Beltran se retint de lever un sourcil quand Irmingarde tenta de regarder sous la couverture discrètement. Il comprenait qu'elle puisse être mal à l'aise. Lui-même n'était pas réveillé quand elle l'avait trouvé nu, mais il en était encore gêné. Plus tard, en convalescence, il avait tenté d'être le plus décent possible. Il ne pouvait lui en vouloir de tenter de faire de même.
Il eut mal pour elle quand elle ramassa ses forces pour se redresser. Il esquissa un geste pour l'aider mais se rappela au dernier moment qu'elle n'aimait pas qu'on la touche - alors malade ce devait être encore pire.
Il s'autorisa cependant un demi-sourire narquois:
"J'ai toujours été un malade doux et patient, au contraire."
Une pointe de culpabilité apparut dans ses yeux quand il repensa aux éclats de colère qu'il avait eu face à son impuissance des premiers jours. Mais il n'allait pas le lui dire.
Il aurait préféré qu'elle ne relève pas son hésitation. Lui dire qu'il allait faire une blague de soldat idiote était juste impensable, il fallut qu'il se rattrape... Il éluda finalement la question malgré le sourcil menaçant de la jeune femme.
"On s'occupe bien d'elle, ne t'inquiète pas. Arthon ne la lâche plus d'une semelle, on dirait bien un Lien pour la Vie tellement il la regarde avec ces yeux... Bref. Elle est entre de bonnes mains, et en meilleur état que toi."
L'aveu d'Irmingarde sur sa famille ne surprit guère le Capitaine. Il soupçonnait ce genre de choses depuis qu'il la connaissait, et au fil des rares discussions avec des aveux sur le passé, il s'attendait à tout de la part des Holds...
"On ne te le reproche pas ici, tu as fait plus que ta part dans notre voyage, et nous sommes ici vivants en grande partie grâce à toi. Tu as le droit d'être malade de temps en temps, tu sais?" tenta-t-il de la rassurer.
Il n'aimait pas l'amertume qu'il entendait dans sa voix, ni sa grimace... La jalousie la tenait-elle?
"Je m'inquiète pour Saskia parce que c'est la mère de l'Héritier mais aussi parce que j'ai appris à la connaître et à l'apprécier au delà de la Grande Peste. Tout comme j'apprécie d'être avec toi, ou avec Isabeau, ou Elbereth..."
Mina pouvait-elle vraiment être jalouse? Cela semblait tellement improbable... avant. En tout cas, Beltran voulait savoir ce qui la tracassait... et ne s'attendait pas à une réponse aussi franche et aussi désespérée.
Il ouvrit la bouche, la referma, puis se leva et fit les cent pas. En même temps, il se mit à parler:
" Elryk, tu n'es pas la seule à lui avoir fait confiance, Mina. Je l'ai accepté dans mon équipe, je lui ai donné des responsabilités importantes, je l'ai épaulé, je l'ai cru. Il avait un don pour t'inspirer la confiance, tu n'as pas été la seule à être dupe, et tu n'as pas à t'en vouloir pour cela. Il aurait trouvé un autre moyen de s'infiltrer parmi nous, il en avait les capacités. Tout le monde s'est fait avoir."
Il se planta face au lit et la fixa droit dans les yeux, mortellement sérieux:
"Ensuite, ce qui est arrivé avec ton Don m'a fait peur oui. J'ai peur de ton Don, comme j'ai peur de tout ce que je ne comprends pas. Mais ça fait partie de toi et j'ai confiance en toi, et en ta capacité à le maîtriser. Nous étions sur l'île d'une déesse, et j'allais mourir par la main d'Elryk. Ton feu aurait pu me tuer, mais il a surtout permis que la lame et les poisons d'Elryk ne puissent pas m'atteindre, pour qu'il soit éliminé lui-même. Ton feu n'est pas un feu destructeur, c'est un feu salvateur. Il a fait de moi un autre homme, j'ai pris conscience d'autres priorités."
Il arriva en deux pas de nouveau au chevet de la Grise:
"Alors maintenant tu arrêtes de culpabiliser. C'est arrivé, mais il n'en ressort que du bien. D'accord?"
Une idée s'insinua dans son esprit: comment Adrian avait su que la dague le protégerait? Savait-il ce qui allait arriver? Comment la lui avait-il donné sans qu'il ne s'en rende compte? Mais il ne dit rien, et serra la main d'Irmingarde qu'il avait pris de force en la regardant en face jusqu'à ce qu'elle réponde.