L'aveu de faiblesse de Loelia semblait presque faire plaisir à la doyenne. La jeune fille se dit qu'effectivement, durant le voyage, elle avait été bien présomptueuse de tenter de comprendre seule ce qui se passait.
Aussi, la suite de la discussion avec Riannon l'intéressa au plus haut point.
Et la jeune femme l'avait bien compris : elle allait devoir faire ses preuves.
La doyenne lui parla de ce qu'il s'était sans doute passé avec les dyhélis, d'autant plus qu'elle en avait discuté personnellement avec Dame Gaylee, qui était plus que bien placée pour lui en parler. Loelia écouta attentivement sa doyenne, sans broncher, tandis qu'elle lui expliquait ce qu'était son Don. Elle savait que certains Dons bardiques fonctionnaient de manière particulière, mais elle n'avait aucunement pensé que ce serait le cas du sien.
Riannon lui expliqua que son Don semblait exclusivement dirigé vers des non humains et que c'était quelque chose d'assez inhabituel.
Loelia eut un sourire un peu amer et en même temps quelque peu rassuré ; elle répondit sur le ton de la plaisanterie :
"Apparemment, je suis incapable de faire les choses comme tout le monde… Mais quelque part, j'aime ce que vous me dites. Ce ne sera pas facile, mais je compte faire de mon mieux."
Et à la suite du discours de la doyenne, elle comprit que ce ne serait vraiment pas simple. Non seulement elle devrait suivre sa deuxième année en tant que Barde, mais en plus, elle devrait suivre des options chez les Guérisseurs. Cela promettait un horaire chargé, mais cela ne lui faisait pas encore trop peur. Non, ce qui l'inquiétait - et c'était encore trop tôt pour cela - c'est qu'elle aimait la musique ; et qu'elle risquait fort bien de devoir renoncer à ses envies bardiques si elle voulait être compétente auprès des non-humains.
Elle réfléchit à tout cela quelques minutes, en silence, puis décida de s'en ouvrir à Riannon.
"Je maintiens ce que j'ai dit : je ferai de mon mieux. Plus jamais je ne veux voir souffrir des êtres comme ces dyhélis ; ce que ce voyage m'a appris, c'est que j'avais envie d'aider les non-humains, vu que ça semblait être dans mes possibilités. Et puis, je me suis attachée aux deux petits, et c'est réciproque."
Elle hésita, avant de poursuivre.
"Mais j'ai aussi un peu peur. Je sais que j'y verrai sans doute plus clair à la fin de l'année, mais pour le moment, de penser à … changer d'orientation, ça m'effraie. J'espère que ça se fera en douceur, si je dois changer de Collegium, à terme ? La musique a toujours été très importante pour moi. De plus, si je soigne par la musique, ne vais-je pas perdre la main, si en troisième année je vais chez les Guérisseurs ?"
Elle savait que c'étaient des questions un peu stupides, mais elle avait besoin de les poser. De plus, ça libéra son esprit le temps de se soumettre au petit test de la doyenne.
Elle avait pris son luth. Mais elle décida volontairement de faire le test à la voix. Elle se demandait si ça fonctionnerait aussi.
Elle commença par chanter un air qu'elle connaissait bien, datant de son enfance, que sa mère adoptive lui chantait souvent, quand elles travaillaient ensemble aux champs. C'était une sorte de ballade, parlant du printemps, de l'éclosion de la nature, du renouveau de la vie. Il ne se passa rien de spécialement notable, hormis ce mur habituel qui semblait l'empêcher de saisir quelque chose - quoi exactement ? - avec précision.
Puis, elle entrepris de chanter une adaptation vocale de l'air des dyhélis - elle remarqua alors que de passer du luth à la flûte durant son voyage lui avait fourni un bon exercice d'oreille, elle avait appris à "transposer" les différents timbres sans trop de problème . Même si elle ne trouva pas l'air de suite, il lui revient finalement assez facilement, car il avait tourné longtemps en boucle dans son esprit. Mais sans les dyhélis sur lesquels "s'accorder", la jeune femme sentit qu'il manquait une clef dans sa partition. Elle se remémorait le voyage, les sensations qui en découlaient, les pensées vécues, mais il manquait le petit quelque chose de plus.
Pendant qu'elle s'attelait à cette tâche difficile, elle sentit soudain comme "une pièce manquante du puzzle" , une sorte de présence complémentaire à la fenêtre. Un oiseau-lige était posé là, qui l'écoutait. Loelia se surpris -car cela survint sans réel choix conscient de sa part- à fixer son attention sur lui et à changer sa mélopée en conséquence, pour s'adapter au nouvel auditeur. Son chant sembla alors évoluer comme un chant de rapace et Loelia se prit au jeu, fendant l'air de sa voix, virevoltant en une mélodie acérée, tel un oiseau cherchant sa proie.
Quant elle eut fini, elle se tourna vers la doyenne, un air de compréhension sur le visage :
"Je crois avoir compris un truc important, même si je ne pense pas le maîtriser encore : si je tente de m'adapter à l'animal pensant en face de moi, il se passe quelque chose de plus. C'est comme si j'avais un "support" sur lequel me fixer."
Elle savait donc qu'il y avait encore du travail, une bonne partie de ce qui venait de se passer étant quasiment involontaire.
Elle sourit à l'oiseau, toujours à la fenêtre, le remerciant mentalement pour cet éclair de compréhension, même s'il ne pouvait pas l'entendre.
"Et merci à vous, Dame Riannon."/Edit HJ : si j'en ai fait trop sur la chanson, tu dis J'avais envie de m'amuser un peu !/