Les jardins étaient très calmes ce soir là. Les plans d'eau étaient devenus très sombres à mesure que la luminosité décroissait, et donnaient un vertige de profondeur à celui qui désirait s'y mirer.
Le bruit de l'eau semblait avoir un effet apaisant jusque sur l'air ambiant lui-même. La douce brise fraîche venait jouer dans les hautes frondaisons, semblant s'amuser du son des feuilles qui s'agitaient au gré du souffle éolien.
Quelques nocturnes créatures ailées hululaient dans les branches, guettant avidement le passage inquiet des mulots, rongeurs fébriles à l'idée même de rencontrer la mort planant au-dessus de leurs rondes petites oreilles.
Plusieurs lanternes illuminaient le passage des visiteurs, éclairant de leurs stries lumineux les pavés qui cheminaient entre la verdure et les plans d'eau.
Ça et là de petits pavillons nichés au creux de la verdure semblaient sortir de terre, offrant de provisoires abris à ceux qui exprimaient le désir de se reposer, ou simplement de contempler la sérénité des lieux.
La senteur des fleurs s'exhalait dans le crépuscule, et emplissait tout l'air de leur douce fragrance. L'imagination permettait de visualiser les chatoyantes couleurs des pétales peu visible à l'heure où seuls quelques prismes sont perceptibles, puis de vérifier de jours à quel point la nature était surprenante...
Kalaïd marchait dans l'herbe, pieds nus. Il portait un pantalon noir aux jambes très amples, ressemblant presque à une robe de loin. Il était également revêtu d'une veste épaisse faite de coton couleur d'ébène. Sa marche était calme, lente, mesurée. Il ne se déplaçait pas près des chemins, mais coupait directement à travers le parc, afin d'y trouver un lieu à l'écart, où il puisse projeter toutes ses pensées et les purger.
Là, près de ce bosquet d'arbres, il saisit le paquet qu'il tenait dans son dos et le ramena devant lui. Il tira le linge qui l'entourait, et le fit glisser au sol.
Le daito noir qu'il contenait luisit dans la clarté de la lune, corps céleste dont les reflets sur l'eau éclairaient la scène d'une douce lumière teintée du bleu pastel de la nuit tombée.
Le saya passé à son côté, le jeune homme se mit à genoux dans l'herbe et se figea. C'était le moment qu'il préférait. Tout autour, les éléments lui semblaient fusionner jusqu'à ne former qu'une seule et même entité : son environnement. Celui-ci mis de côté, il n'avait qu'à se soucier de tout ce qui venait perturber le calme qu'il se créait ainsi. En combat nul besoin de l'imaginaire, l'ennemi brisait tout cela avec ses gros souliers et devenait dès lors la cible à abattre, ne serait-ce que pour rétablir la sérénité du lieu... Mais ici, l'environnement n'ayant rien d'hostile, il était peu souhaitable de détruire toute cible se présentant à soi sans aucun discernement. Aussi le jeune homme faisait-il un petit effort de d'imagination et se créait-il ses propres cibles...
La lame jaillit brusquement de son fourreau. Le temps d'un souffle, un battement de cil, et la frappe avait déjà eu lieu. Un genou levé, la main droite à hauteur de visage, le sabre dans le prolongement du bras, le jeune homme s'était à nouveau figé. Un mouvement sec pour évacuer le sang de la lame qui devait rester pure, et celle-ci rejoignait vivement la quiétude de son écrin de bois laqué. Les gestes étaient précis, rapides, sûrs.
Le jeune homme se releva. Un soupir profond lui échappa.
C'était comme une drogue. Comme un air de musique aux variations intenses, qui le faisait vivre chaque fois un peu plus lorsqu'il exécutait ces mouvements que son corps connaissait à présent mieux que son esprit. Qu'il lui réclamait presque comme un salut...
Durant ces moments, Kalaïd était tout et rien à la fois. Tout, parce que ses sens étaient exacerbés et qu'il avait véritablement l'impression de fusionner avec son environnement, d'être tout ou partie de lui. Rien, parce que pour lui tout était dans son sabre, qui était plus cher à ses yeux que sa propre âme. Mis en balance avec son compagnon d'acier damassé, le jeune homme ne valait rien...
Un pas sur le côté, un éclair illuminant la nuit, une frappe d'estoc. Volte-face, et la frappe, puissante, fulgurante, fendant l'air comme un rayon de lumière.
Un geste vif, et la lame regagne le saya.
En attendant de rejaillir...