« Eh bien... C’est une future Héraut. A la base elle était venue me voir pour une clavicule cassée, et finalement je me suis retrouvée à pleurer comme un veau sur son épaule. Cela faisait quelques jours déjà que je savais être enceinte, je ne n’arrivais pas à savoir que faire. Tu sais, j’aurais pu... m’en débarrasser, du bébé. Pour les Guérisseurs, c’est très facile. Parfois nous devons le faire. Quand une grossesse présente trop de risques, quand l’enfant est mal formé... Et puis, Isabeau semblait tellement convaincue que je devais avoir cette enfant. Au fond de moi, je pense que j’avais juste besoin d’en parler pour l’accepter. Bref... Du coup, j’ai décrété qu’elle serait marraine, vu qu’elle s’était déjà tant soucié de mon bébé alors qu’il faisait la taille d’un têtard.»
Thalyana écouta attentivement les explications de sa mère. C’était ce qu’elle avait imaginé. Heureusement, elle ne semblait pas souffrir des mêmes soucis, vu qu’elle était tombée facilement enceinte, et que le bébé était bien accroché. Elle espérait que l’accouchement se passerait sans trop de peine, mais avec une horde de Guérisseurs à portée de main, il y avait une chance infime que cela se passe mal.
«Je sais bien, maman. Mais ce n’est pas une excuse pour se ridiculiser en public...»
Thalyana était légèrement vexée qu’on parle de mariage sans même la consulter, comme une pouliche qu’on vendait sur le marché. Elle eut envie d’intervenir pour les envoyer paître, père comme amant, mais s’abstint. Elle eut le plaisir de constater que sa petite intervention avait porté ses fruits. Son père se radoucissait un peu. Il semblait enfin prêt à ranger ses griffes et à se comporter en ours civilisé.
Elle rosit à la description flatteuse que Kalaïd fit d’elle. Détermination? On l’avait souvent qualifiée de bornée, de têtue comme une mule, mais de déterminée plus rarement. Et à défaut de plaire au père, il avait très certainement charmé sa mère. La complimenter ainsi ne pourrait que la ravir.
« Allez Papa, viens ici.» Elle tendit la main pour le tirer à elle. « Viens dire bonjour...» Elle lui posa d’autorité la main sur son ventre. Le bébé semblait se calmer un peu maintenant, mais continuait de gigoter.
Elle sourit à Kalaïd et à sa mère, profitant de ce petit instant de grâce.
« De toute façon, qu’importe la manière et le prétendant, il aurait râlé. Et moi, je t’aime bien mal rasé, Kal. Ça donne l’impression que tu reviens encore et encore d’une longue campagne. Ça me rappelle quand on s’est connu.»
L’orage semblait passé, loup et chien avaient cessé de se dévisager. Thalyana poussa un petit soupir de soulagement. Quelle histoire. Elle aurait pensé que son père apprécierait qu’elle ait ‘‘choisi’’ un soldat pour compagnon. Il ne jurait que par les armes, les batailles, les compagnons d’armes. Choses qu’il avait en commun avec Kalaïd. Elle supposait que son père finirait par l’accepter, même par l’apprécier, quand il aurait enfin digérer qu’on lui ait ‘‘volé’’ sa fille.
Kalaïd se pencha sur elle pour lui glisser des mots à l’oreille.
« Tu me consultes quand même? Ça me rassure. A vous entendre, je n’avais pas mon mot à dire...» Elle sourit et continua à vois basse. « Je suis désolée pour tout ça... j’avais oublié à quel point mon père peut se comporter comme un ours mal léché parfois. Et j’avais oublié comme la capitale est en avance sur la campagne, concernant l’évolution des moeurs. Mais ne t’inquiète pas. Ma mère se chargera de l’adoucir. On dirait pas comme ça, mais elle est sacrément douée pour manoeuvrer mon père...» Elle lui déposa un baiser sur la joue. «Merci de ne pas l’avoir envoyé au trou, même s’il l’a bien cherché.»
Dans son ventre, la petite semblait enfin calme. Elle s’était probablement rendormie, maintenant que l’ambiance s’était radoucie. Thalyana prit la main de son père dans la sienne, sa grosse patte dans la sienne, si petite en comparaison. De l’autre, elle prit celle de Kalaïd. Elle avait besoin de ce contact, encore et encore. Comme les cygnes, ils dépérissaient loin de l’autre.
« Tu sais qu’il m’a appris à me battre? Ce que tu avais commencé à m’apprendre, il l’a terminé? Maintenant je manie bien le couteau et la dague, même si je doute d’être capable de m’en servir le moment venu. Tu sais qu’il m’a sauvé, une fois, alors que je soignais quelqu’un? Un Guérisseur, dans certains cas, se met en danger quand il guérit. Et lui a senti venir le danger et m’a protégée. Mon mentor m’a dit que j’aurais pu mourir, ce jour-là. Je n’étais pas formée à faire ce que j’ai tenté. Mais la situation ne m’a pas permis d’attendre que quelqu’un de plus qualifié arrive. Dis, papa, pour moi, tu crois que tu pourrais tolérer Kalaïd, à défaut de l’aimer?»