Ce que dit Beltran sur la plupart des bleus du Collegium était une simple vérité. Cela dit, comme il prit la peine de tous les englober pour faire une comparaison somme toute générale, Irmingarde choisit de le prendre comme un compliment. Elle lui sourit.
"Ce n'est pas dur en effet."
Quand il défendit la cause des pauvres hommes exploités par les femmes, Mina fut partagé entre l'envie de polémiquer sur une telle remarque, et celle d'en rire car il était manifeste qu'il faisait de l'humour. Elle trancha et choisit de faire un mélange des deux.
"Oh Beltran, si seulement c'était vrai. Je veux bien croire que certains hommes aiment à se sentir... dominés, mais il faut bien admettre que ce sont les hommes qui ont le pouvoir la plupart du temps!"
Comme elle savait parfaitement que le Capitaine s’insurgerait sur un tel jugement à l'emporte pièce, elle le nuança immédiatement avec un ton doux:
"Je sais ce que tu vas dire, il y a de très nombreuses femmes de pouvoir ici, et Valdemar a compté des Souveraines d'exception, des Capitaines de la Garde fabuleuses et j'en passe... mais je parle de ma maigre expérience des confins du royaume, ici, c'est différent."
La jeune femme se rendit compte alors à quel point elle plombait une conversation qui était agréable et légère à l'origine. Elle secoua la tête, et haussa les épaules en signe d'excuse:
"Je suis navrée, je suis une femme déprimante avec ma manie de formaliser une discussion comme celle-ci, il ne faut pas hésiter à me secouer et me traiter de rabat-joie! Pour en revenir au sujet initial... Tu sembles savoir de quoi tu parles, et je serai curieuse - oui, je suis horriblement curieuse - de te voir, toi, aux pieds d'une femme, il lui faudrait avoir un grand pouvoir, à cette femme, je suppose..."
Elle fit une moue amusée et essayait en même temps de brider son imagination.
L'ennui avec les pensées parasites, et les pensées tout court, c'est que plus vous vous efforciez de ne pas y penser, plus vous y pensiez, du fait même de penser à ce qu'il ne fallait absolument pas penser. Un cercle infernal.
Mina était plutôt douée en temps normal pour enfouir ce à quoi elle ne voulait plus songer, son enfance, son frère, Elryk, tout ça était bien cloisonné quelque part au fond d'elle où elle ne plongeait que rarement.
Mais ce genre de pensée frivole et tellement à l'opposé de ce qu'elle était... Et bien c'était tellement inédit pour elle qu'elle ne savait pas comment l'endiguer efficacement.
La pensée en question était le Capitaine totalement à sa merci, et si cela restait un concept assez abstrait cela était plutôt plaisant à imaginer, presque agréable.
Son Compagnon se permit de lui envoyer un rire mental satisfait, qu'elle ignora superbement pour se concentrer sur le reste de la conversation. Ha, c'était peut-être ça le secret pour ne pas se laisser distraire par son imagination, s'occuper à autre chose.
Quand il lui dit qu'il ne voulait pas se cacher, elle plaisanta encore:
"Ca veut dire que je peux te demander tous tes secrets alors? Que tu te mettrais à nu devant moi?"
Ha ben raté pour la diversion! Irmingarde rougit en se rendant compte de ce qu'elle venait de dire. Parce qu'au final, elle l'avait déjà vu, nu. Même si sa phrase était au sens figuré, ça restait horriblement gênant.
Elle se mordit la lèvre inférieure et secoua la main comme pour chasser ce qu'elle avait dit:
"Enfin, c'est une façon de parler, bien entendu."
Bien entendu.
Elle se racla la gorge pour se concentrer sur la danse. Parce que c'est pour ça qu'ils étaient là, n'est-ce pas?
"De la distinction donc? Alors allons-y!"
La jeune femme pâlit quand elle vit ce qu'elle devait faire, et ce n'était que le début!
Bien...
Mina se mit en face de lui et essaya de mimer ses gestes. Inutile de se voiler la face, c'était assez mauvais. Enfin, ça aurait pu être pire, mais ce n'était pas vraiment ça. Elle cassait ses poignets de façon ridicule, comme si elle mimait l'envol d'un oisillon. Et la coordination de ses pieds n'était pas très juste. Elle maugréa:
"Mais comment font les femmes avec des robes bon sang..."
Mais comme elle ne voulait pas baisser les bras, elle essaya encore, puis regarda Beltran, en attendant son verdict, et les corrections qu'il ne manquerait pas d'y faire.