Valdemar RPG
Palais - Collegia => Palais => Aile publique => Discussion démarrée par: Héraut Wylan le 10 septembre 2016, 11:39:05
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2e décade de printemps 1482 - Salle de Vision
Wylan avait demandé à Adam de lui prêter l'étudiante possédant ce Don étrange, Keryne. Le doyen avait d'abord haussé les sourcils, perplexe, puis avait fini par accepter. La pauvre petite n'avait pas beaucoup d'occasion d'entraîner son Don, et même si Adam ne comprenait pas très bien ce que Wylan espérait en tirer, cela ne pourrait pas lui nuire. Ensemble ils avaient donc planifier une journée de libre pour la demoiselle à une date où Wylan serait en ville. Keryne avait été avertie qu'on l'attendrait dans la salle de Vision dès le début des cours et que toutes ses autres activités de la journée étaient annulées.
Wylan, de son côté, était parvenu à se procurer un mouchoir qu'Isibeal tenait de sa mère. Il faudrait qu'il le remette en place sitôt l'expérience terminée. Il savait qu'elle était très occupée ces jours, et qu'elle ne remarquerait pas sa disparition tout de suite. Mais il ne voulait pas prendre de risques. Il avait aussi réussi à mettre la main un bibelot décoratif qu'Isibeal devait avoir ramené de la ferme familiale. Il ne savait pas trop si cela lui serait utile, mais ça ne coûtait rien d'essayer.
Pour une fois, il avait enfilé son uniforme de Héraut. Celui-ci était évidemment trop neuf et il le gênait aux entournures, même s'il l'avait déjà porté une fois. De fait, il mettait plus souvent son uniforme d'apparat que l'uniforme classique... car on ne le forçait à porter cette horrible tenue que pour les grands évènements.
Aujourd'hui, il avait décidé de le porter pour mieux ressembler à un vrai Héraut et à un professeur. Il n'avait pas envie d'être trop facilement identifiable. Les rumeurs circulaient très vites dans sur la colline, et il n'avait pas envie que quelqu'un aille raconter à sa fille qu'il avait donné un cours au seul Héraut doté de Dons de médium.
Il arriva en avance dans la salle de Vision. Celle-ci était glaciale, comme d'habitude. Heureusement, il avait emmené avec lui deux grosses couvertures, un solide encas et une énorme théière surmontée d'un épais cosy. Il s'installa et tenta de prendre l'air sérieux et posé d'un professeur attendant son élève.
Keryne ne mit pas longtemps à arriver. Il se leva pour la saluer.
«Bonjour Keryne. Je suis le Héraut Wylan. Tu ne m'as sans doute jamais rencontré, car je séjourne peu au Palais.»
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Keryne était stressée. En marchant vers la salle de Vision, elle se demandait ce qui l’attendait. Cette journée avait pourtant commencé comme toutes les autres ! Cela faisait maintenant un peu plus de deux ans que la jeune femme avait été élue. Elle avait eu vingt-et-un ans quelques décades auparavant. Elle avait un peu gagné en assurance dans son rôle de future Héraut. Elle avait travaillé très dur ces deux années et avait réussi à rattraper son retard.
Bien sûr on n’oublie pas d’où l’on vient. Keryne avait donc mis ses maigres talents au service du royaume et cela consistait à assister l’intendante lorsqu’elle avait trop de travail et apporter sa contribution au Héraut Joald pour les cours d’étiquette dispensés aux apprentis Hérauts plus jeunes. Elle aimait se rendre utile et prenait plaisir à jouer ces rôles, d’autant plus qu’elle n’avait pas autant de possibilités que d’autres apprentis pour exercer son don.
Elle passait aussi beaucoup de temps avec Kaya et leur lien s’était renforcé encore un peu plus. Elles avaient trouvé un équilibre dans leur relation, chacune ne faisant pas dans l’expansif et l’exubérance, elles se montraient leur amour à leur manière, qui pouvait paraître un peu mesurée aux yeux de certains. Une autre personne avec qui Keryne avait commencé à tisser de véritables liens affectifs, c’était Matt. Ils s’étaient revus plusieurs fois depuis l’épisode de sa tante, et avaient passé de bons moments. L’apprentie sentait bien que le jeune homme se rapprochait d’elle, mais pour tout dire, ça l’effrayait assez. Elle n’avait jamais eu de relations… normales avec un homme et elle ne savait pas du tout comment s’y prendre. Finalement son ami était parti en mission de probation, et ne plus le voir pendant plusieurs décade avait été plus difficile qu’elle ne l’avait pensé. Il lui avait manqué. Elle savait d’ailleurs que son tour n’allait pas tarder à venir.
Quelques jours plus tôt, la jeune femme avait appris que cette journée allait être libérée pour un… cours spécial pour son don. Allons bon, que lui avait-on réservé ? Ceci dit, travailler son don n’allait pas être un grand luxe et elle était plutôt contente d’un peu de … distraction dans son quotidien. Et ça serait une bonne expérience, qui lui apprendrait encore des choses utiles.
C’est ainsi qu’elle arriva devant la salle de Vision, ponctuelle. Elle inspira, frappa et entra. Un frisson lui parcourut le corps alors qu’elle pénétrait l’atmosphère froide de la pièce. Elle nota des couvertures, de quoi manger et de quoi boire chaud. Une bonne idée s’ils devaient passer du temps ici. Elle regarda le Héraut qui s’était mis debout pour l’accueillir. Très solennel, il l’intimida tout de suite et elle répondit d’une voix pas très forte :
-Bonjour Héraut Wylan. En effet, je n’ai pas eu cet honneur. Je suis enchantée de vous rencontrer.
Ouais, c’était très protocolaire tout ça ! Les mains dans le dos et un peu mal à l’aise, elle osa demander :
-On m’a informée que ma journée avait été mise à disposition pour que je travaille avec vous. Puis-je savoir en quoi va consister ce… travail ?
Un petit, très petit, sourire. Quand même.
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Wylan esquissa un sourire qui se voulait rassurant. Il n'était pas très doué pour jouer les gentils hérauts paternels. Il devenait se retenir de ne pas prendre son habituel air sarcastique.
«Hey bien, nous allons tenter d'utiliser un peu ton Don. J'ai besoin de récupérer des informations sur une femme morte il y a quelques années. Le problème, c'est que personne n'est capable de me dire précisément dans quel village ou hameau elle a vécu avant sa mort, et je n'ai pas le temps de passer en revue toute la campagne de Valdemar.»
Wylan avait toujours menti avec beaucoup de facilité et d'aplombs. Et même sans prendre le temps de réfléchir, il avait toujours su se justifier sur la base d'éléments totalement réalistes et raisonnables. Un bon menteur n'avait pas besoin d'avoir de l'imagination, c'était même plutôt un handicap. L'explication la plus simple et la plus concise était souvent la meilleure.
«Or j'ai besoin de l'identifier formellement. J'ai tenté de faire appel à des Hérauts ayant le Don de Lecture par le Toucher, mais aucun n'a été capable de me fournir un élément permettant de localiser réellement cette femme. Puis je me suis souvenu de ton existence. Je n'ai aucune idée de la manière dont ton Don fonctionne, mais Jalena non plus, donc je me suis dit que ça valait la peine d'essayer. Au pire, ça ne donnera rien.»
Sa seule crainte était que la femme apparaisse ici et le reconnaisse. Et qu'elle l'accuse. Il n'avait pas peur de cette confrontation, mais il redoutait de l'avoir devant une étudiante. Il ne pouvait certes rien faire pour se prémunir là contre, il aviserait donc le cas échéant.
Il fit signe à Keryne de prendre place sur la banquette de pierre circulaire, en face de lui, puis il lui tendit une couverture.
«Pour commencer, le plus simple serait que tu me racontes déjà quelles expériences tu as eues avec ton Don. Je sais plus ou moins en quoi il consiste, mais personne n'a su me donner de précisions. Je sais simplement qu'il est difficile de te faire travailler en classe avec les autres. Et que tu as déjà eu affaire à quelques esprits...»
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Le sourire timide de la jeune femme s’agrandit légèrement pour presque se voir. En fait, en y regardant de plus près, Wylan lui disait vaguement quelque chose. Son visage lui était familier, mais elle fut incapable de dire ou et quand elle aurait déjà vu cet homme. Oh, sans doute au Collegium, étant donné qu'il était Blanc. Mais très vite, Keryne redevint sérieuse, écoutant avec cérémonie les paroles du Héraut. Elle hocha la tête, pensant qu’effectivement, ratisser tous les villages et hameaux du pays prendrait sans aucun doute quelques décades ! Elle comprenait un peu mieux ce qu’il attendait d’elle.
Personne n’avait donc réussi à contacter d’une manière ou d’une autre cette femme. Avec le temps, elle avait compris que son don était un peu spécial et qu’il n’était pas évident de l’entraîner. On ne contactait pas les morts par exercice et elle n’avait pas eu spécialement envie de s’improviser médium pour la population valdemarane. Elle se demandait souvent comme elle pourrait être utile à son pays comme ça, mais généralement Kaya la rassurait en lui disant que ça viendrait en temps voulu. Et puis à sa manière, même sans son don, elle apportait sa contribution déjà, comme tous les autres apprentis et Hérauts. Elle osa répondre à Wylan :
-Je crois que mon Don est un mystère pour beaucoup de monde. A vrai dire, je ne suis pas sûre de bien comprendre moi-même. C’est plus… instinctif qu’autre chose.
Obéissant à son injonction muette, l’apprentie vint prendre place sur la pierre froide, face à l’homme, se saisissant de la couverture qu’il lui tendait. En s’installant un peu plus confortablement, elle écouta à nouveau ce qu’il avait à lui dire et entreprit de satisfaire ses interrogations. Elle fronça les sourcils pour réfléchir à ce qu’elle allait raconter et se lança :
-A vrai dire mes expériences avec mon Don sont peu nombreuses. Je pense à deux plus marquantes. La première, c’est Kaya… Quand elle m’a élue, je l’ai vue... Enfin je veux dire comme elle était… avant. Mais c’était totalement incontrôlé de ma part. Et puis il y a eu Mat. Un autre apprenti, enfin Héraut maintenant. Sa tante avait quelque chose à lui dire. En fait il sentait quelque chose, mais il n’arrivait pas à savoir ce qu’il se passait exactement. On est donc allé chez lui, où sa tante avait vécu et je l’ai laissée venir à moi. Elle voulait lui parler, donc je n’ai pas eu vraiment à la … chercher. C’est, je crois, la fois où j’ai le plus utilisé mon Don. Et Kaya m’avait aidée aussi, à m’ancrer et à gérer mon… énergie je crois. Après, sans chercher à activer mon Don, il m'arrive de croiser des esprits, dans la rue ou dans les couloirs du Collegium... Ils sont là tout d'un coup, passent à côté de moi, mais sans forcément faire attention à moi et pouf, ils ne sont plus là.
Sa voix d’abord faible, prit peu à peu de l’assurance tandis qu’elle racontait des bribes de souvenirs. Elle finit en haussant légèrement les épaules :
-Je n’ai pas d’idée précise sur la façon dont tout ça fonctionne. Je crois qu’avoir des choses qui ont appartenu à la défunte ou … un portrait, ou quelque chose qui me relie à elle m’aiderait. Et si vous parlez, ça aide aussi. Par contre je ne vous écouterai pas, mais ça me permet de me concentrer plus facilement. Vous pouvez parler de tout et de rien, c’est pas important.
La jeune femme leva les yeux en se triturant les mains, l’air un peu contrit.
-Voilà, c’est tout ce que je peux vous dire. J’espère que ça va marcher.
:Je t’aiderai Keryne. Ensemble, on y arrivera.:
:Merci:
Avec Kaya, elle se sentait plus forte et plus sûre d’elle.
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«Oui, j'ai bien pensé. J'ai amené quelques objets ayant appartenu à cette femme.»
Il se demandait si la signature de cette femme les imprégnait encore... sa mort n'était pas si ancienne, mais elle remontait déjà à quelques saisons. Cependant, c'était les seuls objets à sa disposition, il faudrait donc s'en contenter. Et espérer que Keryne parviendrait à en tirer quelque chose. Avec l'aide de la magie de cette salle, cela devrait être possible.
«As-tu déjà utilisé cette salle auparavant? J'imagine que non, elle est utilisée principalement par ceux Doués de Vision à Distance. Cette pièce est très particulière. Déjà, elle est située au-dessus de la Pierre-Cœur, ce qui lui confère un pouvoir particulier. Ensuite, elle est particulièrement bien protégée, ce qui permet de laisser tomber complètement ses barrières pour pouvoir travailler en paix. Ensuite, ce cristal semble amplifier certains types de Dons, particulièrement ceux qui impliquent une certaine forme de visualisation. On ne sait pas comment il a été fabriqué, sans doute à l'aide de la magie il y a fort longtemps. Le seul défaut de cette pièce, c'est qu'il y fait un froid de canard et que la banquette est horriblement inconfortable.»
Enfin, pour la plupart des gens. Wylan avait déjà dormi dans des endroits bien moins confortables que celui-là. Il se satisfaisait généralement d'une surface plus ou moins exempte de cailloux tranchants et de racines mal placées.
«Bon, on va commencer par quelques exercices de relaxation. On ne se connait pas, et j'imagine que c'est difficile pour toi d'être en confiance avec un type à l'air aussi louche que moi.»
En fait, il n'avait pas l'air louche. En tout cas pas aux yeux des autres. C'était son Don et sa malédiction. Il savait que la sympathie qu'il inspirait de prime abord ne devait rien à sa gueule magnifique ou à sa resplendissante personnalité. C'était quelque chose qui avait, au fil du temps, miné une certaine forme d'estime de soi. Wylan ne voyait dans son reflet qu'un homme sans charme, aux traits banals et vite oubliés.
Laissant de côté ces sombres pensées, Wylan ferma les yeux et commença à parler d'une voix très calme et douce.
«Assieds-toi bien droite, les mains sur les genoux. Ferme les yeux... respire lentement en comptant jusqu'à cinq, puis expire en faisant de même... un, deux, trois, quatre, cinq... souffle: un, deux, trois, quatre, cinq... encore.»
Il la laissa inspirer et expirer une vingtaine de fois avant de continuer.
«Maintenant, tes pieds semblent s'enfoncer dans le sol... Tu sens l'énergie qui remonte le long de tes jambes. C'est chaud. Tes pieds sont chauds... tes mollets... tes cuisses... ton ventre... ta poitrine... tes épaules... tes bras... tes poignets... tes mains... cette chaleur et cette énergie est partout en toi. Tu te sens bien...»
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-Super !
Cela allait un peu faciliter les choses. Keryne sourit en découvrant les objets, qu’elle prit entre les mains pour se familiariser avec. Rien ne se passa au contact des différentes pièces, mais elle s’y attendait un peu. Cependant elle décida d’en garder un au bout de ses doigts au cas où ça aiderait l’apprentie à trouver l’esprit de la femme morte. Elle bougea la tête en signe de négation quand Wylan lui demanda si elle avait déjà eu l’utilisation de la salle. Non c’était bel et bien la première fois. Elle se demanda comment allait être cette expérience-ci. Son don était si particulier que chaque rencontre était différente. Elle acquiesça aux paroles du Héraut et se mit à sourire, un peu, à son dernier commentaire :
-Il faudrait militer pour l’aménagement de fauteuils confortables alors… et d’une cheminée magique ? Un mage préposé à la cheminée…
Une moue amusée s’afficha sur son visage, montrant qu’elle plaisantait bien évidemment. Mais la Grise reprit bien vite son sérieux quand l’homme lui parla d’exercice et fut intriguée. Pour l’instant elle n’avait pas eu l’habitude de faire ça, mais ça pourrait se révéler bénéfique en effet. Elle rougit en pensant qu’elle avait donné l’impression à Wylan qu’il avait l’air louche et secoua la tête, un peu gênée :
-Non vous n’avez pas l’air louche du tout… C’est juste… je suis un peu timide, mais avec tout le monde.
:Un peu ?!:
Keryne tira mentalement la langue à son Compagnon dont elle entendit le rire taquin en retour. Mais en vérité, la familiarité du visage de son interlocuteur avec quelque chose d’un peu rassurant. Elle ne se sentait pas complètement en terrain inconnu. Et puis ce qu’il lui avait dit sur la protection de la salle et du fait qu’on pouvait exercer sans barrières avait fini de la convaincre que c’était plutôt sans risque.
Obéissant sagement à ses ordres, elle se redressa et ferma les yeux, écoutant le timbre sombre de sa voix qui guidait sa respiration. Au bout d’un moment le souffle s’était fait régulier et la voix du Héraut accompagnait naturellement sa pensée qui la faisait se détendre complètement. Elle sentait chacun de ses membres plus relâché, prêts à laisser son esprit faire le travail. Elle resta encore un moment les yeux fermés, laissant ses barrières complètement affaissées, sentant non loin d’elle la présence discrète et rassurante de Kaya, prête à lui venir en aide au besoin.
Puis quand elle se sentit prête, elle projeta son esprit sur l’objet qu’elle avait gardé entre les mains et qu’elle avait visualisé afin de le mémorisé jusqu’à s’en imprégner au maximum. Et elle ouvrit les yeux, l’air ailleurs, cherchant du regard la silhouette qui pourrait avoir entendu son appel silencieux.
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[Quant tu te concentres sur les objets, tu ressens fortement la résonance particulière de la pièce. Tu réalises qu'ici l'énergie est particulièrement forte et que tu y es bien connectée. Sans doute les exercices de relaxation y sont-ils pour quelque chose.
En te concentrant, tu ne vois pas d'esprit. Tu ressens une présence effacée, comme un écho. Peut-être n'utilises-tu pas la bonne méthode?
En persévérant, tu ressens une main qui agrippe le mouchoir. Mais tu ne vois rien. Comme si l'esprit était trop faible pour se manifester physiquement. Ou alors peut-être est-ce toi qui manque encore de puissance?]
Wylan regarda la jeune fille qui semblait maintenant totalement absente. Elle avait les yeux dans le vague. Il se demanda ce qu'elle percevait, ce qu'elle voyait.
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Keryne fut surprise de réussir aussi facilement à se sentir en phase avec l’énergie magique. Son esprit projeté sur les objets, la jeune femme sentit que la pièce était spéciale. Elle réalisa que c’était décuplé par rapport à ce qu’elle connaissait d’habitude et fit le lien avec la pierre-cœur. Elle comprenait mieux l’utilité de cette pièce à présent. Et la méthode de Wylan était excellente pour l’aider à activer son don plus vite et plus efficacement, elle réitérerait ces exercices de méditation la prochaine fois.
Mais en ouvrant les yeux, elle ne vit rien. D’abord un peu déçue, elle se concentra un peu plus en sentant quelque chose. Oui, il y a avait bien quelqu’un. Mais c’était vraiment faible. Redoublant d’effort, elle continua à investir les objets présents près d’elle, dont le mouchoir qu’elle tenait toujours entre ses mains. Et soudain, elle sentit comme une traction sur le bout de tissu. Oui elle était bien là. A la fois proche et lointaine.
Cependant, elle ne voyait toujours rien. L’esprit de la femme manquait-il d’énergie pour se matérialiser à ses yeux ? Ou était-ce elle qui ne s’y prenait pas de la bonne façon. Et sans qu’elle n’ait besoin de demander, l’apprentie Héraut sentit l’esprit de Kaya se mêler au sien afin de croître un peu la puissance de son Don. Laissant passer quelques secondes, la jeune femme tenta doucement :
:Bonjour… Je m’appelle Keryne. Je voudrais juste vous parler… Êtes-vous là ?:
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[Tu ne vois toujours rien. Par contre, tu sens toujours comme une main sur le mouchoir. Tu ressens les froissements du tissus, comme si quelqu'un le serrait avec émotion. Tu perçois du bout des doigts comme de l'humidité. Pourtant, le mouchoir est bien sec. C'est comme si tu sentais le souvenir de ce mouchoir, trituré, tordu et mouillé de larmes.
Clairement, tu n'obtiendras pas d'apparition comme la dernière fois. Mais tu sens bien quelque chose. Que fais-tu? Que tentes-tu? Tu peux décider de recommencer. Tu peux demander à Wylan des conseils. Tu peux trouver d'autres solutions. Explique ce que tu tentes. Je te dirai ce que ça donne avec ma réponse.]
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Rien. Le silence. Le vide. Keryne n’entendait rien, ne voyait rien. C’était frustrant. D’autant plus qu’elle sentait la présence. Elle était là, tout prêt. Ou son souvenir en tout cas. Elle sentait l'émotion de la femme à travers le mouchoir, une émotion très vive même. Pourquoi donc n’arrivait-elle pas à créer le contact ? Tout était réuni pourtant, elle n’avait jamais eu d’aussi bonnes conditions pour travailler ? Qu’est-ce qui pouvait clocher ?
Voyant que ça ne donnait toujours rien, elle laissa son esprit libre à toute tentative de contact, mais soupira et regarda Wylan un peu désemparée :
-Je suis désolée. Je sens quelque chose, des larmes et une grande émotion, mais je ne sais pas si elle est positive ou négative, à travers le mouchoir… Comme si quelqu’un y avait versé toutes les larmes de son corps. Mais je n’arrive ni à lui parler, ni à la voir. Kaya m’aide pourtant… je ne sais pas où ça coince.
Elle tenait toujours le mouchoir entre ses mains et tenta de le remonter un peu, pour aller vers le point de traction imaginaire qu’elle sentait. On ne savait jamais. Prise soudain d'une inspiration, elle décida d'essayer quelque chose de nouveau. Jusque là, elle n'avait pas eu besoin de le faire... Mais au pire, elle ne risquait rien. Elle s'imprégna donc du mouchoir et de l'émotion intense qui en ressortait, l'humidité des larmes qu'elle sentait. De là, elle imagina la campagne, une maison dans la campagne, et une femme tenant se mouchoir contre son visage, les mains serrées autour. Elle essayait de plonger au cœur du souvenir que dégageait ce bout de tissu. Kaya l'encouragea dans sa démarche en continuant de lui prêter de l'énergie. Elle avait à présent les yeux fermés et avait essayé de projeter au maximum son esprit dans ce qu'elle sentait d'émotion.
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Wylan avait toujours choisi ses propres élèves. C'était un privilège qui découlait de sa fonction. On ne lui aurait jamais confié un apprenti qu'il juge inapte à suivre ses cours. Aussi, n'avait-il jamais été confronté à autre chose que des élèves rapides et débrouillards. Devant Keryne qui peinait, il réalisa bien vite les lacunes de sa pédagogie. Il pensait que la mettre en de bonnes conditions suffirait à permettre à la jeune fille d'utiliser pleinement son Don. Mais il put constater que ce n'était pas le cas. Elle peina et ne parvenait pas à grand-chose. Elle finit par lui expliquer son problème. Qui se résumait en gros par: j'ai fait comme d'habitude, et cela n'a pas fonctionné. Alors Kaya m'a aidé à faire comme d'habitude, mais plus fort. Ce qui, évidemment, n'avait rien donné.
Le Héraut faillit lever les yeux au ciel. Mais il s'abstint. On lui avait gentiment prêté la jeune femme pour la journée. Il n'était pas question de la rendre trop abîmée.
«Peut-être les objets sont-ils trop anciens. L'esprit qui s'y attachait n'est sans doute pas resté ici. Les dernières fois, tu as vu l'esprit, non? Mais il était coincé ici. S'il est parti, j'imagine qu'il ne reste que des échos. Pourquoi n'essaies-tu pas plutôt de l'utiliser comme de la Lecture par le Toucher? Ça a l'air de fonctionner de manière similaire vu que tu me dis que tu ressens quelque chose en tenant ce mouchoir. Mais en te focalisant sur l'idée de faire apparaître quelqu'un, tu passes peut-être à côté de quelque chose.»
Mais sans attendre son opinion, la jeune femme avait refermé les yeux pour tenter quelque chose de nouveau. Wylan croisa les bras et attendit.
[À mesure que tu images ces scènes tu ressens de moins en moins l'émotion et les larmes, comme si ce qui imprégnait le mouchoir était effacé par ta tentative... si tu arrêtes, en laissant passer un peu de temps, tu sens à nouveau la main et les larmes.]
Cette nouvelle tentative ne semblait pas aboutir.
«Peut-être aimerais-tu essayer avec l'autre objet?»
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Keryne se mordit la lèvre en notant la réserve de son mentor du jour. Certes il ne montrait pas de signe d’agacement, mais elle-même se sentait frustrée de n’arriver à rien de bien. Il devait s’attendre à ce que ça soit plutôt facile pour elle et elle ne se montrait sans doute pas à la hauteur de ses espérances. Cependant elle voulait vraiment bien faire, d’abord parce qu’on lui faisait confiance pour une tâche normalement à sa portée, ensuite parce qu’elle voulait progresser et devenir une bonne Héraut, pas un boulet qu’on traîne.
C’est pour ça qu’elle fit un deuxième essai sans attendre la réponse de Wylan et n’entendit pas tout de suite ses paroles. Elle voulait réussir. Sa projection n’avait pas l’air de fonctionner, au contraire. Plus elle s’efforçait de visualiser la femme, moins elle ressentait les émotions. Elle décida donc de relâcher un peu la projection, et sentit peu à peu l’humidité des larmes et la chaleur de la main revenir. Elle se concentra de nouveau. En vain. Sa deuxième tentative n’aboutissant à rien de concluant, elle revint au temps présent. Décidément, ça n’était pas sa journée. Elle réfléchit à la proposition que le Héraut avait faite quelques instants plus tôt.
-C’est vrai que la tante de Matt était coincée dans la maison. Et les différents esprits que je croise sont sans doute « proches ». Mais là son souvenir n’est présent qu’à travers ces objets. C’est juste que je pensais qu’avec la salle… Bref, je suis désolée, je n’avais pas réfléchi correctement. Je vais essayer votre technique oui.
La jeune femme se saisit alors de l’objet de décoration que Wylan avait amené. C’était un petit miroir d’une dizaine de centimètres, rond, orné d’un joli cadre en bois sculpté finement. Elle le toucha d’abord du bout des doigts, avant de l’explorer pleinement, essayant de le sentir au mieux entre ses mains. Elle interpella son Compagnon :
:Kaya, j’aimerai réessayer seule s’il te plaît:
:Vas-y ma douce, je ne suis pas loin, mais tu peux réussir, j’en suis sûre:
Keryne ferma alors les yeux pour mieux sentir encore la forme du miroir, les aspérités du bois, la délicatesse de la sculpture. Elle s’ancra et s’ouvrit complètement à la réception des émotions qui pourraient émerger de l’objet. Prise d’une intuition, elle rouvrit les paupières et plongea son regard dans le miroir. Pour l’instant, il ne lui renvoyait que son reflet, mais… elle attendit, tentant de rappeler en elle ce qu’elle avait ressentit quelques instants auparavant avec le mouchoir.
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Wylan savait pertinemment pourquoi il n'était pas professeur. Il n'avait décidément pas de patience avec les plus lents. Mais il s'efforça d'arborer un sourire indulgent avant de répondre à Keryne.
«La salle n'est qu'une aide. Il ne faut pas se reposer dessus. Dans cette pièce je peux sans doute tailler une bavette au Héraut Valériane qui siège dans une cour à Haven, mais si je ne commence pas par me centrer correctement, je n'arriverai même pas à embêter Aaron qui travaille juste au-dessus.»
Cela faisait longtemps, d'ailleurs, qu'il n'était pas allé lui rendre visite. Était-il toujours avec ce mage geignard? Sand doute. Ah, si Arthon avait découvert à l'époque qu'Aaron était ouvert à ce genre de pratiques, c'est dans son lit à lui qu'il aurait sans doute terminé, bien des années plus tôt.
Laissant là cette idée amusante, il se força à se concentrer sur sa pupille du jour.
«Après, je ne connais pas les limites de ton Don. Je crois que personne ne les connait. C'était un peu l'idée de notre petite expérience, de voir si tu es capable de faire d'autres choses que de simplement communiquer avec des esprits... récents.»
Keryne décida de s'intéresser au second objet. Elle le prit dans ses mains et sembla se concentrer. Wylan la regarda, s'attendant à un nouvel échec. Visiblement, ce Don était très limité. Le silence s'étira. Le Héraut se laissa aller contre le dossier de pierre et croisa les bras, blasé. Il commença à observer la pièce autour de lui. Il compta les blocs, détailla du regard une tache d'humidité, s'amusa à reconnaître des images dans le grain des pierres.
[Pour toi, très peu de temps s'écoule. Tu es parfaitement concentré et tu es totalement fermé à ton environnement.]
Soudain, une odeur fleurie envahit la pièce. Elle évoqua le chèvrefeuille à Wylan, mais aussi les fleurs de champ. Et plus important, cette odeur lui évoquait un visage. Un visage doux et rond, des cheveux châtain foncé bouclés.
[Tu sens aussi quelque chose, mais à peine, comme si tu étais trop "éloignée" de la source. Par contre, dans le miroir, tu vois un paysage dans de genre, mais sans le cycliste (http://img.myswitzerland.com/mys/7398/images/buehne/mtb10_02-1.jpg). Il est flou, mais comme dans la brume.]
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Keryne sentait qu’elle agaçait son professeur du moment par son manque d’assurance et de résultat. Elle apprécia cependant l’effort qu’il faisait pour se montrer aimable avec elle et pour l’encourager dans ses démarches. Elle hocha la tête à ses paroles :
-Oui je comprends, la salle… amplifie le don en quelque sorte, mais il faut que la base soit correcte.
Son Don n’était pas un mystère pour elle seule. D’autres s’interrogeaient à son sujet et tentaient de mieux le comprendre. A sa connaissance, aucun autre Héraut ou apprenti de sa génération n’était doué de cette particularité. Ce qui expliquait la difficulté des professeurs à la guider sur le chemin de l’apprentissage. Elle savait bien sûr qu’elle sortait un peu des sentiers battus, mais ça lui faisait toujours bizarre de l’entendre. Elle esquissa un petit sourire et répondit :
-Et bien nous allons voir ce que ça donne avec une autre technique.
La jeune femme n’entendait, ni ne voyait plus rien, à part ce miroir, dans lequel elle mettait toute son attention et son pouvoir. Elle voulait vraiment que ça marche cette fois-ci. A la fois pour progresser et pour accéder à la requête du Héraut Wylan. Il lui sembla que quelques secondes simplement avaient passées quand une odeur nouvelle lui chatouilla les narines. Comme une odeur de printemps… des fleurs, oui c’était ça, un champ de fleurs. Il y avait… autre chose, mais elle ne parvint pas à saisir quoi. C’était là, mais c’était loin. Trop loin.
Soudain, dans le miroir, sous ses yeux se dessina un lieu. C’était un paysage verdoyant, qui allait de paire avec l’odeur qui avait maintenant envahi la pièce, enfin pour elle. Elle se concentra davantage, pour trouver des choses plus précises qui l’aideraient à identifier le lieu qu’elle voyait. Cependant la jeune femme se mit à parler d’une voix monocorde pour ne pas perdre son ancrage et ce qu’elle avait réussi à obtenir jusqu’ici :
-Il y a cette odeur de pré fleuri au printemps. Et une colline, verte, avec un chemin. Je vois une maison seule. Un troupeau dans un pré, je crois. Il y a quelques espaces de forêt, on dirait des sapins. C’est vallonné.
La Grise plissa un peu les yeux, toute entière plongée dans le miroir, les mains toujours collées aux aspérités de l’objet, elle tenta de dissiper la brume qui entourait ce paysage, pour en découvrir plus. Elle se concentrait également sur l’odeur qui lui parvenait et ce… quelque chose qui était à la fois présent et absent. Elle voulait attendre encore un peu avant de demander son aide à Kaya.
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Ce visage. Wylan le reconnaissait. Il n'oubliait jamais un visage. Le nom pouvait lui échapper avec le temps, mais le visage, l'attitude corporelle, la silhouette, tout cela se gravait profondément dans sa mémoire.
Mais pourquoi le voyait-il? Il n'avait aucun Don lié aux objets ou au temps.
Puis Keryne parla et lui décrivit le lieu qu'elle voyait.
«Ce n'est pas une odeur de pré. Le chèvrefeuille s'est une... oh, et puis on s'en fout. Fais voir.»
Wylan lui "tendit" mentalement la main et dès qu'elle accepta le contact, il put voir ce qu'elle percevait. C'était bien plus rapide comme cela. Évidemment, seuls les Hérauts dotés d'un très fort Don pouvaient pratiquer ce genre d'échange et peu y recouraient vraiment. Wylan, lui, n'avait pas ces réticences. Il se facilitait la vie en pratiquant le partage mental et cela lui permettait de transmettre des informations sans risquer de les déformer par son choix de mots.
Il analysa ce qu'il voyait dans l'esprit de Keryne. Ce lieu lui rappelait vaguement des souvenirs. Mais il était certain que la saison n'était pas la bonne. Il n'avait jamais vu ce paysage précisément, pas sous cet angle ni cette lumière.
Sans se déconnecter, il sortit une feuille de papier et une mine de sa poche. Il l'étala sur la table et commença à dessiner ce qu'il voyait. Pas fidèlement, évidemment, Wylan n'avait pas de talent en dessin. Mais il savait faire de bons croquis, qu'il pourrait ensuite comparer à une vraie carte. Il nota les caractéristiques topographiques, le type de végétation, la configuration du chemin et de la ferme, l'absence de relief à l'horizon.
Soudain, sans crier gare, le prénom de la femme lui revint en mémoire. La surprise lui fit rompre la connexion avec Keryne.
«Fiona...»
Et avec ce nom, tout lui revint. La pluie torrentielle, typique d'un orage d'été. La chaleur étouffante. L'odeur du chèvrefeuille à proximité de la maison. La femme dans l'encadrement qui lui hurlait de venir se mettre à l'abri. Wylan qui débarrassait Kyra de son harnachement dans la grange. La course sous la pluie pour rejoindre la maison. La conversation animée. Les sourires. Les frôlements. De magnifiques yeux noisette. Une épaule nue. Un rire gêné. Un sein. Un soupir.
:WYLAN!:
:Hein? Quoi?:
:Tu regardes dans le vide depuis tout à l'heure.:
Wylan haussa les sourcils, étonné. Que venait-il donc de se passer? Il n'était pourtant pas du genre à s'égarer dans les souvenirs.
«Excuse-moi. Il vient de se passer quelque chose d'étrange. Quoi qu'il en soit, j'ai maintenant assez d'éléments pour identifier la propriétaire de ces objets. Je vais transmettre la configuration géographique des lieux au Héraut habituellement en tournée dans la région dont on pense que venait cette femme. Il pourra, je pense, reconnaître les lieux sans autre. La configuration est particulière et la présence de chèvrefeuille est une bonne indication aussi. Peu de fermes en font pousser.»
-
Keryne n’eut pas le temps de se corriger sur l’odeur qu’elle avait cru reconnaitre. Lorsqu’elle entendit la demande de Wylan, elle se demanda comment il voulait qu’elle lui montre… et l’instant d’après, elle sentait son contact effleurer le sien, lui demandant la permission de partager ce qu’elle voyait. D’abord surprise, elle le laissa voir à son tour le paysage après une seconde d’hésitation. La jeune femme était curieuse de découvrir cette nouvelle sensation.
Elle frissonna. Être observée de l’intérieur était vraiment étrange. Elle avait l’impression que le Héraut la scrutait et se sentait mis à nue ainsi. L’apprentie savait cependant que l’homme se contentait de sa vision du paysage, et de toute façon elle était trop concentrée pour laisser autre chose apparaître. Elle ne voulait surtout pas perdre ce qu’elle avait enfin réussi à obtenir. Et seule qui plus est. Même si on l’avait guidée. Elle était heureuse de cette nouvelle expérience.
Keryne sentit que Wylan analysait scrupuleusement ce qu’il voyait à son tour, mais elle ne chercha pas à aller plus loin, de toute façon, elle n’aurait pas su faire. Du coin de l’œil, elle le vit attraper de quoi dessiner et reproduire sans doute le paysage qui était apparu sous leurs yeux. Oui c’était une bonne idée pour mieux revenir dessus ensuite. Mais soudain, il ne fut plus là. Le contact était rompu.
Soudain, sans crier gare, le prénom de la femme lui revint en mémoire. La surprise lui fit rompre la connexion avec Keryne. Elle l’entendit prononcer un prénom. Se demandant ce qu’il se passait, elle lâcha le miroir des yeux et laissa son pouvoir se défaire pour revenir dans la salle avec Wylan. Celui-ci semblait perdu dans ses pensées, les yeux dans le vague. Elle l’observa un moment, avant d’oser l’appeler :
-Héraut Wylan ? … Wylan ? Tout va bien ?
Pas de réponse. Elle allait tendre la main pour établir un contact physique, quand il sembla se réveiller, l’air surpris. Avant qu’elle ne pose la moindre question, il lui présenta ses excuses et rebondit sur le paysage qu’elle lui avait présenté. Tout de même curieuse, Keryne se lança :
-Etrange oui c’est le mot. Je vous ai perdu d’un coup et vous avez dit « Fiona ». Et puis vous avez eu l’air d’être parti ailleurs… Fiona, c’est la propriétaire des objets ?
Se rendant compte de son indiscrétion, la jeune femme se mit à rougir, avant de balbutier :
-Pardonnez-moi, cela ne me regarde pas. Je suis heureuse d’avoir pu vous venir en aide et d’avoir découvert un autre aspect de mon don. Je ne connaissais pas l’odeur du chèvrefeuille à vrai dire, mais maintenant, je saurai reconnaître sa particularité. En tous cas, si vous avez à nouveau besoin de mes services ce sera avec plaisir.
L’apprentie héraut espéra ne pas avoir froissé son mentor du jour avec ses questions.
-
Imperturbable, Wylan répondit à la jeune femme.
«J'ai coupé le lien volontairement. Eh oui, Fiona est le nom de la femme a qui appartenaient les objets.»
Mentir, cacher ses émotions, cela ne lui demandait aucun effort. Et de toute manière, il aurait été parfaitement déplacé de lui raconter qu'il venait de se perdre dans un souvenir érotique. Sans compter qu'il n'était pas censé connaître la femme en question.
Il plia soigneusement la feuille sur laquelle il avait dessiné le croquis du paysage de la vision. Il n'en avait plus besoin, maintenant qu'il se souvenait du visage du Fiona et de la soirée qui avait mené à la conception de sa fille. Car Wylan éprouvait de la gêne, presque de la honte, de ne pas être capable de se souvenir de la conception d'Isibeal. Il avait toujours couché plutôt librement, mais il avait pensé être capable de se souvenir de chacune de ses conquêtes. Il n'avait pas vraiment tort, finalement. Il avait juste eu besoin d'un coup de pouce pour que ce souvenir-là précisément lui revienne.
«Je te remercie, jeune fille. C'était assez intéressant comme expérience. Ton Don est vraiment inhabituel, mais il a du potentiel. Par contre, cela risque d'être difficile de l'entraîner. Il va falloir réfléchir à une méthode pratique et... sensible. Peut-être un tour dans les réduits et les débarras du Palais pour récupérer quelques vieux objets serait une bonne idée? Tu pourrais ensuite tenter de reproduire l'expérience. Mais je ne suis pas certain que cela fonctionne avec des objets aussi vieux. Et j'imagine qu'il faut que l'esprit de leur propriétaire l'ait fortement imprégné...»
Il se tut quelques instants.
«Je me demande si tu vois d'autres types d'esprits... par exemple des manifestations d'autres plans. Ou des entités divines de la nature? Il faudrait faire des tests poussés en ce sens.»
Le Héraut se releva et s'étira.
«Je te conseille d'aller manger maintenant. L'usage des Dons consomme énormément d'énergie. Et nous sommes restés longtemps assis, dans le froid.»
-
Keryne acquiesça en silence à la réponse du Héraut, tout de même surprise que cette coupure soudaine ait été volontaire. Mais Wylan était un Héraut expérimenté et elle ne se serait jamais permis de contredire une personne supérieure à elle. Elle nota donc le nom de cette femme avec qui elle avait eu un bref contact dans un coin de sa tête et se concentra sur la suite. Elle le regarda ranger le dessin du lieu en réfléchissant à cette expérience.
Ainsi, elle ne voyait pas seulement les esprits, mais aussi ce qui se rattachait à leur vie passée, pour un peu que l'objet qu'elle tenait ou le lieu dans lequel elle se trouvait fut encore imprégné de l'esprit de la personne disparue. La jeune femme se demanda alors si cela pouvait marcher avec les vivants pour un épisode oublié de l'enfance ou un événement terrible que le cerveau aurait décidé d'occulter. Wylan avait repris la parole. Pensive, elle se frotta le menton en réfléchissant avant de répondre :
-Je vous en prie, pour moi aussi c'était un moment... surprenant. Je ne pensais pas que mon Don pouvait fonctionner ainsi, ça offre des perspectives intéressantes. Le grenier est sûrement un bon début oui. Et peut-être... peut-être la Maison de la Guérison ou les champs de batailles abandonnés ? Enfin, quand je maîtriserai mieux mon Don, bien sûr.
Oui, parce que ce qu'elle y rencontrerait alors risquerait d'être violent. Elle écouta ensuite les suppositions du Blanc et hocha la tête :
-C'est vrai que je ne me suis jamais posé la question. Peut-être pourrais-je aller voir un prêtre pour faire des tests ... Ou aller dans un endroit un peu mystique je ne sais pas.
Elle hésita, puis lui fit part de ses réflexions antérieures :
-Et pensez-vous que mon Don puisse s'exercer avec les souvenirs enfouis ou inconscients des vivants ?
Alors que l'homme se levait et lui conseillait de faire un tour par le réfectoire, l'apprentie se rendit effectivement compte qu'elle était affamée.
-Je n'avais pas fait attention, mais maintenant que vous le dites, j'irai bien dévaliser la cuisine !
C'est à se moment que Kaya s'invita dans son esprit pour la complimenter, fière :
:Tu as bien travaillée mon Elue, tu es sûre la bonne voie, et sans moi en plus:
:Merci Kaya, merci, ça me fait du bien d'avancer:
Keryne sourit et à son tour se mit debout, avant de plier la couverture et de la tendre à Wylan :
-J'espère que vous pourrez mener votre mission à bien. Merci encore de votre patience à mon égard, ça a été très instructif aujourd'hui. Vous venez manger aussi ?
Puis elle commença à se diriger vers la sortie.
-
La jeune Grise semblait vraiment ravie d'avoir pu mettre son Don à l'épreuve. Et les propositions de Wylan furent accueillies avec enthousiasme. Par contre, il dut la réfréner quand elle commença à suggérer des lieux par trop... difficiles.
«La Maison de Guérison? Des champs de bataille? C'est le bon coin pour devenir fou! Si vraiment c'est nécessaire, pourquoi pas, mais sinon, je ne m'y risquerais pas.»
Wylan n'était pas certain qu'elle puisse gérer un jour la quantité d'informations présentes dans ces lieux. Elle risquerait de se trouver débordée et de perdre le contrôle de son Don. Voire de se blesser profondément, psychiquement. Il serait peut-être envisageable de l'envoyer dans un tel lieu accompagnée d'un Guérisseur capable de lui fournir de l'énergie et de la mettre KO si nécessaire. Mais le Héraut souhaitait pour elle que cela n'arrive jamais.
Puis elle lui posa une question très théorique, à laquelle Wylan n'avait pas de réponse.
«Aucune idée... peut-être. Mais pour faire cela, il te faudra le concours de la personne, qu'elle te laisse entrer dans son esprit. Demande à Jalena, peut-être. C'est son job.»
Puis la jeune femme réalisa qu'elle avait en effet faim et qu'elle irait bien voir du côté des cuisines.
«Va donc. Le cuisinier sera ravi d'avoir quelqu'un à nourrir.»
Keryne se leva, le remercia et sembla l'inviter à se joindre à elle pour aller manger.
«Pas tout de suite, j'ai des choses à faire avant. Et j'ai sans doute beaucoup moins utilisé d'énergie que toi.»
Wylan utilisait ses Dons plus que la plupart des Hérauts, cette séance ne représentait rien d'exceptionnel pour lui. Il n'avait donc pas faim. Pas encore. Et très honnêtement, il n'avait pas spécialement envie de manger avec la jeune femme.
Il la reconduisit à la porte de la pièce, l'encouragea d'un dernier sourire et ferma derrière elle.
[RP CLOS]