Saskia refuserait sans doute de le reconnaître plus tard, mais être ainsi blottie dans les bras de Aranel lui faisait un bien fou. La tristesse prenait de plus en plus d'ampleur dans son cœur et dans son esprit, pourtant, elle se sentait à l'abri de tout dans les bras du Héraut. Le hennissement du poulain la fit sursauter à son tour, et la jeune fille se sentit bête lorsque ce fut Aranel qui lui essuya les joues. Elle écouta calmement son discours, avec tout la lucidité dont elle était capable, et finit par prendre le biberon pour le donner au poulain. Voir le petit être déjà tout fou arracha un sourire à la gamine perdue.
Saskia aurait aimé garder le poulain avec elle. Tandis qu'il tétait goulument, elle lui caressait la crinière et la démêlait grossièrement de ses longs doigts fins. Elle se chercha une excuse vaine : quel effet cela ferait, de voir du jour au lendemain, la Peste DeFeriel avec un jeune Compagnon dans les écuries du Manoir ? Une jument, Shin'a'in de surcroît, était la meilleure option. Elle lui caressa le cou, et tandis qu'il finit son biberon, Saskia déposa un baiser sur son front. La jeune fille, toujours dans un état second, leva la tête vers les deux Hérauts. La surprise était imprimée sur son visage, malgré le manque total d'expression de ses yeux bleus.
- Mais ce ne peut pas être un "simple" poulain... Sa mère é... tait un compagnon. Il est blanc, et ses sabots sont argentés...
Oh, et puis, à quoi bon lutter ? Saskia n'en avait pas la force. Elle haussa les épaules et ajouta d'un vois légèrement absente :
- Mais vous devez savoir ce que vous dites...
Dieux, elle avait besoin d'une bonne nuit de sommeil. Mais arriverait-elle seulement à dormir ? Les larmes étaient fortement interdites dans l'enceinte du Manoir DeFeriel, et l'image d'Antea, toujours à ses pieds, n'étaient pas prête à s'effacer de son esprit. Saskia, le dos vouté, se leva, et caressa distraitement le poulain. Elle sortit de la terrible stalle, fit quelques pas, les yeux fermés. Après quelques secondes douloureuses, Saskia finit par carrer les épaules, se redressa, et après avoir inspiré un grand coup, elle redevint à peu prêt maîtresse d'elle-même. Elle fit volte face et regarda tour à tour les deux femmes :
- Très bien. Lowi sera élevé par la jument shin'a'in. Aranel, puis-je vous demander une faveur ? J'aimerai que le Doyen envoie la Grande Peste s'occuper des écuries quand elle aura fini avec la Bibliothèque. Comme ça, je pourrais voir et m'occuper de Lowi chaque jour. Je sais que, compte tenu des circonstances, c'est ridicule de vouloir conserver mon image. Mais j'ai besoin d'avoir des repères stables, au moins pour un temps.
Lowi. Ce nom lui était venu tout seul. Elle sourit, et son cœur fit un bond dans sa poitrine. Le poulain avait le regard rivé dans le sien. Saskia tendit la main :
- Lowi ?
Et le poulain vint loger son museau dans la main tendue, à la recherche sans doute de quelque chose à manger. Elle s'agenouilla pour être à sa hauteur et l'entoura de ses bras. Les sentiments qu'elle éprouvait pour le petit être dans ses bras étaient bien plus forts que pour n'importe quel orphelins. Car Saskia était persuadée que c'était un Compagnon, malgré les paroles de Maria. Et elle en avait la charge.
- Je t'aime, mon Lowi. Et je veillerai toujours sur toi. Promis.