
Liselle, ménestrelleDu côté de l'orchestre, tout se passait bien. Liselle était ravie de l'ensemble qu'elle était parvenue à mettre sur pied. Seul bémol, le luthiste semblait parfois oublié qu'il n'était pas seul sur scène s'emportait, en entraînant les autres musiciens. Heureusement pour tout le monde, personne à part un musicien très entraîné n'aurait pu remarquer la chose. Liselle profita néanmoins d'une pause entre deux airs pour aller le rappeler à l'ordre.
«
Je te rappelle que j'ai accepté que tu viennes à la condition que tu restes à ta place...»
«
Je sais, Liselle. Mais tu sais, ce n'est vraiment pas évident de contenir... mes élans. Je fais de mon mieux...»
«
Je le sais, Ronan... mais fais attention. Et si c'est trop fatigant, fais une pause, et nous jouerons des airs où ton instrument ne manquera pas de trop.»
«
Non, non, je vais... me contenir.»
«
Ok... je te fais confiance, alors.»
Les autres musiciens étaient de retour, la musique allait bientôt reprendre.
⁂
PNJ: Firen, Barde
Firen avait été très vexé de ne pas être invité au mariage de Micha. N'avait-il pas été le Barde de la famille de Girier jusqu'à ce que ce petit poseur de Raimon d'Armentières intrigue pour l'éloigner? Il n'avait aucune preuve, mais il était persuadé que c'était cet arriviste d'Yvelin qui avait manigancé pour l'évincer. En vain, vu qu'il n'avait pas été engagé par la famille de Girier. Ce qui n'avait absolument pas surpris Firen. Yvelin était un Barde médiocre. Certes, ses petites ritournelles étaient intéressantes, mais son goût pour la musique surannée était le signe d'un manque de sophistication flagrant. Et franchement, même avec beaucoup d'imagination, il ne parvenait pas à comprendre que quiconque puisse vouloir coucher avec lui. Il avait de beaux yeux, mais pour le reste...
Il avait bien tenté de faire courir quelques rumeurs déplaisantes sur le jeune Barde, mais celui-ci semblait toujours avoir une longueur d'avance sur lui. Quand il avait essayé de le faire passer pour un arriviste prêt à tout pour se faire une place au soleil, on disait déjà partout qu'il était le Barde préféré des vieilles bourgeoises un peu esseulées. Et personne ne semblait intéressé par des ragots sur sa sexualité. Yvelin, dans l'esprit de la plupart, était un être asexué qui ne vivait que pour sa musique.
Firen avait donc abandonné le combat, pour un temps. Et dès l'annonce du mariage, il avait réfléchi à un plan pour ridiculiser Micha et Yvelin. Il savait que ce dernier était en charge de la musique du mariage. Il l'avait observé fouiller les partitions avec la jolie ménestrelle qui lui servait toujours de laquais. Il comptait bien dévoiler sa médiocrité sur la place publique! Quant à Micha... ce serait amusant.
Firen se joignit aux convives alors que le bal battait son plein. Il avait pris soin d'éviter soigneusement les membres de la famille de Girier et s'était avancé jusqu'à l'orchestre. Quelle déception se fut pour lui de réaliser qu'Yvelin n'était pas là, que c'était cette petite poseuse de Liselle, avec un ensemble de ménestrels bouseux, qui animaient le bal. Humilier Yvelin n'était donc plus d'actualité, mais sa meilleure amie ferait l'affaire.
L'orchestre fit une pause. Parfait. Il était temps de mettre son plan à exécution. Liselle, en pleine discussion avec un ménestrel blond (
*Quels beaux cheveux! Visage intéressant! Je me demande si...*) ne le vit pas approcher et prendre place sur le podium.
«
Mes Dames, mes Seigneurs, je voudrais dire quelques mots...» Il offrit aux spectateurs son sourire le plus radieux et le plus charmant. «
Ahh... l'Amour! si insaisissable et pourtant si célèbre! Combien de guerres a-t-il provoqué? Combien de jeunes gens a-t-il réjoui? Combien de cœurs a-t-il brisé? Combien de chansons a-t-il inspiré? L'amour, dames et seigneurs, est le sujet de prédilection des musiciens depuis que l'homme sait chanter. C'est un ritournelle connue de tous, et dont les variations sont infinies. Qu'on la pratique en monodie parfaite ou en polyphonie raffinée, agrémentée de contrepoints, de modulations, de doubles, chaque cœur la connait et le reconnait. L'oreille exercée en reconnait les différentes formes : passacailles, chaconnes, musettes, menuets, passepieds, gigues, loures, sarabandes. Mais les cœurs eux se rient de ses différences et dansent dans l'insouciance, mus par l'instinct sûr de celui qui ne doute pas.» Il fit une petite pause dramatique «
L'Amour, belles âmes, est ce qui nous rassemble ici. L'amour d'un père ou d'une mère, qui, telle la basse continue, offre à son enfant un foyer solide et aimant où retourner quand, dans ses envolées lyriques, il s'égare au gré des notes. L'amour entre deux amis, deux frères qui, comme le hautbois et le luth, dialoguent en égaux. L'amour enfin entre deux âmes qui nous offre les contrepoints les plus magnifiques, les variations les plus délicieuses, où deux violes se cherchent et s'évitent, où leur mélodie de croisent, se lient, se séparent et finalement créent ensemble la plus belle des musiques. C'est à cet amour que je voudrais rendre hommage.» Il leva son verre. «
Puissent vos partitions, Micha et Kateerid, toujours concorder.»
La foule applaudit bruyamment. Firen était persuadé que personne ou presque n'avait compris son discours. Mais sa voix de Barde, chaude et travaillée, ses talents d'orateur, sa beauté, tout cela rendait son discours inoubliable.
«
Ceux qui me connaissent savent que je me suis donné pour mission de célébrer l'amour. Aussi, charmé que je le suis par celui qui unit Micha et Kateerid - une amitié si forte qu'elle a su se défaire de tous les obstacles pour grandir et devenir Amour - je me dois de leur offrir un présent à la hauteur de leur amour. Moi... ou plus précisément, mes talents de Barde! Je leur offre de devenir leur Barde attitré, de consacrer mon talent et mon temps à écrire des musiques à la hauteur de leur couple!»
Des "ooohhh" et des "aaahhh" parcoururent la foule. Comment décliner publiquement une telle offre? C'était impossible. Pas sans faire de scandale. Pas sans révéler pourquoi ils refusaient son cadeau. S'ils essayaient, Firen comptait bien révéler les petits secrets de Micha.
⁂
PNJ: Ronan, Ménestrel (?)
Ronan s'était senti mortifié quand il avait réalisé qu'au cours d'un ou deux morceaux, il s'était laissé aller. Il jouait un jeu très dangereux et le moindre faux pas pourrait le révéler aux yeux de tous. Or, s'il ne regrettait pas d'être venu, il ne voulait pas mettre Liselle dans l'embarras. Pas après qu'elle ait si gentiment accepté son offre.
Liselle ne tarda pas à venir lui remonter les bretelles. Et il le méritait. Il lui promit de faire attention. Il s'apprêtait à reprendre sa place quand une voix forte se fit entendre derrière lui.
Firen! De quel droit osait-il s'inviter à ce mariage!
Ronan l'écouta, chaque minute plus consterné par le discours du Barde. Il lança à Liselle un regard paniqué. Jamais il ne pourrait égaler une telle éloquence...
Et le cadeau de Firen qui était en fait un piège. Comment les mariés pourraient-ils se sortir de là? Ce serait une véritable offense à la bienséance s'ils refusaient. Et s'ils le limogeaient par la suite, quel scandale cela provoquerait!
Il devait faire quelque chose. Mais quoi?
«
Quel magnifique cadeau!»
Il avait le cœur au bord des lèvres, mais sa voix, parfaitement habituée à fonctionner même enrouée par un trac profond, résonna parfaitement.
«
C'est que vous m'avez pris de vitesse, noble Barde, je comptais moi-même offrir mes services aux mariés dès que l'occasion se présenterait!»
Ce qui était un énorme mensonge. Il était là incognito et il prenait un risque inconsidéré en attirant l'attention sur lui. Heureusement, à cette distance, personne ne pourrait l'identifier.
«
Toi?» Le ton était un rien méprisant, amusé surtout. «
Ménestrel, je crois que tu présumes de tes droits.»
«
Ménestrel? Je suis Barde, et je peux le prouver.» Il se tourna vers la foule. «
L'agilité de ma langue ne saurait tenir la comparaison avec celle de messire Firen. Je ne suis qu'un jeune Barde qui souhaitait offrir ses talents, certes moins renommés mais non moins nombreux, aux mariés. Je ne ferai aucun grand discours sur l'amour, car, à mes yeux, l'amour se passe de belles déclarations. L'amour se niche dans les mots du quotidien, dans les gestes partagés, dans les sourires, les silences, on l'entend dans le bruit des draps froissés, on le perçoit dans la douce odeur d'une gaufre chaude, on l'effleure sur les motifs d'une tunique...» Il laissa mourir sa voix. Et il réalisa subitement qu'en parlant avec son cœur, il en avait trop dit sur lui-même. Il se força à ignorer le regard que son amant lui lançait forcément et continua. «
Je ne pense pas que l'amour mérite des mots savants ni des mélodies sophistiquées. La mélodie de l'amour est aussi douce et simple que le bruit de la pluie dans la gouttière, que le murmure du vent dans l'herbe, que le chant des insectes dans les prés. L'amour n'a nul besoin de hérauts, car il arrive partout inopinément, prenant jeunes et moins jeunes, hommes et femmes par surprise. Il porte en lui-même sa propre histoire, ses propres aventures, et les raconter, c'est risquer de le priver de son aura de magie.» Il adressa un sourire radieux à la foule. «
Non, bonnes âmes, un Barde est inutile pour parler d'amour, car vous avez tous, au fond de vous, la plume pour coucher ses mots.» Il se tourna vers le couple fraîchement marié, mais regarda au-dessus d'eux. «
Je ne promets nul récit épique pour raconter votre amour, nulle saga pour porter votre légende. Je vous offre le chant de la vie, du quotidien, de l'amour du travail bien fait, de la peur, de la peine, des enfants qui naissent et grandissent, des aînés qui vieillissent et se fanent. Je vous offre un air pour chaque étape de votre vie, une mélodie pour chaque rêve, une danse pour chaque réjouissance.»
Le silence se fit dans la foule. Puis quelqu'un commença à applaudir, et tous suivirent le mouvement. Ronan s'inclina, peinant à cacher l'immense sourire qui s'étalait sur son visage.
*Prends ça, Firen!*Liselle s'avança et fit taire la foule.
«
Serait-ce un défi que vous lancez, Barde Ronan?» Il acquiescça. «
Un défi de Bardes a été lancé, Firen, vous êtes tenus de de le relever sous peine de perdre la face.» Firen fit signe qu'il acceptait. «
Je tiendrai lieu d'arbitre impartial et je choisirai les modalités du duel.» Elle réfléchit quelques instants. «
Mais puisque nous sommes à un mariage, et qu'il s'agit de rester dans un esprit festif, je laisserai la foule décider du thème sur lequel vous vous opposerez. Je vous donnerai un thème musical et chacun à tour de rôle devra proposer un couplet. Si la première chanson ne devait ne pas être suffisante pour vous départager, une seconde épreuve, consistant en une improvisation sur un air connu, sera organisée.» Elle se tourna versa la foule. «
Je passerai parmi vous pour prendre notre de vos idées de thèmes, et la plus populaire serait utilisée pour le défi.»
Elle fit signe à l'orchestre de reprendre et tira Ronan à l'écart.
«
Tu es complètement fou! D'accord, tu arrives à parler en contrefaisant ta voix, mais chanter?!?!»
«
Je ne pouvais pas le laisser faire ça! Et les gens ne voient que ce qui les arrange. En plus, je t'assure qu'il ne dira rien, s'il m'a reconnu.»
«
D'une certaine manière, tu es encore plus cinglé que Firen!»
[ Merci de préciser le thème que vous donnez à Liselle lors de votre prochain post.]