La Verte sentit des mains frêles et tendres essuyer son visage, la nettoyer doucement. Elle soupira et sursauta en voyant sa mère. Elle se saisit de son poignet et se releva :
-M'man ! Qu'est-ce que tu fais là ?! Fais attentio...
Son dernier mot s'étrangla, et elle eut un nouveau hoquet qui se termina dans un violent vomissement de sang, encore une fois. Elle sentit qu'on la soutenait. Fatiguée, elle avait de plus en plus de mal à lutter. Alors qu'elle écoutait la question inquiète du Guérisseur, ses pensées devinrent plus lucides et rationnelles, et Yaelle revint à la réalité. Ses barrières mentales mises à sac, la jeune fille prit de plein fouet la peur de l'élève présente. La pauvre... Elle ne l'avait même pas vue. L'apprentie avait mal à la tête, au ventre, à la poitrine... Partout. Elle avait l'impression d'être déchirée, de voir la scène de loin, comme si elle regardait un tableau. L'odeur du sang la gênait, inexplicablement... Elle n'y avait jamais vraiment été sensible. La Verte tentait d'organiser ses pensées et souvenirs... Avec beaucoup de difficultés. Elle se sentait tellement... mal ! Au prix d'un effort considérable, Yaelle parvint à trouver un ordre dans tout cela et à répondre :
-Non je n'ai pas été mordue. Mon petit frère de six ans a vu un homme en noir jeter des fioles dans le fleuve, il y a quelque jours, et a décidé de les récupérer, pour me les offrir. Et cet après-midi, quand j'y suis allée, il m'a montré sa cachette secrète, dans laquelle se trouvaient les fioles, et un rat... mort. Je n'étais pas trop tranquille à cause du rat, mais ma mère a bien nettoyé les fioles. Elles brillaient de toutes les couleurs. Je crois que je les ai dans mon sac. Karim voulait qu'on boive le jus de pomme dedans pour le goûter, alors on l'a fait. Un peu plus tard, ma mère m'a raconté que les voisins étaient presque tous morts de l'épidémie : fièvre, toux aggravée, avec expectoration de sang et de pus (liquide vert). Les trois enfants et la mère. Mais je me sentais mal dès le début d'après-midi, même avant d'arriver chez moi...
La jeune fille avait tenté de raconter tout cela dans un ordre assez cohérent, ne sachant pas quand le délire la reprendrait. Cependant, sa voix était presque un murmure, et elle se sentait faible, tellement faible... Elle poussa un soupir et ferma un instant les yeux. Elle espérait ne pas avoir transmis sa maladie à sa mère et son frère, ainsi qu'aux gens qu'elle avait croisés, et au Guérisseur, et à son apprentie. Elle souffla :
-Faites attention à vous, c'est sûrement contagieux...