Chandétoile n’avait pas changé autant qu’on pouvait le croire, elle tentait de faire de son mieux, mais à seize ans, avec tous ses changements, le manque de sommeil, elle devait jongler avec beaucoup de choses. Sa résistance, sa volonté et surtout l’habitude des situations tendues l’avaient aidé à tenir. Mais que la capitaine vienne la voir, et devant tous la rabrouent de suivre les ordres, elle avait laissé percer un peu d’agacement. Elle savait que tout le monde était fatigué, sans doute plus qu’elle, mais elle n’avait pas eu de vraie bonne nuit de sommeil depuis la mort de sa mère. À son arrivé à Haven, elle avait simplement essayé de récupérer de son voyage forcer de trois jours et de tout ce qui était arrivé et elle avait tenté de s’isoler pour réfléchir et se refaire des bases, se trouver réellement. Et les Dyhelis étaient arrivés. Puis, on lui avait confié la responsabilité de la fête du solstice, pour partir le lendemain. La jeune femme, malgré toute sa détermination, n’avait pas réussi à se prendre une bonne base et elle était complètement seule. On attendait d’elle beaucoup, presque trop. Elle avait toujours été bonne pour tout ce qu’on lui enseignait, mais elle n’avait jamais eu personne qui dépendait d’elle. Elle passait ses nuits à parcourir le camp pour être sur que tout allait bien, avant de prendre quelques heures de sommeil sur le bord du feu, pour être disponible si on avait besoin. Quand on la sollicitait, elle était toujours disponible, elle tentait d’éviter le plus de travail possible au divers capitaine, mais elle commençait à approcher de sa limite et chaque fois qu’elle avait un peu de temps pour elle-même, quelques choses arrivaient et l’empêchaient de faire le point.
Elle commençait à se rendre compte à quel point elle était à la limite de ce qu’elle pouvait endurer malgré sa vie d’aventure, malgré tout ce que sa mère avait tenu à lui faire vivre, parce qu’elle n’avait fait qu’effleurer se genre de vie. Avant, elle n’avait jamais vraiment compris la guerre, elle voyait plutôt la liberté de sa vie et n’avait jamais vraiment compris la mort, qui lui avait semblé normale, tant elle l’avait côtoyé souvent. La mort de sa mère, puis cette guerre était en train de la changer plus vite qu’elle ne pouvait l’absorber, sans un peu de temps pour le faire. Et le seul qu’elle avait eu était devant la tombe des enfants. Elle n’avait aucune expérience de ses changements, et elle était encore dans l’adolescence, sans plus personne à qui s’accrocher, sans amis autres que son félin et sans allié véritable. Voyant plutôt son capitaine comme une figure lointaine envers qui elle avait une dette. Pour elle, il représentait sa nouvelle vie et Valdemar, elle n’aurait jamais pensé aller le voir pour lui confier ce qu’elle vivait. Elle devait donc le garder pour elle.
Elle fut donc sur le point de s’excuser au capitaine juste après sa tirade, mais se retint. Elle ne pouvait passer son temps à s’excuser. Elle avait encore fait une erreur et elle l’assumerait. Elle se retint de se pincer le nez, qui serait une autre marque de faiblesse. Cette campagne et cette nouvelle vie, elle le sentait dans son cœur et son âme, étaient son destin. Elle sentait qu’elle finirait par se trouver sur ce chemin et surtout, elle sentait qu’on avait vraiment besoin d’elle, qu’elle pouvait être à sa place. Mais en même temps, elle avait l’impression que tout lui glissait des doigts et qu’elle n’arrivait pas à faire ce qu’on attendait véritablement d’elle.
À la réponse du capitaine, elle fut sur le point de lui balancer sa frustration en pleine figure, mais se retint. Ce n’était pas la façon de faire. Ce n’était pas parce que la capitaine avait tenté de la provoquer qu’elle devait entrer dans son jeu. C’était sans doute un test, car la femme avait beaucoup plus d’expérience qu’elle et elle avaient connu sa mère, qui l’avait sincèrement apprécié. Elle devait faire cela pour l’aider, même si elle ne voyait pas en quoi. Elle se mordit plutôt les lèvres et ne répondit rien. Se retenant de monter la migraine qui commençait à poindre, elle salua plutôt.
« Oui capitaine. »
Elle avait fait de son mieux pour ne pas montre ses états d’âme, mais cela avait donné un ton plutôt vide. Elle n’avait pas demandé son grade, il lui était tombé dessus, mais elle souhaitait sincèrement de pouvoir aider, faire des suggestions et décharger les capitaines des tâches subalternes pour qu’ils puissent se concentrer sur ce qui importait vraiment. Mais elle n’était pas du genre à tenir rancœur si on la destituait de son grade. Elle avait cru que Beltran le ferait quand elle avait échoué à sa première mission officielle.
« À vos ordres. »
Il y avait de la tristesse dans sa voix, mais pas beaucoup parce qu’elle l’avait retenu. Elle croyait et voyait sincèrement dans cet ordre une punition. Si on la relevait, c’était parce qu’elle n’était pas à la hauteur. Elle n’en montra rien, cela ne servirait personne, ni les soldats qui pouvaient les observer, ni elle, ni Élia qu’elle montrer ses sentiments. Son visage se ferma encore plus. Elle vit Beltran arrivé et elle se demanda jusqu’à quel point il avait suivi la conversation, et comme elle ne pouvait rien voir sur son visage, elle se demanda fugacement ce qu’il ferait d’elle. Elle savait qu’elle n’était pas celle qu’il avait attendue ou crut qu’elle était. Tout cela la dépassait. Elle ne s’était jamais réellement battue par conviction. Elle s’était toujours fiée à sa mère pour choisir les combats et maintenant que cela important vraiment, elle se sentait terriblement insignifiante. Quand elle aurait le temps, elle se rendrait compte qu’elle était seulement humaine, qu’elle ne pouvait pas être parfaite et elle finirait par apprendre à mieux doser son énergie et à mieux l’employer comme meneuse d’hommes. Et elle ne serait plus autant à cran et regagnerait aussi son estime personnelle qui en avait pris un coup depuis qu’elle avait rencontré le Seigneur de Greenhaven.
Elle s’inclina devant Beltran et se tourna vers Kley.
« Si vous voulez bien me suivre, je vais vous montrer votre tente de donnée des ordres pour votre monture. Je vous montrerai où vous pouvez vous restaurer et je répondrai au plus de questions possible. »
Elle se montrait honnête, elle ne pourrait pas répondre à toutes ses questions. Elle lui devait au moins cela, pour l’accueil qu’on lui réservait, sécurité oblige.