La Grande Peste se retint de lancer un regard outré à la Guérisseuse et de lui servir un "Vous vous hâtez de sauver un sale petit bâtard, mais pour l'Héritier, vous refusez de chevaucher un Compagnon pour être à son chevet au plus vite ?!". Parce que Saskia savait, étrangement, que cette réaction était ridicule dans ces circonstances, et totalement dictée par ses nerfs à fleur de peau. Et puis, Eilane avait le droit de ne pas aimer les chevaux - la noble demoiselle s'offusqua à cette pensée : Gaetan, un cheval ! Et puis quoi encore ! - même si elle ne pouvait pas en comprendre les raisons...
Mais pour l'instant, tout ce qui comptait, c'est que le petit groupe avançait rapidement. Eilane et ses guérisseurs doublèrent Saskia quand ils se mirent à courir, et la jeune fille du faire de même pour rester à leur hauteur. Par tous les Dieux ! Elle venait de faire en une soirée tout son sport de la semaine, voir même de la prochaine décade ! Et elle qui déteste ça, autant que pratiquement toutes les autres matières qu'on lui faisait étudier, elle aurait volontiers accepté de faire le tour du Champ à cloche pied si ça permettait à Ryis et Arthon d'aller mieux.
Un instant, sur cette dernière pensée, Saskia ralentit, soucieuse. Essoufflée, tremblant de froid, la Noble Peste se demandait si elle n'exagérait pas avec cette histoire de promesse. Si elle ne s'attachait pas autant à Ryis et surtout à Arthon parce qu'il était l'Héritier... Au final, aimait-elle réellement être en sa présence uniquement pour avoir une chance d'être vue avec un personnage royal ? Lorsqu'elle prit conscience des coups d'œil furtifs qu'elle jetait alentours, Saskia eut sa réponse ; certes, il était Arthon, l'Héritier de Valdemar... Mais la jeune fille éprouvait pour lui la même amitié qu'elle avait pour les orphelins, peut-être davantage... Elle rattrapa les guérisseurs et se faufila par l'entrebâillement après eux, et resta collée à la porte, les yeux rivés sur les malades. Là, elle avait fait ce qu'elle pouvait. Il ne lui restait plus qu'à partir, mais pourtant, la jeune fille ne sortit pas, comme si elle voulait être sure que les Guérisseurs allaient faire correctement leur travail. Dieux et Dame ! Qu'elle était inquiète ! Saskia adressa une prière silencieuse à ces divinités auxquelles elle ne croyait pas plus que ça, leur demanda de prendre soin des deux hommes allongés là-bas. La noble demoiselle observait de son coin chaque mouvement, attentive à tout, prête à agir à la moindre directive d'Aranel.
Moment de calme, la pression retombe, et Saskia se rend compte à quel point elle est physiquement et mentalement épuisée. La nuit est bien entamée, et elle rêve d'une douche rapide et brulante, d'une chemise de nuit propre et de son lit douillet. Pourtant, elle refuse de se laisser aller, tant qu'elle n'est pas sûre et certaine de savoir Arthon et Ryis à l'aise et en sécurité pour la nuit... Quitte à ce qu'elle doive veiller l'un ou l'autre jusqu'au lendemain. A nouveau, un murmure se fait entendre, elle sursaute ; pourtant, elle devrait être habituée, depuis ces quelques semaines... Saskia baisse les yeux, repense à cette nuit tragique, ou pour la première fois, elle a été confrontée à la Grande Faucheuse, qui en plus a emporté un Compagnon, la créature la plus parfaite aux yeux de la jeune noble... La demoiselle ferme les yeux et les poings très fort : non, ça ne doit pas se reproduire. Plus jamais. Surtout pas avec des gens qui se sont ligués pour faire disparaître le masque de la Noble Peste de Haven. Elle veut sortir, rejoindre Gaetan, l'entourer de ses bras, et lui faire jurer de ne pas tomber malade à son tour - comme si cela pouvait dépendre de la volonté du Compagnon... Saskia adresse une nouvelle prière aux Divinités, et cette fois, elle leur demande non pas de limiter leur auguste bénédiction à Arthon et à Ryis, mais à tout le cercle héraldique...
Si seulement j'avais le pouvoir de vous aider... Que ne donnerai-je pour un tel pouvoir ! pense-t-elle au moment où elle relève la tête pour observer le Héraut et son Compagnon allongés.