Valdemar RPG
Autres RPs => Archives => Sujets scénario => Discussion démarrée par: Héraut Saskia le 14 décembre 2009, 23:00:42
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[SUITE DU SUJET "DEUX VISAGES" A LA BIBLIOTHEQUE]
Saskia eut la chair de poule. Aller elle-même au Champ ? Impossible. N'importe qui pourrait la voir ! Et puis, Gaetan est le Compagnon d'Aranel, c'était tout bonnement impensable que le Héraut du Roi puisse accepter de partager son Compagnon ainsi, surtout avec LA Peste du Collegium ! Et pourtant, la jeune fille se pressa de finir sa corvée, apparut à peine pour le dîner au Manoir DeFeriel, et malgré sa vive appréhension, toute habillée de noir, elle gagna le Collegium et plus particulièrement le Champ des Compagnons. Son cœur battait la chamade dans sa maigre poitrine, et elle eut soudain peur que Aranel se soit moquée d'elle. Saskia avait-elle eut tort de faire confiance au Héraut ?
Déjà elle pouvait discerner l'ombre du Bosquet au loin, et ses pas ralentirent. Saskia se sentit soudain très bête. Et si Aranel avait décidé de se jouer d'elle ? Et si...
La noble demoiselle s'arrêta et secoua la tête. Non. Un Héraut ne ferait pas ça. Même pour mettre dans l'embarras la Peste DeFeriel, terreur du Collegium. Et si ses pas furent plus lents, la jeune fille décida de ne pas faire demi tour...
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Aranel avait passé une bonne journée dans l'ensemble. Après sa discussion avec Saskia, elle s'était rendue à une réunion stratégique avec le souverain, puis à un entrainement avec le maître d'armes, avait réalisé plusieurs tâches domestiques et s'était entretenue avec l'ambasseur shin'a'in. Comme à son habitude, elle n'avait pas chômée.
Elle profitait, depuis le coucher du soleil, de la présence de son Compagnon et s'était lancée dans une longue scéance de pansage. C'était toujours un moment privilégié et Gaetan ne résistait pas à la caresse de la brosse sur la croupe ou le garrot.
Je suis de plus en plus inquiète. Si l'état de Ryis empire, je crains qu'il n'affecte Arthon. Et les Dieux savent l'importance qu'un Héritier peut avoir. L'état de santé d'Uriens n'est pas excellente. Il a encore échappé de peu à un rhume de poitrine et son arthrose s'aggrave.
Aranel soupira et laissa aller sa tête contre le flanc chaud de Gaetan. Sa respiration régulière avait le don de l'apaiser. Son Compagnon vint effleurer ses cheveux du museau et souffla en signe d'apaisement.
Je sais. Moi aussi. Nous le savons tous. Le Réseau vibre de chaque lien distendu. Pour le moment, Ryis est parmi nous et résiste. Mais ce n'est pas le cas de tous...
Aranel se détacha du Compagnon et rangea le matériel de pansage avant de se tourner de nouveau vers lui, s'asseyant sur une vieille souche.
Les guérisseurs m'en ont parlé. J'essaie de ne pas trop penser à tout ça. L'idée que des Compagnons ne soient plus que de simples chevaux...
Elle eut un frisson et lui lança un regard anxieux.
Antea perd de plus en plus pied.
Aranel sauta sur ses pieds.
Antea?! Mais elle n'a pas encore Choisi! Un Héraut est-il au courant ?
Gaetan sembla sourire mornement dans son esprit.
Oui. Toi maintenant.
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Saskia finit par voir Aranel, près de son Compagnon. Elle les observa tous les deux, envieuse mais pas jalouse. Qu'il devait être bon de pouvoir se reposer, en toute occasion, sur un être aussi cher et ficèle, où la confiance était mutuelle. C'est pour ça que la jeune fille avait tout fait pour que son père puisse acquérir un Compagnon... En vain, bien sûr. Elle les observa longtemps, cachée dans l'ombre d'un arbre. La spectatrice ignorait tout de la conversation mentale, mais elle attendit. Saskia pouvait imaginer que c'était l'un des seuls moments que Aranel pouvait passer en toute intimité avec son Compagnon - et elle allait laisser la Grande Peste partager ce moment avec elle ?! La jeune noble finit par passer la clôture. Il devait il y avoir un piège quelque part, elle ne l'imaginait pas autrement.
Elle avançait lentement, malgré tout prête à un retrait d'urgence. Si elle acceptait plutôt bien les moqueries légères du Héraut d'Uriens, Saskia DeFeriel lui ferait sans doute payer très cher une humiliation. Et pourtant, elle arriva sans encombre jusqu'à Aranel, en silence. Elle se sentait gênée de venir les interrompre, et Saskia baissa les yeux.
- Bonsoir... (elle se racla la gorge) Bonsoir, Gaetan. Re-bonjour, Héraut Aranel.
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Lorsque Aranel tourna les yeux vers elle, il était indéniable qu'elle semblait très inquiète. Elle se mordit la lèvre, se leva et saisit Saskia par les épaules.
"Je suis désolée. Je voulais que nous parlions un peu, tous les trois. Mais je vais devoir m'absenter."
Elle tourna la tête vers Gaetan et inclina légèrement la tête.
"Il désire venir avec moi. C'est une chose... J'ai reçu une nouvelle très grave."
Aranel était désolée pour la jeune fille. Elle savait qu'elle avait dû attendre la soirée avec impatience et elle n'aimait pas donner de faux espoirs aux gens. Son visage était tendu, ses yeux particulièrement cernés.
"Nous allons devoir remettre ça à un autre jour. Si j'avais su... Pardonne-moi."
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Saskia était bien sur terriblement déçue. Mais pas question de le montrer. Elle eut un reniflement dédaigneux et croisa les bras ; elle préférait montrer qu'elle était en colère.
- Ca va. Je devais bien m'y attendre. Mais vous avez des obligations, hein ?
La noble demoiselle fit volte face et avança de quelques pas. Pour la première fois depuis très longtemps, Saskia avait envie de pleurer. Fichus Hérauts et leur sens du devoir ! Ses poings se serrèrent, et la colère monta d'un cran tandis que les larmes menaçaient d'apparaître au coin de ses yeux. Les DeFeriel ne pleurent pas ! Saskia refit face à Aranel et Gaetan :
- Vous excusez pas ! C'est quoi cette fichue manie de présenter des excuses à tout bout de champ ! Vous n'avez aucun compte à me rendre ! Allez faire votre sale boulot de stupide Héraut, et arrêtez de faire des promesses que vous ne pouvez pas tenir ! Et foutez moi la paix, au passage !
Saskia refit demi tour, et jura en sentant des larmes rouler sur ses joues rougies par le froid. Elle essuya son visage dans un geste rageur, mais ces fichues gouttes d'eau refusaient de rester là où elles devraient être. Saskia se détestait de pleurer pour si peu, et elle passa maladroitement la barrière, attendit quelques secondes pour calmer ses sanglots avant de repartir, la tête haute et avec un air qui se voulait digne.
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Aranel était désolée. Elle regarda Gaetan dans les yeux, secoua la tête et partit en courant à la poursuite de Saskia.
"Attend! Saskia!"
Elle rattrapa l'adolescente par le bras et la tira légèrement. Elle serra doucement sa main pour la consoler.
"Ecoute, tu peux garder un secret ?"
Elle se regarda autour avant de parler plus bas, sur un ton d'urgence.
"les Compagnons tombent malade. Nous ne savons pas ce qui se passe. Deux d'entre eux sont... partis durant la semaine et Gaetan vient de m'apprendre qu'un Compagnon femelle qui n'a pas encore Choisi était atteinte. On a découvert que ce qui ralentissait l'avancée de la maladie était le Lien entre un Elu et un Compagnon, bien qu'il n'empêche rien. Si elle n'a pas d'Elu, la situation est particulièrement préoccupante pour elle."
Elle marqua une pause et serra plus fort sa main de tension.
"D'autant plus qu'elle va pouliner sous peu."
Elle n'osait pas faire un geste plus familier en faveur de Saskia ou tenter de la consoler. Elle savait que l'orgueil de la jeune noble lui interdirait de réagir positivement. Elle préféra donc faire celle qui n'avait pas vu ses larmes pour ne pas l'embarrasser.
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Saskia n'avait pas regardé une seule seconde Aranel. Elle avait voulu protester, mais les premières paroles du Héraut l'en dissuadèrent. Alors quoi, elle lui faisait confiance ? A elle ? Elle qui ne cessait de lui pourrir la vie, qui allait de caprices en caprices ?
La jeune fille aurait sans doute réagit différemment si elle avait sur ce qui tracassait Aranel. Et il était trop tard pour revenir en arrière. Au lieu de continuer à être en colère, Saskia était honteuse, et elle regrettait amèrement ses paroles. La Peste DeFeriel avait repris le dessus en grande partie. Mais elle n'aurait su dire pourquoi la nouvelle de Compagnons malades la terrassa autant. Même eux étaient vulnérables, comme de vulgaires chevaux ? Impossible, ça ne pouvait pas être une maladie banale, pour inquiéter autant Aranel. Malgré son comportement et ses paroles, Saskia releva la tête pour fixer le Héraut du Roi de ses yeux bleus :
- Est-ce que je peux vous aider ? Comment ?
Et la peste ajouter :
- S'il n'y a pas trop de monde...
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Aranel déglutit et se regarda autour. Le Champ était désert et la plupart des Hérauts et des Elèves Hérauts étaient déjà dans leurs appartements. L'air était froid, il gelait chaque nuit. Ce n'était pas le genre de météo qui donnait envie aux habitants du collegium d'aller faire une promenade digestive. D'une salle de réunion montait le son d'un petit orchestre en pleine répétition et quelques badauds transportaient des balots de paille ou d'autres objets divers d'un endroit à l'autre. Mais personne semblait leur prêter attention. Tous se hâtaient de finir pour rentrer se mettre au chaud. Le souffle d'Aranel et de Saskia formaient de petites volutes de fumée à chaque respiration.
"J'allais me rendre à son chevet. Si la naissance est proche il faudra peut-être... la veiller voire même déclencher la mise bas avant que le pire n'arrive et que les chose soient plus difficiles encore."
Elle ajouta dans un murmure, presque rauque.
"Tu veux m'accompagner?"
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Et la réponse fut prompte à traverser ses lèvres, naturellement :
- Je viens.
L'air de rien, la jeune fille adorait les enfants, qu'ils soient humains ou non. Alors un bébé Compagnon ! Comment aurait-elle pu refuser ? Saskia se frotta les mains pour les réchauffer et suivit Aranel. Cette histoire de maladie la touchait davantage qu'elle ne le laissait paraître. Et pourquoi cette femelle n'avait Choisi personne, au moins pour son Salut ?
- Dites, Aranel. Ça s'est déjà vu, des Compagnons qui ne Choisissent personne ? Ou des Elus qui refusent de devenir Hérauts ? ...
Elle hésita avant de demander :
- Et pourquoi cette femelle n'appelle pas son Elu pour aller mieux ?
Cette question était terriblement égoïste. Sans doute ferait-elle souffrir son Elu, si cette femelle Choisissait quelqu'un maintenant. Pourtant, elle aurait quelqu'un auprès d'elle jusqu'au bout, si jamais personne ne trouvait ce qui se passait. Saskia n'arrivait pas à imaginer qu'on puisse choisir de mourir seul.
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Aranel tourna la tête vers Saskia en souriant légèrement. Elle aimait bien raconter cela, ces anecdotes que l'on racontaient à tous les élèves Hérauts en première année de formation. Gaetan les rejoignit et marcha au même rythme qu'elles, Aranel au milieu de Saskia et de ce dernier. Il semblait les observer du coin de l'oeil, calmement.
"Hé bien, le choix d'un Compagnon est quelque chose de mystérieux. On ne sait vraiment ce qui se passe dans l'esprit du Compagnon lorsqu'il rencontre LA personne qu'il faut. Mais ce qu'on sait c'est qu'ils ne peuvent Choisir quelqu'un par défaut, c'est parfaitement impossible."
Elle sourit plus largement à Saskia en poursuivant tranquillement.
"Certains Compagnons mettent des mois, voire des années pour trouver leur Elu. Il y a de cela cent ans, un Compagnon n'a jamais trouvé son Elu en dix ans d'attente et a péri avant. D'autres, comme le Compagnon de Talia -comme tu as pu le lire dans son récit- doivent écumer le royaume d'un bout à l'autre avant de trouver. Ce n'est pas que les personnes méritantes manquent, ou qu'il n'y a pas de personnes désireuses de devenir Héraut qui croisent leur route, bien au contraire ! Mais ce ne sont pas... les bonnes personnes. Je crois que les Compagnons doivent attendre le bon moment pour Elire. Parfois ce sont eux-mêmes qui ne sont pas prêts, cela arrive souvent chez les jeunes, parfois c'est leur Elu. Le moment et le contexte sont importants. Regarde Elspeth, la demi-soeur de la mère du roi Uriens, on pensait qu'elle ne serait jamais Choisie et finalement Gwena est arrivée! Il y avait de nombreux Compagnons qui auraient pu l'élire. Mais il a fallu attendre et patienter, dans l'angoisse, dans la tristesse, pour que finalement celle qu'il faut sorte du Bosquet pour la Choisir. Et Kerowyn! As-tu lu l'histoire de la mercenaire Kerowyn ? Elle était une femme mûre lorsque son Compagnon l'a Choisie sur le champ de bataille. Et pourtant, des années auparavant, elle avait résidé à Valdemar en compagnie d'un Héraut et de son Compagnon. Mais ce n'était pas encore l'heure. Pas encore le lieu. Elle n'était pas prête."
Aranel pencha la tête et lui lança un drôle de regard.
"Est ce que tu comprends ce que je veux dire?"
Elle reporta son attention sur Gaetan, qu'elle effleura du bout des doigts dans un geste de grande intimité.
"Quand au fait d'avoir des Elus qui refusent de devenir Hérauts, je crois que ça ne s'est jamais vu. Certains sont réticents au début, parce qu'ils ont peur, qu'ils souffrent ou qu'ils imaginaient un autre avenir pour eux. Mais lorsqu'on entretient un lien si profond avec un autre être, on a pas envie de le quitter. De plus les Compagnons n'élisent que des personnes qui, à terme, pourront assumer leurs futures fonctions. Dans la joie."
Elle s'arrêta sans préavis et désigna une écurie isolée à la lisière du Champ.
"C'est ici. Il y a tous les Compagnons en quarantaine dans ce pavillon. Nous devons être prudentes. Gaetan n'entrera pas avec nous, il va rester à cette distance. Nous ne savons pas vraiment si c'est contagieux."
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Dieux, que cette femme s'enflammait facilement dès qu'elle parlait des Hérauts du temps passé ! Saskia voulut lui rétorquer "Si vous avez un message à me faire passer, dites-le franchement !" mais elle se contenta d'un mince sourire ; en fait, elle ne voulait pas espérer que le sous-entendu pouvait s'appliquer à elle, elle ne voulait pas être à nouveau déçue comme quelques minutes auparavant. La jeune fille vint caresser l'encolure de Gaetan et suivit Aranel sur le chemin du pavillon. Tous les Compagnons ? Plusieurs étaient donc malades ? Saskia arrêta pourtant Aranel en court de route pour lui demander :
- Vous m'avez dit que des Compagnons mourraient avant d'avoir Choisi. Pourtant, dès qu'ils ont leur Elu, ils vivent aussi vieux que lui. Alors, ça veut dire quoi ? Que les Compagnons sont de simples chevaux tant qu'ils n'ont pas de Hérauts ? Et puis, celle que nous allons voir...
Oui, Saskia est têtue. L'idée que Antea meure seule la révoltait.
- Elle ne peut vraiment pas Choisir son Héraut, histoire de créer leur lien, et de lui faire oublier qu'elle l'a Elu, jusqu'au bon moment ?
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Aranel haussa les épaules, très simplement.
"Les Compagnons sont mortels, comme nous, comme les animaux. La mort d'un Elu entraine pratiquement automatiquement la mort de son Compagnon car le Lien qui unie ces deux êtres est si fort qu'il leur devient très difficile voire impossible de vivre sans l'autre. Mais lorsqu'un Compagnon n'a pas Choisi, il peut être tué avant d'avoir trouvé son Elu."
Elle soupira et posa la main sur l'épaule de Saskia.
"Malheureusement, les Compagnons ne peuvent élire par défaut, même pour sauver leur vie. Et même si elle trouvait son Elu immédiatement, le nouveau Lien ne ferait que ralentir l'inévitable. Lorsqu'ils sont atteints ils... disparaissent. Inexorablement."
Elle baissa la tête en la secouant légèrement avant de se ressaisir.
"Allez! Suis-moi. Et essayons de ne pas faire trop grise mine. La pauvre n'a pas besoin qu'on lui sappe le moral. Je pense qu'elle est consciente de son état mais elle doit se battre pour faire naître son petit. C'est le premier Compagnon gestant qui est frappé par le Mal."
Après une légère caresse à Gaetan -qui poussa Saskia dans le dos du museau- elle alla jusqu'au petit bâtiment et ouvrit doucement la porte. L'endroit était plongé dans l'obscurité, quelques lampes magiques, suspendues près des poutres, permettaient de distinguer les différentes stalles. Bien entendu, aucune porte n'enfermait les Compagnons dans leur box respectif. Ca sentait le foin frais, la paille chaude et la température était tout à fait acceptable. Aranel posa l'index sur ses lèvres afin de signifier à Saskia qu'elle devait faire silence et alla jusqu'au fond du bâtiment. Toutes les stalles n'étaient pas occupées mais il devait y avoir entre 5 et 8 Compagnons à différents stades de la maladie. Un était couché, les yeux clos, son Héraut allongé contre son flanc, un autre avait les sabots fendus et la robe constellée de tâches brunes, un gris tentait de le panser pour limiter ces étranges symptômes, un autre encore se tenait en retrait au fond de son box, l'air hagard. Il avait souillé sa paille comme un cheval ordinaire ce qui était très mauvais signe. Aranel prit le bras de Saskia avec fermeté pour la forcer à avancer. C'était très impressionnant et le Héraut du Roi le savait, il ne fallait pas que la jeune fille s'en mêle.
Dans la stalle du fond, plus grande que les autres, Antea se tenait debout mais tremblait de tous ses membres. Elle tenait la tête basse, les yeux mi-clos et avait l'air fiévreux. Aranel s'approcha avec douceur et lui toucha l'encolure.
"Comment te sens-tu ce soir?"
Elle indiqua à Saskia qu'elle pouvait s'approcher et se mit à masser doucement les reins et les épaules du pauvre Compagnon femelle.
"J'ai amené une amie."
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Avant d'entrer dans le pavillon, Saskia lissa sa tenue noire et un grand sourire étira ses lèvres. Faire semblant, elle en avait l'habitude, malgré la situation qui faisait cogner son cœur si fort. Bref, Saskia la Grande Peste de Haven était de sortie, au moins physiquement. Car il n'était pas question qu'elle soit un monstre envers des Compagnons.
Pourtant, malgré tous ses efforts, les conseils de Aranel et toute une vie de faux sourires, la jeune fille ne parvint pas à garder un visage avenant. Elle ne s'attendait pas au triste spectacle qui l'attendait au-delà du pavillon. Elle eut une nouvelle fois envie de pleurer. Ses jambes flageolaient, et Saskia essayait de le cacher sous un pas raide. Pourquoi celle qu'elles venaient voir était tout au fond ? La Noble demoiselle regardait droit devant elle, terrifiée par tant de détresse et de douleur. Elle se sentait tellement impuissante !
Antea tremblait sur ses pattes. Dieux ! Un Compagnon représentait la noblesse et la force aux yeux de Saskia. Comment pouvait-elle être aussi faible ? La jeune fille, malgré ses mains et ses jambes tremblantes, s'agenouilla devant le Compagnon pour lui masser une patte, après qu'Aranel lui ait fait signe d'approcher. Elle n'osait même pas rétorquer au Héraut qu'elle n'étaient pas amies, de peur d'entendre sa voix elle aussi trembler. Elle attendit quelques minutes avant de passer à l'autre patte avant et de murmurer, avec une voix assez basse pour qu'on ne l'entende pas vibrer :
- Ca va, comme ça ? Je peux faire autre chose pour vous ?
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Antea se contenta d'ouvrir doucement les yeux pour les plonger brièvement dans ceux de Saskia. Son regard était à fendre l'âme mais ce ne fut rien par rapport au gémissement qu'elle émit en s'écroulant doucement, un liquide visqueux s'écoulant de dessous sa queue. Aranel sursauta et souleva doucement les crins pour en vérifier la provenance. Son visage était tendu et elle commença à trembler.
"Saskia, aide-moi. Il faut mettre de la paille sèche sous elle."
Elle commença à tasser la paille, Antea se soulevant avec toutes les difficultés du monde aux endroits où elle mettait la paille propre et sèche. Puis Aranel s'agenouilla et tâta son ventre. Il était dur et enflé et se contractait par moment. Le Héraut du Roi s'essuya le front du revers du poignet et transperça la Noble Peste d'un regard éloquent.
"Le travail commence."
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Saskia paniqua, d'abord lorsque le Compagnon s'écroula, puis aux terribles mots d'Aranel :
- Le travail commence."
La jeune fille jura et perdit complètement pied. Alors quoi ? Que devait-elle faire ? Elle envoya la paille à Aranel, et resta tétanisée. Elle n'arrivait plus à aligner deux pensées cohérentes, et des étoiles commençaient à envahir son champ de vision, ses mains tremblèrent.
- Aranel, dites-moi ce que je dois faire, je panique, je suis complètement tétanisée...
Saskia jura, et sa voix tremblait légèrement. Elle était droite comme un pique, et elle était parfois secouée de violents tremblements.
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Aranel se tourna vers Saskia et posa ses deux mains sur ses épaules, se baissant légèrement pour être parfaitement en face de son visage. Elle plongea son regard dans le sien, sans ciller et elle ne semblait pas paniquer le moins du monde.
"ça va aller. Saskia. ça va aller ! Ecoute-moi bien. Tu vas aller chercher le Héraut Maria. Gaetan saura où la trouver et il t'attend dehors. Je veux que tu y ailles, Saskia, aussi vite que tu le peux. Dis-lui qu'Antea va pouliner et emmène-la ici."
Pour parer à toute protestation, elle serra légèrement plus fort ses épaules.
"Si tu veux aider Antea, il FAUT que tu y ailles. Je dois rester ici pour l'aider en attendant Maria. Tu as bien compris?"
Et elle la lâcha pour la laisser partir, son visage ferme mais le regard trahissant son inquiétude.
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La bleu était au bord de la crise d'hystérie. Le regard que plongea Aranel dans ses yeux lui redonna un semblait de raison, parmi la tempête qui grondait dans sa tête. Saskia cligna plusieurs fois des yeux, et acquiesça aux paroles du Héraut, vigoureusement, tant pour qu'elle soit sûre qu'elle ait compris la mission que Aranel lui confiait que pour chasser les derniers vestiges de la peur qui lui nouait le ventre. La jeune fille déposa un rapide baiser sur le front de Antea, tapa une fois sur ses cuisses, comme pour leur ordonner d'arrêter de trembler. Saskia fit volte face et courut en dehors du pavillon.
* Aider et Sauver Antea. Trouver Maria. Aider et Sauver Antea. Trouver Maria. Gaetan !*
Elle vit l'ombre blanche du Compagnon plus loin dans le Champ, et sauta souplement sur son dos, à cru, en cavalière émérite qu'elle était.
- On doit trouver Maria, Gaetan !
Saskia fut surprise d'entre sa voix imprégnée d'une pointe de l'hystérie qu'elle avait éprouvée il y a seulement quelques minutes. Elle se pencha pour ne pas freiner la vitesse du Compagnon, auquel elle essayait de ne pas s'agripper trop fort à la crinière pour ne pas lui faire mal. Malgré la vitesse vertigineuse de Gaetan, Saskia ne pouvait s'empêcher de penser : "Plus vite."
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Gaetan galopait du pas sûr du Compagnon et passa les jardins comme le vent. Il pénétra dans le Collegium sans se retourner, les quelques rares personnes trainant dans les couloirs s'écartant sur leur passage. Gaetan savait exactement où trouver le Héraut Maria, le Héraut responsable des Compagnons gestantes. Elle devait d'ailleurs être déjà prévenue par son propre Compagnon que Gaetan avait prévenu.
Contrairement à Ryis, Gaetan n'avait pas la possibilité de communiquer avec Saskia mais lui envoya une onde d'apaisement et de confiance. Tout se passerait bien et il ne fallait pas qu'elle s'en fasse.
Comme prévu, Maria sortait de ses appartements lorsque Gaetan arriva devant elle et pila des quatre fers. Il n'était pas le moins du monde essoufflé mais ne tenait pas en place.
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(http://http://img684.imageshack.us/img684/9383/hrautmaria.png)
- Héraut Maria -
Maria semblait préoccupée. Son par dessus avait été mis à la hâte et elle avait les cheveux légèrement en bataille. Voyant arriver Gaetan, elle ne perdit pas de temps et s'adressa directement à Saskia. Elle avait l'air à la fois calme et compétente.
"Allez mon enfant, laisse moi un peu de place."
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Saskia réfléchirait plus tard à ce que pouvaient penser les rares personnes qu'elle croisait, alors qu'elle chevauchait Gaetan, le Compagnon du Roi. Elle assumerait aussi les éventuelles conséquences de la mine paniquée qu'elle affichait, très loin du visage de peste que tout le monde lui connaissait en public. La vague d'apaisement, qu'elle devina venir de Gaetan, calma quelque peu la jeune fille, et elle caressa maladroitement l'encolure du Compagnon. Pourtant, cela ne suffit pas à la détendre complètement.
Saskia se rendit compte, au moment où Gaetan pila, du spectacle qu'elle pouvait donner. De la folie d'apparaître en public ainsi habillée, le visage si expressif, chevauchant un Compagnon. "Folie" était un bon mot, "inconsciente" s'imposa dans son esprit, tout de suite suivi par "Antea". Au diable les convenances ! Elle prétendrait qu'Aranel l'avait droguée, s'il le fallait, même si c'était une accusation très grave ! Elle tendit la main au Héraut devant elle pour l'aider à monter :
- Dépêchez-vous ! C'est Antea... Elle va pouliner !
Sa voix tremblait toujours, un peu moins d'hystérie, mais toujours assez stressée.
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- Héraut Maria -
"Je le sais, mon Compagnon, Yselle, vient de me prévenir."
Maria sauta souplement en croupe, assez impressionnant pour une femme qui devait avoisiner la cinquantaine ! Dès qu'elle fut installée, Gaetan repartit en trombe, repassant par l'extérieur assez rapidement pour pouvoir augmenter son allure sans risquer de renverser quelqu'un. Elle dut parler assez fort pour se faire entendre de Saskia à cause du martellement des sabots.
"Aranel est restée avec elle ?"
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Saskia fut bluffée par la souplesse du Héraut Maria. Cette femme devait être plus âgée que sa mère, et la Baronne DeFeriel faisait tout un tas de chichis pour qu'on l'aide à monter en selle, durant les rares balades à cheval qu'elle pouvait faire. Mais sa surprise fut de courte durée, lorsque Gaetan repartit au triple galop.
A nouveau, Antea occupa tout l'esprit de la jeune noble. Elle avait été incapable de lui venir en aide ! Aller chercher quelqu'un, Gaetan aurait pu le faire sans Saskia, et pourtant, ils avaient perdus de précieuses secondes pour donner l'impression à la jeune fille qu'elle était utile ! Elle secoua la tête, et, ne connaissant pas le Héraut Maria, la Peste DeFeriel reprit le dessus pour répondre, d'une voix qu'elle réussit à garder neutre :
- Oui, le Héraut du Roi est restée dans le pavillon. Antea s'est effondrée lorsqu'elle m'a envoyée vous quérir.
Saskia serra les dents, pour ne pas se mettre à dire des choses qu'elle risquait de regretter par la suite.
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- Héraut Maria -
Maria posa une main confiante sur l'épaule de Saskia.
"Pourquoi n'as-tu pas pris ton propre Compagnon pour venir me chercher ?"
La femme n'avait pas remarqué que Saskia ne portait pas de vêtements gris. Cela lui semblait si naturel, vu qu'elle était auprès du Héraut Aranel, que Saskia fut elle-même une élève Héraut. Elle ne côtoyait pas les nobles car elle était de basse extraction, Choisie très tard alors qu'elle était sage-femme dans un petit village matriarcal du sud et que tous l'appelaient "Mère". Son Compagnon, Yselle, était d'âge avancé tout comme elle et avait un caractère effacé. On ne la remarquait guère.
L'écurie qui accueillait les Compagnons malades se profilait à l'horizon et Gaetan ralentit pour s'arrêter complètement, à distance, pour éviter toute contagion. Maria sauta élégamment au sol et réajusta une petite sacoche qu'elle portait en bandoulière avant de tourner le regard vers Saskia.
"Dépêchons-nous."
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Saskia serra les dents à la question du Héraut. L'humeur de la jeune fille oscillait entre la tristesse et la colère. Mais elle ne dit rien, car même elle ne savait pas ce qu'elle prononcerait si elle ouvrait la bouche. Dieux, si elle avait son propre Compagnon, pourquoi serait-elle venue avec Gaetan ? Cette femme était-elle donc stupide ?
Le Compagnon s'arrêta à une certaine distance du pavillon, encore une fois, et une fois Maria à terre, Saskia descendit à son tour, et caressa la croupe de Gaetan. Elle regarda le Héraut par-dessus son dos et acquiesça :
- Partez en avant, j'arrive tout de suite.
La jeune fille attendit que Maria s'éloigne pour enlacer Gaetan et enfouir son visage dans sa crinière. Elle soupira et le regarda dans les yeux :
- Fais attention à toi, Gaetan. Je ne veux pas que tu tombes malade comme cette pauvre Antea... (elle eut un maigre sourire) Je sais que tu t'en fiches, et que je ne suis qu'un gamine capricieuse, mais ça me rendrait malade de te voir dans le même état qu'elle.
Elle déposa un rapide baiser sur son museau et se dirigea à son tour vers le pavillon pour rejoindre les deux Hérauts. Dieux, que ses habits noirs faisaient tâche, à côtoyer les uniformes blancs des deux autres femmes et les robes des Compagnons. Saskia ignorait pourquoi elle était revenue : elle ne serait d'aucune utilité, si elle n'arrivait pas à agir de son propre chef comme tout à l'heure.
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Maria s'était dirigée d'un bon pas vers l'écurie et y disparut prestement. Du travail l'attendait et elle ne voulait pas perdre de temps. Son esprit était fixé sur la tâche qu'elle avait à accomplir : délivrer une mère mourante et s'assurer que le petit survive, malgré tout.
A l'intérieur, Aranel avait concentré le maximum de lumière dans la stalle d'Antéa. Le Compagnon était sur le flanc, le ventre enflé et dur, se secouant par accoups à chaque contraction. Elle lui chantait une berceuse très populaire pour calmer la future mère, l'encolure couverte d'écume et ses beaux yeux de saphir écarquillés de souffrance et de peur.
Elle tenait sa tête sur ses genoux et avait posé des linges propres sous ses fesses. De l'eau chaude avait été apportée dans le coin le plus propre du box ainsi que des serviettes éponges et des draps.
A l'arrivée de Maria, elle se leva en déposant doucement la tête d'Antea sur une pile de paille propre et douce et serra la femme dans ses bras un bref instant. Elle était inquiète et en présence d'un autre Héraut elle pouvait se laisser aller à lui montrer.
Puis Saskia arriva et elle lui adressa un sourire amical. Elle s'approcha d'elle pour la tirer à moitié à l'intérieur et lui parler à l'oreille.
"Tout va bien se passer maintenant."
Elle l'emmena près d'Antea et invita Saskia à s'asseoir pour poser la tête du Compagnon sur ses genoux. Puis elle lui tendit une éponge et lui désigna la petite coupelle d'eau tiède. Saskia pourrait réconforter et soutenir Antea de sa douceur et de ses mots sans gêner les deux femmes qui auraient fort à faire pour l'aider à expulser le poulain.
Aranel se remit à chanter tranquillement et adressa à Saskia un regard brillant pour l'inviter à chanter avec elle.
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Heureusement que Aranel était là. Sans le Héraut, Saskia serait sans doute restée à l'entrée du pavillon, et les aurait regardées de loin. Au lieu de cela, la jeune fille se retrouva avec la tête du Compagnon sur les genoux, une éponge dans une main. La noble jeune fille espérait réellement que tout allait bien se passer. Elle passa l'éponge le long de la base de la crinière, d'une main tremblante. Saskia enviait en cet instant, plus que d'habitude, le calme et la sérénité apparente de Aranel. La noble demoiselle avait la gorge trop nouée pour pouvoir la suivre dans sa chanson, aussi, elle se pencha à l'oreille du Compagnon et lui murmura :
- Tiens bon. S'il te plaît. Pour ton futur Elu.
Saskia frotta sa tête contre celle du Compagnon, sans cesser de passer l'éponge sur son encolure, et pour cacher les deux larmes qui inondaient ses yeux. Voir la pauvre Antea dans cet état lui broyait le cœur. Un Compagnon représentait la majesté et la puissance, aux yeux de Saskia. Ils étaient parfaits. Voir la souffrance dans ces yeux azur étaient insoutenable. La noble demoiselle se redressa pour presser l'éponge et la ré-imbiber d'eau tiède et la passer le long de son encolure. Elle leva la tête vers les Hérauts et murmura :
- Le poulain se présente bien ? Ca va être rapide ?
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Maria avait la tête entre les jarrets d'Antea. Aranel lui tenait la queue relevée afin que sa camarade puisse agir à sa guise et tourna les yeux vers Saskia. Son regard était plein d'angoisse et elle eut du mal à sourire avec la même confiance que précédemment.
Lorsque Maria releva la tête à son tour, elle s'essuya le front d'un revers de manche et une de ses mains était recouverte de sang. C'est elle qui répondit à la question de la jeune fille, la voix légèrement rauque de tension.
"Je crains qu'on ait à se bagarrer toute la nuit. Le petit est mal placé et le col se dilate trop lentement. J'ai peur que l'hémorragie l'emporte avant même qu'il ait passé les jambes antérieures."
Aranel fit taire Maria d'une pression de la main sur l'épaule et lui fit les gros yeux. Elle ne voulait pas que la jeune noble soit trop durement confrontée à la réalité.
"Saskia, ce ne sera pas facile mais les naissances de Compagnons ne le sont jamais. Maria a déjà sauvé des poulains en plus mauvaise posture encore."
Elle lui sourit dans un hochement de tête.
"Nous avons absolument besoin que tu la maintiennes consciente. Parle-lui, caresse-la, et éponge lui bien la tête et l'encolure. Elle aura besoin de tout son courage pour maintenir son effort pendant les heures qui viennent."
A l'extérieur, les Compagnons commençaient à se masser autour de Gaetan. Leurs pas faisaient crisser l'herbe givrée. Antea était le premier Compagnon gestant à avoir contracté le Mal, et tous ses semblables étaient très inquiets pour la suite des événements. Ils conversaient, discutaient et se tenaient chaud. Ils ne fermeraient pas l'oeil non plus avant l'issue de cette affaire.
"Aranel, viens par là."
Le Héraut du Roi redirigea son attention sur Maria et s'accroupit près d'elle.
"Lorsque je vais te le dire tu vas appuyer sur son ventre comme ça."
Maria se plaça contre le ventre d'Antea et exerça une pression des poings vers le bas ventre du Compagnon. Cette dernière gémit et se contorsionna légèrement, comme voulant échapper au mouvement douloureux malgré sa faiblesse.
"Je sais ma belle, tout doux. Y a pas le choix, je te le jure."
Maria releva la tête vers Saskia et écarta une mèche de cheveux frisés d'un mouvement de tête impatient.
"Maintient la, d'accord? Il ne faut pas qu'elle bouge."
Aranel se mordit la lèvre et déglutit, puis elle prit la place de Maria pour obéir à son ordre. A contrecoeur. Elle savait que la douleur était pratiquement insupportable pour la pauvre Antea. Mais il fallait expliquer à Saskia. Il le fallait. Ce n'était pas de la torture.
"Le petit est trop haut, le travail a commencé alors qu'il n'est même pas positionné pour descendre. Il faut le faire descendre pour que les contractions le dirige vers la sortie."
"Maintenant."
Tout le visage d'Aranel se contracta alors qu'elle poussait de nouveau sur le ventre d'Antea. Maria avait le bras enfoncé dans l'orifice pratiquement jusqu'au coude. Elle surveillait le col et la pression qui trahirait la présence du poulain, enfin prêt à sortir.
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Saskia avait encore 16 ans, et en bonne adolescente, elle était encore sérieusement rebelle dans l'âme. Pas besoin d'être la Grande Peste de Haven pour avoir envie de discuter les ordres. Au premier geste qui força le Compagnon à se cabrer malgré la position, Saskia se jeta sur son cou pour l'enserrer contre elle, puis foudroya Maria et Aranel du regard. Mais les yeux d'un bleu glacial ne firent absolument aucun effet aux deux femmes, et la jeune fille du se contenter de caresser la pauvre Antea. Elle tenta de reprendre la chanson d'Aranel ; elle n'avait pas une voix extraordinaire, mais ça s'écoutait. Il faut dire que sa voix tremblante n'arrangeait pas particulièrement la berceuse.
Lorsque Aranel poussa sur le ventre, Saskia crut défaillir face au regard azur du Compagnon. Dieux, qu'elle souffrait ! La jeune fille s'insurgea et fusilla à nouveau les deux Hérauts du regard :
- Bande de barbares !! Vous ne pouvez rien lui donner pour la douleur au lieu de la faire ainsi souffrir ?! Ah, vous les Hérauts, vous avez de belles paroles dès qu'il s'agit de votre Compagnon... Mais Antea, qu'importe, hein, puisqu'elle n'a pas d'Elu !
Elle les trouvait, en cet instant, inhumaines. Saskia voulait bien croire que la mise à bas des Compagnons était difficile... Mais à ce point ? La Grande Peste refaisait surface tandis que la pauvre jeune fille perdait encore plus le contrôle de ses émotions. De nouvelles larmes menaçaient de monter jusque ses yeux, mais Saskia lutta. Elle s'allongea contre Antea, pliant les jambes pour ne pas gêner les deux tortionnaires en blanc, et caressa la tête du Compagnon, un bras sous sa tête, et colla son front contre le sien. Elle lui murmura :
- Je ne suis rien pour toi, mais j'aimerai tant te soulager de ta douleur... Je resterai avec toi, jusqu'au bout, d'accord ? Courage ! Je t'en prie...
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Aranel lança à Saskia un regard désolé. Elle aussi avait envie de pleurer. Mais ce n'était pas le moment de se laisser aller, et pour le bien d'Antea, pour le bien de son petit, chaque seconde comptait. Elle tendit tout de même le bras vers Saskia pour lui étreindre le bras et sa propre voix était tremblante lorsqu'elle s'adressa à elle.
"Son coeur... est faible. Nous avons peur que si nous lui donnons un antidouleur elle s'en aille. Tu comprends? Nous n'avons pas le choix. Nous ne faisons pas ça par gaieté de coeur, Saskia."
Elle caressa le flanc de la pauvre Antea et murmura quelques mots, ses lèvres bougeant sans bruit, les yeux mi-clos. Maria releva la tête et toussa, se protégeant la bouche du bras. Elle avait l'air hagard et secouait la tête discrètement. Elle se pencha vers Aranel pour chuchoter.
"Le petit est en position mais elle n'a plus la force de pousser. Je pourrais lui ouvrir le ventre pour le sortir. Mais... Je condamnerais la mère."
Non. Attendez. Nous allons aider Antea.
La voix était féminine et pouvait être entendue par tous. C'était celle d'Yselle, le Compagnon de Maria. Elle parlait au nom de tous les Compagnons amassés dehors. Elle était forte et pleine d'émotions. Tous avaient suivi l'agonie d'Antea et aucun n'y était resté indifférent.
La voix poursuivit :
Si nous lui prêtons notre force elle pourra lutter. Il faut essayer et lui donner une chance.
Aranel acquiesça ainsi que Maria. Toutes deux tournèrent la tête vers Saskia pour attendre son approbation.
"Il va falloir la soutenir plus fort encore. Je vais me tenir prête à saisir les jambes antérieures. Toi Aranel, prépare de quoi frictionner le petit . Quand à toi jeune fille..."
Elle baissa la tête en pinçant légèrement les lèvres et en baissant le ton.
"Continue ma grande. C'est bien."
Aussitôt Aranel se releva et déchira des morceaux de drap qu'elle trempa dans l'eau tiède. Puis elle déplia plusieurs serviettes. Lorsque l'impulsion fut donnée par les Compagnons, elle sentit le flux d'énergie se déverser en Antéa. Ses pupilles semblèrent reprendre vie et elle s'arquebouta pour faire le dernier effort. Un hennissement rauque s'échappa de sa gorge alors que deux longues et jolies jambes apparaissaient munies de deux petits sabots argentés.
[Saskia tu sens le flux d'énergie te traverser. La sensation emplit ta tête. Tu as l'impression qu'on te presse la tête dans un étau avant d'essayer de te l'élargir. C'est une sensation très désagréable voire même légèrement douloureuse]
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Saskia restait contre Antea, malgré la fureur qu'elle éprouvait pour les deux Hérauts et qui lui donnait envie de leur sauter à la gorge. Mais la raison reprit le dessus : chaque seconde était vitale pour la pauvre Antea. Alors elle serra les dents, et ses bras un peu plus fort contre elle, et son visage contre le sien.
La jeune fille sursauta en entendant la voix d'Yselle. C'était quoi, ça ? Mais peut lui importa en cet instant : "ça" proposait d'aider Antea, et pour l'instant, c'est tout ce qui comptait. La jeune fille eut un sourire réconfortant pour le Compagnon, et lui frotta vigoureusement le cou. Elle retrouvait l'espoir de voir la mise à bas finir plus vite, et avec moins de douleur.
- Ca va aller.
Peut lui importait les deux Hérauts, Saskia n'avait plus d'yeux que pour Antea. Elle avait souhaité prendre sa douleur pour la soulager ? Elle ne s'attendit pas aux flux d'énergie qui la traversa. Son front se pressa un peu plus contre celui de Antea, et elle serra les dents. Un vieux réflexe avait voulu lui faire serrer les poings, mais impossible ; elle aurait écorché le Compagnon en la griffant, et il n'en était pas question. Au diable les réflexes ! Ses yeux se fermèrent très forts aussi, et Saskia s'interdit de gémir : Antea devait souffrir davantage. Pour elle, elle devait être courageuse. Et puis, à bien y réfléchir, ce n'était pas si douloureux. La jeune file rouvrit les yeux lorsque le Compagnon hennit, et leurs regards se croisèrent. Saskia sourit davantage.
- Allez ! Débarrasse-toi de ce poulain qui te fait tant souffrir ! Tu pourras le punir à grands coups de langues quand il sera là. Courage !
Voilà : elle devait positiver. Et même si elle faisait semblant, ça ne pouvait que donner du courage à Antea.
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Les deux Hérauts ne semblaient pas plus affectées que ça par le flux d'énergie qui se déversait inlassablement. En vérité elles faisaient partie du Réseau depuis assez longtemps pour connaître la sensation d'être liées et laissaient les énergies circuler à leur guise, remontant leurs barrières lorsqu'elles risquaient de perturber le flux ou y participant lorsqu'il leur en était possible.
C'est dans une poche gluante qu'un petit être émergea au jour, immaculé à travers son cocon placentaire. Il hennit doucement et Maria le libéra avant de le tendre à Aranel qui se mit à le frictionner. Le Héraut sage-femme devait attendre encore la délivrance totale : le rejet du placenta et surveiller une quelconque hémorragie. La pauvre Antea avait perdu beaucoup de sang. Beaucoup trop.
Lorsqu'elle avait du pousser, une dernière fois, pour expulser son petit, elle avait prit sur ses dernières ressources. Son corps s'était arqué, une dernière fois, et ses yeux s'étaient écarquillés.
Puis l'énergie des Compagnons mourut et la tête de la nouvelle maman retomba lourdement entre les bras de Saskia.
[Saskia, tu as l'impression que tes oreilles bourdonnent mais la sensation désagréable s'est arrêtée. Mais tu sens bien que quelque chose ne va pas. Antea est toute molle]
Antea ouvrit les yeux, lentement, pour croiser le regard de Saskia, un regard intense et lucide dans lequel la douleur n'était plus.
Occupe-toi... De mon petit. Promet-le moi.
Cette voix faiblarde, seule Saskia avait pu l'entendre. Juste avant que le Compagnon ne s'effondre pour ne plus jamais se relever.
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Saskia accueillit la tête de Antea dans ses bras. Peu lui importait la douleur dans sa tête, qui s'affaiblissait. Seule comptait le Compagnon. Elle croisa son regard et lui sourit. Elle aurait voulu lui dire : "Ca y est, c'est fini !" mais fut interrompue par les paroles dans sa tête. Elle n'eut même pas le temps de répondre. Saskia s'effondra en même temps qu'elle. Elle caressa l'encolure d'Antea et la remua légèrement.
- Antea ?
Aucune réaction. Elle la secoua un peu plus fort. C'était stupide. Elle le savait. Antea devait être épuisée, Saskia devait la laisser se reposer. Mais ces derniers mots, elle était sûre qu'ils venaient du Compagnon dans ses bras.
- Antea ! Réveillez-vous. Regardez-le. Il est là. Votre poulain. Antea.
La jeune fille était confrontée pour la première fois à la mort. On aurait dit une véritable gamine, et qu'elle ne comprenait pas ce qui se passait. Seule comptait Antea, dans ses bras. Elle la secoua davantage, et finit par ne plus entendre sa propre voix. Elle ne voyait plus rien non plus. Saskia crut un instant que c'était la douleur dans sa tête qui était revenue. En réalité, elle pleurait à chaudes larmes, et les mots qu'elle essayait de prononcer n'étaient que des hoquets. La noble demoiselle n'arrivait même plus à se contrôler. Elle finit par enfouir sa tête dans la crinière du Compagnon.
La première fois qu'elle devait faire face à la mort, c'était pour assister à celle d'un Compagnon, l'image même de la perfection que la jeune fille se faisait. C'était un choc terrible. Elle aurait aimé haïr quelqu'un pour lui infliger une telle douleur. Mais qui ? Maria pour avoir fait son travail ? Aranel pour l'avoir entraînée ici ? Où les Compagnons pour avoir soutenu Antea ? Saskia cria sa frustration : et elle ? Qu'avait-elle fait ? Rien ! Et la douleur lui broyait le cœur. Alors elle hurla parmi ses sanglots :
- Je te le promets ! Tu entends ! J'ai promis ! Quoi qu'il arrive !
Il lui fallu encore quelques minutes pour se calmer, et se convaincre de se redresser. Saskia n'avait jamais pleuré - les DeFeriel ne pleurent jamais, c'est pour les faibles, les larmes - du moins jusqu'à ce jour. Elle avait triste mine, et le peu de maquillage qui avait subsisté après sa première crise de larmes, quelques heures plus tôt, coulait à présent sur ses joues. Ses yeux bleus étaient rouges et son nez coulait. Dieux ! Lorsqu'elle revit Antea, allongée là, à ses genoux, elle était prête à refondre en larmes. Mais elle serra les dents, et Saskia releva la tête, pour fixer Aranel et le poulain qu'elle tenait. Elle marcha à quatre pattes pour les rejoindre, et tendit les bras pour prendre le poulain contre elle. Elle lui caressa l'encolure et le dos, puis se leva.
- Allez viens, bonhomme. Ce n'est pas un endroit pour toi. Faudrait pas que tu tombes malade, non plus. Et puis, tu dois avoir faim. Suis-moi.
Sa voix était encore un peu éraillée, mais elle lui sourit malgré tout. Saskia fit quelques pas et regarda Aranel dans les yeux :
- Antea... (Elle dut se racler la gorge pour chasser les sanglots qui voulaient à nouveau sortir) m'a fait promettre de m'occuper de son petit. Je vais aller le... nourrir.
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Aranel arrêta Saskia d'une main sur l'épaule et lui adressa un regard direct, compatissant mais ferme. Un instant on aurait pu croire qu'elle allait lui faire des remontrances, lui faire la morale ou lui apporter une explication bien huilée. Il n'en fut rien. Aranel ouvrit simplement les bras et attendit que Saskia accepte de s'y enfouir, là, dans le secret de la stalle d'un Compagnon défunt, là où personne n'avait assisté à la mort d'Antea... et avec elle de la Grande Peste de Feriel. Saskia pouvait bien repousser Aranel, à présent cette dernière ne se laissait plus démonter par les grands airs de la noble -si tant est qu'elle se soit jamais laissé démontée!. Aranel s'était assez battue pour gagner sa confiance et elle espérait bien que Saskia la laisserait faire une fois encore. Elle n'avait pas l'intention de remettre sa parole en doute. Elle n'avait pas entendue la voix d'Antea, mais Gaetan et tous les autres Compagnons oui. Et il lui avait immédiatement transmis le message. Mais on ne s'occupait pas d'un petit de Compagnon comme d'un simple poulain et celui-ci n'avait que quelques minutes. Aranel devait lui expliquer, et elles devaient pleurer ensemble avant de continuer le chemin.
-
Saskia aurait du se reprendre. Sortir, la tête haute, du pavillon où régnait cette atmosphère lourde à cause de la maladie qui étreignait les Compagnons présents, et la mort récente. Mais les bras ouverts de Aranel l'attiraient tout aussi fortement. Bien malgré elle, de nouvelles larmes barbouillèrent ses joues, et la jeune fille était bien trop épuisée, physiquement et mentalement, pour lutter. Et tant pis pour le Héraut Maria qui assistait à la déchéance de la Grande Peste ! Saskia alla se pendre au cou de Aranel, le visage contre sa poitrine.
- Aranel, j'ai échoué ! Je lui ai menti, je l'ai abandonnée, je n'ai rien pu faire !
En cet instant, Saskia aurait voulu mourir. Dieux, que son cœur la faisait souffrir ! La pauvre enfant était complètement perdue, submergée par un flots de sentiments qu'elle avait toujours refoulés, et elle s'accrochait à Aranel comme si sa vie en dépendait. Et pire que tout, elle avait l'impression d'avoir trahi Antea.
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Aranel la berça avec toute la tendresse dont elle était capable, doucement, tendrement. Elle ne la lâcha pas, le menton enfouis dans ses cheveux et les yeux clos. Ses bras l'entouraient et la soutenait. Elle diffusa doucement quelques ondes d'apaisement pour la calmer un peu.
"Non voyons, tu ne l'as pas trahie. Personne ne pouvait rien pour elle. Tu as été là pour elle, tu l'as soutenue du mieux que tu as pu et elle le savait. Tu crois vraiment qu'elle t'aurait confié son petit si elle avait pensé que tu l'avais trahie et que tu n'étais pas digne de confiance?"
Elle se laissa glisser lentement le long de la paroi de bois, entrainant Saskia avec elle pour finir par terre, la jeune fille tout contre elle, dans ses bras, dans un geste très maternel.
Le Héraut Maria n'avait pas essayé d'intervenir. Le petit était faible et il risquait l'hypothermie. Tous les poulains venaient se coller contre leur maman après leur naissance. De plus, il lui fallait le collostrum, le premier lait, pour pouvoir s'en sortir. C'était un très beau petit mâle, tout blanc, aux longues jambes et à la croupe rebondie. Ses grands yeux d'azur étaient pourtant étrangement inexpressifs et il n'avait pas encore fait entendre sa Voix. Même si les petits Compagnons n'étaient pas en état de communiquer comme leurs pairs adultes, ils restaient d'une intelligence hors du commun, même juvéniles. Celui-là n'avait pas le comportement d'un petit normal. Il était éteint, étrangement... normal.
Maria profita qu'Aranel tenait Saskia dans ses bras et qu'elles ne la regardaient pas pour prélever le précieux lait des mamelles d'Antea. Il devait boire ce lait-là. Et le plus vite possible. Elle fabriqua un biberon rudimentaire mais ne le donna pas au bébé : c'était à Saskia que ce privilège revenait. Elle se contenta de le frictionner pour le sécher totalement puis le plaça sous une lampe magique qui le tiendrait au chaud.
Un petit hennissement tira Aranel de sa torpeur. Elle desserra les bras autour de Saskia et lui sourit, lui essuyant les joues des mains. Puis elle déglutit et acquiesça une fois de la tête.
"On ne s'habitue jamais à la perte d'êtres exceptionnels, comme Antea. La maladie et cette mise bas difficile ont eu raison de son corps mais pas de son esprit. Elle est partie, mais je suis certaine qu'elle reviendra un jour. A présent, il faut que tu t'occupes de son bébé. Mais lorsque tu l'auras rassasié, il faudra le confier à une mère d'adoption. Une mère à quatre jambes qui le fera courir dans le Champ pour lui muscler les jambes, qui lui apportera du lait adapté à n'importe quel moment de la journée, et qui se serrera contre lui lorsqu'il aura froid."
La voix de Maria choisit se moment pour s'élever, à peine plus haut qu'un murmure.
"Je connais une jument Shin'a'in qui a perdu son petit il y a trois jours. Elle a du lait et c'est une bonne mère. Nous pourrions le conduire là-bas dès demain matin, lorsqu'il ne risquera plus de prendre froid."
Elle marqua une pause et pinça les lèvres, baissant la tête, désolée.
"Les Compagnons disent qu'il ne peut rester avec eux."
Aranel regarda Saskia puis Maria, sans comprendre.
"Mais, pourquoi?"
Maria tendit le petit à Saskia ainsi que le biberon dans un sourire avant de se redresser en croisant les bras.
"Parce qu'il n'est pas des leurs. Ce petit est un poulain ordinaire."
-
Saskia refuserait sans doute de le reconnaître plus tard, mais être ainsi blottie dans les bras de Aranel lui faisait un bien fou. La tristesse prenait de plus en plus d'ampleur dans son cœur et dans son esprit, pourtant, elle se sentait à l'abri de tout dans les bras du Héraut. Le hennissement du poulain la fit sursauter à son tour, et la jeune fille se sentit bête lorsque ce fut Aranel qui lui essuya les joues. Elle écouta calmement son discours, avec tout la lucidité dont elle était capable, et finit par prendre le biberon pour le donner au poulain. Voir le petit être déjà tout fou arracha un sourire à la gamine perdue.
Saskia aurait aimé garder le poulain avec elle. Tandis qu'il tétait goulument, elle lui caressait la crinière et la démêlait grossièrement de ses longs doigts fins. Elle se chercha une excuse vaine : quel effet cela ferait, de voir du jour au lendemain, la Peste DeFeriel avec un jeune Compagnon dans les écuries du Manoir ? Une jument, Shin'a'in de surcroît, était la meilleure option. Elle lui caressa le cou, et tandis qu'il finit son biberon, Saskia déposa un baiser sur son front. La jeune fille, toujours dans un état second, leva la tête vers les deux Hérauts. La surprise était imprimée sur son visage, malgré le manque total d'expression de ses yeux bleus.
- Mais ce ne peut pas être un "simple" poulain... Sa mère é... tait un compagnon. Il est blanc, et ses sabots sont argentés...
Oh, et puis, à quoi bon lutter ? Saskia n'en avait pas la force. Elle haussa les épaules et ajouta d'un vois légèrement absente :
- Mais vous devez savoir ce que vous dites...
Dieux, elle avait besoin d'une bonne nuit de sommeil. Mais arriverait-elle seulement à dormir ? Les larmes étaient fortement interdites dans l'enceinte du Manoir DeFeriel, et l'image d'Antea, toujours à ses pieds, n'étaient pas prête à s'effacer de son esprit. Saskia, le dos vouté, se leva, et caressa distraitement le poulain. Elle sortit de la terrible stalle, fit quelques pas, les yeux fermés. Après quelques secondes douloureuses, Saskia finit par carrer les épaules, se redressa, et après avoir inspiré un grand coup, elle redevint à peu prêt maîtresse d'elle-même. Elle fit volte face et regarda tour à tour les deux femmes :
- Très bien. Lowi sera élevé par la jument shin'a'in. Aranel, puis-je vous demander une faveur ? J'aimerai que le Doyen envoie la Grande Peste s'occuper des écuries quand elle aura fini avec la Bibliothèque. Comme ça, je pourrais voir et m'occuper de Lowi chaque jour. Je sais que, compte tenu des circonstances, c'est ridicule de vouloir conserver mon image. Mais j'ai besoin d'avoir des repères stables, au moins pour un temps.
Lowi. Ce nom lui était venu tout seul. Elle sourit, et son cœur fit un bond dans sa poitrine. Le poulain avait le regard rivé dans le sien. Saskia tendit la main :
- Lowi ?
Et le poulain vint loger son museau dans la main tendue, à la recherche sans doute de quelque chose à manger. Elle s'agenouilla pour être à sa hauteur et l'entoura de ses bras. Les sentiments qu'elle éprouvait pour le petit être dans ses bras étaient bien plus forts que pour n'importe quel orphelins. Car Saskia était persuadée que c'était un Compagnon, malgré les paroles de Maria. Et elle en avait la charge.
- Je t'aime, mon Lowi. Et je veillerai toujours sur toi. Promis.