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Tenir le bon bout

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Héraut Méra:
«Ça ne s'oublie pas, je t'assure. Le corps a une mémoire incroyable. Tu n'as peut-être plus la musculature nécessaire, mais les gestes, tu les connais encore.»

Au moins la jeune fille se saisit-elle correctement de sa lance. Une chose que Méra n'aurait pas à lui apprendre. Le reste, en revanche, laissait à désirer. Dyalwen ne semblait pas avoir conscience du poids de son corps, de la répartition de celui-ci sur ses jambes, de la facilité avec laquelle Méra pour la faire chuter. Et quand elle attaqua, ce fut pire encore.

Méra aurait pu faire comme ses propres maîtres d'armes et utiliser sa lance pour déséquilibrer la jeune femme d'un coup derrière le genou. À la place, elle esquiva la tentative maladroite de la jeune femme et lui donna du bout de sa lance une petite tape sur le haut de la cuisse.

«Regarde... si j'avais voulu, tu serais maintenant les quatre fers en l'air. Règle numéro un: être toujours stable sur tes jambes. Il ne sert à rien d'attaquer si un simple petit coup sur le genou peut te mettre à terre.» Elle lui sourit. «Ici, on enseigne en priorité un style de combat défensif. Ensuite, ceux qui montrent de bonnes capacités et de l'intérêt sont formés de manière plus approfondie sur de nombreux styles. Après tout, le but n'est pas de faire de vous tous des combattants hors pair. Soyons honnêtes, la plupart sont trop âgés, quand ils arrivent, pour espérer exceller. Seuls quelques privilégiés, des nobles, par exemple, qui ont eu des maîtres d'armes dès le plus jeune âge, deviendront des fines lames. À tous les autres, on vous apprend le nécessaire pour que vous restiez en vie le plus longtemps possible.»

Méra reprit sa position initiale, genoux fléchis, la main gauche tenant le milieu de la lance, la droite le dernier tronçon de manière à orienter son arme en oblique, la pointe à hauteur d'épaule de Dyalwen.

«Regarde: j'ai les genoux toujours légèrement pliés et les muscles toujours en tension. Ainsi, il est beaucoup plus difficile de me faire tomber. Ensuite, tu ne dois pas te mettre de face, mais de profil, la main forte arrière. C'est elle qui donnera la force, tandis que l'autre ne servira qu'à orienter le coup.» Elle s'arrêta un moment pour réfléchir. «On va déjà travailler ta stabilité avec une lance en main. Tu vas essayer d'adopter la bonne posture, et moi je vais essayer de te déséquilibrer. Quand tu auras acquis ça, on essaiera de voir les premiers coups d'estoc et les premières parades.»

Elle laissa Dyalwen prendre la position qu'elle pensait être la bonne puis s'approcha pour la corriger.

«Baisse tes épaules. Tu vas te faire mal comme ça. Un bon combattant doit savoir alterner entre tension et détente. Si tu es trop crispée, tu vas dépenser une énergie folle qui te manquera probablement à un moment critique. En plus, si tu es plus détendue, tu es aussi plus agile et réactive. Voilà, là c'est mieux.» Elle recula de quelques pas. «Maintenant, j'aimerais que tu fermes les yeux et que tu enregistres cette position. Ou mieux encore, que tu fasses quelques ajustements si tu sens un déséquilibre, un inconfort. Au début, cette position tire sur les cuisses, mais c'est la seule gêne que tu devrais ressentir. S'il y en a une autre, essaie de répartir ton poids différemment sur tes pieds, ou de changer l'écartement de tes jambes. Et préviens-moi quand tu penses avoir trouvé la bonne position.»

Dyalwen de Bordebure:
Évidemment, Méra n’eut aucune difficulté à esquiver son attaque. La rouquine s’y attendait. En revanche, elle ne s’attendait pas au coup sur la cuisse qui, s’il ne la fit pas tomber, la fit trébucher de surprise. Elle rosit à la remarque de la Héraut mais le sourire de celle-ci la détendit un peu. Ça et ses paroles. Étrangement, savoir qu’on ne s’attendait pas à ce qu’elle soit une escrimeuse ou une combattante hors pair lui retirait comme un poids des épaules. Elle avait assisté de loin à quelques entraînements de son frère, elle avait vu les exigences de Grand-père et elle savait déjà qu’elle ne serait jamais à la hauteur des attentes du vieux soldat. Mais Méra lui fixait un objectif beaucoup plus raisonnable, qui semblait bien plus accessible. Et elle comptait bien faire de son mieux… et y arriver ! Même si c’était moins facile que de galoper sur le dos de Tisia.

Silencieuse, Dyalwen écouta donc attentivement les explications de la Héraut. Les genoux pliés, les muscles tendus, de profil, … La seule chose qui lui semblait à peu près facile, c’était la position des mains sur l’arme. Bon… Après un hochement de tête destiné à indiquer à Méra qu’elle avait compris les indications, le but et le déroulement de l’exercice, la Grise tâcha donc d’imiter la position qu’elle lui avait montrée. Ça tirait dans les cuisses, les fesses, les épaules. La lance, portée ainsi, lui paraissait presque plus lourde que les fourches qu’elle avait déjà maniées. Elle se sentait gauche et passablement ridicule.

S’était-elle sentie aussi gênée lorsque Père lui avait appris à monter à cheval ? Elle ne s’en souvenait plus, comme si l’équitation avait toujours été instinctive. Il était probable que ça n’ait pas été le cas, mais on ne se posait de toute façon pas ce genre de questions quand on était petit.

Respire, entendit-elle dans son esprit quand Méra lui dit de se détendre.

Dyalwen se força à souffler avant d’inspirer et d’expirer à nouveau, et fut récompensée par l’approbation de la Blanche. Elle obéit aux indications suivantes, fermant les yeux pour essayer de mémoriser sa position. Ça lui faisait perdre ses repères visuels et elle ne pouvait plus que se fier à son ressenti pour évaluer sa posture. Elle avait l’impression que celle-ci n’était plus bonne mais sans doute que Méra la corrigerait si c’était le cas. En revanche, elle sentait d’autant mieux la tension dans ses cuisses, comme prévu donc, mais aussi celle dans ses mollets et dans son dos. Inconfortable, la rouquine tenta de se redresser un peu, avant d’écarter légèrement ses pieds pour trouver un appui plus stable et moins désagréable. Elle piétina un peu avant de trouver une position qui lui semblait meilleure que les autres, puis ouvrit les yeux.

« Je pense que c’est bon. »

En tout cas, elle se sentait plus stable que lorsqu’elle avait essayé d’attaquer Méra, quelques instants plus tôt.

« Et j’ai l’impression de tirer sur des muscles dont je ne soupçonnais pas l’existence, » tenta-t-elle avec un essai de sourire.

Héraut Méra:
Méra fut très satisfaite de voir Dyalwen prendre son temps pour faire correctement l'exercice. Rien ne l'exaspérait plus que ceux qui bâclaient leur travail. Ceux-ci, elle prenait un malin plaisir à les faire recommencer encore et encore jusqu'à ce qu'ils apprennent à s'appliquer.

Elle lui laissa tout le temps nécessaire, profitant pour faire quelques étirements. Qu'importe si Dyalwen était lente à trouver la bonne position, les prochaines fois seraient plus aisées.

Puis la jeune fille déclara être prête.

«Ah ça, tu vas en découvrir des muscles, en t'entraînant avec moi. Et tu verras demain matin, tu t'en découvriras d'autres encore.» Méra sourit et se remit en position. «Prête?»

Sans vraiment attendre de réponse, Méra attaqua, ou plutôt, tenta de faire tomber Dyalwen du bout de sa lance, en la fauchant derrière le genou. Celle-ci résista plutôt bien, et le coup gentillet de Méra ne parvint pas à la déstabiliser.

«Très bien.»

Puis elle donna un deuxième coup plus vicieux, utilisant sa lance davantage comme un bâton. Elle y mit aussi davantage de force. Cette fois, elle sentit l'équilibre de son élève vaciller, ce qui ne la surprit guère. Mais Dyalwen parvint à rester sur ses deux jambes, ce qui était l'essentiel.

«Bien. Bon, évidemment, on sent les limites de ta musculature. Il va falloir travailler tout ça. Mais au moins, ça t'évitera de te retrouver les quatre fers en l'air avant même que le combat n'ait débuté.»

Méra redressa sa lance en position de garde.

«Maintenant, il faut que tu puisses attaquer en gardant cette position. Enfin, pas exactement cette position, mais en gardant cette tonicité au niveau des jambes, avec ton centre de gravité plus bas. Donc dans un premier temps, on va faire quelques exercices côte à côte. Tu vas d'abord tenter de m'imiter, et ensuite tu les feras seule, en utilisant le miroir pour corriger ta position.»

Méra lui désigna l'immense miroir qui couvrait le côté le plus étroit de la salle d'armes. Il avait coûté une véritable fortune à fabriquer et c'était la hantise de chaque élève de le briser par mégarde.

Elle vint se mettre à côté de Dyalwen et reprit sa position. Elle leva sa lance, projeta son poids en avant, sur sa jambe d'appuis, planta sa lance dans le cou d'un adversaire imaginaire. Elle reprit ensuite sa position initiale, le tout dans un seul grand geste fluide. Elle refit une deuxième fois l'entier du mouvement, plus lentement, pour que Dyalwen puisse bien décomposer les différentes étapes. Et une troisième à la vitesse à laquelle le geste était censé s'effectuer.

«Tu as compris? Alors on va en faire une dizaine ensemble, tranquillement. Je veux que tu sentes bien ton corps, et que réfléchisse à comment rendre ce mouvement le plus fluide possible pour toi. Je m'en fiche si finalement, tu mets ton coude plus haut que moi, si tu adoptes un angle plus aigu, ou je ne sais quoi. Ici, on vise l'efficacité, pas l'esthétique.»

Pour Méra, faire de tels exercices lui rappelait son premier maître d'armes. La lance n'était pas une arme très maniable pour une jeune fille de douze ans, mais elle avait fait de son mieux pour satisfaire les très hautes exigences de son maître. Les premiers temps, elle avait eu son lot de cloque à la main gauche.

«Est-ce que tu te fais à ta vie au Collegium, Dyalwen? J'ai appris qu'Alem t'avait prise comme secrétaire... je te plains, il n'est pas toujours très... commode.»

Dyalwen de Bordebure:
Le sourire de Dyalwen s’affermit un peu lorsque Méra lui répondit, même si l’idée véhiculée par ses paroles n’était pas franchement réjouissante. Les courbatures ne lui étaient évidemment pas inconnues et ne faisaient clairement pas partie de ses expériences préférées… Mais c’était prévisible. La rouquine n’eut toutefois pas le temps de hocher la tête pour signifier à son instructrice que, oui, elle était prête, que celle-ci passait à l’action. Mais, malgré la surprise, la Grise résista sans trop d’effort. Méra avait raison : la position qu’elle avait adoptée était bien plus stable que la précédente. C’était un peu comme trouver sa place sur le dos d’un cheval pour ne pas être déséquilibrée au moindre mouvement…

… et, comme sur le dos d’un cheval, la position ne faisait pas tout. L’habitude et la musculature jouaient une part non négligeable dans l’équilibre, et Dyalwen se sentit vaciller au deuxième coup de la Blanche. Elle serra les dents et se contracta, au point de sentir ses muscles protester, mais réussit à rester debout. Mais l’approbation de Méra lui permit de se détendre et de relâcher un peu la tension, et elle hocha la tête, pour montrer qu’elle prenait note de la conclusion – il fallait travailler – et des consignes suivantes. Elle suivit le geste de la Héraut et jeta un œil au miroir qu’elle n’avait même pas encore remarqué. Un miroir si grand, c’était… inhabituel – pour ne pas dire incroyable – et, de prime abord, elle l’avait juste pris pour une perspective plus grande.

Son attention revint tout entière sur Méra quand celle-ci commença l’enchaînement. Ses mouvements étaient si fluides que la Grise doutait de pouvoir l’imiter un jour.

Tu n’as pas su monter à cheval en un jour, souligna Tisia dans son esprit.
Je sais…

Mais ça remontait à tellement loin… À présent, l’équitation lui était aussi familière que la marche. Mais Tisia avait raison – Évidemment – et il était de toute façon hors de question de se décourager.

« D’accord, » répondit donc la rouquine aux explications de Méra, avant de se mettre à l’exercice.

Imitant son instructrice, Dyalwen s’efforça donc de reprendre la position qu’elle avait mis si longtemps à trouver précédemment, avant de projeter son poids vers l’avant, comme l’avait fait Méra. Évidemment, le premier essai ne fut pas vraiment probant et, entre la position de garde qui ne lui était pas encore familière, le changement d’appui qu’elle ne maîtrisait pas bien et le poids de la lance, elle manqua de trébucher. Mais elle reprit son équilibre et revint à sa place, les sourcils froncés, concentrée sur les mouvements de la Héraut et bien décidée à les copier correctement. La deuxième fois, elle prit donc le temps de décomposer ses mouvements, qui furent évidemment plus lents, mais elle conserva sa stabilité. La troisième fois aussi. Ignorant l’échauffement que provoquait le frottement du bois dans la paume de sa main ou la tension dans ses épaules et son dos, elle s’apprêtait à renouveler l’exercice une quatrième fois, en tâchant de le faire un peu plus vite, lorsque Méra reprit la parole pour lui poser une question.

Coupée dans son élan, la Grise trébucha et prit appui sur sa lance pour ne pas tomber.

« Il n’est pas méchant, » protesta-t-elle.

Bon, certes, le Héraut du Roi était loin d’être aussi chaleureux ou amical qu’Enora ou Méra… Contrairement aux deux femmes, ou même à Isabeau, elle ne se voyait pas l’appeler par  son prénom et encore moins le tutoyer. Mais de là à la qualifier de « pas commode »… ! Il était impressionnant, mais pas autant que Grand-père. Ou… pas de la même façon, en tout cas.

« Ça se passe bien… Je ne m’imaginais pas capable de rester à écrire pendant des heures, mais c’est intéressant, reconnut-elle sans préciser qu’elle était également contente d’être utile. Normalement, c’est plutôt mon frère qui aime les livres et les parchemins, moi je préfère m’occuper des chevaux. »

Au grand dam de Mère et de Grand-père.

Elle reprit sa place, près de Méra, prête à répéter l’exercice.

« Mais je ne pensais pas que j’aurais à apprendre à manier une lance un jour. Ça fait beaucoup de changement en peu de temps. »

Heureusement, avec son emploi du temps, elle n’avait pas trop le temps de s’arrêter pour évaluer tous lesdit changements.

Héraut Méra:
Méra laissa Dyalwen la suivre à son rythme. Elle prenait grand soin à bien décomposer ses gestes, à presque schématiser les différentes étapes du mouvement. Il était important que la Grise en comprenne toutes les étapes. Elle-même s'amusait beaucoup. Cela changeait agréablement des éternels combats à l'épée et des petits cons qui s'estimaient meilleurs qu'elle parce qu'elle était une femme. Ils le regrettaient souvent.

La brunette avait l'habitude de discuter qu'importe la tâche qu'elle effectuait. Elle ne pensait pas déstabiliser son élève à ce point en lui parlant. Elle dut se retenir de rire quand Dyalwen manqua de tomber.

«Je n'ai jamais dit qu'il était méchant. Mais il est capable de te signifier que tu l'emmerdes sans même ouvrir la bouche. Et il n'est pas très malléable. Moi, j'avoue qu'il en faut beaucoup pour me déstabiliser. Mais je pense à tous ceux qui n'ont pas mon aplomb...ça ne doit pas être facile.»

: Je pense plutôt qu'il t'envoie chier justement parce que tu ne te laisses pas démonter. Je parie qu'il est adorable avec les gens timides.:
:Probablement. Après tout, il est très bon, dans son rôle. C'est un très grand Héraut du Roi.: Elle esquissa un sourire. :Mais que cela reste entre nous.:
:Évidemment, très chère.:

Puis Dyalwen lui parla de ses débuts au Collegium. Quand elle mentionna le temps qu'elle passait à écrire, Méra ne put s'empêcher de grimacer.

«Ah, moi j'ai détesté cette partie. Surtout que je n'avais que ces cours-là! Enfin... j'ai eu un peu d'équitation, mais presque pas de cours pratique. Il faut dire que quand je suis arrivée, j'étais déjà bien formée sur tout ce qui concerne les aspects militaires.»

Comme Dyalwen, elle était arrivée relativement tardivement au Collegium. Mais contrairement à elle, elle avait déjà reçu une solide formation comme mercenaire.

«Tu vas encore devoir assimiler des tas de choses dont tu ne soupçonnais même pas l'existence. La formation de Héraut est très complète.» Elle sourit. «Parfois même trop. Mais comme il est difficile de savoir à l'avance à quel poste on assignera quelqu'un, on est obligé de vous préparer à tout.»

Elle fit signe à Dyalwen de reprendre l'exercice et accéléra la cadence. Quand la jeune fille sembla plus à l'aise, Méra rajouta un geste supplémentaire. À la fin de l'attaque, elle ramena la lance en travers de son torse, pointe vers le haut, dans un geste de parade, puis se remit en garde.

«Si tu as mal aux mains, tu peux mettre des lanières en cuir, au début. Mais je te recommande plutôt de serrer les dents le temps de tes premières cloques. Tu te feras de la corne plus rapidement.»

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