Les longues phrases étaient compliquées pour quelqu'un comme Owen. Tout naturellement, il resta silencieux plus longtemps que la normale, le temps pour lui d'assimiler le sens de la remarque que lui fit Dame Belinda. L'ennui, c'est que dans ces cas là, il arborait une expression... éteinte. Comme si il s'était mis en veille. Pourquoi elle lui disait qu'il était délicieux? Il n'était pas une pâtisserie!
"J'aime beaucoup Trevale, oui, c'est joli"
C'est joli... Owen parlait souvent avec autant de vocabulaire qu'un enfant. Cela amusait beaucoup sa femme d'ailleurs.
Celle-ci sourit à la remarque de son hôte:
"Trevale est un endroit délicieux, vraiment, mais vous savez raison, je préfère l'agitation de la ville. Il y a tellement à y apprendre! Et j'ai appris une foule de chose depuis mon retour, que de choses ais-je manqué!"
Sur l'invitation de Dame Belinda, Fleur s'assit dans un fauteuil confortable, indiquant le siège voisin à Owen où celui-ci s'installa docilement. D'autant plus qu'il gardait l'oeil sur la nourriture qu'on lui proposait si gentiment. La perspective de manger lui arracha un compliment pas trop mal tourné, pour une fois:
"Ce serait très courtois de votre part, merci."
Quant à Fleur, elle suivit le régime de Belinda, bien évidemment. Ce serait tellement mal élevé de la part d'une femme de s’empiffrer dans un salon luxueux! Et comme elle avait conscience d'avoir manqué de politesse précédemment, elle en profita:
"Vous avez entièrement raison, et je vais suivre votre exemple, car vous me voyez dans l'obligation de vous dédire, vous êtes une femme magnifique, un modèle pour les femmes comme moi!"
Voilà, un compliment bien tourné pour amadoué son interlocutrice, qui, de toute façon, n'avait pas l'air de devoir être suppliée pour se montrer bavarde.
Elle but quelques gorgées de son thé, pendant qu'Owen dévorait son assiette. Fort heureusement, si la plupart du temps son mari était un très mauvais élève, Fleur avait réussit à lui inculquer quelques leçons de savoir-vivre à table. Du moins, il y avait un léger mieux.
"Ma vie à la campagne?"
Passer toutes ces décades à Trevale avaient été d'un ennui sans fin, après les premières à découvrir son nouveau rôle. La campagne, ce n'était pas fait pour elle. Sa famille possédait un manoir dans un coin reculé du pays, histoire de dire qu'il avait un bien à la campagne, mais aucune terre. Elle avait grandit à Haven, alors le bucolique, ça allait, mais pour un temps seulement. Bien sûr, si c'était une chose que son hôte avait compris, elle ne pouvait tout simplement pas le dire à voix haute. Et puis, Owen aimait beaucoup Trevale, c'était son monde, son enfance de laquelle il n'était jamais vraiment sorti.
"Comme je vous disais, Trevale est un endroit charmant, nous y avons passé une délicieuse lune de miel, n'est-ce pas mon ami?"
Owen regarda sa femme avec étonnement, la bouche pleine. Puis il acquiesça, puisque visiblement, c'est ce qu'elle attendait de lui. Il mangeait pour deux, elle pensait pour deux, un mariage équitable.
"J'ai pu mettre à l'épreuve l'apprentissage que l'on m'a inculqué depuis ma naissance, mon futur rôle, celui de maîtresse d'un domaine, grâce à l’extrême bienveillance de mes beaux-parents, c'était passionant!"
Et ce n'était pas un mensonge. Fleur s'était bien rendu compte qu'une fois ses beaux-parents disparus, elle serait la maîtresse d'un immense domaine riche et prospère, et toute cette perspective de pouvoir et bien... cela avait un grand attrait sur un esprit aussi jeune et épris de liberté que le sien.
Il fut heureux que Belinda change de sujet car la jeune femme n'avait pas vraiment autre choses à ajouter sur son séjour à Trevale. Elle s'y était marié, et y avait appris à connaître son mari, et, avant même ses devoirs de maîtresse de domaine, ses devoirs de femme mariée. A la grande joie d'Owen, Fleur s'était révélé une femme au tempérament lascif que le devoir conjugal état loin de répugner. Bien sûr, elle n'avait pas, et n'aurait jamais, de point de comparaison. Mais son mari, s'il y avait peu de domaines dans lesquels il se distinguait, s'en sortait plutôt bien. Et cela avait créée des liens supplémentaires entre eux.
L'idée d'échanger des potins la fit donc se dandiner sur son fauteuil.
"Ouiiii, bien évidemment, je l'ai su rapidement. La mort du Héraut Aranel n'est pas passé inaperçue vous pensez!"
Fleur ne releva pas la remarque sur les Hérauts. Sur ce point, elle restait prudente, et en désaccord avec Owen. Son père avait toujours accepté l'autorité ancestrale de Valdemar, celle d'un Roi Héraut, et, immuable, il avait conservé sa place au Conseil, ce qui n'était pas le cas des De Feriel par exemple. C'était un terrain dangereux sur lequel elle ne s’aventurait pas, pour le moment.
En revanche, Owen réagit au quart de tour. Une femme honorable, qui lui offrait de bons gâteaux et détestait les Hérauts? Sa nouvelle meilleure amie!
"Je suis entièrement d'accord avec vous Dame Belinda, entièrement d'accord! Des hommes partageant leur tête avec des chevaux pensants, a-t-on déjà vu quelque chose de si absurde chez nos voisins?!"
Il avala une autre bouché de gâteau et continua:
"Non, bien sûr que non, c'est totalement ridicule!"
Fleur posa sur son mari un regard neutre et essaya de dévier la conversation:
"Savez-vous qu'on raconte que ce nouveau Héraut du Roi, quel est son nom déjà..?"
"Alemdar" récita de façon automatique Owen.
"Alemdar, oui, merci. Bref, on raconte qu'il fréquente... la Doyenne des bardes!"