accent différent selon les régions, alors qu'ici les gens n'en ont plus aucun.»
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"Officier..." commenta Fleur d'un ton appréciateur. "C'est un poste haut placé, vous devez être fière. Même si c'est dangereux, bien sûr..."
La jeune femme savait qu'il ne serait pas facile de tirer des confidences de Thalyana. La guérisseuse, bien que parfaitement aimable, était prudente dans ses propos, cela s'entendait.
"Je ne suis jamais allé à la Caserne, mon père me l'a toujours interdit..." elle soupira. "Je suis pourtant certaine que cela doit être fascinant de voir comment s'organise la sécurité de Valdemar."
C'était une entré en matière comme une autre. Et la stricte vérité. Son père refusait que sa fille tourne autour des soldats, préférant la voir, c'est bien normal, fréquenter des jeunes gens de son milieu. Et à présent, elle n'avait plus l'excuse de sa naïveté de jeune fille pour prétexter s'être perdu aux alentours de l'édifice militaire, comme par hasard.
Sa remarque sur la nécessité d'une nurserie ne manqua pas de surprendre son interlocutrice qui avoua que son logement ne comptait que deux pièces.
Deux pièces?!
Fleur tenta de ne pas trop montrer son étonnement, par politesse. Et parce qu'elle voyait bien que Thalyana était gênée. Fleur n'était pas hautaine, et trop délicate pour faire étalage de son statut dans le but d'impressionner plus pauvre qu'elle. Ce n'était pas dans son caractère.
Et puis, réflexion faite, elle savait que beaucoup de mère ne se séparaient pas de leur enfant en déchargeant cette responsabilité à une nourrice.
"Bien sûr, pardonnez-moi, je dis des bêtises parfois" s'amenda-t-elle en toute franchise.
Fleur n'était pas non plus prétentieuse au point de ne pas assumer quand elle se trompait.
Puis Thalyana parla d'un lien. Sans préciser sa nature, en l'évoquant comme si le mot se suffisait à lui-même. Et cela suffit à Fleur, romanesque quand elle le voulait, pour comprendre.
"Un Lien pour la vie?! Je pensais que ça n'existait que dans les chansons des bardes, oh, c'est si... romantique!"
Et oui, Fleur était bien une jeune femme bercée au son des "Yeux de ma Dame".
Pas que le plus important selon elle, soit la grossesse hors mariage, soit balayé brusquement, mais cela atténuait quand même sensiblement sa faute. Un Lien pour la vie!
"Vous avez de la chance!" continua-t-elle.
Un amour béni des Dieux, c'était quelque chose!
Puis elle vit un léger scepticisme sur le visage de Thalyana quand elle parla de magasin. Elle ne s'en formalisa pas. Les hommes de son milieu aimaient être bien habillé mais rares étaient ceux qui aimaient accompagner leurs femmes jusque dans les boutiques, tout de même. Elle ne renchéri pas sur le sujet, consciente que son époux était unique en son genre, et préféra rebondir sur les accents des habitants de Valdemar.
"C'est vrai que j'ai été étonné en arrivant à Trevale par l'accent, j'en avais perdu l'habitude ici."
Parler d'accent lui fit penser aux étrangers, et soudain, elle se rappela que c'était Thalyana qui avait trouvé Riannon et l'étrangère, dans une marre de sang. Elle aurait tellement aimé en savoir plus à ce sujet aussi!
"Mais Haven reste très cosmopolite tout de même, on y trouve beaucoup d'étrangers. Des mages, des soignants, et d'autres professions exotiques, comme cette Pluiechantante par exemple..."
Elle avait prononcé le nom de la Kestrachern' sans aucun jugement dans la voix. Elle savait bien que Thalyana était tenue au secret professionnel, elle s'était déjà assez heurtée au dogme des guérisseurs en cherchant à grappiller quelques ragots. Mais il n'était pas impossible qu'elle en apprenne plus qu'elle n'en savait sur cette femme, et qui se résumait à peu de choses finalement.
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« Haut placé, je ne sais pas. » Thalyana s’y connaissait mal en hiérarchie militaire, mais elle savait que le grade de Kalaïd n’était pas parmi les plus élevés. Certes, il était jeune, il prendrait encore du galon.
«La caserne est un endroit intéressant, mais on y apprend très peu sur la sécurité. En tout cas, je m’y suis toujours sentie bien accueillie. Les soldats sont ravis d’avoir de la visite, et de pouvoir nous chouchouter. Mais c’est un peu comme avoir des dizaines et des dizaines de grands frères et de pères. Quand ils ont découverts ma grossesse, ils se sont passés le mot pour me surveiller, quand je venais m’entraîner, quand je rentrais seule la nuit, ou que je devais aller voir un patient en ville. J’ai essayé de m’en débarrasser, mais j’ai dû renoncer. Ils sont trop heureux de jouer les chiens de garde. Et je crois que Kalaïd...» Elle s’était un peu laissé emporté, et elle n’avait pas pu retenir son nom. Tant pis. «... que ça le rassure de me savoir bien gardée. Même s’il sait que je déteste ça. »
Les hommes avaient des réactions étranges face à la grossesse. La plupart du temps, ils traitent leur épouse comme si elle s’était soudain changée en verre. Thalyana avait tout de suite signifié qu’elle comptait continuer à vivre comme elle l’avait toujours fait, et qu’il était inutile de tenter de la protéger à tout prix. Elle ne supportait pas qu’on cherche à l’enfermer dans une bulle protectrice. Mais Kalaïd restait un homme, et il s’inquiétait un peu de la voir s’entraîner avec son gros ventre, courir dans les escaliers, et porter de lourdes charges.
L’histoire de la nurserie lui rappela la discussion qu’elle avait eu avec Isabeau. Celle-ci s’était étonnée qu’elle ne prenne pas une nourrice, et lui avait proposé la sienne si jamais elle se trouvait déjà enceinte à ce moment-là. Or, vu qu’elle était partie quelque part, en mission probablement, il y avait peu de chance qu’elle ait besoin d’une nourrice, et que donc elle puisse la partager avec Thalyana.
« Je crois que c’est difficile pour certains d’imaginer qu’on peut vouloir garder son enfant près de soi, et y prendre du plaisir. Dans la noblesse, on estime qu’une nourrice professionnelle fera mieux le travail. C’est sans doute vrai, mais le bonheur de la maternité nait aussi dans les doutes et les erreurs. Et soyons honnête, bien peu ont la possibilité d’engager une nourrice.»
Elle savait bien qu’il lui faudrait une nourrice, si elle voulait retourner travailler. Mais elle comptait nourrir elle-même l’enfant le plus souvent possible. Elle ne s’était pas encore renseigné sur les possibilités qui lui étaient données pour faire garder sa fille au Palais. Elle savait que ce devait être possible.
« Oh non, le Lien est tout le contraire du romantique. Courtiser une dame avec des fleurs et des poèmes, ça s’est romantique. Soupirer après un homme, l’attendre avec le cœur torturé, ça c’est romantique. Le Lien... ôte tout choix, toute peur. Il n’y a pas de cour, il n’y en a pas besoin. Quant à la chance...» Elle sourit, au souvenir des paroles de Beltran. « Certains vous diraient qu’il s’agit là autant d’une malédiction que d’une bénédiction. »
Elle n’avait jamais tellement réfléchi à la nature du Lien. Mais elle ne le trouvait pas romantique, c’était certain. Pour elle, la romance devait comporter une part de doute, d’attente. Comme Raimon qui malgré des fiançailles déjà annoncées avec Isabeau, l’avait demandé en mariage lui-même. Sur bien des aspects, Kalaïd et elle fonctionnait déjà comme une vieux couple. Un vieux couple certes très amoureux, très unis, mais sans les émois et les transports d’un amour naissant.
Les questions d’accent ne suscitaient pas tant d’émotion en Thalyana, et elle était contente d’arriver à ce sujet plus léger.
« On oublie vite. J’ai trouvé que ma mère parlait vraiment avec un accent étrange, qui pourtant est similaire au mien, mais bien plus prononcé.»
Dame Fleur défendit cependant la cité, qui restait très ouverte et où étaient parlés une multitude de patois et de langues. Et qui attirait de nombreux étrangers.
« Profession exotique? Pluiechantante pratique simplement un aspect de mon métier que je dois négliger, faute de temps. J’aimerais avoir le temps de soigner l’estime et de cœur de mes patients. Malheureusement, je réussis à peine à guérir tous les corps et les esprits qu’on me présente. Alors je suis heureuse de savoir que je peux envoyer les gens chez elle et ses confrères. Même si Pluiechantante elle-même a moins de temps pour prendre des patients depuis quelques temps...» Depuis qu’elle gardait Liane et les autres. Sans parler de sa lutte pour Riannon, qui l’avait énormément affaiblie; il lui avait fallu un temps considérable pour se remettre.
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Thalyana ouvrit une fenêtre sur la vie d'une caserne, et Fleur l'écouta presque bouche ouverte. Elle avait bien essayé de tirer les vers du nez à des soldats, mais Beltran tenait sa caserne d'une main de fer, et aucun de ses hommes ne se laissaient aller aux confidences.
Bien entendu, la jeune femme nota précieusement le nom du compagnon de la guérisseuse.
"C'est comme une grande famille!" s'émerveilla Fleur. "Cela doit être rassurant pour vous!"
Oui, elle avait bien entendu que Thalyana travaillait encore, et avait un statut très différent du sien, reste que pour elle, une femme enceinte était un petit être fragile dont il fallait prendre soin.
"Mais... vous vous entrainez? Avec des armes?!" s'exclama Fleur avec horreur. "Mais c'est très dangereux!" continua-t-elle.
Mais toute à sa surprise, elle ne perdait pas le nord, jamais.
"Votre enfant aura de nombreux oncles pour veiller sur lui n'est-ce pas? Ce sera une fille ou un garçon? Il aura un ami de toute façon, j'ai entendu dire que la fille de la Doyenne des Bardes passait régulièrement quelques jours à la caserne avec son père..."
Oooh, la jolie façon de travestir la vérité. Si on 'écoutait Fleur, on pouvait croire qu'elle connaissait l'identité du père de Liane. Et elle voulait qu'on le croit, car dans ce cas, la vérité pouvait lui échapper. Était-ce un mensonge? Pas tellement pour Fleur.
Elle écouta ensuite le point de vue sur la maternité de son interlocutrice, avec scepticisme, mais acceptant son opinion avec politesse.
"Certainement. Pour ma part, si je suis mère un jour, je serai bien en peine de savoir m'occuper d'un nourrisson!" confia Fleur avec une honnêteté désarmante.
Elle n'était pas aveugle sur son futur non plus. Elle avait que certains disaient qu'Owen se révèlerait incapable de procréer. Plusieurs mois infertiles après leur mariage tendaient à valider ces rumeurs, mais Fleur ne se sentait pas blessée pour le moment. Elle avait trop à faire pour être immobilisé par une grossesse!
Thalyana lui donna alors son point de vue sur les Liens pour la Vie. Et cela étonnait grandement Fleur. Son éducation bercée de comtes romantique refusait d'admettre que le Lien puisse être si asservissant. Elle balbutia:
"Vous en savez plus que moi, bien sûr. Mais je trouve ça romantique que les Dieux vous aient désigné une âme soeur, une seule personne au monde qui vous conviendrait, et pas une autre." soupira-t-elle.
Dans son milieu, la personne qui convenait était celle qui avait la meilleure position dans le monde. Rares étaient les mariages d'amour, ou ceux qui tombaient amoureux. Owen était amoureux d'elle oui, mais pas elle, même si elle le respectait et avec beaucoup d'affection pour lui. Et rien n'avait été romantique dans leur union. Elle se souvenait de leur rencontre, des tractations, des négociations. Rien de cela ne transpirait la tendresse et la séduction!
Fleur ne rebondit pas sur le sujet des accents, il avait été abondement traité et il n'y avait rien à en dire de plus, en revanche, sur le métier de Pluiechantante...
"Vous voulez dire que vous... vous envisager de... avec vos patients?"
C'était déjà choquant de le faire tout court, mais enceinte!
"Il y a des choses trop étranges pour moi..." avoua-t-elle en rougissant. "Mais si vous considérez cela important..." le ton employé montrait clairement qu'elle ne partageait pas cet avis.
Cependant, encore une fois, elle profita de ce que Thalyana disait pour espérer en apprendre plus.
"J'ai appris que cette dame avait du être soignée suite à... des soins qu'elle donnait à Riannon, n'est-ce pas?"
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« Oui, avec des armes. Mais ça commence à devenir difficile. Et je ne suis pas têtue au point de vouloir continuer à tout prix. Mon ventre me gêne maintenant. » Elle haussa les épaules. « Heureusement, je peux au moins me baigner. »
Elle soupira. Elle n’avait pas du tout envie d’avoir une multitude d’oncles et de grands-pères adoptifs pour sa fille. Un seul lui semblait déjà suffisant. Mais elle n’avait pas le choix, et prenait la situation avec amusement.
« Ça, vous pouvez le dire. Et quand elle sera grande, ma fille aura de nombreux chaperons pour veiller à sa vertu. » Elle avait tenu le même discours, presque mot pour mot, à Beltran. Et depuis, tous les soldats s’étaient en tête de confirmer ses dires. Amalia avait au moins une dizaine de parrains autoproclamés, et bien plus de protecteurs. Pourtant, nombre de ces hommes avaient leur propre famille. Mais ils se sentaient tenus, par loyauté pour leur officier, de protéger sa compagne et sa future fille. À leurs yeux, sans doute, elle faisait partie du “Kalaïd”. « Et la petite Liane a déjà décidé qu’elle aimait beaucoup ma fille. Elle vient souvent nous dire bonjour et chanter pour nous. Elle est si mignonne. Et elle aime tellement faire courir son père. »
Elle trouvait amusant l’aveu de Fleur quant à l’éducation des enfants. Elle non plus n’avait aucune idée de comment on s’occupait d’un nouveau-né. Certes, elle en avait mis en monde, elle avait vu des femmes avec leur bébé, mais elle-même ne s’était jamais occupée d’un nourrisson.
« Oui... au moins, nous avons l’avantage d’avoir gardé nos cousins ou surveillé nos neveux. Tandis que parmi la noblesse, un enfant n’est présenté au monde que lorsqu’il est déjà capable de se tenir. »
Le Lien était source de fascination pour de nombreuses personnes. Et surtout source d’envie. Ils ne voyaient que les aspects positifs du Lien, l’amour exclusif et éternel entre deux êtres. Ils ne réalisaient pas les souffrances qu’engendrait cette relation si extrême. Ni qu’un Lié qui meurt emporte l’autre dans la tombe, bien souvent. Mais Thalyana avait trop bon cœur pour détromper ainsi la jeune fille.
« Oui, c’est romantique à imaginer... »
Thalyana avait parlé en toute innocence de la profession de Pluiechantante. Aussi ne comprit-elle pas tout de suite la réaction choquée de Fleur. Puis la compréhension et le rouge aux joues lui vinrent simultanément.
« Oh Dieux... » Elle était maintenant totalement écarlate. « C’est ça que vous imaginez qu’elle fait ? Pas étonnant que vous soyez choquée ! Non... enfin. » Elle se mordit la langue, cherchant comment expliquer. « Un Kestra’chern, c’est... c’est une oreille attentive avant tout et une main consolatrice. C’est le confident à qui l’on raconte ses tourments, ses chagrins, mais aussi, ses colères, ses peurs. C’est quelqu’un qui peut consoler, mais aussi conseiller. S’ils massent, c’est parce que souvent, les gens ont besoin d’attention, et qu’ils se confient mieux une fois détendus. Mais souvent, le massage n’est qu’une toute petite part du travail, et avec les patients réguliers, il n’est plus toujours nécessaire. Ce... ce à quoi vous faites allusion, cela arrive bien sûr. Quand le Kestra’chern estime que... enfin... que c’est ce qui guérira le mieux le patient. Mais comprenez bien que c’est plus rare qu’on le dit. C’est en tout cas ce que Pluiechantante m’a expliqué. Je pensais un peu comme vous, au début, je dois dire. J’étais vexée qu’on fasse appel à elle plutôt qu’à un vrai Guérisseur. Mais... en fait... Comment expliquer ? Le Guérisseur soigne le corps. Le Guérisseur de l’Esprit s’occupe de l’esprit, du psychisme. Le Prêtre soigne l’âme. Le Kestra’chern soigne ce qu’il reste : la fierté, le cœur, l’honneur... Vous comprenez ? Alors oui, parfois, j’aimerais avoir le temps de soigner le cœur de mes patients, plutôt que simplement leur esprit... »
Pluiechantante semblait fasciner Fleur. Cela n’étonna guère Thalyana. Elle aussi, quand elle avait entendu parler de cette profession si étrange, en arrivant à Haven, elle s’était étonnée. Puis, Pluiechantante était arrivée. Contrairement aux autres Kestra’cherns de Haven, elle pratiquait au grand jour, et ne faisait montre d’aucune discrétion quant à son activité. Et Thalyana avait fini par la rencontrer, et discuter. Et elle avait réalisé la véritable nature du travail des Kestra’cherns.
L’aventure avec Riannon avait encore augmenté l’attrait de Pluiechantante. Thalyana connaissait la vérité, et elle écoutait avec consternation les ragots qui circulaient à propos de cette triste affaire. Elle soupira.
« Oui... mais ça je crois que la rumeur le dit, non ? Je ne peux vous en dire davantage, car je suis tenue au secret. Sachez simplement que la vérité est très différente de ce qui se raconte dans les couloirs. Si vraiment elle vous intéresse, je vous recommanderais simplement d’aller lui parler directement. »
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Thalyana n'avait pas l'air d'une femme à qui l'on pouvait ordonner quoique ce soit contraire à sa volonté. Même si elle s'entêtait à faire des choses dangereuses. Aussi, Fleur ne s'y risqua pas et se contenta d'avoir une moue réprobatrice mais indulgente. Elle préféra reporter toute son attention sur la mystérieux papa de Liane. Dieux qu'elle voulait savoir, bon sang!
"C'est adoraaaable de sa part, c'est tellement mignon un enfant, si innocent, si spontané! Quant à son père, je ne m'inquiète pas pour lui, il a de l'endurance!"
De nouveau du demi-mensonge. A l'entendre, elle donnait toujours l'impression de connaitre personnellement le père de Liane. Mais elle ne mentait pas en disant qu'il avait de l'endurance, car comme c'était un soldat, il en avait forcément. D'ailleurs, à bien y réfléchir, ça devait être quelqu'un avec un poste haut placé. Elle n'était pas certaine que Beltran de Greenhaven accepte que chacun de ses hommes amène avec eux leur marmaille, elle l'imaginait mal accueillir des enfants les bras ouvert, lui qui n'en avait pas. Ce n'était pas faute à certaines d'avoir essayé de le faire tomber dans leurs nobles filets, vu la lignée du Capitaine. Non, il était resté marié à sa caserne. Consternant, un tel parti!
Quant à l'instinct maternel des nobles, Thalyana analysait plutôt bien les choses. On voyait qu'elle avait fréquenté les nobles de Valdemar grâce à son métier.
"C'est tout à fait ça, les enfants grandissent dans une monde à part presque jusqu'à leur entrée dans le monde, dans le cas des filles qui ne font pas leurs études au Collegium. C'est si codifié, ça ne laisse pas de place au maternage."
Le pire, c'est que Fleur annonçait ça de façon naturelle, mais parce que ça l'était pour elle. On faisait des enfants pour perpétuer la lignée, surtout. On les aimait bien sûr, son père l'avait choyé, et le faisait encore. Mais ce n'était pas aussi poussé que dans le peuple.
Thalyana n'approfondit pas plus la question du Lien, ce qui convainquit Fleur d'avoir raison. Un Lien pour la vie était le sommet du romantisme, d'un romantisme divin qui plus est!
En revanche, la guérisseuse rougit quand elle comprit l'allusion de son interlocutrice à certaines spécificités du métier de Pluiechantante.
Elle écouta avec une curiosité grandissante la description d'un Kestra'chern selon un Guérisseur. Il faut dire que ce n'était pas une définition qu'on pouvait entendre tous les jours. Même si, objectivement, Fleur continuait à penser que c'était un métier totalement dépravé. Elle ne put s'empêcher d'ailleurs te poser une question:
"Comment le... comment un rapport sexuel peut-il guérir qui que ce soit?! Et de quoi?"
Son ton était incrédule, tout autant que quand elle en avait parlé avec Belinda de Horn. Comment pouvait-on objectivement guérir quelqu'un avec du sexe?!
Son teint s'accorda à celui de Thalyana rien que d'y penser.
"Mais la fierté, l'honneur, tout ça fait partie d'une personne, de son âme non?"
C'est que le sujet devenait presque philosophique, et peut-être trop profond pour une personne comme Fleur.
"Vous divisez une personne en beaucoup de... choses."
Dans l'esprit de la jeun femme, un être humain n'était pas si "compliqué". Il avait son caractère, et son éducation. Et il était soit méchant, soit gentil. Toutes les nuances entre les deux lui échappaient encore. Elle savait qu'on pouvait mentir - évidemment! - et se faire passer pour ce qu'on n'était pas, reste qu'il y avait bien moins de cases pour catégoriser les gens que selon Thalyana.
Il était finalement plus simple de parler des ragots courant sur Pluiechantante, même si Fleur se récria devant la proposition de Thalyana, avouant sans détour:
"On dit beaucoup de chose en effet, c'est bien le problème, quand les choses ne sont pas dites clairement. Mais aller lui demander, oh non, Riannon m'effraie un peu! Et Pluiechantante..." elle secoua la tête'"mon époux ne me laisserai jamais y aller, vous vous rendez compte des idées que ça donnerai à certains?"
Soyons honnête, si elle voyait une connaissance se rendre chez Kestra'chern, elle aurait de jolies choses à raconter elle aussi, alors se jeter dans la gueule du loup, non merci!
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Thalyana n’était pas certaine de Liane était “innocente”. Elle était trop précoce et Douée pour encore l’être. Quant à l’endurance de Beltran, elle était certes légendaire quand il s’agissait de supporter les frasques de ses officiers, mais Thalyana trouvait qu’il rendait vite les armes face à sa fille.
« De l’endurance ? Je ne sais pas trop. Il a l’air tellement perdu, ce pauvre... homme, à se retrouver à élever sa fille du jour au lendemain. Mais Liane est très heureuse de pouvoir vivre avec son père à la caserne. C’est ce qu’elle m’a dit. Et elle est venue voir sa mère tout le temps qu’a durée sa convalescence. »
Et elle continuait de venir la voir pour parler du bébé. Ça la fascinait, d’apprendre qu’un enfant allait sortir du ventre de la Guérisseuse, même si elle semblait toujours légèrement dubitative. Voir Liane rassurait Thalyana autant que ça l’inquiétait. Être si jeune en pleine possession de ses Dons ne semblait pas perturber la fillette outre mesure, mais elle avait vécu des choses trop difficiles pour son âge. Et Thalyana était persuadée que sa fille possédait déjà l’Empathie. Elle redoutait le moment de la naissance, qui devait être particulièrement traumatisant pour un bébé empathe. Il faudrait qu’elle se ferme au mieux, et qu’elle demande qu’on protège le bébé. Elle ne voulait pas qu’Amalia partage sa douleur...
Thalyana s’était beaucoup intéressé à l’éducation des enfants depuis qu’elle était enceinte ; ses connaissances lui venaient des nombreuses questions qu’elle avait posées à ses patientes.
« C’est dommage. Vraiment. Les enfants apportent un nouveau regard, et des questions souvent pertinentes, bien qu’étranges... Enfin, dans un monde où la réputation a une telle importance, je comprends qu’on ne prenne pas le risque de voir son enfant faire des bêtises en public. » Elle soupira.
Thalyana était assez fière de sa petite explication sur le métier de Kestra’chern. Elle l’était d’autant plus qu’elle-même avait cru aux ragots, avant de rencontrer Pluiechantante. Mais Fleur semblait incapable d’embrasser l’ensemble du métier, et ne se focalisait que sur l’aspect le plus étrange.
« Ça... » Elle était vraiment écarlate. « Je pense que... enfin... Je sais sans le comprendre que ça peut guérir. » Elle se tordit les mains. Réalisant que ses mots pouvaient prêter à interprétation, elle expliqua : « Parfois, il m’est arrivé de m’occuper de... enfin... de filles légères. Sachez qu’elles recueillent parfois sur leur oreiller toutes les peines de leurs clients. Et qu’ils repartent libérés pour un temps de leur souffrance. Certains ne les paient que pour pouvoir s’épancher loin des oreilles indiscrètes, et surtout, sans risquer de faire jaser. »
Elle comprenait sans peine qu’il était plus aisé de se confier à un parfait inconnu, ou au moins à une personne totalement extérieure à une situation. Elle-même s’était parfois ouverte à des patients, ou à des collègues dont elle était tout sauf proche.
Fleur ne semblait pas du genre à philosopher sur les constituants de l’être pensant. Cela n’étonna guère Thalyana. Elle-même avait étudié ces questions quand on avait découvert son Don de Guérison de l’Esprit, car la notion de division entre corps et esprit était au centre de ce Don.
« Les êtres pensants sont des choses compliquées... Connaissez-vous le concept de cœur brisé ? Eh bien ! Un cœur brisé peut conduire à la mort... Dans le cas des Compagnons et des Hérauts, ou d’un couple Lié, si l’un d’eux vient à mourir. Pourtant, il n’y a aucun symptôme physique ni psychique. Mais la blessure est réelle pour autant. » Avec un exemple aussi romantique, elle était certaine de toucher la jeune noble. « Un Kestra’chern pourra tenter de soulager cette douleur. Par l’écoute, l’attention, des paroles et des conseils. Comme... comme un meilleur ami qui aurait juré sur les Dieux de n’œuvrer qu’à notre bien, et de garder jalousement nos secrets. »
Thalyana ne comprenait pas les réticences de la jeune femme à aller voir Pluiechantante. Elle comprenait mieux la crainte bien naturelle à l’endroit de Riannon, même si elle n’était pas vraiment justifiée elle non plus. Elle répondit avec agacement :
« Ils penseraient que vous discutez simplement avec une brave femme. Nous parlions de Liane tout à l’heure. Eh bien ! Pluiechantante en est la “marraine” et elle s’occupe aussi souvent d’Adrian, l’enfant adopté par le Roi. Si elle est suffisamment honorable pour s’occuper des enfants du Roi, je pense que vous n’avez pas à craindre qu’on la voie avec vous. Surtout si vous l’abordez alors qu’elle joue avec les enfants. On pensera simplement que vous aimez les petits. »
Que cela devait être épuisant de penser sans cesse à l’image que l’on renvoyait de soi. Thalyana avait grandi loin de toutes ces considérations. Dans son village, un acte jugé inapproprié était immédiatement signalé. On avait alors la grâce de rougir, ou l’énergie de se défendre, et l’affaire était close. Ici, la moindre parole, le moindre geste pouvaient apporter la honte et nourrir les médisances pendant des décades. C’était une des raisons qui l’avaient poussée à être très discrète quant à sa relation avec Kalaïd. Certes, sa grossesse avait compliqué les choses. Elle avait senti quelques regards désapprobateurs quand elle circulait dans le Palais. Son âge, sa fonction, et le fait qu’elle n’ait pas d’amant connu avaient nourri les ragots. Mais avec le mariage qui était maintenant agendé, personne ne pouvait plus rien y redire.
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Fleur était frustrée. Frustrée de ne pas réussir à faire dire le nom du père de Liane à Thalyana. Bon sang, ce n'était pourtant pas loin! Elle n'avait pas dit son dernier mot!
"Enfant, j'étais folle de mon père, je peux comprendre qu'elle soit si heureuse de vivre avec lui à demeure. Ce n'est pas donné à tout le monde de pouvoir grandir un peu dans cet univers n'est-ce pas? L'avantage d'avoir un père haut gradé!"
Encore de la supposition qu'elle affirmait comme une vérité. Elle ne prêchait pas le faux mais l’hypothétique pour savoir le vrai. Tout un talent qu'elle maîtrisait depuis quelques années déjà!
Quand Thalyana lui parla des visites que la petite fille rendait à sa mère, Fleur se fustigea mentalement. Elle n'avait jamais essayé de réfléchir à qui était allé souvent rendre visite à Riannon, de sexe masculin, ayant l'âge d'être le père de Liane. Elle savait qu'Alemdar s'y était rendu, mais ça ne pouvait être lui, même s'ils se connaissaient d'avant, ce qui n'était pas impossible, car dans ce cas la petite ne logerai pas à la Caserne, mais avec le Roi détrôné de Retwellan. Du reste, elle ne savait pas qui était venu, ne s'étant pas plus renseignée que ça. Oh, elle le ferait si elle n'apprenait pas la vérité d'ici là, mais cela dit, ça ne coûtait rien d'essayer avec Thalyana:
"C'est une chose difficile que d'être astreint à rester dans un lit de malade si longtemps. J'espère que Riannon a eu d'autres visites que celles de sa fille pour occuper son temps?"
Au sujet des enfants, Fleur, qui était si fine pour savoir quand on lui cachait des choses ne sentit pas la réprobabtion de la guérisseuse. Elle se contenta de confirmer:
"Les enfants sont parfaitement heureux avec leur nourrice. Ils n'ont pas leur place en société."
C'est vrai quoi, que feraient les femmes pendant les réceptions ou réunions s'il fallait surveiller leur progéniture prompte à courir partout et bousculer les gens? Non, quand on recevait, on les faisait venir quelques minutes pour présenter un charmant tableau familial pour les renvoyer dans la nurserie. L'ordre des choses en somme.
Quand le sujet de Pluiechantante fut de mise, ce fut un camaïeu de rouge qui se déclinait sur les jours des deux jeunes femmes, aussi gênée l'une que l'autre. Il est vrai que le sexe était un sujet rarement abordé en société, plus encore entre deux personnes qui se connaissaient si peu.
Les prostituées, Fleur connaissait bien sûr. Elle avait été fiancée à Arsène Krohp, ça décillait les yeux sur quelques pratiques! Et puis dans leur milieu, c'était somme toute courant qu'un homme aille chercher son plaisir ailleurs, avec une femme dont c'était le métier. Cependant, jamais Fleur n'aurait imaginé que celles-ci soient au courant de tous leurs secrets. C'était bon à savoir, même si elle n'en était pas à aller fréquenter des filles de joies pour satisfaire sa curiosité, pas plus que les payer pour des ragots.
Enfin, heureusement, Owen ne se confiait qu'à elle! Et ne couchait qu'avec elle d'ailleurs! Elle l'imaginait mal faire appel à une prostituée, quelle blague!
Cela dit, elle pouvait comprendre que les hommes se laissent aller à des confidences après l'amour. Owen n'avait pas grand chose à dire, dieux merci, mais il se montrait invariablement mielleux et bavard quand il lui avait fait l'amour. Ce devait donc être un trait commun de la gent masculine.
Est-ce qu'elle connaissait le concept de coeur brisé?! Bien sûr, elle était une jeune femme tout de même!
Pourtant, dans la bouche de Thalyana, le concept était beaucoup plus glauque que dans les balades ou les livres! Parce que cela pouvait être réel. Bon dans son cas, il était peu probable qu'elle meurt de chagrin si Owen disparaissait. Elle serait triste bien entendu, mais pas au point de se laisser mourir. La vie continuerait!
Fleur n'avait pas de meilleure amie, mais elle avait sa soeur jumelle. Bien sûr, elles ne se voyaient plus, elle à Haven, sa soeur dans son manoir éloigné, mais elle savait ce c'était de se sentir si proche d'une personne, totalement comprise. Cependant, elle se montrait plus réservée quant à se confier à un inconnu quand on n'avait une telle personne dans sa vie. Elle eut une moue dubitative qui le fit certainement comprendre à Thalyana. Elle coupa la poire en deux:
"Je comprends une partie du raisonnement. Mais ça ne veut pas dire que je l'approuve. Enfin, je sais que les hommes ne se confient pas entre eux, alors pourquoi pas... Mais les femmes..."
Elle haussa les épaules. Pour elle, les femmes avaient toujours quelqu'un à qui poser des question, ne serait-ce qu'une vieille nourrice. Cela dit, pour les questions gênantes peut-être... Mais était-ce une raison pour se laisser toucher si intimement par une autre femme?
Fleur était perdue.
Il fallait bien avouer que l'idée d'aller voir Pluiechantante était séduisante étant donnée sa position par rapport aux enfants royaux et à Liane. Mais ça ne suffisait pas à rattraper les rumeurs sur son comptes.
"Vous donnez trop d'importance au rôle de marraine de Pluiechantante par rapport aux rumeurs, je vous le garanti... Les choses ne sont pas aussi simples..."
Et cela n'ennuyait pas Fleur plus que cela. Cela compliquait certaines choses au quotidien, certainement, mais elle avait grandit avec ces codes.
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Fleur de Trevale savait-elle qui était le père de Liane? Elle en donnait l’illusion en tout cas. Mais en bonne courtisane, elle savait forcément comment avoir l’air au courant de tout. Prudente, Thalyana partait du principe que la dame ne savait rien.
« Haut gradé? Ah... En tout cas, la caserne semble réussir à la petite. Et je pense que n’importe quel soldat dans cette situation se verrait octroyer le droit de garder sa fille avec lui. »
Beltran l’aurait autorisé sans aucun doute. Il aimait ses hommes, qui le lui rendaient bien. Elle ne l'imaginait pas empêcher un homme de recueillir sa fille si la mère de celle-ci était dans l'impossibilité de s'en occuper.
Quant à la longue convalescence de la Doyenne, elle avait été en grande partie solitaire. Riannon supportait encore difficilement la présence des gens, et elle portait encore trop lourdement le poids de sa conscience. Bientôt, elle pourrait affronter les autres. Mais pas encore.
« Je ne m’occupais pas de la Doyenne, je ne sais donc pas qui lui rendait visite. Et même si c’était le cas, je ne pourrais malheureusement pas en parler. Cela fait partie du secret professionnel. »
En fait, si elle n’avait pas soigné elle-même la Barde, elle avait aidé. Et c’était elle qui l’avait récupérée, le fameux jour. Mais elle ne préférait pas en parler. Et elle n’avait pas menti, elle était tenu au secret. D’une part en tant que Guérisseuse, d’autre part parce que Beltran lui avait demandé d’être discrète.
Fleur semblait heureuse avec les habitudes de sa classe. Tant mieux, au fond. Thalyana aurait trouvé très triste de ne pas participer à la vie de ses parents. Elle avait adoré singer son père lors de ses entraînements, et apprendre de sa mère comment cultiver les plantes. Elle avait aimé écouter ses oncles et tantes raconter des histoires aux repas familiaux, et leur poser des questions.
« Non, effectivement, pas dans la vôtre.»
Parler des Kestra’cherns mettait les deux femmes très mal à l’aise. Cependant, les causes en étaient probablement très différentes. Thalyana était d’un naturel plutôt timide, et elle rougissait facilement. Parler de sexualité ne la dérangeait pas, quand c’était dans un contexte s’y prêtant. En discuter avec une noble coincée, c’était autre chose. Surtout que ladite noble semblait décidée à être outrée.
« Ah... c’est cet aspect-là qui vous dérange? L’homosexualité vous rebute-t-elle? Je ne sais pas si Pluiechantante couche avec ses patientes. Je sais qu’elle les masse. Mais c’est très différent. Et même si elle couche avec elles... honnêtement, une femme peut prodiguer de l’attention à une femme.» Elle était très très rouge. « La finalité n’est pas... enfin... la même qu’avec un homme. Mais... euh... enfin. S’il s’agit de réconforter, je pense que le sexe a très peu d’importance. En même temps, je suis très mal placée pour en parler, j’étais parfaitement innocente avant Kalaïd...»
En fait, elle n’avait aucune idée de sa réelle orientation sexuelle. Elle ne s’était jamais posé la question avant Kalaïd, et maintenant, ce n’était plus d’actualité. Mais elle parvenait sans peine à imaginer ce qu’une femme pouvait faire à une autre femme.
Quant aux rumeurs qui courraient sur Pluiechantante, elles étaient simplement ridicules. Mais celle-ci était bien trop sage pour les écouter et les démentir. Elle avait repris sa vie tranquillement, et d’après ce que Thalyana avait vu, elle s’était particulièrement rapprochée de son amie Tayledras, la mage un peu effrayante. Elle semblait se remettre, même si Thalyana la trouvait moins “brillante” qu’avant. Liane en tout cas était très heureuse d’avoir sa tatie pour elle. Et elle se souciait comme de sa première couche des regards qu’on leur lançait parfois.
« La vie doit être bien compliquée quand on la vit selon le regard des autres, et non selon son propre chemin. Si le Roi lui-même s’entretient avec elle, j’aimerais savoir pourquoi sa réputation serait trop mauvaise pour une simple noble. »
Elle était légèrement irritée maintenant.
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Encore raté! Fleur se voyait confirmait le poste plutôt haut place du papa mystère sans connaître son nom. Elle abandonna les questions indirectes mais resta sur le même sujet, le nom pouvait toujours échapper à Thalyana, et s'étonna:
"Vous pensez qu'une enfant est à sa place dans une caserne? Quand on y a un logement confortable pour elle, peut-être, mais sinon, j'en doute..."
C'était raté aussi du côté de son investigation sur Riannon. Mais ça, ce n'était pas grave du tout, il lui suffisait en repartant d'aller faire un tour et de questionner les bons domestiques. Elle devrait pouvoir rencontrer ceux qu'elle connaissait quand elle était une simple Bleue.
"J'espère qu'elle sera de nouveau sur pied, c'est quelqu'un qui sait très bien gérer son Cercle." commenta tout de même Fleur poliment.
Ca n'était un secret pour personne que Riannon était une personne extrêmement compétente, que ce soit pour son métier de Barde ou ses responsabilités de Doyenne. Tout comme elle avait un caractère explosif. Elle devait fatiguer le Collegium des Guérisseurs.
Le sujet de la place des enfant fut bouclé sur la remarque de Thalyana. Leurs éducations avaient été si diamétralement opposées que même avec un débat plus poussé, il aurait été impossible qu'elles s'entendent. Mais Fleur ne le prenait pas mal.
En revanche, la discussion autour de Pluiechantante ne faiblissait pas, au contraire, et donnait lieu à évoquer certaines pratiques qui mirent Fleur mal à l'aise. Oui, il était possible de la mettre mal à l'aise! Surtout en posant des questions directes dans un vocabulaire tout sauf imagé!
"Non, ça me rebute pas, j'ai passé de nombreuses années au Collegium je vous rappelle."
Et mine de rien, quand on vivait à Haven et plus encore dans l'enceinte des Collegia, on faisait forcément face à l'amour entre personne du même sexe tant la population était cosmopolite. Fleur n'était pas homophobe, et elle était terriblement fleur bleue, donc si une personne en aimait une autre, qu'elle soit un homme ou une femme, finalement quelle importance tant qu'on était amoureux? Sauf que dans son milieu, quand on n'était ni Barde, ni Héraut, ni Guérisseur, bref, qu'on représentait surtout son Nom, ça s'affichait rarement. Un homme se mariait avec une femme, et chacun faisait ce qu'il voulait ensuite (surtout l'homme il fallait l'avouer) mais en toute discrétion. Ce qui impliquait de ne pas se montrer quand on allait rencontrer une femme comme Pluiechantante, que ce soit pour un simple massage ou plus. Surtout quand on était une femme!
Thalyana lui parla même de sa propre expérience, et Fleur ne sut pas tellement quoi répondre, certainement pas qu'elle était vierge avant le mariage elle aussi, ce n'était pas le sujet. Pas plus qu'elle n'allait rajouter qu'étant donné son état, même si elle allait se marier, il était préférable qu'elle ait au moins réservé sa vertu à l'homme qu'elle épouserait bientôt!
Puis Thalyana commenta la difficulté de la vie des nobles si l'on devait tout prendre en compte continuellement, en finissant par citer le Roi pour témoin.
Fleur comprenait que la guérisseuse fut légèrement exaspérée, mais ça ne la troublait pas personnellement. Elle répondit tout d'abord ce qu'elle avait souvent entendu dans la bouche de sa nourrice et de son père, quand ils essayaient de lui inculquer les bases de la vie en société:
"Nous sommes nés en jouissant de certains privilèges, je ne crois pas que ce soit cher payé que de réfléchir à ce que nous faisons. Nous sommes des personnes publiques, avons souvent de grandes responsabilités, nous devons être un exemple."
Sur le papier, c'était bien joli tout ça. Mais si on jugeait cette maxime à la lumière de leur conversation, cela ne voulait plus rien dire. En vérité, c'était surtout au yeux des autres nobles qu'il fallait donner le change, au risque de se voir affublé d'une réputation, méritée ou non. Mais encore une fois, c'était le jeu. Si on était respecté, on avait du pouvoir, Fleur l'avait très vite compris.
"Je ne trouve pas ma vie compliquée, je vous l'assure, mais j'ai grandit ainsi. Quant au Roi..."
Elle hésita tout de même à continuer. Répandre rumeurs et ragots sur les nobles, les Hérauts, les Bardes... c'était une chose, mais sur la famille royale! Bien sûr elle le faisait, mais en présence de personne de son milieu.
"Avec tout le respect que j'ai pour notre souverain, sa position ne le met pas à l'abri des jugements. C'est une remarque générale bien sûr, car je n'ai jamais entendu, et j'entends beaucoup de chose, quoique ce soit à son encontre au sujet de Pluiechantante, vous pouvez en être sûre."
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Parfois, Thalyana avait l’impression que les mots qu’elle formulait dans sa tête sortaient de sa bouche sous une forme toute différente. Il lui semblait avoir simplement constaté que Liane appréciait de vivre à la caserne. Pas que c’était sa place.
« Je n’ai jamais dit cela. Mais la place d’un enfant est auprès de ses parents, quand c’est possible. Si j’étais dans l’impossibilité de prendre soin de ma fille, j’aimerais que Kalaïd la garde près de lui. »
Thalyana ne commenta pas la présence ou l’absence d’une chambre pour Liane. Donner une telle information risquait de révéler l’identité du père. Qui, à la caserne, avait des appartements suffisamment vastes pour accueillir une fillette et sa nourrice ? Bien peu...
Au moins, Fleur eut l’élégance de ne pas poursuivre avec sa curiosité indélicate quant à Riannon et ses visites.
« J’espère aussi qu’elle reprendra bien vite sa place... » * Même si c’est très peu probable *
Thalyana doutait que Riannon ait la force de reprendre sa place avant longtemps. Si d’aventure on lui laissait la reprendre. Ce qu’elle avait commis, même si elle y avait été contrainte, était une trahison, purement et simplement. La jeune Guérisseuse ne connaissait pas tous les détails. Mais sa présence sur les lieux avaient obligés ses supérieurs à l’informer un minimum, pour qu’elle réalise l’importance de son silence.
Si l’homosexualité n’était pas la source du dégoût de la jeune noble, Thalyana ne voyait pas ce qui pouvait l’être. Si on admettait les relations homosexuelles, il n’y avait alors plus de raison de condamner plus sévèrement les soins que Pluiechantante prodiguait aux femmes que ceux dont elle gratifiait les hommes.
« Alors pourquoi cela vous choque-t-il davantage que Pluiechantante s’occupe de femmes ? Selon vous, seuls les hommes peuvent s’autoriser ce genre de “plaisirs”? Sincèrement, je ne comprends pas. C’est comme si vous préfériez être choquée plutôt que d’admettre la légitimité de la chose. Est-ce parce que cela contrevient trop à votre éducation ? »
Pleine d’un bon sens typiquement terrien, et même parfois terre-à-terre, Thalyana ne comprenait simplement pas qu’on réprouve quelque chose dont on comprenait l’utilité, ou la réalité. Pour elle, même si la profession de Kestra’chern était étrange, elle en comprenait l’utilité, et ne voyait donc aucun problème à ce que des gens l’exercent.
Quand Fleur prétendit que les nobles se devaient de montrer l’exemple, Thalyana fit quelque chose qu’elle ne faisait quasiment jamais. Elle éclata de rire. Cela commença par une main placée vivement devant sa bouche. Puis ses épaules tressaillirent et se secouèrent par à-coups. Enfin, elle laissa sa voix exprimer ce fou rire contenu.
La grossesse avait de nombreux désavantages. Mais pour Thalyana, le pire était qu’elle exacerbait les émotions, et qu’elle avait donc un mal fou à les contenir.
« Pardon... navrée. » Elle essuyait les larmes qui avaient perlé au coin de ses yeux. « Je ne voulais pas vous offenser... mais un modèle... c’était trop drôle. Un modèle pour qui ? Le peuple ? Si vraiment vous étiez le modèle du peuple, tout le pays marcherait sur la tête ! Vous connaissez le proverbe qui dit qu’un vautour n’est beau que pour ses congénères ? Je crois qu’il vient des Tayledras. Bref... C’est exactement ça. Vos mimiques et vos manières n’ont d’importance que pour vos semblables. Le peuple les trouve certainement ravissantes. Aussi ravissantes que la queue d’un paon. Donc parfaitement inutiles. »
C’était dit sans méchanceté, avec une franchise à faire fuir n’importe quel courtisan. Thalyana n’était pas douée pour les ronds de jambe.
« Mais je suis heureuse d’apprendre que votre vie vous convient. Après tout, vous avez été éduquée pour survivre dans cet univers... »
C’était un véritable euphémisme qu’employait là Fleur de Trevale. Il y avait quantité de ragots et de rumeurs qui circulaient sur le Roi. La plupart étaient simplement ridicules, d’autres idiotement offensantes, et certaines simplement révoltantes. Le Roi Arthon était, d’après l’opinion de Thalyana, un bien brave homme.
« Les ragots et les rumeurs se nourrissent des pires sentiments : la peur, l’envie, la rancœur, l’incompréhension. Sincèrement, vous rendriez un grand service à tous en allant parler à Pluiechantante. Peut-être vos préjugés se trouveraient alors incapables de survivre à la réalité. Et vous pourriez ainsi contribuer à restaurer l’honneur d’une personne dont la réputation a été injustement salie. »
Elle ne savait pas trop ce qui la poussait à défendre ainsi la jeune femme. Peut-être avait-elle simplement été touchée par le courage dont avait fait preuve la Kestra’chern en affrontant quelque chose qu’elle n’était pas en mesure de vaincre, et qu’elle avait cependant défait.
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Fleur écouta la correction que Thalyana fit au sujet de ce qu'elle avait (mal) comprit, et la jeune femme hocha la tête:
"Bien entendu, je suis d'accord"
La jeune femme n'était pas du genre à se braquer trop longtemps, ça en devenait interminable, alors, elle abonda dans son sens. De toute façon, elle était vraiment d'accord avec le fond. Et Thalyana ne semblait pas prête à lâcher le nom du géniteur secret de la petite, Fleur dut donc pour le moment en rester là. Mais elle connaîtrait la vérité avant longtemps, elle en était sûre! Il faudrait juste un peu de patience, une vertu qu'elle ne possédait malheureusement pas.
Le sujet sur Riannon s'épuisa aussi, et il n'y avait rien à dire de plus que les civilités d'usage qu'elle avait exprimé plus tôt.
En revanche, la discussion autour du métier de Pluiechantante ne finissait pas de rebondir. Fleur, qui n'avait pas l'habitude qu'on la force tant à creuser, chercher des arguments, laissa échapper un soupir. Elle commençait à entendre dans le ton de la guérisseuse de la réprobation.
"En vérité, vous n'êtes pas loin de la réponse. Un homme, dans mon milieu, peut se marier, avoir une maîtresse, sortir dans des endroits... particuliers, fréquenter des prostitués. C'est acquis, c'est un homme, c'est ainsi. Il n'y a rien de choquant. Tant que tout cela reste dans des proportions... normales. Une femme ne peut pas faire ça, sauf si elle s'est arrangée avec son époux mais dans ce cas l'absolue discrétion est de mise. Pour revenir à la Kestra'chern, en ce qui me concerne, je ne pense pas que mon époux laisserait une autre personne que lui poser ses mains sur moi, en dehors d'un guérisseur du Collegium, ou d'une sage-femme le temps venu."
Elle n'avait jamais eu à tester l'éventuelle jalousie d'Owen. Mais elle le connaissait bien et nul doute qu'il refuserait de la partager, comme un jouet. Après tout, c'était encore à bien des égards un enfant.
Puis quand Fleur répéta ce qu'on lui avait appris, elle eut la surprise désagréable de voir Thalyana lui rire au nez et lui répondre que non, elle n'était un modèle pour personne. Pour le coup, la jeune femme, qui était pourtant difficile à vexer, vit rouge. Qui était-elle, cette guérisseuse de campagne pour remettre en cause le rôle de la Noblesse de Valdemar?! Elle referma son éventail d'un coup sec.
"Je vous demande pardon, mais mes mimiques comme les appelez sont partie intégrante de ma personnalité! Et je n'apprécie guère entendre de fait que je suis inutile! Je ne peux pas parler au nom de tous les nobles de ce pays, bien entendu, mais en ce qui me concerne oui, j'espère bien être une exemple, et faire du bien autour de moi. Savez-vous l'importance de Trevale dans l'est? Combien de personne le domaine fait tout simplement vivre? Quel travail c'est que de garder une exploitation de cette envergure pérenne, afin que chacun puisse en vivre décemment, les nobles comme le peuple?"
Tient donc, mais c'est que la future Dame de Trevale perçait sous la frêle jeune mariée!
"Alors si vous jugez que nous sommes ridicules, grand bien vous fasse, mais pas moi. Chacun ces codes, et son éducation. Vous remettez la mienne en question et ça, je ne vous le permet pas. Les seules personne à qui je dois rendre des comptes sont mon époux, ma famille, et mon Roi."
Thalyana ne le savait sûrement pas, mais elle venait de faire une expérience que peu de gens avaient fait, celle de voir Fleur en colère. C'était extrêmement rare tant la jeune femme était de bonne composition. C'est dire si les propos de la guérisseuse étaient mal venus!
Et la suite de son discours n'arrangea pas les choses.
"J'aime beaucoup les ragots, pourtant, je ne crois pas être animé des pires sentiments, moi!" se récria-t-elle.
Tout le monde s'accordait à dire qu'elle était charmante, depuis sa naissance. Il n'y avait pas plus gentil qu'elle et la méchanceté la révoltait.
Elle se leva un peu brusquement et épousseta sa robe avec application tout en continuant:
"Vous deviez peut-être prendre exemple, oui, et peser vos mots si à l'avenir vous vous retrouvez au milieu de la bonne société."
Elle se calma, et poursuivit, voulant réellement prévenir la jeune femme de futurs problèmes:
"Vos commentaires sur notre style de vie ne seront pas pris avec humour, ou légèreté. On ne me vexe pas facilement, et vous avez réussi à le faire, alors, avec mes pairs, je vous garanti que la réaction sera plus hostile que la mienne. Tout vaniteux que nous soyons, j'espère que vous n'ignorez pas notre pouvoir de nuisance. Même moi, qui ne ferai de mal à une mouche, je le sais. Vous me conseillez d'aller voir Pluiechantante, fort bien, peut-être irais-je après tout, en retour, laissez-moi vous en donner aussi un conseil. Faites attention à ce que vous dites, et à qui. Vous êtes souvent à la caserne, profitez donc en pour apprendre quelques base avec le Capitaine Beltran qui est très au fait de nos us et coutumes."
Un peu effrayée par ce qu'elle était capable de dire, elle s'accroupit devant Thalyana, adoucissant encore son ton:
"Et je vous en prie, ne prenez pas mes mots pour une quelconque menace, c'est un conseil... amical. Vous êtes Guérisseuse et avait donc un statut très particulier aux Collegia, au Palais, cependant, il n'est jamais vain d'avoir l'estime et la protection d'un Noble."
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Thalyana regretta bien vite son fou rire. Elle ne voulait pas vexer la jeune femme. Juste lui faire réaliser l’absurdité de ses propos. Elle s’y était prise avec maladresse, elle le savait. Mais elle peinait à se contrôler avec le maelström d’émotions qui tourbillonnaient constamment en elle. Elle n'avait pas réfléchi avant de parler. Elle savait avoir mal choisi ses termes. Elle aurait mieux fait de se taire, et de mentir quant à la cause de son fou rire. Mais Thalyana disait toujours le fond de sa pensée. Elle peinait à mentir, car elle ne supportait pas de trahir ses sentiments, et bien souvent, elle avait impression que l'autre pouvait sentir que ses mots n'étaient pas en accord avec ses émotions. Et elle détestait simplement le mensonge.
Immédiatement, elle tenta de calmer le jeu. Elle supportait mal que l’on crie, et dans son état, cela conduirait immanquablement à une crise de larme.
« Je ne remets pas en cause votre utilité. Sincèrement, simplement l’idée que vous seriez des modèles pour le peuple. Je sais quel rôle vous remplissez. Je sais que vous êtes indispensables à la bonne marche du royaume... Je suis désolée de vous avoir vexée. Vraiment. Mais ...» *vous pourriez remplir votre rôle sans pour autant alourdir votre vie des chaînes inutiles que constitue une réputation “à tenir.”.*
Mais elle n’arrivait pas à s’excuser tant l’autre s’emportait en face. Elle tenta de mieux expliquer son propos, de calmer la jeune noble.
« Et je... je ne remets pas en cause votre éducation. J’expliquais simplement que votre monde est tellement éloigné de celui du peuple... il ne comprend pas vos agissements, je suis désolée de le dire. »
La colère avait poussé la jeune femme à prendre pour elle des mots qui ne la concernaient pas. Thalyana s’en mordit les lèvres. Elle se sentait vraiment mal maintenant. Elle sentait les larmes poindre. Elle avait honte. Elle ne voulait pas pleurer en public. Elle parla d’une vois éteinte:
« Ai-je que les gens qui les colportent sont animés de tels sentiments? Je parlais de ce qui nourrit les ragots, pas de ceux qui les écoutent...»
Fleur agenouillée devant elle tentait de lui faire croire qu’elle ne s’amuserait pas à détruire sa réputation. Thalyana ne la croyait pas. Mais elle s’en fichait, elle n’avait aucune réputation à tenir. Elle savait bien ce qui se disait sur elle, jeune fille non mariée enceinte. Les larmes, traîtresses, commencèrent à mouiller ses yeux. En vain, elle tenta d’expliquer encore une fois:
« Je suis navrée de vous avoir vexée... La grossesse a des effets étonnants sur le corps d’une femme, dont celui d’exacerber tous les sentiments, et de rendre quasiment impossible de retenir une larme ou un rire. La seule chose qui m’a fait rire, c’est votre idée que le peuple vous prendrait en modèle. Il en est incapable, votre comportement est bien trop sophistiqué pour être compréhensible à des gens simples comme nous. Pour nous, imiter les nobles, c’est comme de prétendre agir comme les dieux. Ça ne se fait pas, et on ne ferait que de se couvrir de ridicule.»
Malgré ses larmes, Thalyana s’était efforcée de tourner ses propos de manière avantageuse pour les nobles, même si elle n’y croyait pas vraiment. Elle se fichait que la jeune fille ne l’appréciait pas, mais elle n’avait pas voulu la blesser, et se sentait désolée de l’avoir fait. Mortifiée, elle réalisa soudainement qu'elle diffusait sa honte et son peine autour d'elle, et elle remonta vivement ses boucliers, désolée que son interlocutrice ait eu à subir l'assaut de ses émotions à elle.
Elle essuya rageusement quelques larmes. Fleur la prenait pour une rustre. Ses menaces laissaient peut-être Thalyana de marbre, mais elle devait penser à Kalaïd. Cependant, elle ne pouvait s'empêcher d'en vouloir à Fleur, et aux nobles en particulier, d'appliquer leurs critères d'honneur sur tout le monde, y compris des gens simples comme elle dont les mœurs étaient bien différentes.
« Je comprends parfaitement l'utilité d'une réputation sans tache. Et je ne nie pas que nous autres, pauvres plébéiens, nous n’avons pas notre propre réputation. Simplement, je ne crois pas qu’elle soit salie si facilement. Voyez, vous me méprisez sans doute d’être enceinte sans être mariée. Cela vous choque, et cela vous amuse de flirter avec le scandale en venant me parler. Mais voyez, auprès des miens, ma réputation n’a pas souffert. Il a suffi que j’explique la situation pour que ma réputation soit lavée de toute tâche. »
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C'était... sorti tout seul. Des années d'éducation noble avaient finalement servi à quelque chose et avaient transformé, l'espace de quelques minutes, la très pacifique et adorable Fleur de Trevale en jeune femme Noble à la fierté blessée.
Mais en vérité, elle s'épouvanta elle-même de ce qu'elle dit et de la façon dont elle le dit. Bien sûr, elle était vexée, mais il y avait milles autre façon de s'expliquer que celle-ci!
Et forcément, le résultat sur une jeune femme enceinte aux nerfs à fleur de peau ne fut pas très heureux. S'excusant, la voix de plus en plus basse, elle se mit même à pleurer. A pleurer! Fleur n'avait jamais, oh grand jamais fait pleurer quelqu'un! Et cela provoqua ses propres larmes par la même occasion.
Et soudainement, Fleur, qui se sentait déjà mortifiée, se trouva envahit par de puissants sentiments négatifs qui n'étaient pas les siens, elle le savait. La honte et la peine qui l'étreignait malgré elle et lui donnèrent la nausée et la firent paniquer. Elle recula de quelque pas et écarquilla les yeux en dévisageant Thalyana. L'impression de partager sa peine avait été furtive mais intense, et elle savait que cela venait de son interlocutrice. Quelle sort de magie était-ce?!
"Qu'est-ce que vous venez de me faire?" s’insurgea-t-elle d'une voix aiguë.
Elle rouvrit son éventail et le battit furieusement devant son visage pour se calmer, mais elle ne pouvait s'empêcher de balbutier:
"Je promets de ne pas me remettre à vous crier dessus mais ne recommencez pas ça!"
Puis elle répondit à la dernière accusation avec beaucoup de prudence, étant donné ce qu'elle venait de vivre:
"Je ne vous méprise pas mais oui, votre état me choque, bien sûr. A quoi vous vous attendiez de la part d'un femme comme moi? Et non, je ne m'amuse pas à flirter avec le scandale, en général j'essaye de l'éviter."
Elle aimait beaucoup le scandale, nuance! Mais elle s'abstint de le dire, sentant que ce n'était pas vraiment quelque chose à avouer.
"Nous nous sommes rencontrées par hasard ce soir, je n'ai pas couru après vous pour vous observer comme un animal..."
Si Fleur n'avait été qu'un observateur extérieur, elle aurait admit que Thalyana avait raison, dans le fond. Mais elle était elle, c'était bien le problème.
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Fleur de Trevale n’avait visiblement jamais fréquenté d’Empathe. Elle ne comprit pas ce qu’il s’était passé, et semblait persuadée que Thalyana avait tenté de lui faire du mal.
« Oh ! Pardonnez-moi... je suis vraiment désolée. J’ai une peine folle à garder mes barrières baissées. Je ne vous ai rien fait, en tout cas pas consciemment. C’est simplement mes émotions que vous avez perçues. Je suis empathe. Et une Empathe pas très douée à l’heure actuelle. »
Personne ne lui avait jamais dit que la grossesse pourrait perturber ainsi son contrôle. Évidemment, l’Empathie était un Don particulier, qu’il était quasiment impossible à barricader totalement. Et les barrières érigées pour le contenir pouvaient se briser sous le coup d’une émotion particulièrement forte. Thalyana avait énormément peiné à dresser des barrières satisfaisantes ; elle réalisait maintenant que ses efforts avaient été insuffisants.
Fleur prétendit ne pas la mépriser. Thalyana n’y croyait pas, mais elle s’abstint de tout commentaire. Elle avait fait bien assez de dégâts. Elle répondit par contre à la question rhétorique de la jeune femme.
« Je sais pas... vous pourriez simplement estimer que cela ne vous regarde pas, et que probablement, vous n’avez pas les éléments nécessaires pour juger la situation. »
Elle nia être venue lui parler en connaissance de cause. Sans doue disait-elle vrai. Personne ne l’avait vu se glisser dans le jardin, et on ne la voyait pas depuis le chemin. Elle esquissa un pauvre sourire.
« Alors vous devez bien être la seule. Combien sont venues me parler pour découvrir l’identité du père, et me plaindre d’un ton condescendant ? Combien chuchotent à mon passage ? Votre élévation morale doit être exceptionnelle... »
Thalyana ne se moquait pas. Elle pensait vraiment que si Fleur avait été sincère dans ses questions, et que son intérêt était réel, alors elle avait fait preuve d’une grandeur d’âme bien supérieure à celles de ses comparses. Les femmes nobles étaient décidément les pires. Elles étaient promptes à juger, à répandre des rumeurs et à s’amuser de l’effet que leurs mensonges provoquaient.
« Je suis sincèrement navrée, Dame Fleur. Je ne voulais pas vous froisser, ni même vous faire réagir. Je tentais simplement de vous expliquer quelque chose. Je l’ai fait avec une grande maladresse, je le sais bien. Mais cela ne m’arrive pas si souvent de parler de ce genre de choses. Et mon fou rire était très mal à propos. Mais je n’ai pu le retenir. Quant au choix de mes mots... il n’a pas été des plus délicats. Mais vous voyez bien, je ne suis qu’une pauvre paysanne sans raffinement. »
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Fleur avait déjà entendu parler du don d'Empathe, en cours, probablement. En tout cas, le terme ne lui était pas étranger, ni sa définition. Elle n'avait en revanche jamais eu à se retrouver confronté à l'empathie, et elle se promis d'éviter à l'avenir de se trouver dans la même situation.
Thalyana, était, en gros, en train d'essayer de lui faire comprendre à quel point courir après les ragots et s'en délecter était malvenu. Mais si Fleur était une personne facilement influençable sur bien des points, sur celui-là, il était impossible de lui faire entendre raison.
Se rendait-elle compte que cela pouvait blesser cruellement les personnes au sujet desquelles les gens parlaient?
Bien sûr que non.
Elle avait une vision très moderne sur ce point: elle prônait la libre circulation de l'information. Ce qui était plutôt paradoxal puisqu'elle-même avait des secrets qu'elle refusait de voir propagés, mais elle n'avait jamais prétendu être logique.
Elle savait qu'elle avait été un sujet inépuisable de ragot quand elle s'était marié en tout hâte avec Owen, à Trevale. Elle acceptait ce fait, parce qu'elle n'y pouvait rien. Nous étions tous amenés, à un moment de notre vie, à être au centre de l'attention des autres. Que celle-ci soit malavisée ou non.
"Probablement" répondit-elle toutefois, disposée à ne pas vexer de nouveau l'Empathe et faire face à ses sentiments.
Mais elle secoua la tête quand Thalyana lui dit qu'elle devait être exceptionnelle.
"Je ne crois pas être meilleure qu'un autre, ou du moins... que la moyenne des autres. J'essaye de ne pas faire souffrir les autres, car je déteste ça, et je ne dois pas être la seule, en tout les cas je l'espère."
Puis la guérisseuse s'excusa et Fleur lui sourit gentiment, pencha la tête et lui répondit:
"Vous n'êtes certainement pas sans raffinement. Ce n'est pas l’apanage des Nobles, croyez-le bien. Vous êtes très jolie et la grossesse vous va à ravir. Nous sommes d'accord sur un point, nous ne sommes pas du même monde. Cependant, nos mondes se mélangent, constamment. Essayer de vous battre contre les codes des classes différents de la votre qui ne vous plaisent pas... ce serait interminable."
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Thalyana se demandait ce qui fascinait tant les gens dans le fait de colporter des ragots et des rumeurs. Elle ne s’était jamais prêtée à cette activité qu’elle jugeait vaine et cruelle. Elle ne s’intéressait pas à la vie des gens, qu’ils pouvaient mener comme ils l’entendaient, du moment qu’ils ne commettaient aucun crime. Elle demandait le droit de vivre en paix, et l’accordait spontanément aux autres. Alors elle souffrait énormément de l’intérêt malsain qu’elle suscitait.
Elle se demandait souvent comment les gens avaient pu établir avec certitude qu’elle n’était pas mariée. Après tout, elle aurait pu être très secrète, plus encore qu’elle ne l’était réellement. De plus, elle doutait que quelqu’un ait obtenu l’autorisation de consulter des registres civils pour une question aussi triviale. Les rumeurs n’étaient donc fondées sur rien de concret. Elle ne comprenait d’ailleurs pas en quoi le fait qu’elle soit mariée ou non pouvait avoir une quelconque importance, ici en tout cas. Nombreux étaient les Hérauts et les Bardes qui avaient des enfants sans être mariés.
Elle savait par contre pertinemment d’où venait la certitude que le père était un soldat ; elle passait de nombreuses heures à la caserne. Mais elle s’étonnait que personne ne soit parvenu à arracher la vérité entière à un soldat. Après tout, plusieurs étaient au courant, et ils ne se gênaient pas pour le montrer. Mais la solidarité était forte entre les soldats et ils protégeaient les leurs.
Elle soupira. Fleur de Trevale était plutôt un gentil spécimen de noble. Elle était sans doute bien trop simple et naïve pour voir le mal sous ses actions. Ça ne les rendait pas moins méprisables, mais il était plus facile d’excuser la jeune fille.
« Ce qui vous fait souffrir n’est sans doute pas la même chose que ce qui me fait souffrir. Je souffre moins de me faire jeter mes quatre vérités au visage plutôt qu’on chuchote dans mon dos. Vous souffrez sans doute de choses qui me laissent de marbre. C’est ainsi. Si vraiment vous ne voulez commettre aucun mal, demandez-vous ce qui fera souffrir l’autre... même si cette chose vous paraît absurde. »
Elle sourit avec gentillesse.
Fleur sembla accepter ses excuses à sa manière, et chercha même à complimenter la Guérisseuse. Mais Thalyana ne voyait pas le rapport entre la beauté et le raffinement. À ses yeux, ils étaient même diamétralement opposés.
« Je ne me bats pas contre eux. Je demande simplement à ce qu’on ne m’y soumette pas sans raison. Si je devais me présenter à la cour, certes, je me conformerais à ces codes. Mais dans mon environnement, dans ma vie quotidienne, je demande le droit de vivre selon les codes de ma classe. Je suis avant tout une Guérisseuse. Parmi les Guérisseurs, une grossesse est un bienfait, la plupart du temps, qu’importe que les parents soient mariés ou non. Qu’ils connaissent ou non l’identité du père, ils estiment que mes choix ne regardent que moi, tant que cela n’affecte pas ma santé, ni celle de ma fille. Vous laissez aux Hérauts le droit d’avoir une vie excentrique, des mœurs très libres. Certains remettent ce droit en question, mais la majeure partie du peuple et des nobles non. Pourquoi moi, qui me sacrifie pour le royaume presque autant qu’un Héraut, qui continue à travailler malgré ma grossesse, qui donne tout mon temps à la santé des autres, pourquoi moi aussi, ne pourrais-je bénéficier de la même indulgence ? »
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Il fallait vraiment toute la patience de Thalyana pour essayer d'expliquer certaines choses à Fleur et ne pas s'emporter quand elle-ci répondait en toute innocence à côté de la plaque. Il n'était pas certain que face à quelqu'un d'autre, la jeune De Trevale ait bénéficié de la même indulgence. Mais l'Empathe, de par son don, avait une grande maîtrise d'elle-même qui l'empêchait certainement d'avoir envie d'étrangler son interlocutrice, surtout quand celle-ci répondit:
"Je ne crois faire souffrir personne. Jamais. Sauf tout à l'heure quand je vous ai crié dessus, mais ça n'arrive jamais!"
Fleur était sensible et incapable de faire sciemment du mal mais elle manquait de profondeur pour se rendre compte de la réelle portée de ses actes, et surtout de ses paroles. L'absurdité d'une source de malheur pour une autre personne ne lui venait même pas à l'esprit.
Puis Thalyana donna son point de vue sur le respect des codes de conduite des autres, mais bien sûr, Fleur ne partageait pas du tout son point de vue.
"Pour ma part, je n'ai jamais dit que j’approuvais la vie... libérée des Hérauts. Il est vrai cependant qu'ils ont, aux yeux de tous je crois, plus de prestige que les autres cercles du royaume. Car ça ne m'empêche pas de beaucoup les admirer! Mais je ne crois pas qu'essayer d'être reconnue comme un Héraut soit un combat utile à mener, ça me semble perdu d'avance... Enfin, quand vous êtes chez vous, dans l'intimité ou avec votre cercle, bien sûr que vous vivez comme vous l'entendez, selon vos valeurs. Vous savez, moi je sais que l'on a parlé dans mon dos lorsque j'étais en Lune de Miel, et ce n'est pas grave!"
Dieux qu'elle était naïve...
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L’idée que Fleur était peut-être légèrement “simple d’esprit” avait effleuré Thalyana. Mais elle penchait plutôt pour une naïveté totale et une candeur presque effrayante. Comment pouvait-on en tout bonne foi prétendre ne jamais faire souffrir personne? A la rigueur, on pouvait affirmer faire de son mieux et espérer que cela suffise. Car il était tellement facile de faire du mal sans le vouloir. Thalyana avait très certainement heurté ses parents en négligeant de les mettre au courant. Et ne blessait-elle pas parfois ses semblables, par une parole un peu rude? Fleur se pouvait-elle pas se rendre compte que son attitude pouvait vexer bien des gens? Sans doute pas. Elle vivait dans un monde qui paraissait si simple, si délimité.
« Vous avez bien de la chance de ne jamais faire souffrir personne...»
Thalyana ne mit aucun sarcasme dans sa voix, bien qu’elle en ait très envie. La noble n’aurait pas compris. Et il n’y avait aucune gloire à se moquer de quelqu’un comme elle.
Fleur de Trevale semblait parfaitement adapté au monde dans lequel elle vivait. Elle en acceptait les règles sans sourciller et les considérait comme immuables. Elle jugeait les autres à l’aune de sa propre vie. Si elle-même acceptait avec grâce d’être la cible des ragots, il devrait en être de même pour tous.
Thalyana trouvait pourtant très légitime de demander un minimum de reconnaissance. Et si celle-ci lui était refusée, elle ne désirait qu’avoir la paix. Elle souhaitait pouvoir vivre soulagée du poids des regards malveillants. Car elles souhaitaient faire du mal, ces personnes qui médisaient dans son dos, qui lançaient des rumeurs sans fondement et traînaient sa vie dans le boue. Qu’importe que dame Fleur prétendre qu’il n’en était rien, que les ragots n’étaient pas motivés par des sentiments mauvais. Peut-être qu’elle-même s’y voyait qu’un inoffensive passe-temps. Mais elle ne réalisait pas à quel point ce passe-temps était cruel. La rumeur pouvait anéantir un homme. Très souvent, c’était le but recherché. Comment alors prétendre que colporter des rumeurs était une activité totalement innocente?
« Et vous n’avez pas souffert de réaliser que ces personnes, qui sans doute vous étaient proches, prenaient plaisir à mentir sur votre compte? A déformer votre histoire? A nier votre vérité? N’avez-vous pas redouté de croiser à nouveau leur regard, de crainte d’y voir le mépris engendré par ces rumeurs? Et sans ça, comment supportez-vous de plaisanter le cœur léger avec des gens qui récemment encore riaient de votre vie? Sincèrement, j’admire votre capacité à prendre tout cela avec philosophie et recul. Vraiment. Moi, je ne peux pas.»
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"J'en ai conscience!" répondit joyeusement Fleur quand Thalyana lui dit qu'elle avait la chance de ne faire souffrir personne.
Il en fallait peu à Fleur pour être heureuse. Enfin, dans le sens d'être de belle humeur grâce à de gentille parole. Car comme la grande majorité des Nobles, toute gentille soit-elle, elle ne concevait pas sa vie en dessous d'une certaine abondance matérielle bien sûr.
"Mais j'ai aussi conscience que c'est loin d'être une généralité!" continua-t-elle avec gravité.
Ce n'était pas là une façon de se mettre en avant. Elle connaissait quelques personne pour qui faire souffrir les autres était un passe-temps comme un autre, et elle détestait cela.
Quand la guérisseuse la poussa à réfléchir sur ce qu'on avait pu dire sur elle, Fleur haussa les épaules:
"Je ne vais pas le leur reprocher du moment où ça n'atteint pas mon honneur. Je n'étais pas là, j'ai disparue de Haven assez soudainement et ils ont appris que j'étais mariée à Owen de Trevale, honnêtement, il y avait de quoi jaser! Je l'aurais fait si ça n'avait pas été moi! Je sais avec précision ce qui a été dit, souvent des bêtises, mais ça ne m'atteint pas comme ça le fait pour vous. Je suis revenue ici, heureusement mariée, et mon comportement a suffit à faire taire les plus bavards, ainsi que ma version des choses, voilà tout! Je n'ai pas eu l'impression qu'on m'ait regarder avec mépris ou quoique ce soit d'approchant, sauf de la curiosité. Après, il est tout à fait possible que ce que je considère comme de la curiosité soit vu comme du mépris pour vous, vous avez l'air sensible."
En effet, Thalyana donnait l'impression de beaucoup souffrir d'être l'objet de ragot. Fleur réfléchit quelques secondes puis poursuivit:
"Trop sensible. Peut-être parce que vous êtes empathe? J'ai grandit dans le monde que je fréquente, et grandit avec beaucoup de personne de cette société. Ils se sont moqué de moi? Je l'ai certainement fait aussi à un moment, personne n'est irréprochable et même moi je n'échappe pas au ridicule de temps en temps!"
Et puis bon, elle était l'épouse d'Owen quoi! Dans le genre ridicule, il était bien placé!
"Thalyana, vous accordez trop d'importance à ces choses-là, et vous allez vous en rendre malade, un comble pour une Guérisseuse. Mais si ça peut vous calmer un peu, car je vois bien que vous prenez tout ça très à coeur, je promets de ne plus parler de vous avec quiconque aborderai le sujet, d'accord?"
Elle lui sourit gentiment. Elle tiendrai sa promesse car l'affliction de la future mère était trop visible pour qu'elle l'ignore.
Ca ne voulait pour autant pas dire qu'elle arrêterai de colporter des rumeurs sous prétexte que cela pouvait faire souffrir. Elle arrêtait dans le cas de Thalyana car elle avait sa souffrance, et son explication, sous les yeux. Pour les autres, tant qu'ils ne viendraient pas lui défendre leur cause, tant pis...
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Dieux ! Elle y croyait réellement ! Fleur pensait sincèrement qu’elle ne causait jamais aucun mal ! Qu’il devait être doux de pouvoir vivre avec cette certitude ! Malgré la maxime des Guérisseurs — “Ne commets aucun mal” — Thalyana n’aurait jamais pu affirmer qu’elle ne faisait jamais souffrir personne. Elle savait que c’était faux. Elle faisait de son mieux pour préserver son prochain, mais il était impossible de ne pas faire souffrir les autres. Impossible.
« Ce n’est pas une question de sensibilité. » *Enfin, pas seulement.* « Je déteste vivre dans la lumière. Je déteste que les gens sachent qui je suis sans que la réciproque ne soit vraie. Je déteste que les gens commentent ma vie sans rien savoir de moi. Je déteste qu’on me pose des questions dont les réponses n’ont finalement pas d’importance. Je veux qu’on me fiche la paix, qu’on continue à m’ignorer comme avant. Vous aimez être dans la lumière et bénéficier de ses avantages, vous acceptez donc les inconvénients que cela suppose. Moi je n’ai jamais voulu l’être, au contraire, j’ai toujours tout fait pour l’éviter. Je refuse donc de m’habituer à ses inconvénients, car je n’ai pas non plus les avantages. » Elle eut un pauvre sourire. « Et moi je ne me suis jamais moquée d’eux. Je n’ai jamais colporté de ragots. Quand quelqu’un me raconte des rumeurs, je me contente de lui répondre : “En quoi cela me concerne-t-il ? Cette personne peut bien vivre comme elle l’entend.” Alors non, désolée, ce n’est pas qu’une question de sensibilité. »
Malgré tout, Fleur était une brave fille. Thalyana comprenait un peu pourquoi Isabeau la considérait comme une amie. La vie semblait si simple à ses côtés. Il n’y avait pas de grands questionnements philosophiques ou éthiques. Pas de grandes conversations sérieuses. Juste du badinage qui semblait sans conséquence dans sa bouche.
« Vous êtes bien gentille... mais ne pensez-vous pas que vous me causerez plus de tort en agissant ainsi ? On supposera que je vous ai menacé, non plutôt que mon amant vous a menacé. Ou une autre imbécillité du genre. » Elle haussa les épaules. « Je sais très bien que maintenant, je dois patiemment attendre que de nouveaux sujets de ragots fassent leur apparition. J’ai hâte. Mais en même temps, je me sens coupable de souhaiter que d’autres vivent ce que je vis maintenant. » Elle soupira.« “Ne commets aucun mal” — c’est le credo des Guérisseurs. Je ne vais donc rien faire pour hâter mon oubli, de peur de participer à la souffrance de quelqu’un qui ne l’aura pas plus mérité que moi. »
Elle se doutait bien que la plupart des gens ne réagissaient pas aussi mal qu’elle. Pluiechantante, par exemple, s’en fichait totalement des rumeurs sur son compte. Elle trouvait même cela amusant. Mais elle avait accompli un acte héroïque, et bien que peu soient au courant, cela devait la rendre plus forte encore. Thalyana avait simplement négligé de prendre ses herbes. Un jour. Elle ne le regrettait pas, mais elle n’en était pas fière non plus. Il n’y avait là rien pour la conforter, pour la soutenir face aux masses imbéciles. Et elle souffrait de savoir que c’était par sa faute que la réputation des officiers de Beltran avait été entachée. Kalaïd se moquait sans doute des ragots, mais la Guérisseuse s’en voulait de la manière dont la rumeur le dépeignait : un vil séducteur qui avait mis une Guérisseuse naïve et innocente dans son lit.
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Devant le plaidoyer honnête de Thalyana, Fleur se mordit la lèvre inférieure, cherchant ses mots. Elle se rassit sur le sol, là où la terre ne risquait pas de trop la salir, et finalement prit la parole:
"Excusez-moi, je ne veux pas vous faire de peine ni rien de ce genre, mais vous être une Guérisseuse qui travaille au Palais, au contact de toutes les rangs de notre royaume. Vous êtes enceinte, cela se voit, et les gens savent que vous n'êtes pas mariée, car tout se sait, en dépit du soin que l'on peut prendre pour s'assurer du contraire. Donc vous êtes dans la lumière, le temps que cela se tasse. Je sais bien que vous ne l'avez pas voulu, mais c'est ainsi..."
Fleur acceptait si facilement la fatalité de la vie et de ses aléas que c'en était parfois désespérant. On pouvait même se demander si elle serait capable de se battre pour ce qu'elle pensait important.
Elle, elle savait que oui, elle l'avait bien fait pour son mariage, mais pas les autres.
En revanche, l'idée de refuser d'apprendre des secrets la laissait songeuse. Mais son hypothèse sur la raison pour laquelle elle arrêterai de parler de Thalyana la fit rire:
"Certes non! Me menacer, moi? Personne de bon sens n'y songerait! Je ne dirais jamais que je refuse de parler de vous, je parlerai juste d'autres choses. Vous savez, les sujets de discutions sont assez éphémères, et de fait, vous avez défrayé les chroniques depuis assez longtemps pour que l'on parle d'autre chose. Ce sera vite oublié! De plus, vous allez vous marier, donc tout rentrera dans l'ordre!"
Oui, Fleur était parfaitement capable de sous-entendre sans s'en rendre compte qu'être enceinte sans être mariée n'était pas dans l'ordre des choses pour consoler la future maman.
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Ce qui interpellait Thalyana, c’était que des gens se soient donné la peine de s’informer sur elle. Quand elle voyait une femme enceinte, servante ou noble, elle ne se précipitait pas pour découvrir si elle était mariée ou non. Elle constatait simplement sa grossesse et lui souhaitait une bonne santé pour elle et son enfant.
« Je me demande quand même comment des gens qui sont si bien informés quant à mon statut matrimonial ont pu ignorer le fait que je suis Liée pour la Vie... C’est un drôle de paradoxe, vous l’admettrez. Surtout que finalement, les personnes au courant de ce fait sont plus nombreux que je ne le souhaiterais. Ces gens passionnés par ma vie ont stoppé les recherches au moment qui les arrangeait le mieux pour pouvoir s’adonner aux ragots. »
C’était en tout cas son sentiment. Si vraiment ils s’étaient intéressés à elle, ils auraient bien vite découvert qu’elle était très éloignée de la pauvre Guérisseuse naïve qu’ils se figuraient. Elle était connue et appréciée de la plupart des gardes, et il était évident qu’elle était considérée par eux comme un membre de la “famille” et non pas comme une pauvre fille culbutée un soir d’ivresse.
Thalyana eut un petit rire sans joie quand Fleur lui assura que dès qu’elle serait mariée, on l’oublierait.
« C’est impressionnant comme tout ceci tient à peu de choses... C’est désespérant. C’est tellement vain. Heureusement, pour moi cela prendra bientôt fin... mais pour d’autres, comme Pluiechantante... Ou pire, pour le petit Adrian qui toute sa vie aura à subir ces médisances... » Elle soupira. « J’imagine qu’il apprendra à vivre avec. »
Elle entendit au loin une cloche sonner pour indiquer la fin d’une marque. Avec un soupir, elle se releva et s’étira un peu.
« C’est presque la fin de ma pause... Il va falloir que j’y retourne. »
Elle fit une révérence maladroite.
« C’était un plaisir de faire votre connaissance Dame de Trevale. »
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Fleur haussa les épaules à la question de Thalyana et proposa la seule réponse qu'elle envisageait:
"Vous savez... Le Lien pour la Vie est une légende pour beaucoup d'entre nous, que l'on entend dans que dans les balades, donc nous n'y avons jamais pensé, voilà tout."
Du reste, la jeune femme ne poussa pas la la réflexion plus loin. Cela demandait une trop grande remise en question pour une personne dans son genre.
"En définitive, tout tient à peu de chose oui" conclue-t-elle.
Elle entendit également la cloche et réalisa qu'il était tard, et qu'Owen devait la chercher. Et vu son sens de l'orientation inexistant, elle ferait mieux de se mettre à sa recherche elle-même.
Elle se leva en même temps que Thalyana et lui rendit sa révérence:
"Un plaisir partagé Guérisseuse Thalyana"
Et dans un tourbillon de tissus vaporeux, Fleur disparu des jardins, des révélations et idées plein la tête.
[RP CLOS]