Valdemar RPG
Autres RPs => Archives => Sujets scénario => Discussion démarrée par: Héraut Aranel le 15 juin 2010, 22:21:39
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... Plein de poussière, trônait sur la table comme une incitation à la lecture. Le laboratoire des potions ressemblait davantage à la grotte d'un ours qu'à une salle de cours. Comme taillée dans le roc, elle ne comportait aucune fenêtre et se trouvait dans l'endroit le plus reculé du Collegium des Mages. En effet, certains champignons stockés là ne supportaient pas la lumière et avaient besoin d'un fort taux d'humidité. La porte d'entrée était faite de chêne massif. lourde et arrondie, elle s'ouvrait sur d'énormes gonds de fer forgé. Quelques lumières magiques dansaient au plafond. On aurait dit des feux-follets doués d'une conscience propre.
Des étagères étaient recouvertes de bocaux en tous genre. Herboristerie, animaux et viscère... On avait plus l'impression d'être dans l'antre d'une sorcière que dans un respectable laboratoire. Les Guérisseurs se rendaient souvent ici pour faire le plein de plantes. Un rayon entier était consacré à la faune et à la flore des Pelagirs : ces êtres vivants modifiés et corrompus par la magie. Ils contenaient tant de pouvoir que les utiliser en devenait presque dangereux. Seuls les Adeptes avaient le droit de toucher à ces bocaux et cela faisait fonctionner l'imagination débordante des plus jeunes.
Lerissa et Kenian, tous deux en deuxième année d'études au Collegium avaient donné rendez-vous à Elbereth dans cet endroit impressionnant. Ils l'avaient mise au défi de se joindre à eux pour une expérience qu'ils avaient présenté comme tout à fait fascinante. Ils lui en avaient parlé plusieurs fois et lui avaient même glissé un petit mot en classe. Allait-elle avoir le cran d'entrer dans le laboratoire ?
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La jeune fille marchait d'un pas pressé, mais discret. Elle avait longuement hésité avant de venir, ne sachant pas trop à quoi s'attendre. Après tout, elle ne connaissait pas tellement ces deux personnes qui lui avaient donné rendez-vous, si ce n'est les avoir aperçus quelques fois, et les petits mots qu'elle avait reçut de leur part. Cependant, elle avait décidé que c'était là l'occasion de faire de nouvelles rencontres, avec des deuxièmes années, qui plus est ! L'apprentie-mage avait donc laissé sa timidité au placard, s'était botté le postérieur, et en s'emparant de sa besace, elle s'était dirigée vers le laboratoire des potions.
Bien évidemment, toujours aussi préparée, elle n'avait pas pensé à faire des repérages avant, et se retrouva perdue un moment avant d'arriver enfin à destination, au fin fond du fond du Collegium. Elle maugréait dans sa barbe contre sa nature tête en l'air, lorsque se présenta devant elle, une porte. Une énorme porte. Du style qui s'ouvre en grinçant sur une vieille pièce remplie de toiles d'araignée... Bon d'accord, là elle exagérait peut-être un peu. Mais si peu. Prenant une grande inspiration, elle poussa avec forces cette porte massive, et... tomba sur le décor qu'elle imaginait. Un peu mieux tout de même. Il y avait de la roche partout. Elbereth avait l'impression de se retrouver dans une maison troglodyte... à quelque chose près. Au plafond, des lumières dansantes, magiques. Des rayons emplis de bocaux de toutes sortes d'espèces et d'êtres différents. Des champignons. Et sur la table un grimoire. Vieux, poussiéreux, attirant. Son regard ayant finit de prospecter la pièce, il se posa enfin sur ses deux camarades, qui semblaient l'attendre.
Espérant ne pas être trop en retard, la jeune fille sourit en fermant la porte derrière elle.
-Bonjour ! Désolée pour le temps d'attente, j'ai eu un peu de mal à retrouver le chemin, ces couloirs se ressemblent tous... Bref, alors, quelle est cette expérience dont vous n'avez cessé de me parler ?
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Lerissa et Kenian, qui semblaient seuls au premier abord étaient en fait accompagnés de tout un tas de petits mages. Les plus jeunes ne devaient pas avoir plus de 14 ans et il y en avait un qui dépassait les autres de deux têtes au moins. Il avait l'air si stupide et si morne qu'on l'aurait certainement raillé s'il n'avait pas des bras comme des troncs d'arbre. Il y avait donc en tout 4 ou 5 élèves qui regardaient Elbereth avec curiosité. Cette dernière avec ses cheveux roux semblait en flamme sous ces lueurs magiques.
Lerissa, plus téméraire que son ami de toujours, fut la première à s'approcher, de la surexcitation dans la voix.
"Est ce que ce n'est pas fa-bu-leu-s'ment pittoresque ici ?!"
Elle entraîna Elbereth jusqu'à une étagère pleine de foetus d'animaux difformes, poussant des petits cris indignés et tout autant émerveillés.
"Toutes ces bestioles bizarre...."
Kenian rejoignit les deux jeunes filles et fit les gros yeux à Lerissa.
"Si on se fait chopper on est bon pour la corvée d'épluchage de pommes de terre pendant les trois mois à venir. Grouillons nous."
Le garçon désigna le grimoir du nez et secoua la tête.
"J'ai tout essayé, j'arrive pas."
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Elbereth ouvrit des yeux ronds en voyant des nouvelles têtes sortirent de l'ombre. Deux, trois, quatre, cinq... ! Mazette, ça en faisait du monde ici ! Des adolescents plus jeunes qu'elle pour la plupart. Il y en a un particulièrement qu'elle ne voulait pas en ennemi, mais elle s'abstint de tout commentaire. Tous ces yeux braqués sur elle, la jeune fille se sentit rougir légèrement.
-Euh... Bonjour tout le monde. Moi c'est Elbereth...
L'apprentie eut un petit sourire pour la question de Lerissa :
-Si, si... C'est... original, je dirai.
Elle se laissa entraîner devant les bocaux et eut une légère moue. Ce groupe ne lui disait rien qui vaille, dans quelle galère s'était-elle encore fourrée ? Enfin, maintenant qu'elle était là, elle n'allait pas repartir.
-Oui tout ça... ça paraît étrange, tant de choses dans un endroit si peu fréquenté...
Elle suivit du regard Kennian qui les rejoignait et eut un petit rire :
-Corvée d'épluchage de patates ? Ah non merci ! Qu'est-ce qui se passe ?
La jeune fille posa les yeux sur le grimoire, et un air interrogatif s'afficha sur son visage :
-Tu n'arrives pas à quoi ?
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Kenian haussa les épaules sans quitter du regard le gros grimoire. Il avait l'air avide, bien trop pour être honnête à bien y regarder !
"A le prendre. C'est comme si on l'avait protégé par un bouclier."
Cette constatation l'exaspérait. C'était un garçon doué et tous les professeurs le disaient. S'il n'arrivait pas à le prendre il ne doutait pas que personne ne le put. Lerissa poursuivit, tournant autour sans pour autant l'approcher.
"A votre avis, de quoi ça parle ?"
Le grand benêt s'humidifia les lèvres et s'approcha pour tenter de saisir le bouquin. Il était sans aucun doute plus fort que les autres seulement il ne réussit qu'à se bruler le bout des doigts. Il couina et les porta à sa bouche pour les suçoter.
"On t'a dit qu'il y avait un bouclier, idiot."
C'était la voix d'une des autres personnes, une voix féminine qui faisait plus âgée que les autres. La jeune fille qui venait de parler avait les bras croisés et fixait le grimoire d'un air torve.
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Un froncement de sourcil apparut sur le visage de la jeune fille. Le regard de ce garçon était décidément étrange... Il avait l'air de vouloir savoir à tout prix ce que contenait ce grimoire. En même temps, il est vrai que le livre était attirant...
-Un bouclier ? Ce doit vraiment être quelque chose d'important pour qu'il soit protégé ainsi.
Elle observa l'adolescent se brûler, dissimulant un petit sourire. La mage tourna la tête en direction de la voix, et détailla la fille qui venait de parler un petit moment, pas assez cependant pour qu'elle puisse la voir. De nouveau, elle reporta son attention sur le grimoire
Son visage se fit plus concentré. Elle passa sa main au-dessus et ressentit aussitôt un flot de magie très puissante. L'apprentie se projeta dans ce flot et essaya de passer entre les mailles du bouclier à travers son esprit et sa magie. Des gouttes de sueurs perlaient sur son front. Ses yeux s'étaient fermés. Soudain, un sort un peu plus puissant que les autres l'éjecta des courants magique, et elle tomba à terre, assise. Hébétée, Elbereth cligna plusieurs fois des yeux, et retrouvant la réalité, elle murmura :
-Il n'y a pas qu'un sort...
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Kenian haussa un sourcil en voyant Elbereth atterrir sur les fesses. Quant à Lerissa, elle tendit la main à sa camarade pour l'aider à se remettre sur ses pieds.
"ça doit être sacrément intéressant pour qu'ils prennent la peine de le protéger comme ça."
Kenian était de plus en plus frustré. Comment faire pour le soustraire à ses protections -extérieurement- impénétrables ? Plusieurs élèves discutaient déjà de la façon de procéder. Un joyeux brouhaha s'élevait dans le silence du laboratoire. On proposa d'essayer d'y mettre le feu, de faire appel à un élève Héraut possédant le don de téléportation, de forcer le rapport avec un autre objet... Bref, beaucoup de spéculation. Ce fut Lerissa qui haussa le ton plus fort que les autres pour rétablir le silence.
"Vous croyez que les profs n'ont pas protégé le bouquin contre tout ça franchement ?"
La jeune fille secoua la tête avec humeur avant de reporter son regard sur le grimoire pour le regarder, longuement.
Elbereth, toi aussi tu commences à sentir que le grimoire a un côté attractif non négligeable. Plus tu le regardes, plus tu as envie de le regarder. Cela éveille la curiosité.
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La jeune fille prit la main de Lerissa et lui adressa un sourire reconnaissant, une fois relevée. Elle réfléchissait encore...
-Oui, ce livre doit contenir quelque chose de vraiment important... Mais ça se sent de toute manière.
Elle regarda chacun y aller de son point de vue. Le bruit de fond s'amplifiait. Beaucoup d'idées, quelques farfelues, mais hélas, pas d'idée vraiment intéressante. Elle même se creusait la tête. Elle avait réussi à forcer les plus faibles des sorts, mais il en restait encore quelques uns et pas des moindres... ! Mais quel secret cachait donc ce grimoire ? Elle entendit Lerissa ramener tout le monde au calme, en songeant que si, ce bouquin était vraiment protégé contre toute intrusion, et qu'il fallait un haut niveau pour pouvoir parvenir à déjouer tous ces sorts...
Ce livre avait quelque chose de particulier... Plus elle y pensait, moins elle parvenait à décrocher son regard du grimoire, qui semblait l'appeler. Elle se rapprocha doucement, sans pour autant le toucher, ses méninges fonctionnant à toute vitesse, car Elbereth commençait vraiment à vouloir savoir ce qu'il contenait, ça en devenait presque impérieux.
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Elbereth, l'envie de lire le contenu de ce livre se fait ressentir plus profondément encore. Les autres aussi ont l'air comme hypnotisés et s'approchent dangereusement.
Lerissa rongeait son frein en silence. Comment délivrer le grimoire de ses protections magiques? Elle n'en avait aucune idée. Les autres s'agitaient de plus en plus et ce fut brusquement que le grand dadet qui s'était brûlé les doigts précédemment se mit à attraper tous les flacons présents dans le laboratoire pour les renverser sur le livre. Les contenus gluants se mirent à dégouliner à la surface sans tacher la couverture, d'autres choses explosèrent ou dégagèrent une odeur pestilentielle. Une pierre lancée sur un liquide bleu se mit à fumer abondamment et toute la pièce se retrouva vite dans un épais brouillard.
La voix de Kenian couvrit celle des autres. Il hurlait après l'idiot qui avait fichu un tel bazar et tous les élèves se précipitèrent vers la sortie en tâtonnant pour trouver la porte. Il fallait se sauver et vite, car il était évident que des intrus avaient touché à tout.
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Elbereth, comme les autres, s'avançait vers le grimoire, le regardant intensément. Le besoin de savoir se faisait pressant, profond, insoutenable... presque douloureux. Soudain le charme se rompit. Elle vit avec horreur le benêt prendre tout ce qui lui passait sous la main pour tenter de percer les protections magiques.
Mais quel boulet !! pensa-t-elle
Heureusement aucun des produits n'atteignit le livre, ne risquant pas, ainsi, de l'abimer. Des odeurs se mirent à planer, dérangeant les narines de tous... Lorsqu'elle vit la fumée s'élever, un signal d'alarme s'alluma dans sa tête et elle prit, comme les autres la direction de la sortie. Cependant, alors qu'elle allait franchir la porte, la sensation de DEVOIR ouvrir le grimoire revint encore plus forte, elle dit donc demi-tour, ignorant les derniers élèves qui sortaient en courant. Elle savait qu'elle risquait gros en restant ici, mais elle était comme clouée sur place, et ne pouvait s'empêcher de rester. De plus, la porte ouverte avait fait diminuer le brouillard qui disparaîssait peu à peu. Elle s'approcha à nouveau de l'objet de sa convoitise pour l'examiner encore une fois...
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Elbereth, tu ressens un besoin intense de saisir le livre, d'établir un contact avec lui. Tu as une envie irrépressible de sentir sa couverture de cuir sous tes doigts et de caresser ces pages précieuses.
Les élèves avaient fui sans se soucier de laisser derrière eux une de leurs camarades. Ils prenaient leurs jambes à leur cou en espérant ne pas attirer les professeurs, la fumée s'échappant de la porte ouverte.
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L'apprentie s'avançait inexorablement vers le grimoire. Elle sentait qu'il fallait absolument que ce livre passe entre ses mains. Qu'elle le touche. Qu'elle l'explore. Elle s'apprêtait à le prendre, lorsqu'elle se souvint de la réaction qu'il y avait eu lorsque le boulet avait tenté de le saisir. Elbereth était seule dans la salle à présent.
Le besoin se fit tellement fort et tellement oppressant d'un coup, qu'elle oublia tout et posa ses mains sur cet objet mystérieux...
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Elbereth, contrairement à ce que tu aurais pu attendre, le livre ne te brûle pas ni te rejette. Au contraire, tu sens un étrange courant passer de lui à toi et le simple contact de ta peau semble le réveiller.
Aussitôt, la couverture s'ouvre et les pages se feuillettent à vivre allure.
Finalement, le livre s'immobilise sur une page aux riches enluminures. Il y a de nombreuses créatures étranges et d'autres plus classiques qui sont dessinées en marge d'un texte. Ce texte est écrit dans une langue qui ressemble à du valdemarien mais qui n'en est pas vraiment.
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La jeune fille ferma les yeux dans la crainte d'une brûlure, mais étrangement, rien ne vint. Elle se sentit tout de suite happée par les courants magique, et en "symbiose" avec le grimoire. A leur entrée en contact, le livre parût s'animer de vie. Le livre s'ouvrit, elle retira sa main... pas trop loin, et le regarda s'immobiliser sur une double page, où s'entassaient divers dessins de créatures, tantôt très bizarres, tantôt plus reconnaissables... Tout cela enrichi de textes écrits dans une langue qui lui semblait familière, sans pourtant l'être totalement... De nouveau, Elbereth posa sa main sur une des pages et la laissa glisser, attendant de voir si quelque chose allait se produire... L'apprentie mage était consciente qu'elle vivait un moment unique et exceptionnel.
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Un courant se dégagea du grimoire au contact de la main d'Elbereth contre le papier. Il semblait chaud, palpiter comme un coeur s'éveillant à la vie.
Elbereth, si tu parcoure de nouveau les textes anciens tu te rends compte que tu peux les lire. Plus encore que cela, tu es en train de les prononcer à voix haute sans même t'en rendre compte ! Tu t'entends parler...
Les lignes s'effacèrent à mesure qu'elles étaient prononcées et lorsqu'elle eut terminé, le grimoire s'éteignit, redevenant un simple livre. Précieux et plein de mystère certes, mais il avait relâché son emprise.
Pourtant, Elbereth n'était pas indemne de l'expérience.
Elbereth, tu te plonges peu à peu en transe.
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Sentant le grimoire prendre vie, Elbereth se plongea un peu plus dans ce lien qui s'établissait alors. A nouveau elle parcourut les textes anciens du regard. Sursautant de surprise, elle se rendit compte qu'elle comprenait ce qui était écrit ! Mais que ? Pourquoi ? Prenant conscience qu'elle était en train de lire à haute voix ces textes, comme si c'était naturel, la jeune fille se surprit un peu plus. Mais les phrases disparaissaient au fur et à mesure qu'elle les disait, tant et si bien que lorsqu'elle arriva à la fin, le contact magique qui les liait s'éteignit, et il ne resta plus qu'un simple livre.
Que s'était-il passé ? L'apprentie réalisait qu'elle était la seule à avoir pu parvenir à cet acte, la seule. Qu'avait-elle de plus que les autres ? Pourquoi elle ? L'expérience avait été troublante, déstabilisante, mais pas désagréable, ni douloureuse. Peu à peu ses pensées se firent plus calmes, Elbereth ferma les yeux, et se laissa aller à la réflexion, entrant en transe. Une personne étrangère entrant dans la pièce aurait pu croire qu'elle dormait debout...
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Elbereth, tu finis par t'asseoir, ton corps prenant la position de la méditation tout naturellement.
Le temps passait. Inexorablement. La fumée avait cessé de s'échapper de la porte et aucun professeur ne s'était présenté au laboratoire ce qui était un vrai miracle. Les chandelles qui avaient été allumées s'éteignirent d'elles-même au bout de plusieurs pouces.
La nuit était tombée déjà sans que la jeune mage ne s'en soit aperçu. Elle ne sortait pas de sa transe, le corps tendu dans une position statique. Oublié la faim et la soif, les heures défilèrent inexorablement.
Elbereth, tu sens que ton énergie est littéralement drainée de ton corps. Tu dois te concentrer pour conserver ton équilibre bien que ce soit malgré toi.
Ce n'est qu'au milieu de la nuit que la transe se relâche, tu es vidée. Autant dire que tu ne tiens pratiquement plus sur tes jambes.
Au Collegium, tout le monde recherchait l'apprentie Elbereth. Personne ne l'avait vue apparemment. On fouillait les couloirs, les jardins et les salles de classe mais elle était introuvable. Ce n'était pas si rare qu'un étudiant décide d'aller se promener en ville sans en informer qui que ce fut. Mais à des heures si avancées, les fugueurs rentraient en général.
Il fut décidé de laisser tomber les recherches pour le moment et de voir si elle reparaitrait pour les cours. Elle se ferait peut-être passer un savon...
Le silence de la nuit fut rompu par le bruit discret d'une course. Quelques craquements... Un mouvement lent dans les fourrées. Les rayons de la lune dans son premier croissant illumina un instant une ombre mouvante. Un instant plus tard, la chose avait disparue.
Lorsque la porte craqua et grinça sur ses gonds, l'ombre s'étendit sur le pas de la porte.
Elbereth, lorsque tu tournes les yeux vers le bruit tu peux distinguer sur le pas de la porte dans le clair obscur un énorme félin. Son corps est musclé comme celui d'un lion. Sa tête large, son museau court, ses oreilles arrondies.... C'est une créature d'une redoutable beauté. Sa robe est tachetée comme celle d'un léopard dans les tons blancs, gris et noirs.
Son regard ambre est fixé sur toi.
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La jeune fille s'assit. Elle en avait besoin. Croisant les jambes en tailleurs, les mains posées sur les genoux, elle ferma de nouveau les yeux et se laissa porter. Le temps passa sans qu'elle le voit. Les minutes défilèrent, les heures. Elle ne ressentait plus rien, son corps de bougeait pas. Seul son esprit vagabondait au grès de ses réflexions et des courants magiques, elle se sentait bien, et n'avait pas envie de refaire surface.
Au bout d'un certain temps, elle dut lutter pour maintenir son équilibre et ainsi rester en transe. Elle sentait son énergie sortir, sans rentrer, et cela devenait difficile de tenir. Après encore un long moment, Elbereth se sentit revenir, petit à petit. Elle était fatiguée, non, exténuée, complètement vidée. Ouvrant les yeux, elle se rendit compte qu'elle était dans le noir, les bougies s'étaient éteintes. Cependant les différents produits encore présents dans le laboratoire envoyaient des petites lumières colorées, qui lui permettaient de ne pas être aveugle. Mais combien de temps était-elle restée ainsi ? L'apprentie se sentait courbaturée, son estomac criait famine, et lorsqu'elle essaya de se lever, ses jambes ne la portèrent pas, elle retomba à genoux. Il fallait qu'elle se repose un peu avant de sortir. Il lui semblait étrange que personne ne soit venu jusqu'ici, surtout après le boucan et la fumée bleue qu'avaient déclenchés ses camarades.
Soudain la porte grinça. Elle sursauta, et eut un mouvement de surprise en voyant la bête qui se dressait devant elle. Aussi grand et puissant qu'un lion, sa tête faisait plutôt penser à celle d'un léopard : museau court et oreilles arrondies, ainsi que sa fourrure tachetée, blanche, grise et noire. Le souffle coupé par sa beauté, Elbereth ne put détacher ses yeux du regard ambré de la créature, fixée sur elle. Elle ne bougea pas d'un pouce, n'avançant, ni ne reculant. En fait, l'apprentie n'avait pas peur, le félin ne semblait pas lui vouloir de mal, elle adoucit donc son regard, sans cependant baisser sa garde, au cas où. Elle attendait simplement de voir ce qui allait se passer.
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La créature avança vers elle d'un pas modéré. Elle ne la quittait pas des yeux. Elle avait définitivement une démarche de prédateur. Pourtant il y avait une certaine intelligence dans ses yeux, assez pour lui enlever un peu de bestialité.
Le félin s'approcha d'Elbereth sans la toucher ni la reniffler comme on aurait pu s'y attendre.
Hé bien, te voilà dans un bel état.
La voix mentale était indéniablement féminine et un poil hautaine. Les félins étaient souvent orgueilleux. Ceux qui pouvaient s'exprimer par la parole ne dérogeaient pas à la règle.
Je suis Dellaria.
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La jeune fille, un peu impressionnée, regarda la créature s'approcher. Cependant, chose étrange, elle ne semblait pas bestiale, un côté humain ressortait de son regard. Elle sursauta une fois de plus en entendant la voix féminine, cherchant des yeux quelqu'un avant de réaliser que c'était le félin -la féline ?- qui lui parlait... Le son de sa voix faisait pensait à quelque noblesse.
-Dellaria... Je... Enchantée, je suis Elbereth. Mais que, qui êtes-vous ?
L'apprentie s'était agenouillée, et se retrouvait à auteur de Dellaria.
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La créature se mit à rire, n'émettant extérieurement qu'une sorte de grognement. Elle vint pousser la jeune mage de la tête pour l'aider à se mettre debout.
Je suis un Ratha voyons. Femelle cela s'entend.
Les rathas étaient un peuple non-humain qu'on avait pas rencontré depuis les Grandes Guerres Magiques des milliers d'années auparavant sauf en Iftel. Mais autant dire que personne ne les avaient jamais vu car la frontière de ce pays était gardée par un champ de force impénétrable.
Pourquoi sembles-tu si étonnée de me voir, Soeur d'Esprit ?
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Elbereth se leva à l'aide de la créature, et chancela encore un peu de fatigue. Elle ne comprenait rien à ce qu'il se passait.
-Un quoi ? Ratha ? Pardonnez-moi, je ne suis pas d'ici, arrivée à Haven seulement depuis peu, et ce nom m'est inconnu.
De plus en plus étonnée par la tournure des évènements, la jeune fille, perdue, ne savait que faire...
Soeur d'esprit ?
-Dellaria, je, j'avoue que je ne sais pas ce qui arrive... Pourquoi êtes-vous ici, et pourquoi semblez-vous me connaître ?
La jeune fille fixa son regard ambré, constant une fois de plus la beauté et le charme du Ratha femelle. Elle espérait ne pas la vexer ou l'offenser avec ses questions.
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Dellaria eclata d'un rire sonore dans l'esprit de la jeune Elbereth. Le grand félin s'étira, bailla et se coucha aux pieds de la jeune femme d'un air nonchalant dans une position qui faisait penser à celle d'un sphinx.
Finalement réinstalle-toi. Nous allons discuter un peu.
Le ratha poursuivit d'une voix patiente, après qu'Elbereth se soit rassise.
Il existe de nombreuses races non-humaines : les kyrees qui ressemblent à de grands loups.
Elle inclina la tête de façon dédaigneuse et reniffla.
Leur musculature n'a rien de canine si tu veux mon avis mais ils ne veulent pas en entendre parler. Tant pis pour eux !
Les kyrees, les hertasis, les griffons, les tyrills et nous... Ces noms t'évoquent-ils quelque chose ?
Elle plongea son regard ambré dans les yeux bleus de la mage.
Nous avons été créés par le Mage du Silence au début des temps. Nous les rathas avons vu le jour pour grossir les rangs d'Urtho. La guerre faisait rage... Après le Grand Cataclysme, nous avons été séparés en plusieurs groupes. La plupart des kyrees et un groupe de griffons se sont dirigés quelque part à l'est et nous ne les avons jamais revus. Nous les rathas avons décidé de suivre des hommes et des griffons vers l'est et le nord. Et puis nous nous sommes éclatés en de nombreux groupuscules.
Dellaria s'étala un peu plus, profitant de la fraicheur du soir entrant par la porte restée ouverte.
Pour ma part je suis une solitaire. Nous ne vivons pas en meutes mais en groupes de femelles. Lorsque nous n'avons pas encore de petits, nous pouvons choisir de rester avec nos mères et nos soeurs et de nous plier aux décisions de nos aînées ou de partir à l'aventure. C'est le choix que j'ai fait.
Allez assez parlé de moi. Pourquoi es-tu étonnée de me voir alors que tu m'as invoquée ?
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Un petit air penaud au rire de Dellaria, l'apprentie mage se rassit en tailleur, à ses côtés. Elle l'écouta parler avec fascination. Un sourire timide pointa à ses lèvres lorsqu'elle parla des kyrees, mais secoua la tête dépitée.
-Non, je suis désolée mais tous ces noms ne me disent rien. Comme je disais, je viens du nord-est, des montagnes, et j'ai encore beaucoup à apprendre de l'histoire de ces contrées.
Après avoir entendue son histoire, une ou deux petites questions trottèrent dans sa tête :
-Qui était Urtho ? Et ce Mage du Silence ? Tu dis que vous vivez en groupe de femelles, et les mâles, que deviennent-ils ? Cela fait longtemps que tu es partie ?
Elbereth était passé au tutoiement sans s'en rendre compte. Elle remonta ses genoux sous son menton, et répondit :
-Il y avait ce grimoire. Les autres voulaient l'ouvrir, mais n'y parvenait pas. Pourtant il nous attirait tous. Mais après qu'un ai renversé nombres d'objets différents, ils se sont enfuis, moi je suis restée. Je ne suis pas parvenue à me détacher de l'emprise du livre. Ceux qui, avant moi, avaient essayé de le toucher, s'étaient brûlés. Cependant, lorsque j'ai posé ma main, le grimoire a semblé prendre vie, je suis tombée sur une page sur un texte écrit dans une langue inconnue, et me suis mise à le lire, comme si j'avais su tout cela. Puis je suis entrée en transe. Et tu es arrivée... Mais pourquoi moi ? Et que s'est-il passé avec ce livre ?
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Dellaria se lécha une patte avant de se laisser un peu plus aller.
Les mâles sont des solitaires en général. Lorsqu'ils sont en âge de se débrouiller seul, nos mères les chassent. Certains restent ensemble au début. Mes deux frères Kario et Breden par exemple ne se sont pas séparés tout de suite. Quand on a du mal à chasser, ne pas être seul permet de survivre. Et puis... Les mâles, ils aiment être seuls maîtres sur leur territoire. Mère nous racontait qu'au sein des armées d'Urtho, on ne mettait que très rarement plusieurs mâles dans un même escadron.
Dellaria reniffla avec mépris. Les mâles... C'était un sujet sans fin. En devant solitaire, elle avait renoncé à fonder sa famille. Les petits ce n'était pas pour elle. La jeune ratha fut très surprise d'apprendre que quelqu'un pouvait ignorer qui était Urtho, le Mage du Silence et toute sa fabuleuse histoire. Ainsi dans le Nord, était-on ignare ?
Urtho était un grand Mage qui vivait à la nuit des temps. Il vivait dans une magnifique tour. On l'appelait le Mage du Silence. Il avait un don : faire naître des créatures magiques. Il le fit d'abord pour mettre au monde d'intelligents compagnons puis par nécessité pour se défendre contre les agressions de son rival : Ma'ar le Mage du Feu. La guerre s'est bien mal terminée et une énorme explosion a réduit en cendres la tour de notre Père et le palais du terrible Ma'ar. Depuis, s'aventurer à l'ouest dans cette forêt tourmentée est devenue bien dangereuse. Toute cette magie...
Dellaria s'ébourriffa.
La terre est devenue malsaine.
Dellaria fut heureuse d'écouter l'histoire d'Elbereth. Cette histoire de grimoire, cette emprise, ce sort... Le ratha femelle ne savait rien de la magie. Mais elle avait nettement senti l'Appel.
Je ne sais pas grand chose de tout ça. Je sais juste que certains coeurs solitaires sont destinés à être liés. Je ne saurais t'expliquer ce qui m'a poussé à m'éloigner de chez moi. Je marchais sans vraiment savoir où j'allais. J'ai croqué quelques poules délicieuses dans les fermes de ce pays.
Le ratha gloussa et sa pupille s'étrécit à ce souvenir.
Et puis j'ai senti l'Appel. J'ai couru jusqu'ici et j'ai su que c'était toi.
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Captivée, la jeune fille ne perdait pas un mot de ce qui était dit. Décidément, leur mode de vie était étrange, cependant, plus grand chose ne l'étonnait après ce qu'il venait de se passer... Une autre question, un peu plus gênante, lui vint à l'esprit, ses joues rosirent légèrement.
-Mais pour vous reproduire... ? Lorsque vous avez des enfants avec un mâle,vous n'avez pas envie qu'il soit prêt d'eux aussi ensuite ? Pardonnes-moi, ma question est peut-être trop impertinente.
L'histoire qu'elle racontait était vraiment passionnante, vraiment, il allait falloir qu'elle se mette à étudier tout cela ! Elle réfléchit un moment aux dernières paroles de Dellaria avant de reprendre :
-Tu veux dire que nous sommes liées, toi et moi ? Que cet Appel était "prédestiné" ? Je... je suis désolée, je ne sais quoi faire à présent. Peut-être faut-il aller voir quelqu'un au Collegium qui pourrait nous aider ? Qu'en penses-tu ?
Elbereth s'était remise à genoux, l'air concentré, interrogeant le ratha femelle du regard.
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Dellaria éclata de rire dans l'esprit d'Elbereth. Ses remarques étaient très humaines et le ratha en fut très amusée. Elle ne se moquait pas d'elle mais reconnaissait bien là une réaction d'Humain.
Nos mâles n'ont pas spécialement la fibre paternelle. Certains garderont un oeil sur leur progéniture mais... de loin. ça ne nous manque pas je t'assure. Les femelles s'entraident entre elles. C'est comme grandir entourée de tantes et de grandes soeurs. Quand la saison est venue, les femelles laissent les mâles s'approcher et.... hé bien il advient ce qu'il advient. Mais ce sont toujours des histoires sans lendemain.
La question qui suivit était moins légère. Son regard se fit plus intense dans le sien.
Je ne sais pas, je suis venue sans me poser de questions. Nous sommes liées par un Lien Magique, je le sens mais y a t-il réellement quelque chose à faire ? Qu'est ce que TU veux faire, toi ?
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Un sourire vint étirer les lèvres d'Elbereth lorsqu'elle entendit les paroles de Dellaria. Décidément, ils avaient des coutumes bien à eux... Quoique, parfois les humains n'étaient pas très loin de ce schéma là... Reprenant son sérieux, elle grimaça légèrement en réfléchissant à une solution possible.
-Je pense que ce qui vient d'arriver n'est pas vraiment normal, mais je ne connais pas encore vraiment grand monde ici. Cependant, j'aimerai en référer à quelqu'un qui saura sûrement nous guider. Il se nomme Terence, il a une femme et neufs fils...
Un nouveau sourire apparut sur le visage de la jeune fille au souvenir de son passage chez la famille de cet homme.
-...Et c'est lui qui m'a conduit jusqu'au Collegium. Je pense qu'il pourra nous aider. Serais-tu prête à m'accompagner ? Qu'en dis-tu ?
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Dellaria se redressa et étira ses longues pattes endolories avant d'acquiescer de la tête.
Je n'y vois pas d'inconvénient.
Une souris passa sous un meuble et le ratha femelle le suivit des yeux d'un air avide. Il était très inconvenant de chasser devant un humain, elle se retint donc de courser le petit animal mais son ventre criait famine et elle aurait du mal à se montrer polie si elle ne croquait pas quelque chose rapidement.
Pourrions-nous faire un détour par les cuisines avant d'aller voir ton ami ?
Elle se lécha les babines discrètement en attendant sa réponse.
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L'apprentie se leva à son tour, et s'étira... ça vacillait encore un peu ! Elle n'avait pas repris tellement de forces depuis son incantation. Elle reprit tout de même contenance et sourit à son interlocutrice :
-Alors c'est parfait !
Elbereth observa le regard du ratha femelle avec amusement, et acquiesça avec vigueur à sa proposition :
-Je suis d'accord... Manger un peu ne me fera pas de mal à moi non plus. Allons-y.
Elle laissa passer Dellaria, refermant derrière elle la porte de ce mystérieux laboratoire... Et passa devant avant de se rendre compte qu'elle ne savait pas vraiment où se trouvaient les cuisines !! Bon elle y avait déjà été une fois, et son sens de l'orientation devrait l'aider à trouver. Elle partit alors vers ce qu'elle pensait être la bonne direction, s'assurant que la féline la suivait.
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