(http://www.valdemar.fr/forum/images/avatars/Valdemar/owen.png)
Owen de Trevale
Owen était probablement un des jeunes hommes les plus chanceux du pays.
S'en rendait-il compte ?
Bien sûr que non.
L'effort le plus grand qu'il avait du faire dans sa vie avait du avoir lieu avant sa naissance, quand il s'était assez accroché à l'utérus de sa mère pour ne pas finir en drame familial, comme les trois quart des grossesses de la Dame de Trevale.
Le reste de sa vie, il n'avait jamais eu à prendre la moindre décision par lui-même. Et celui lui convenait à merveille.
On l'avait considéré comme un miracle, un garçon, un héritier vivant, enfin !
On avait répondu au moindre de ses désirs.
On avait découvert qu'il avait une peur panique des chevaux alors on l'avait gardé à demeure pour ne pas qu'il se ridiculise au Collegium, et on lui avait pris un précepteur.
On avait vite réalisé ses limites intellectuelles et on s'était mis à la recherche d'un régisseur extrêmement compétent pour faire le travail à sa place quand il hériterai.
Puis on lui avait cherché une femme, avec le fol espoir que des gènes différents des siens pourrait s'accorder aux siens, à bout de souffle.
Et ladite femme, devant son infertilité prévisible, avait trouvé le moyen de lui faire croire le contraire en lui offrant non pas un, mais deux enfants !
En bref, Owen était un homme stupidement heureux qui n'avait vécu jusque-là que pour manger et coucher avec sa femme, et qui découvrait à présent le sens d'un bonheur plus vrai en s'occupant de ses enfants.
Il était peut-être idiot, mais il avait bien compris combien cette descendance relevait du miracle - chut, qui a dit adultère? - et s'était tout de suite attaché à eux, avant même leur naissance.
Il délaissait un peu la salle à manger et la chambre à coucher pour passer des heures dans la nursery. Les nourrices n'en revenaient d'ailleurs pas. Elles avaient trouvé ça touchant, avant de changer d'avis devant son comportement face à elles. Rien ne devait aller de travers avec ses héritiers. Et Owen De Trevale savait se montrer pénible.
"Owen?! Nous avons une visite!"
Son fils dans les bras - car Owen bien sûr avait une préférence pour le garçon - il répondit en hurlant:
"Je suis occupé, plus tard!"
Mais il entendait déjà le pas léger et rapide de son épouse. Fleur passa la tête dans l’entrebâillement de la porte de la nursery, et sans un regard pour ses jumeaux, elle lui adressa une moue charmeuse.
"Owen s'il vous plait, il s'agit du Barde que j'ai engagé pour la fête en l'honneur des jumeaux. Je lui ai proposé de venir les voir, il a l'air de beaucoup aimer les enfants. Et il nous fera une proposition de chanson."
"Je n'ai pas besoin d'être là pour ça, et les enfants non plus. Ils vont attraper froid!"
"Owen, je vous en prie. Il fait parfaitement chaud dans toute la maison, et je ne vais pas faire montrer un Barde dans nos pièces privées. Je sais que vous êtes très fier de nos jumeaux, n'avez-vous pas envie de les montrer ?"
A la façon dont elle se tenait, et le regardait, il le savait perdu. Il était incapable de résister à sa femme. Elle le connaissait par coeur et savait exactement comment le faire plier. Et la voir là, penchée vers lui, le décolleté pigeonnant ayant gardé les rondeurs de sa grossesse, il ne pouvait tout simplement pas lui dire non.
Il se leva, son fils dans les bras, et une des Nourrices tendit sa fille à Fleur qui balbutia avant d'attraper maladroitement le bébé.
Et c'est ainsi chargé que le couple Trevale descendit dans un des petits salon du rez-de-chaussé.
"Barde Yvelin, c'est un plaisir de voir que vous avez répondu à mon invitation. Je vous présente mon époux, Owen."
Owen connaissait la réputation du barde en question. Il en avait entendu parler par un ami du Grand Conseil, et il n'oubliait jamais rien. Il n'aimait pas trop les Shay, sans vraiment savoir pourquoi. Mais il faut dire qu'ils étaient si souvent de tout bord dans ce milieu qu'il était difficile d'en trouver un doté d'une morale correcte. Et Fleur avait insisté...
"Barde Yvelin" salua-t-il simplement.
Il s'assit sur un large fauteuil - il fallait au moins ça pour son postérieur - son fils dans les bras.
Fleur fit une légère révérence et continua:
"Voici notre fille, Camélia, et notre fils, Ambroise."
Les jumeaux, âgé de 4 mois, étaient aussi blonds que leur mères. Owen était ravi qu'ils aient hérité de ses magnifiques cheveux.
"Je vous en prie assez-vous."
Elle le fit et commanda d'un ton doux mais ferme:
"Du thé."
Puis après avoir essayer de caler correctement sa fille - sans succès, elle demanda à Yvelin:
"L'inspiration a-t-elle été au rendez-vous ?"
Une domestique arriva à cet instant, portant un lourd plateau de thé fumant, ainsi que de nombreux gâteaux qui firent saliver Owen. La cuisinière était laide à faire peur, mais elle faisait de fameuses pâtisseries !
Yvelin trouvait Owen encore plus ridicule que ce que les portraits qu'on avait dressé de cet homme laissait suggérer. Son imbécillité, sa fatuité, son contentement manifeste étaient tellement évidents que le jeune Barde devait usait de tout son art pour ne pas se moquer de lui. Pour se faciliter encore la tâche, il décida de ne s'adresser qu'à Fleur, à moins qu'Owen ne lui laisse pas le choix.
«Votre maison est idéalement située, et on sent que la décoration est du fait de quelqu'un doué d'un goût sûr et raffiné.»
D'une certaine manière, c'était facile de dire ce qu'on attendait de lui, surtout à quelqu'un comme Fleur de Trevale. Être charmant, admiratif voir flagorneur ne lui posait aucun problème, du moment qu'il n'en pensait pas un traître mot. Alors pourquoi était-ce si difficile de dire les mots attendus quand le cœur y était?
Il chassa cette pensée en sortant son luth de son étui. Il n'avait pas le temps pour se morfondre sur ses erreurs.
«Les bébés aiment la musique, c'est certain. Pour leurs jeunes esprits, elle est plus facile à comprendre que la voix et la parole. Car s'ils n'en comprennent les mots, ils perçoivent les émotions qui l'habitent.»
*Jargon pseudo-mystique de Barde: fait!* entendit-il Liselle murmurer à son oreille. Il retint un sourire en accordant son instrument.
«Voyons si ma musique saura les atteindre.»
Il entama l'introduction en reprenant la progression mélodique des couplets. Il avait choisi une musique plutôt solennelle, d'aucun aurait dit pompeuse. Mais il ne doutait pas un instant qu'elle soit du goût des deux parents, lesquels ne semblaient vivre que pour et par les ors de la cour.
♪Dans les terres à l'est où le jour naît,
La roche est dur, le vent tranchant,
mais le sol est riche et vivant
et l'eau chante en clapotis gais.
"Trevale je nomme ces lieux,
car ici meurent trois vallées,
formant cette plaine baignée
de lumière, bénie des Dieux."
Ainsi parla le premier père,
de cette famille réputée.
Puis après lui son fils aîné,
rendit cette terre prospère.
Chaque illustre enfant des trois vals,
reprit le flambeau et la quête,
Paix ou guerre, victoire ou défaite,
Rien n'entamait leur idéal.
C'est de cette illustre lignage
qu'Ambroise et Camélia sont nés.
Sous le regard de leurs aînés,
qu'ils reçoivent leur héritage.
De leur mère, nous leur souhaitons
de prendre la grâce, la beauté,
pour qu'ils ne cessent d'amener,
joie et gaieté dans leur maison.
De leur père, l'illustre lignée,
la rectitude, la noblesse,
pour qu'ils saisissent sans faiblesse,
le flambeau de leur destinée.♪
Il reprit la mélodie des couplets une fois encore puis plaqua les derniers accords.
«Je peux évidemment ajouter encore quelques couplets, si cela vous semble nécessaire.»