1er jour 2eme décade Été 1485
Alem toqua à la porte des appartements royaux. Il savait qu'Arthon était absent, mais la Reine venait de rentrer de la séance du grand Conseil:
"Ma Reine? Je viens aux nouvelles, comment s'est passé le Conseil?"
- Entrez, héraut Alemdar !" lança Saskia depuis ses appartements.
Elle était assise derrière un bureau, et quand Alem entra, les feuilles qu'elle venait de jeter par-dessus son épaule finirent leur chute au sol. Elle porta une tasse fumante à ses lèvres e l'accueillit avec un sourire légèrement forcé.
- Que me vaut l'honneur de votre visite ?
Le sourire forcé de la Reine n'échappa pas à l'Attitré qui se retint de soupirer. Il ne réussirait donc jamais à se lier avec ce couple royal.
"Je venais voir si tout s'était bien passé, Ma Reine. J'ai ouï dire que le grand conseil était plus calme que d'habitude et je me disais que vous auriez peut-être envie d'analyser ce qui s'y est passé pour... pérenniser la chose?"
Saskia soupira et haussa les épaules.
- Calme... Calme... On peut dire ça. Le sujet du jour concernait l'influence que pouvaient exercer les créatures non humaines sur les humains et leurs habitudes de consommation - car voyez-vous, il semblerait que depuis quelques années, la fourrure est à la mode, sans doute lancer par une certaine créature non humaine dotée d'oreilles de chat.
Sa voix était devenue un grondement sur ces derniers mots, et elle avait serré des poings tremblants. Saskia inspira à nouveau, secoua la tête pour essayer de se calmer.
- Avez-vous un avis sur la question, Alemdar ?
Aïe. On avait attaqué son fils ainé. Ça n’avait pas dû lui plaire.
"Ah. Un sujet difficile. Mon avis c'est que de tout temps, en tous lieux, on a imité le pouvoir. Et Adrian est manifestement au coeur du pouvoir. Et surtout que quelqu'un a voulu utiliser cette mode stupide pour vous déstabiliser. Mais vous êtes plus forte que cela."
Alem réfléchi quelques instants.
"Je suppose que la fureur vous a poussé dans vos retranchements. Est-ce que la fameuse Peste n'aurait pas un peu refait surface ? Il ne faut pas hésiter à utiliser cette personna face à la cour, non?"
Saskia avait saisi une nouvelle liasse de papiers et s'apprêtait à les jeter. Se défouler le plus silencieusement possible... Mais la remarque d'Alemdar retint son geste - mais pas sa voix qui partit, bien malgré elle, dans les aigus :
- La FUREUR ?! Vous me croyez incapable de garder mon calme devant ces imbéciles ?!
Les feuilles volèrent vers le Héraut, sans l'atteindre. Elle se prit la tête entre ses doigts tremblants.
- Je ne dois pas m'énerver. Peu importe combien de fois ils s'attaqueront à moi ou à mes proches. Arthon n'a jamais besoin de crier pour se faire entendre. Et il n'est pas question que je retombe dans mes travers d'adolescente... Ils finiront par se lasser.
Mais Saskia savait que ce ne serait pas le cas. Elle le savait, mieux que quiconque... Elle fixa le Héraut du Roi à travers quelques mèches de cheveux :
- Ils finiront par se lasser, hein ?
"Je vous crois parfaitement capable de garder votre calme. Vous avez été élevé pour être une grande Dame. Et si je suggérais d'utiliser la Peste, c'était pour vous cacher derrière sa morgue, plutôt que de vous emporter. J'ai pensé que vous l'aviez fait."
Alem soupira et soutint le regard de Saskia:
"Non, ils ne se lasseront pas, vous le savez. Ils lâcheront peut-être Adrian ponctuellement, mais ils attaqueront toujours le pouvoir. Et vous êtes la Reine. Bientôt la Reine Regnante. Il faut vous blinder, vous le savez."
Saskia se massa à nouveau les tempes dans un soupir.
- Alemdar, vous ne comprenez pas.
Ses mots étaient tranchants. Non, il ne pouvait pas comprendre que, quelle que soit sa réaction, ça se retournerait forcément contre elle. Elle trimballait un sacré bagage derrière elle...
"Lui aussi..." intervint Antéa dans son esprit.
Le regard qu'elle lança au héraut était sombre, plein d'un ressentiment ancien. Elle se leva un peu brusquement, serra à nouveau les poings.
- Alors je fais ça comment ? Sans que ça se retourne contre moi ? Vous êtes le Héraut du Roi, il parait que vous pourriez être de bons conseils !
"Qu'est-ce que je ne comprends pas, expliquez-le-moi, Saskia."
Alem était né fils de Roi, il avait protégé de toutes ses forces un cadet vulnérable contre la tyrannie, malgré un envoutement. Il pouvait sans doute mieux comprendre le besoin de protection des siens que ressentait Saskia qu'elle ne le pensait.
"Moi ce que j'ai fait, c'est que je me suis choisi un second. À une époque c'était Jarhindel, maintenant, c'est plus Wylan. Un homme de confiance, a qui je puisse confier mes problèmes, mes peines, qui le garde pour lui et qui m'aide a trouver des solutions. Quelqu'un aussi sur qui je puisse hurler ma frustration. Un peu comme vous le faites sur moi maintenant. Vous pouvez me hurler dessus. Je n'ai rien contre. Vous pouvez aussi chercher ça chez une de vos amies. Il me semble que vous en aviez, vos témoins de mariage, mais que vous vous en êtes éloigné, non?"
"Il se fiche de moi ?!"
Antéa gardait étrangement le silence. Son Compagnon était toujours en première ligne pour tenter de calmer son Élue, mais pas aujourd'hui. Les mains serrées de Saskia tremblèrent un peu plus. Ça y est, lui aussi allait commencer à lui faire des reproches ?!
- Je me suis éloignée ? Non, elles sont devenues de Hérauts confirmées, parties en mission de probation... Ne commencez pas à me faire des reproches, vous aussi !
Une troisième liasse de papiers vola dans les airs.
- Vous ne comprenez pas ce que je traine derrière moi. Quoi que je fasse, quoi que je dise... Les gens ne me laisseront jamais le bénéfice du doute !
Alemdar ne réagit pas aux gestes de colères de la presque monarque.
"Vous entendez des reproches là où il n'y a qu'une simple constatation. Je ne vous ai accusé de rien. Parfois les amitiés s'étirent, cela arrive. Je vous suggère juste de renouer avec elles pour vous trouver une confidente dans le lot. "
Saskia fit un petit geste de la main, celui que l'on fait pour chasser une mouche importune :
- Elles sont occupées. Et je préfère qu'on ne les voie pas avec moi. Que les idiots du grand conseil ne se mettent pas à les prendre pour cible à leur tour.
"Elles sont hérauts. Elles sont très capables de supporter les pressions de la Cour. Surtout Enora de Lolryn et Isabeau d'Armentière. Elles sont de moins haute extraction que vous, mais elles restent noble. De plus, elles vivent à la cour depuis des années. Lassez leur leur chance. Et laissez-les choisir."
Saskia leva les yeux et secoua la tête.
- Vous êtes fou ? Isabeau est jeune mère, et Enora est si gentille qu'elle tendra le bâton pour se faire battre ! Non, il faut que je trouve un moyen de rabattre leur caquet. Seule.
"Tu n'es plus seule, Saskia. Tu n'as pas les épaules pour supporter ce fardeau."
Antéa avait à nouveau fait une simple incursion qui n'appelait aucune réponse. Saskia n'était pas douée de beaucoup de parole par l'Esprit, aussi était-il frustrant quand son Compagnon décidait ainsi de se couper d'elle.
- Je finirai par y arriver.