Saskia était dans les jardins du palais, à croquer de nouvelles tenues qu'elle pourrait confectionner. La mode venait à la flanelle, et elle en faisait des jupes accordées aux nouvelles bottes de cuir blanc qui venaient d'arriver sur le marché. Au moins, la jeune fille n'avait pas perdu ce goût à la couture, quand toutes les autres activités que sa Noble fonction exigeait la barbaient au possible - et ça incluait la maltraitance des autres apprentis du Collegium.
Elle finissait l'esquisse d'une jupe droite lorsqu'une voix lui murmura à l'oreille, cette voix qui la hantait depuis la mort du Compagnon Antea. Saskia ne sursautait même plus, trop habituée à l'entendre. Pourtant, cette fois, la voix état glaciale, présage de mauvais augure. La jeune fille releva les yeux de son carnet de croquis ; et le Glas sonna.
Saskia ne se souciait d'aucun Héraut en particulier ; par le passé, cette cloche ne lui faisait strictement rien ; elle était de corvée de prière avec ses parents, qui avaient au moins la décence d'adresser une prière aux morts, quand bien même la Baronnie DeFeriel était formellement contre le pouvoir donné aux Hérauts, et se croyait au-dessus des ordres donnés par ces paysans. Pourtant, cette fois, elle bondit sur ses pieds, abandonnant ses affaires sur place. Parce qu'il y avait deux Hérauts qui avaient sa toute confiance, qui avaient pris le temps de briser la carapace de la Peste de Haven ; et que de ces deux hérauts, l'un d'eux partageait une maladie pour l'instant incurable avec son Compagnon. Elle entra en trombe dans le Palais, passant outre le contrôle réglementaire des Gardes postés à l'entrée - QUI ne connaissait pas la Grande Peste de Haven ? - elle essaya pourtant de se faufiler discrètement jusqu'à la suite de l'Héritier... Qu'elle trouva vide. Ses jambes tremblèrent, elle se laissa glisser le long de la porte. Mais au lieu de se laisser terraser par un chagrin qui n'avait peut-être aucune raison d'être, Saskia se releva, sortit tout aussi rapidement, pour aller vers le Champs des Compagnons. Elle ralentit en voyant le rassemblement d'uniformes Gris et Blancs, avec quelques rares touches de couleurs.
Et toute sa tension disparut en entendant la voix aimée faire un petit discours. La Noble demoiselle se fichait pas mal de savoir qui était le Héraut mort ; il ne s'agissait ni d'Aranel, ni d'Arthon, et pour elle, c'était le principal. Saskia ne vit le Héraut du Roi nul part, et sentit malgré la situation les regards sur elle ; ceux des Hérauts qui ne comprenaient pas ce qu'elle faisait là ; ceux des Apprentis qui détestaient celle qui les avait maltraités avec sa petite bande. Ils ne pouvaient pas savoir qu'elle avait changé, et elle ne voulait pas qu'ils le sachent, de toute façon. Quelle idiote ! Elle aurait du prendre quelque chose à mettre sur sa tête pour qu'on ne la reconnaisse pas ! Pourtant, elle fit le tour du groupe, jusqu'à voir l'Héritier, tout en restant en retrait : Dieux, il avait l'air si épuisé ! Pourtant, l'approcher n'aurait fait que lui apporter davantage de soucis. Alors Saskia prit une tête de circonstance, et s'éloigna du Champs après avoir été sûre que Arthon l'avait vue.