Saskia avait beaucoup de mal à avoir deux pensées cohérentes qui allaient ensemble. Elle avait du mal à croire à tout ce qui venait de se passer ce soir ; la jeune fille avait seulement voulu tenter d'amener Arthon au Bal, et réussi à le convaincre d'aller se laver au moins... Elle se sentait réellement coupable de tout ce qui s'était produit ; d'abord ces stupides Bleus qu'elle avait formés, puis son incapacité à prendre soin de Ryis et Arthon - ça aussi, elle l'avait pris pour elle...
Alors elle fit la seule chose possible : elle se noya dans les yeux d'Aranel, pour s'imprégner de toute cette confiance, ce calme et surtout, de l'espoir qu'elle y voyait. Et si la noble demoiselle faisait des efforts chaque jour, en mettant en application ce qu'elle apprenait à l'orphelinat - il y a deux mois encore, elle ignorait totalement comment se coiffer correctement ! - elle n'en était pas moins une jeune Baronne élevée dans un cocon et encore incapable de faire beaucoup de choses par elle-même. Comme, en cet instant, prendre une décision cohérente.
En fait, tous les événements de la soirée avaient eu la fâcheuse tendance à lui rappeler ce terrible soir, où elle avait été confrontée pour la première fois à la grande faucheuse... Et le Héraut du Roi avait du s'en douter, car elle s'empressa de lui donner des ordres, histoire de se bouger, de ne pas se morfondre, et éventuellement, piquer une crise d'hystérie aiguë. Saskia regarda Arthon, si mal en point. Elle laissa, impuissante, Aranel l'arracher de ses bras. Avant de partir, elle serra brièvement la main du Prince, et se leva. Ses jambes tremblaient, elle avait des fourmis dans les mollets, et sans doute un début de crampe dans la cuisse droite.
Et Saskia fit quelque chose qu'elle n'avait encore jamais fait dans ces cas là : elle serra les dents et partit en courant, pour empêcher la douleur de prendre le dessus. Elle laissa ses chaussures à talons dans le pavillon ; ses bas avaient déjà été déchirés dans sa précédente course, ils ne risquaient plus grand chose, et au moins, elle risquerait moins de se briser à nouveau la cheville... Elle rattrapa Gaétan et ne freina même pas pour sauter sur son dos. Il savait où il devait aller, et Saskia ne dit rien, le laissant partir au galop jusqu'à la Maison des Guérisseurs de garde ce soir-là. Et une fois arrivés, elle descendit tout aussi rapidement ; elle prit pourtant la peine de déposer un rapide baiser entre les naseaux du Compagnon et se rua sur la porte, qu'elle ouvrit à la volée pour la refermer aussitôt. Il faisait un froid de chien dehors, et il n'était pas question que les Guérisseurs perdent leur temps à la sermonner sur les conséquences désastreuses d'un coup de vent sur leurs patients. Elle avança, regarda autour d'elle et appela :
- Eilane ? On m'a demandé de venir chercher Eilane, c'est pour une urgence...
Saskia vit alors Mark qui se faisait soigner, avec toujours cette jeune fille à ses côtés. Ah ! Ce que la Grande Peste, en cet instant, voulait secouer ce lit en criant : "Bah alors, mon vieux, qu'est-ce qui t'arrive, t'a encore trop bu ?" et lui mettre une grande tape dans le dos.
Ah oui, tiens. Saskia sursauta. C'est vrai, ça. En cet instant, elle était Saskia DeFeriel, la Peste de Haven, qui avait été sur le point d'incendier des gardes pour que les Guérisseurs viennent chercher ça ; elle eut une légère moue de dégoût vers le nobliau, parce que ce n'était pas du tout à cause de lui qu'elle avait été dans cet état... Alors elle se racla la gorge et ajouta :
- ... une véritable urgence vraiment urgente...