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[Fleur/Noam] Quand les éléments se déchaînent

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Fleur de Trevale:
Trevale - 1er jour de la 2eme décade de printemps 1485

La vie était douce pour Fleur, installée, avec Owen, pour quelques décades encore, à Trevale.
De fait, ses beaux-parents ne les avaient pas laissés repartir pour Haven, alors qu'ils avaient fait le voyage pour leur annoncer la grossesse de Fleur
Dame De Trevale avait pleuré de joie quand elle avait appris la nouvelle.
Oui, en cherchant du sang frais dans l'union de son seul fils, le but était de lui permettre d'engendrer, mais elle n'y avait jamais sérieusement cru, et quelques années s'étant écoulées sans aucun signe de ce côté, elle avait abandonné tout espoir de devenir grand-mère.
Elle avait bien trois filles, mais elles étaient si laides qu'il avait été difficile d'en caser une seule, et qui bien sûr, se révélait stérile. 

Alors quand on lui avait annoncé la visite surprise de son fils héritier et sa sa femme, et qu'Owen lui avait annoncé la grande nouvelle, elle avait obligé les deux jeunes gens à rester ici, ou tous leurs caprices seraient assouvis. Et même si à Haven, chez eux, Owen et Fleur ne posaient aucune limite à leurs envies, c'était aussi bien de n'avoir même pas de demeure à gérer et de se laisser dorloter.
Owen remplissait plus que vaguement son rôle de Conseiller, à distance, mais cela avait deux avantages. Il bénéficiait ici des conseils de son père et du gestionnaire de Trevale, mais il était également éloigné des mauvaises fréquentations du Grand Conseil. Quant à Fleur, elle se laissait aller à la langueur qui s'était emparée d'elle depuis le début de sa grossesse, mais aussi aux bon soins de sa belle-mère. Sa propre mère était décédée alors qu'elle était très jeune, elle appréciait d'être choyée de cette façon.

Fleur écrivait beaucoup, pour occuper ses journées. A sa soeur jumelle, déjà trois fois mère, et qui avaient de nombreux conseils à partager. Mais aussi avec son père, son ancienne nourrice, ses amies de Haven, et même Pluiechantante, à qui elle avait tenu à annoncer la nouvelle. Il y avait une seule personne à qui elle n'écrivait pas, bien qu'il occupât ses pensées, et c'était un travail constant de ne pas se laisser trop sombrer dans la mélancolie en pensant à lui.

De toute façon, écrire, il n'y avait que ça à faire. Une main sur son ventre déjà gravide, Fleur regardait avec désespoir la pluie qui s’abattait sur la région depuis des semaines, les empêchant de repartir pour Haven.
Pourtant, il faudrait bientôt qu'il fasse le voyage. Avec angoisse, Fleur sentit son ventre bouger. La Guérisseuse de la région, venue à la demande de sa belle-mère, avait été formelle. Fleur n'attendait pas un, mais deux enfants.  La surprise avait été totale, jamais Fleur n'avait imaginé que sa propre gémellité puisse se reproduire sur sa propre descendance. Pourtant, c'était le cas, et vu le petit gabarit de la jeune femme, elle serait mieux à proximité du Collegium où elle bénéficierait d'un suivi rapproché, avait conseillé la Guérisseusse.
Owen, en bon hypocondriaque, s'était affolé. Il fallait maintenant attendre la fin des pluies pour espérer prendre la route, en priant pour qu'elle soit praticable. 

En ce milieu d'après-midi, Fleur avait installé son écritoire dans un des petits salons de Trevale, entourée de son mari, qui ne la quittait guère, de sa belle-mère, mais aussi son beau-père, venu boire un café fort avant de retourner s'occuper des problèmes qu'engendrait les pluies torrentielles.
C'est ici que les trouva le Régisseur. C'était un homme très grand et très mince, laid à faire peur, mais d'une efficacité qui forçait le respect.

"Seigneur, j'ai reçu une réponse positive à notre requête. Quelqu'un va arriver, le spécialiste dont nous parlions."
"Ah, voilà enfin une bonne nouvelle." s’exclama Paulin de Trevale, le patriarche.

Sa femme et lui échangèrent un regard angoissé, puis le patriarche avisa son héritier.

"Owen, je dois te dire quelque chose."
"Père?" répondit distraitement l’intéressé, plus concentré sur son jeu de carte que sur la conversation.
"Tu n'es pas sans avoir que les pluies ont commencé à faire déborder les rivières, Terilee par exemple."
"Je sais Père, nous en avons déjà parlé."

Sous l'influence de sa femme, Owen essayait sincèrement de s’intéresser à la gestion du domaine, mais cela lui demandait beaucoup d'effort.

"La situation est devenue trop inquiétante. Nos terres sont inondées, les dégâts deviennent de plus en plus important, sans parler de la route commerciale devenue impraticable, ce qui empêche nos commerces avec Hardorn. J'ai donc fait appel à un spécialiste pour nous aider."

Un sueur froide parcouru Fleur, consciente que quelque chose se tramait, quelque chose de dangereux. Elle essaya de ne rien montrer mais tendit l'oreille.

"C'est toujours le même nom qui m'est revenu quand j'ai demandé conseil."
"Fort bien, faites-le venir alors, pourquoi me demander mon avis?" répondit Owen avec ennui.
"Je dois t'avertir que cela ne va pas te plaire, mais que tu devras faire avec."

Owen lança un regard perplexe à son père. Il n'avait pas l'habitude d'être contrarié, aussi le ton employé l'alerta un peu.

"Le spécialiste en question est un Héraut." révéla le beau-père de Fleur.

Un bruit tonitruant fit sursauter tout le monde. Fleur avait fait tomber son écritoire, et plumes, encre et papiers s’étalaient misérablement au sol.

"Fleur, ma chérie, vous allez bien? Les bébés ?" s’inquiéta Owen.
"Je vais bien, désolée, je crois que je me suis assoupie"
"Non, ne vous penchez pas, je vais ramasser" proposa sa belle-mère.

D'une voix blanche, Fleur demanda:

"Un Héraut?"
"Un Héraut?" renchérit sombrement Owen. "Un Héraut ?!"
"Owen, je sais que tu les as en horreur, mais c'est LE spécialiste dans la maîtrise des cours d'eau. Et son cercle a accepté de l'envoyer ici pour aider toute la région. "
"Fort bien, si je ne le vois pas, il peut faire ce qu'il lui chante."
"Mon fils, nous sommes le domaine le plus important de la région." précisa Paulin.
"Cela je le sais..."
"Nous ne pouvons pas ne pas l’accueillir ici le temps de sa mission."
"Quoi?!"
"Owen ! Nous lui devons l'hospitalité!"
"L'hospitalité?! Ils n'ont pas des refuges fait pour les gens de son espèce, au lieu de venir nous envahir?"

Fleur avait envie de se cacher sous terre devant la mesquinerie de son mari. Et en même temps, elle le soutenait secrètement.

"Nous ne pouvons pas nous permettre de le faire dormir ailleurs que chez nous. Je suis désolé mon fils, mais tu devras t'y faire, pour le bien du domaine dont tu hériteras un jour. Cela te demandera des sacrifices, comme celui-ci. Et il n'est pas bien grand."
"Qu'en pensez-vous Fleur?" lui demande gentiment Dame de Trevale.

Fleur se sentir acculée. Sa belle-mère, profitant de sa présence ici, l'associait souvent à la gestion de la demeure, pour la former. Elle avait douloureusement conscience des faiblesses de son fils, et avait de l'espoir dans l'esprit de sa bru, qui avait réussit l'exploit de porter un enfant d'Owen. Elle l'encourageait donc souvent à donner son avis sur les questions pratiques concernant le domaine.
Owen regarda sa femme, de la colère dans ses yeux porcins, attendant son soutien.

"Je... Il n'y a personne d'autre de possible?" tenta-t-elle en sachant pertinemment que non.
"Le Héraut..." son beau-père déchiffra la lettre, "Noam est le meilleur du royaume. La couronne s'inquiète aussi pour la région et l'envoie en personne."

Héraut Noam. Le nom avait été prononcé. Fleur se sentait glacée.

"Et alors?" coupa Owen. "Il n'est pas obligé de venir ici?"
"Owen", souffla Fleur. "Si ce n'est pas nous qui l’accueillons, Brolin se fera un plaisir de le loger, et le fera savoir. Ce serait désastreux pour la réputation de Trevale. Pour qui passerions-nous, pour qui passeriez-vous, au Grand Conseil, si tout le monde sait que vous avez refusé le gîte au Héraut venu sauver la région?"

Dame Trevale regarde sa bru avec satisfaction. Elle savait que le bon sens de la jeune femme faisait souvent bon effet sur l'entêtement de son mari. Owen grimaça:

"Mais un Héraut..."
"Vous ne serez pas obligé de lui parler plus qu'il ne faut. Je vous rappelle qu'à Haven, ils sont bien plus nombreux. Et l'aile des invités est loin de nos appartements. Jorden" elle désigna le Régisseur, "et votre père saurons gérer cet homme sans que vous deviez trop vous en mêler."
"Je refuse que son stupide canasson magique côtoie nos chevaux!" bouda Owen.
"Mais vous avez les chevaux en horreur !" s'étonna Fleur.
"Et alors? Je n'ai pas non plus envie qu'ils soient contaminés par ce fichu cheval blanc."
"La construction des nouvelles écuries a du être arrêtée à cause du temps, mais elle est assez avancée pour accueillir le Compagnon", révéla Jorden.
"Avec un peu de chance, son Héraut voudra dormir avec" répondit Owen avec humeur.

L'affaire était donc entendue, et Fleur sentit son estomac se serrer.
Se terrer à Trevale avait aussi eu pour but de sa cacher de Noam. Il était peu à Haven et parcourait les routes, mais elle s'était cru à l'abri ici. Et il allait débarquer directement dans la gueule du Kyree. 

"Quand arrive-t-il?" demanda-t-elle.
"En fin d'après-midi" répondit Paulin. "Le temps pour vous de préparer un accueil digne de ce nom au Héraut Noam."
"Père!" s'opposa Owen.
"Il suffit Owen! Il en va de la pérennité de notre domaine. On ne te demande pas de le prendre dans tes bras, mais tu fera contre mauvaise fortune bon coeur! C'est un ordre!"

Le patriarche Trevale faisait rarement montre de son autorité, mais il se faisait sincèrement, et à raison, du soucis pour ses terres. Assez pour réduire au silence son capricieux de fils.

"Venez ma chère", proposa sa belle-mère à Fleur "Allons préparer tout cela"

Elle tendit son bras à sa bru, et Fleur ne put que la suivre. Une fois loin des oreilles indiscrètes, elle plaisanta même:

"Et puis je sais que vous, vous adorez les Hérauts!"

***

Le soir avait finit par tomber, et tout était près pour un repas qui devait commencer dans une demi-marque. On n'attendait plus que Noam. Fleur avait longtemps pensé à se faire porter pâle. Qui lui en ferait le reproche?
Mais Noam saurait parfaitement chez qui il allait, et qui il y croiserait. La présence du jeune couple Trevale était connu dans la région. Sa grossesse en revanche, c'était moins sûr. Elle était arrivée ici aussi fine qu'à son mariage, et depuis était restée plutôt cloîtrée.
Et puis, pourquoi se cacher ?  Ils finiraient pas se rencontrer, et autant que cela se fasse en public, pour éviter la tentation de lui parler.

Elle lissa les plis de sa robe bleue sur son ventre déjà proéminent. Son futur tour de taille l'angoissait quand elle voyait sa silhouette à juste 12 décades de grossesses. Elle aurait du avoir un ventre facilement dissimulable sous des robes à la coupe étudiée pour, là, son décolleté menaçait d'exploser, et aucune robe ne pouvait laisser planer le moindre doute. 
Elle se sentait énorme, fatiguée, et laide. Et angoissée.

Conteur:

PNJ: Héraut Noam
Dire que Noam avait eu le cœur brisé aurait été exagéré. Il avait su dès le départ que son aventure avec Fleur ne serait jamais plus qu'une douce parenthèse dans sa vie. Il ne s'était fait aucune illusion. La dame avait besoin de pimenter un peu son existence en mettant un héraut à la plastique avantageuse dans son lit. Une fois ses fantasmes réalisés, elle avait simplement cessé de le contacter.

Keldran avait cependant dû programmer une intervention fraternelle quand il avait découvert que le Héraut ne sortait plus de sa chambre. Ce n'était pas tant que Noam déprimait. Mais voir tous ces Hérauts heureux et libidineux était trop difficile. Même Wylan avait trouvé chaussure à son pied. Le Héraut plus couturé qu'un torchon de cuisine. La vie était décidément injuste.

Heureusement, la fin du printemps avait été pluvieux et il n'avait simplement plus eu le temps de se lamenter. Son devoir l'appelait. Il avait parcouru la moitié du pays pour gérer les risques d'inondation, aider aux renforcement des structures et inciter les villages à se préparer pour les crues à venir. Il n'avait guère eu le temps de chômer. Sa peine s'était doucement effacée. Il ne ressentait plus pour Fleur qu'une tendresse teintée de mélancolie. Il était certain de pouvoir la croiser sans ressentir de douleur.

Puis vint sa nouvelle affectation. Un noble avait demandé son assistance pour gérer la Terilee sur ses terres. Évidemment, il avait accepté sans même discuter. Puis il relut le nom du noble qui l'avait fait mander. De Trevale. Comme Fleur qui était retournée dans les terres de la famille de son époux. S'y trouvait-elle encore? Sans doute. De toute manière, il n'avait plus le choix.

***

Il avait évidemment plu tout le trajet vers Trevale. Ce fut donc un Noam absolument trempé qui arriva au domaine. Athor le déposa au plus près de l'entrée du manoir avant de partir de mettre à l'abri. La porte s'ouvrit avant même qu'il ne puisse annoncer sa présence. On avait visiblement guetté son arrivée.

Un serviteur pincé le mena jusqu'à une chambre en lui annonçant qu'on l'attendait pour le repas. Il se changea rapidement, troquant son uniforme détrempé pour un uniforme vaguement humide. Il tenta de remettre de l'ordre dans ses cheveux, mais les mèches mouillées lui tombaient dans les yeux. Il devrait s'en satisfaire. .

Il fut mené promptement à une salle à manger luxueuse où l'attendait l'entier de la famille de Trevale. On le présenta rapidement avant de lui indiquer sa place. Il n'eut besoin que d'un instant pour repérer Fleur. Et à peine plus pour réaliser qu'elle paraissait différente. Quelque chose dans sa posture était différent. Malheureusement, il ne pouvait se permettre le luxe de l'étudier de manière trop ostentatoire. Aussi reporta-t-il son attention sur les autres membres de l'assemblée. On lui avait visiblement gardé une place à côté de la vieille tante un peu sénile. Soit. Il saurait s'en accommoder.

Le repas débuta dans le silence le plus complet. Puis la vieille dame à ses côtés se fendit d'une remarque qui le fit sourire.

«Vous êtes certain qu'il est le spécialiste envoyé par Haven? Il est beaucoup trop joli pour avoir une vraie cervelle, si vous voulez mon avis.»

Autour de la table, on se retint ostensiblement de pouffer.

« Je suis désolé de ne pas être aussi laid que mes compétences le nécessitent, ma dame.»

Fleur de Trevale:
Owen boudait.
Dans moins de quinze décades, il deviendrai père, et pourtant, il restait un enfant capricieux.
Un jour, il deviendrai le Seigneur de Trevale, et pourtant, il était incapable de faire la part des choses entre ses envies, et ses devoirs.
Mais il essayait, il fallait le reconnaître. Il fuyait habituellement comme la peste tout ce qui pouvait se rapprocher d'un Héraut. A Haven, ça donnait lieu à des scènes assez ridicules, mais Fleur avait appris à vivre avec. Là, il n'avait pas le choix, et, assis aux cotés de son père, les bras croisés, il refusait tout bonnement de regarder vers les portes d'entrée du salon. Qu'il ne dise pas un mot ne l'empêchait pas d’alourdir l'ambiance.

Fleur l'observait avec peine, et angoisse. Elle savait que Noam était arrivé et ne tarderait pas à franchir le seuil de la pièce.
Quand il apparut, elle essaya de garder une expression neutre, comme n'importe quelle femme bien élevée. Mais ce fut compliqué. Tout son corps s'émut de le revoir. Elle s'était interdit de trop penser à lui et avait réussit à oublier à quel point il était beau. Son regard bleu se posa quelques secondes sur elle sans s'y attarder. Elle se sentit peinée.
C'était totalement illogique, à quoi s'attendait-elle ? A ce qu'il gémisse en la revoyant après toutes ses décades et lui déclare son amour ? Il était plus que jamais essentiel que chacun fasse comme s'ils ne se connaissaient pas. Mais cela n'empêchait pas de faire mal.

On lui avait réservé une place stratégique. A trois place d'elle, entre eux étaient assis sa belle-mère, une de ses belle-soeur et la tante Tilda, qu'on avait sorti de ses appartements pour l'occasion. Celle-ci se fendit d'une remarque qui aurait été déplacée si ce n'était pas elle qui l'avait dit avec malice. Cela eut le mérite de briser le silence inconfortable initié par Owen.

"Héraut Noam, soyez le bienvenue à Trevale" l'accueillit cordialement Paulin De Trevale en écartant les bras pour englober toute sa famille. "Nous vous sommes reconnaissant d'avoir fait le voyage jusqu'ici pour nous aider à maîtriser les éléments."

Avant la naissance d'Owen, les Hérauts avaient toujours été les bienvenues à Trevale. Puis quand l'héritier avait commencé à manifester son hippophobie, les choses s'étaient compliquées, jusqu'à devenir impossible à mesure qu'Owen grandissait et faisait savoir son désaccord.

"Permettez-moi de vous présenter..."

Il commença à énumérer la longue liste de prénom de sa tante, ses fils, leurs femmes, leurs aînés. Puis:

"Ma femme, Rosine, mes trois filles Hyacinthe, Cecily et Ariane, et son époux, Tancrède. Mon fils et héritier, Owen De Trevale, et sa femme, Fleur."

Owen, la bouche pincée, adressa au Héraut un signe de tête si minime qu'il était presque invisible. Fleur, elle, fit un galant signe de tête assorti d'un sourire étudié, bien qu'un peu triste.

"Peut-être les connaissez-vous? Nous sortons peu de nos terres, mais Owen et sa femme résident en général à Haven."

Cecily donna un coup de coude à sa soeur ainée et murmura juste assez haut pour qu'on entende:

"Ho je pense que Fleur et le Héraut se connaissent. N'est-ce pas à son sujet que nous avons entendu des rumeurs  il y a quelques décades?"

Fleur lança un regard furibond à sa stupide belle-soeur - qui ne méritait absolument pas le qualificatif de belle, et Rosine de Trevale reprit sa cadette d'un ton outré:

"Cecily, n'as-tu pas honte ?!"
"Oui, Cécily enfin!" pépia Hyacinthe en battant des cils vers Noam.

Fleur avait la nausée, et ça n'avait rien à voir avec sa grossesse.

Conteur:

PNJ: Héraut Noam
Noam remercia l'intervention bienvenue de la vieille tante. Grâce à sa remarque et à sa propre réponse, la table entière sembla se détendre. Le maître de maison entreprit de l'accueillir en bonne et dûe forme.

«Je ne fais que mon devoir, messire.»

S'en suivit une longue liste de noms que Noam allait tenter de retenir, sans doute en vain. Puis sieur de Trevale présenta Fleur. Son cœur manqua un battement. Comme pour chaque dame précédemment cité, il s'inclina poliment. Perturbé, il lui fallut toute sa concentration pour entendre ce que le seigneur Paulin rajoutait et les commentaires que cela suscita. Il enchaîna comme si de rien n'était:

«Je n'ai malheureusement jamais eu le plaisir de rencontrer sire Owen. Un simple Héraut de terrain, tel que moi, n'a que rarement l'occasion de rencontrer les membres du Conseil.» Il adressa à Owen un signe de tête poli. «J'ai par contre eu l'insigne honneur de discuter avec votre belle-fille, une fois que nous attentions chacun quelqu'un au même endroit.»

Il aurait été stupide de nier qu'ils s'étaient rencontrés, car les témoins avaient été nombreux, au vu des rumeurs qui avaient circulé par la suite. À la table, une jeune écervelée ne put contenir le "ooooh" admiratif et choqué qui lui vint aux lèvres. Noam se contenta de l'ignorer. Depuis le temps, il avait compris que l'absence de réaction était la meilleure parade face à ce genre de comportements.

Il ne put néanmoins s'empêcha de jeter un coup d'oeil à Fleur. Celle-ci était blanche et semblait sur le point de défaillir. Il eut envie d'aller la réconforter, mais il se contenta de lui adresser un sourire poli.

Heureusement, l'attention générale fut détournée par l'arrivée d'une bonne portant une lourde soupière.

La vieille tante Tilda en profita pour récupérer son attention.

«Avez-vous fait bon voyage? Et votre Compagnon, n'est-il pas trop épuisé?»

«Le voyage a été... humide. Et Athor profite d'une couverture chaude aux écuries, d'après ce que j'entends.» Il lui adressa son sourire le plus charmant.« Dites moi, ma dame, avez-vous toujours vécu dans la région? Si oui, pourriez-vous me parler un peu de la météo habituelle, de la topographie de la région? Je suis certaine qu'à vous seule, avec votre savoir et votre sagesse, vous valez plusieurs rayonnages de la bibliothèque de Haven.»

Noam laissa la vieille dame déverser un flot de paroles ininterrompues sur lui, ce qui lui donna l'occasion d'osberver Fleur à la dérobée. La pauvre semblait secouée. C'était visiblement difficile pour elle de le revoir dans ces circonstances. Lui-même aurait préféré la recroiser ailleurs qu'au beau milieu de sa belle-famille. Il tenta plusieurs fois d'accrocher son regard, espérait pouvoir lui adresser un discret sourire d'encouragement.

Fleur de Trevale:
Il ne faisait que son devoir.
Oui, Fleur eut envie de soupirer devant sa réponse franche. Noam était l'essence même du Héraut romantique de balade. Comment en vouloir à ses laiderons de belle-soeur de se rincer l'oeil devant lui ? Si elles savaient...
Et Noam savait se comporter en société, ne se laissant pas piéger aux remarques déplacées de Cecily et tournant une réponse parfaite.  En revanche, son compliment pour Owen eut moins de succès. Le jeune homme se renfrogna et essaya de se donner plus de prestance en s'asseyant plus droit, ce qui n'eut comme effet que de lui couper la respiration à cause de la table qui s'enfonçait dans son ventre proéminent, rendant son visage encore plus rubicond.  Fleur eut envie de cacher le visage dans les mains, consternée.

De Noam, finalement, elle ne connaissait que peu de chose. C'était bien assez pour regretter chaque jour sa tendresse, mais quant à son véritable caractère, en définitive, il restait assez mystérieux. Aussi, elle ignorait s'il flattait son époux par hypocrisie ou bien sincèrement pour lui faire plaisir à elle. Ou un entre-deux, peut-être? Après tout ce qu'il avait osé faire sa femme - qui était plus que consentante - elle imaginait mal le Héraut être tout à fait honnête envers Owen De Trevale.
Fleur avait bien comprit, au fil de leurs échanges, et plus encore de leur étreintes passionnées, combien Noam était en colère contre Owen, en colère de la négliger. Il ne l'avait jamais vraiment dit, mais même du haut de son inexpérience, Fleur l'avait senti, dans toute l'ardeur presque animale qu'il lui avait consacré. Et repenser à ces instants volés lui donna des bouffées de chaleur, qui tranchèrent affreusement sur ses joues si pâles quelques secondes avant.
Rosine, assise à ses côté, posa une main fraîche sur son avant-bras et lui demanda tout bas:

"Fleur, vous sentez-vous souffrante? Voulez-vous aller vous reposer? Personne ne vous en tiendrai rigueur ma chère."
"Non, merci ma dame, je crois juste qu'il faudrait étouffer un peu les flammes de la cheminée"

Owen, toujours attentif aux besoins de sa femme, fit claquer ses doigts boudinés pour ordonner à un domestique d'aller réduire le feu.

Noam quant à lui avait provoqué une véritable logorrhée de la part de Tilda, qui lui parla du temps en illustrant chaque pluie de ces dernières années par une histoire au sujet de son cher époux disparu top tôt. Les yeux dans le vague, rien n'existait en dehors de ses souvenirs.
Fleur sentit le regard de Noam sur elle, et après avoir vérifié que l'attention d'Owen était portée sur la nourriture, comme toujours, et celle de toute la tablée également, elle leva les yeux vers lui. Elle ne put s'empêcher de lui faire un grand sourire, c'était plus fort qu'elle. Fleur n'était pas faite pour la morosité, et même si sa grossesse bouleversait ses humeurs, sa véritable nature ressortait souvent.
Elle brava son époux et s'adressa directement à Owen.

"J'espère que votre Compagnon s'estime bien logé. Nous avons fait de notre mieux. Et pour vous aussi. N'hésitez pas à nous dire si vous avez besoin de plus. Nous sommes soulagés de vous savoir ici."

Sous-entendu "Je suis heureuse de te voir".
Owen lui lança un regard choqué, outré que sa propre femme se soucie du bien-être d'une créature aussi diabolique qu'un Compagnon. Mais Fleur l'ignora et continua:

"Je sais que beaucoup de paysans se retrouvent sans ressources, leurs récoltes ravagées, et parfois leurs maisons. S'il vous plait, faite-moi savoir  ce dont ils auront besoin pour les aider. J'aurai aimé me déplacer en personne, mais depuis Trevale, je peux organiser certaines choses."

Fleur était sincère. En future Dame De Trevale, le bien-être des paysans et métayers lui était important.
Si seulement sa grossesse avait été normale, et pas si visible, elle aurait même tenté de l'accompagner, quitte à mécontenter Owen. Cela lui aurait donné l'occasion d'un tête à tête avec lui. Mais là, personne, pas même elle, n'aurait envisagé d'aller patauger dans la boue.
Elle trompa sa frustration dans la soupe qu'on lui servit et qu'elle dévora, contrairement à ses habitudes et son appétit de moineau. Elle avait tout le temps faim. Tout le temps.

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