À l’instant où elle bondit sur le dos de Tisia, Dyalwen dut se retenir pour ne pas afficher un grand sourire. Mais ses lèvres s’étirèrent tout de même. Elle échangeait une séance de corvées de papiers contre une chevauchée avec son Compagnon ! Même si travailler avec le Héraut du Roi n’était pas aussi ennuyeux que les leçons qu’elle avait dû suivre à Bordebure, ça ne pouvait pas rivaliser avec un moment partagé avec Tisia. Et même les paroles de Taver, et l’annonce que la nouvelle Élue était tombée de Compagnon, ne pouvaient pas diminuer son enthousiasme. Au contraire. Ni Taver ni son Élu ne semblaient particulièrement inquiets et l’idée d’accompagner l’Attitré pour accueillir une nouvelle Grise était plutôt stimulante. En outre, la rouquine n’avait guère quitté l’enceinte du Palais et des Collegia depuis son Élection et parcourir les rues de la ville sur le dos de son Compagnon était une expérience bien différente de son arrivée avec Veladora. Même s’ils ne se contentaient que de trotter, ils allaient bien plus vite qu’ils n’auraient pu se le permettre à cheval.
Mais lorsqu’ils atteignirent les faubourgs, l’enthousiasme de Dyalwen fut douché d’un seul coup. Sa gorge s’assécha quand comprit que le Compagnon Alspeth cherchait à défendre son Élue contre les quatre malfrats et son cœur rata un battement alors que le Héraut du Roi dégainait son épée. Toute l’autorité de l’Attitré résonnait dans sa voix et, si elle ne se sentit pas concernée par son ordre, la Grise ne fut pas étonné de voir les malandrins y obéir sans broncher… sauf que la jeune fille obéissait également. Les doigts serrés sur la crinière de Tisia au point d’en faire blanchir ses articulations, la rouquine se mordit les lèvres pour retenir une exclamation quand l’un des hommes attrapa la nouvelle Élue et lui colla un couteau sous la gorge. Mais elle n’eut pas le temps de réagir qu’une lumière vive explosa soudain. Et assomma tout le monde. Enfin, sauf l’Attitré, son Compagnon, Tisia et elle. Et la fille.
Pendant quelques fractions de secondes, Dyalwen ne bougea pas, tandis que son esprit essayait de remettre tous les événements dans un ordre logique. C’était Taver qui les avait protégés ? Et la lumière, elle venait d’où ? De la fille ?
Le regard de la rouquine vers la fille, d’abord incrédule, se teinta de compassion quand elle nota qu’elle ne bougeait pas. Le sang coulait sur son cou et elle semblait sous le choc. Ses doigts crispés sur les crins de Tisia se relâchèrent et, sans plus réfléchir, Dyalwen se laissa glisser à terre pour avancer doucement vers la fille immobile.
Dyalwen…
La rouquine ignora la pensée de son Compagnon et sortit plutôt un mouchoir de sa poche. C’était un de ses (nombreux) essais (ratés) de borderie : le coin du carré de tissu arborait une sorte de gribouillis qui était censé représenter les armoiries de sa famille. En y regardant de près, avec les yeux de la foi, on pouvait peut-être deviner la tête et la queue d’un cheval. Mais là, son absence de talent pour les travaux d’aiguille était le cadet des soucis de Dyalwen.
« Hey, tout va bien. Il n’y a plus de danger. »
Elle ne savait pas trop comment, mais le fait était là. Les quatre voyous étaient assommés par terre. Et le Compagnon aussi, mais bon…
« Tu ne risques plus rien, le Héraut du Roi est là. »
Sans vraiment le réaliser, la Grise avait pris la même voix douce et basse qu’elle utilisait pour rassurer les chevaux à Bordebure. Et elle se déplaçait doucement, en évitant tout mouvement brusque susceptible d’effaroucher un poulain effrayé la fille. Elle avait dans l’intention d’essuyer le sang qui coulait de son écorchure, si elle la laissait approcher, ou, à défaut, de lui donner le mouchoir.