Fleur était capable de palabrer sur tout, mais pas avec la même aisance à chaque fois. Aussi, quand Belinda commenta la vie sexuelle des personnes préférant le même sexe qu'eux, la jeune femme rougit et balbutia un peu:
"Vous... comprendrez que je n'ai pas de réponse à cette question, bien sûr... "
Elle préféra rebondir sur la vie libérée que menait les étudiants de certains Collegia à la vue et au su de tous, c'était un sujet plus à sa portée:
"Oui, les Hérauts ont bien le droit à notre indulgence après tout"
"Fleur!" s'offusqua Owen.
Ah, le sujet qui fâchait entre eux. Le seul qui lui donnait un peu d'éloquence face à sa jolie femme et au reste du monde d'ailleurs. On pouvait accorder à Fleur qu'elle avait beaucoup de chance de n'avoir que ce point de discorde dans son mariage, mais cela l'ennuyait beaucoup.
Elle était jeune, elle était encore assez frivole, elle était une femme... du coup, elle admirait les Hérauts, depuis son enfance. Contrairement à son époux, elle avait grandit à Haven, leur bastion. Et son père n'avait jamais critiqué leur pouvoir, jamais. Mais elle était mariée, à présent, et en théorie, elle devait suivre les opinions d'Owen plutôt que son père. Ou en donner l'impression, car dans la réalité, et personne ne s'y trompait, elle la première, c'était elle qui dirigeait leur ménage, et dirigerait l'avenir du nom des Trevale, quand ses beaux-parents disparaîtraient.
Owen n'avait pas conscience de tout ça, bien sûr, mais il ne désespérait pas la rallier à sa cause.
Et il pouvait raisonnablement espérer, car Fleur, d'un tempérament influençable comme lui, n'était pas hermétique à certaines arguments. Pas forcément ses arguments à lui, mais surtout ceux du milieu dans lequel elle entrait de plein pied, celui des nobles de Haven. Le temps, et leurs fréquentations mondaines feraient ce travail à sa place. Cela expliquait déjà les commentaires de Fleur sur la vie honteusement libérée des Hérauts malgré le crédit qu'elle leur accordait, et son opinion sur leur poids politique regrettable.
Bref, la jeune Fleur de Trevale goutait aux milliers de nuances de la politique avec encore beaucoup de maladresse.
Elle adressa un sourire séducteur à son époux qui fit la moue mais, sagement, ne rajouta rien. Pas d'éclat en société, elle l'avait bien chapitré là-dessus. Le débat houleux, ce serait pour plus tard, chez eux.
Elle rebondi sur la suite du commentaire de Dame Belinda:
"Vingt-six ans et toujours vierge? C'est curieux, vraiment... Eux qui parcourent le pays pour y chanter souvent l'amour... Une exception pour confirmer la règle, je suppose."
Quant aux guérisseurs, étant donné la santé fragile d'Owen, elle en voyait beaucoup et n'avait pas grand chose à leur reprocher si ce n'est:
"Le problème des guérisseurs est leur détestable manie à se sentir supérieur grâce à leurs compétences, surtout face à des personnes qui ont besoin de leur aide!"
Là, elle pensait aux nombreux Verts qui avaient conseillé à Owen d’arrêter de s’empiffrer toute la journée, lui qui trouvait dans la nourriture un tel bonheur. Le pire ayant surement été celui qui lui avait conseillé, pour sa santé, de se dépenser en plein air en faisant de l'équitation. Elle se souvenait encore de l'épouvante de son époux qui avait maudit le maladroit guérisseur.
Mais on ne parlait pas en public de la célèbre phobie d'Owen de Trevale, aussi, Fleur n'insista pas et réagit plutôt à l'analyse de son hôte sur les surnoms en général:
"C'est vraiment très bien dit Dame Belinda, vous avez tout à fait raison, les grandes qualités n'ont pas besoin d'être soulignées, elles sont évidentes chez ceux qui en sont pourvu."
Mais le sujet des Héraut revint sur le tapis, fort heureusement pour Owen, ce ne fut pas pour en dire du bien et il acquiesça:
"Quelle naïveté, oui!"
Cette remarque dans sa bouche avait de quoi faire rire, mais bien entendu, personne ne le fit. Fleur se contenta d’encenser le Roi, comme tout courtisant qui se respecte.
"Notre pauvre Roi est bien seul, oui, on ne peut que lui souhaiter avec des conseillers à sa hauteur, votre époux par exemple."
Il ne fallait toutefois jamais oublier de flatter aussi son interlocuteur quand on le pouvait!
La rencontre tirait à sa fin et Fleur se leva avec grâce pour remercier son hôte:
"Votre bavardage comme vous l'appelez ne sera jamais ennuyeux pour moi, et nous sommes encore plus heureux que vous nous ayez fait l'honneur de nous recevoir, on ne saurait avoir plus importante distinction dans notre société, n'est-ce pas mon ami?"
Owen regarda sa femme, et après une seconde d'absence, répondit:
"Tout à fait, et vous avez le don de savoir recevoir!"
Savoir recevoir voulait dire pour lui proposer une collation généreuse et goûteuse, ce qui avait été le cas. Il se leva et salua avec sa lourdeur naturelle Belinda. Fleur fit aussi une révérence, mais beaucoup plus élégante.
"Nous sommes attendus chez mon père pour le diner, je lui raconterai quelle délicieux après-midi j'ai passé en votre compagnie."
Sur ce, elle attendit qu'on lui ramène sa cape.